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Horaires. ItinĂ©raire. Site De Rencontre En Suisse Romande. Accueil > GĂ©nĂ©ral > Orange > Paris 16 > Avenue Victor Hugo 163 Orlane Horaires d’ouverture Carte et itinĂ©raire Orange 163 Avenue Victor Hugo, 75116, Paris 16 01 47 04 65 00 Informations Horaires d’ouverture 15 aoĂ»t - 21 aoĂ»t Nocturne Ouverture du dimanche Aucune ouverture du dimanche renseignĂ©e Horaires d’ouverture Orange Avenue Victor Hugo 163 Ă  Paris 16. Consultez Ă©galement les champs rĂ©servĂ©s aux nocturnes et aux ouvertures du dimanche pour plus d'informations. Utilisez l'onglet Carte et itinĂ©raire » pour planifier l'itinĂ©raire le plus rapide vers Avenue Victor Hugo Ă  Paris 16. 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V cToa Hugo avant 1830. - Nouvelle Ă©dition, i volume in-12 3 fr. 50 II. Victor Hugo aprĂšs 1830. — 2 vojumes in-12 7 fr. » III. Victor Hugo aprĂšs 1852. — V Fxil, les der- niĂšres annĂ©es et la mort du poĂšte, \ volume in-12 3 fr. 50 JoTRNAL d'un Bourgeois dĂŻ Pauis pendant la Terreur, ouvrage couronnĂ© par V AcadĂ©mie fran- çaise. Second prix Gobert. I. 1792, du 21 septembre 1792 au 21 janvier 1793. Nouvelle Ă©dition, \ volume in-12 3 fr. 50 II. 1793, du 21 janvier au 2 juin 1793. Nouvelle Ă©dition, 1 volume in-12 3 fr. 50 III. La Gironde et la Montagne, du 2 juin au 31 octobre 1793. Nouvelle Ă©dition, 1 volume in-12 3 fr. 50 La LĂ©gende des Girondins. Nouvelle Ă©dition en prĂ©paration. LÉGENDES rĂ©volutionnaires. 1 volumeiu-IS. Victor de Laprade, sa vie et ses Ɠuvres. 1 volume in. 12 3 fr. 50 Portraits littĂ©raires. 1888, 1 vol. in-12, 2° Ă©dition. Causeries littĂ©raires. 1890. 1 vol. in-12, 2» Ă©dition. Portraits historiques et littkraiPwES. 1892. 1 volume in-12, ?» Ă©dition. ET portraits 1893. 1 volume in-80. EMILE COLIN — IMPRIMERIE DB LAGNY EDMOND BIRÉ ‱8b VICTOR HUGO AVANT 1830 NOUVELLE EDITION PARIS LIBRAIRIE ACADEMIQUE DIDIER PERRIN ET Gi% LIBRAIft ES-ÉDITEURS 35, QUAI DES GRANDS-AL' iiO 4895 Tous droits rĂ©servĂ©s. .V4 c , VICTOR HUGO AYANT 1830 CHAPITRE I. Les ancĂȘtres de M. A^ictor Hugo. Eugo en Lorraine. Pierre d'Hozier et le IV^ registre de V Armo- riai gĂ©nĂ©ral. — Soixante-quatre quartiers de noblesse. Cha- noinesses et couturiĂšres. — Les chevaliers Hugo de Rouvrois, les barons Hugo de Spitzemberg et le menuisier Hugo de Nancy.— M, Victor Hugo et M. Jourdain.— Une lettre du pro- cureur-gĂ©nĂ©ral Bellart. — ‱ Le commandant Muscar, l'adjudant Bvutus Hugo et les massacres du chĂąteau dAux.— Meiie Sophie TrĂ©buchet. — La vraie noblesse de M. Victor Hugo. I M. Victor Hugo publie en ce moment l'Ă©dition dĂ©finitive de ses ƒuvres complĂštes, — Ă©dition ne varietiir d'aprĂšs les manuscrits originaux *. L'illustre *\S poĂšte, et on ne peut que l'en louer, tient Ă  mettre fV ordre lui-mĂȘme Ă  ses affaires littĂ©raires. Ainsi avait 1 ƒuvres complĂštes, jmrues ou Ă  paraĂźtre, de Victor Hugo, environ 40 vol, in-S». — Paris. J. Hetzel et C. A. Quantin et C, Ă©diteurs. 6 VICTOR HUGO AVANT 1830 fait Chateaubriand dans les derniĂšres annĂ©es de la Restauration, et les nombreuses Ă©ditions de ses Ɠu- vres qui se sont succĂ©dĂ© depuis n'ont point fait oublier ces beaux volumes, publiĂ©s chez le libraire Ladvocat, et dont chacun a pour frontispice une vignette, oĂč le palmier d'Orient s'unit au chĂȘne d'AmĂ©rique pour couronner la pierre sur laquelle est inscrit le nom de Chateaubriand. Sortis des presses de M. Quantin, les volumes de l'auteur des Odes et Ballades n'ont rien Ă  envier, pour la perfection typographique, Ă  ceux de l'auteur des Martyrs ; mais peut-ĂȘtre doit-on regretter que M. Victor Hugo n'ait point suivi l'exemple de Chateaubriand, qui a fait prĂ©cĂ©der chacun de ses ouvrages d'une prĂ©face nouvelle, pleine de renseigne- ments inĂ©dits et curieux, de considĂ©rations Ă©levĂ©es, de fermes et judicieuses critiques. Sur un autre point encore, nous aurions aimĂ© Ă  voir le grand poĂšte imi- ter le grand prosateur. En 1797, Chateaubriand avait fait paraĂźtre, Ă  Londres, sans nom d'auteur, un gros volume de 681 pages in-8^, intitulĂ© Essai historique y politique et moral sur les rĂ©volutions anciennes et mo- dernes, considĂ©rĂ©es dans leurs rapports avec la rĂ©volu- tion française i. Disciple de Jean-Jacques Rousseau, le jeune Ă©crivain avait mĂ©connu le caractĂšre divin de la religion chrĂ©tienne, et il Ă©tait tombĂ© dans les dĂ©cla- mations et les sophismes. Son livre pouvait donc fournir Ă  ses adversaires les moyens de le mettre en 1 A Londres, chez J. Deboffe, Gerrard-Street ; J. Debrett, Piccadilly ; M"» Lowes, Pall-Mall ; A. Dulau et Ce, Wardour-Street ; Boosey, Broad-Street ; et Fauche, Ă  Hambourg. VICTOR HUGO AVANT 1830 7 contradiction avec lui-mĂȘme ; malheureusement pour eux, les rares exemplaires qui avaient franchi le dĂ©- troit Ă©taient devenus Ă  peu prĂšs introuvables. Cha- teaubriand se chargea de venir en aide Ă  ses ennemis ; il réédita VFssai su?' les i^Ă©volutionsy sans y changer un seul mot. Gomme Chateaubriand, M. Yictor Hugo a publiĂ© dans sa jeunesse des Ă©crits, — en vers et en prose, — dans lesquels il professe des opinions diamĂ©tralement opposĂ©es Ă  celles qui sont aujourd'hui les siennes. Pourquoi ne les a-t-il pas fait figurer dans ses ƒuvres complĂštes ? Il y a lĂ  une lacune que je voudrais essayer de combler. Je le ferai, non certes pour montrer que M. Yictor Hugo, aujourd'hui ardent rĂ©publicain, a commencĂ© par ĂȘtre un ardent royaliste, mais parce que ces Ă©crits de la jeunesse du poĂšte sont pleins de talent et mĂ©ritent d'ĂȘtre arrachĂ©s Ă  l'oubli auquel il les voudrait condamner. J'y trouverai texte d'ailleurs Ă  Ă©tudier de prĂšs ses premiĂšres annĂ©es et ses pre- miĂšres Ɠuvres. Je m'efforcerai d'apporter dans ce tra- vail ce souci d'exactitude et de prĂ©cision dont la cri- tique contemporaine se fait une loi lorsqu'elle aborde les grands Ă©crivains du dix-septiĂšme siĂšcle, Corneille ou Racine, La Fontaine ou MoUĂšre. Je traiterai M. Victor Hugo comme un classique. Aussi bien, je suis de ceux qui n'ont jamais fait difficultĂ© de reconnaĂźtre et de saluer son gĂ©nie, et il ne m'Ă©tonnerait pas d'ĂȘtre traitĂ© d'hugolĂątre par quelques-uns de mes lecteurs. Pendant ce temps , j'en ai peur , le MAITRE , si ces pages 8 VICTOR HUGO AVANT 183U tombent par hasard sous ses yeux, trouvera sans doute mes Ă©loges bien pĂąles et bien tiĂšdes. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'extrĂȘme louange a seule le don de plaire aux poĂštes; et le sage Ulysse le savait bien, lui qui abordait le chantre DĂ©modocus par ces paroles a DĂ©modocus, je te mets sans contre- dit au-dessus de tous les mortels ensemble ; car c'est la Muse elle-mĂȘme qui t'a enseignĂ©, la Muse, fille de Jupiter, ou plutĂŽt Apollon i. » Eh bien ! non, M. Victor Hugo n'est pas au-dessus de tous les mortels ensemble ; mais il n'en demeure pas moins un puissant poĂšte et un prosateur admi- rable. Il est avec Chateaubriand et avec Lamartine l'une des trois plus grandes figures littĂ©raires du dix- neuviĂšme siĂšcle, et sa gloire, eĂ»t-elle, comme celle de l'auteur du GĂ©nie du Christianisme et celle de l'auteur des MĂ©ditations, des retours Ă  subir, sa gloire ne pĂ©rira pas. Il ne saurait dĂšs lors ĂȘtre sans intĂ©rĂȘt de bien connaĂźtre les origines et les premiĂšres manifes- tations de son gĂ©nie. Le poĂšte lui-mĂȘme, il est vrai, semble avoir fourni d'avance sur ce point tous les Ă©claircissements dĂ©sirables, dans les deux volumes de MĂ©moires Ă©crits sous son toit et Ă  peu prĂšs sous sa dictĂ©e et publiĂ©s en 1863 sous ce titre Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie ^. Malheureu- 1 OdyssĂ©e, 1. vin. 2 Deux volumes in-8*. — Ces deux volumes, qui prennent le poĂšte Ă  sa naissance, le conduisent jusqu'Ă  sa nomination Ă  l'AcadĂ©mie française en 1841. M. Victor Hugo, en lui donnant place dans YĂ©dition dĂ©funt'we de ses ƒuvres, a reconnu par lĂ  mĂȘme que cet ouvrage Ă©tait son Ɠuvre person- nelle. Nous sommes donc autorisĂ© Ă  y voir de vĂ©ritables MĂ©moires, Ă©crits Ă  la troisiĂšme personne, — comme lĂ©s Commentaires de CĂ©sar. VICTOR IIL'GO AVANT 1830 9 semont co livre, Ă  cĂŽtĂ© de renseignements prĂ©cieux et dont l'histoire littĂ©raire de notre temps devra faire son profit, renferme en grand nombre des inexactitudes qu'il est essentiel de redresser et des lacunes plus ou moins involontaires qu'il est utile de faire disparaĂźtre. Je m'y suis appliquĂ© de mon mieux et le soin que j'ai mis Ă  relever les erreurs du tĂ©moin de M. Victor Hugo ou Ă  rechercher les Ă©crits de sa jeunesse tĂ©moigne peut-ĂȘtre d'une admiration plus sincĂšre Ă  son endroit que celle des bons amis de cour qui vont cĂ©lĂ©brant bien haut ses derniĂšres Ɠuvres, et qui, entre eux, 50/^0 voce, le gratifient, en dĂ©pit de son anticlĂ©ricalisme, d'un ample canonicat dans le diocĂšse de l'archevĂȘque de Grenade. II Si j'avais Ă©crit ces mĂ©moires avant la RĂ©volution, j'aurais peut-ĂȘtre Ă©vitĂ© de parler longtemps de mon origine nĂ© avec un sentiment absolu d'indĂ©pendance, je n'estimais peut-ĂȘtre pas assez autrefois l'avantage d'ĂȘtre sorti d'une ancienne maison ; mais depuis qu'on a voulu prouver que la noblesse n'Ă©tait rien, j'ai senti qu'elle valait quelque chose et j'aime Ă  prĂ©sent Ă  retrouver le gentilhomme sous la plume de Montes- quieu comme Ă  sentir la chevalerie sous la lance de Bayard. Je descends d'une des plus anciennes familles de la Bretagne et de la monarchie française. » Ainsi 1. 10 VICTOR HUGO AVANT 1830 s'exprimait Chateaubriand en tĂȘte des MĂ©moires de sa vie, commencĂ©s en 1809 i. M. Victor Hugo, qui Ă©crivait sur son journal de collĂšge, Ă  la date du 10 juillet 1816 il avait alors quatorze ans Je veux ĂȘtre Chateaubriand ou rien; » — M. Yictor Hugo n'a pas voulu qu'il fĂ»t dit que, l'Ă©gal de Chateaubriand par le gĂ©nie et par la gloire, il n'Ă©tait pas son Ă©gal par la naissance. Fils d'un soldat qui avait conquis sur les champs de bataille le titre de comte, il a tenu Ă  nous apprendre que sa no- blesse remontait bien au delĂ  du premier Empire, et que lui aussi possĂ©dait ravantage cVĂȘtre sorti cVune ancienne rnaison. Au mois de juillet 1831, k la veille de la publication des Feuilles cVautomne, M. Sainte-Beuve, alors son ami, faisait paraĂźtre, dans la Biographie des Contem- jjorains, une notice dont le poĂšte lui-mĂȘme lui avait fourni les Ă©lĂ©ments. Je n'ai point Ă©crit mon article, dit M. Sainte-Beuve, sans m'informer et sans puiser Ă  la meilleure source. » Or voici l'information que M. Yictor Hugo avait fournie Ă  son biographe, relati- vement Ă  l'anciennetĂ© de sa maison Sa famille paternelle, anoblie, dĂšs 1531, en la personne de Georges Hugo, capitaine des gardes du duc de Lor- raine, avait donnĂ©, au dix-septiĂšme siĂšcle, un savant thĂ©ologien de ce nom, Ă©vĂȘque de PtolĂ©maĂŻs ^. » Cet Ă©voque de PtolĂ©maĂŻs reparaĂźtra trente ans plus 1 MĂ©moires de ma vie, manuscrit des trois premiers livres des MĂ©moires d'Outre- Tombe, publiĂ©, en 1874, par Mℱ Charles Lenormant. 2 Biographie des Contemporains, publiĂ©e sous la direction de MM. Rabbe et Yieilhe de Boisjolin, t. IV, 2 partie, p. 331. VICTOR HUGO AVANT 1830 11 tard dans les MisĂ©rables Dans une autre disserta- tion, dit M. Hugo, l'Ă©vĂȘque de D. examine les Ɠuvres thĂ©ologiques de Hugo, Ă©vĂȘque de PtolĂ©maĂŻs, arriĂšre- grand-oncle de celui qui Ă©cpit ce livre *. » Dans Wil- liam Shakespeare, l'auteur nous prĂ©sente Françoise d'Issembourg de Happoncourt, femme de François Hugo, chambellan de Lorraine, et fort cĂ©lĂšbre sous le nom de M^^e de Grafigny ^ ». Enfin, dans Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, voici ce que nous trouvons dĂšs la premiĂšre page Le premier Hugo qui ait laissĂ© trace, parce que les docu- ments antĂ©rieurs ont disparu dans lĂ© pillage de Nancy par les troupes du marĂ©chal de GrĂ©qui, en 1670, est un Pierre-Antoine Hugo, nĂ© en 1532, conseiller privĂ© du grand-duc de Lorraine, et qui Ă©pousa la filie du seigneur de Bioncourt. Parmi les descendants de Pierre-Antoine, je remarque au seiziĂšme siĂšcle, Amie-Marie, chanoinesse de Remiremont ; au dix-sep- tiĂšme siĂšcle, Gharles-Louis, abbĂ© d'Etival, Ă©vĂȘque de PtolĂ©maĂŻde, auteur d'un recueil estimĂ©, Sacrx antiquitatis monumenta ; au dix-huitiĂšme siĂšcle, Joseph-Antoine, officier prĂšs du marĂ©chal de Montesquiou, tuĂ© Ă  la bataille de Denain ; Michel- Pierre, lieutenant-colonel au service de Toscane ; et Louis- Antoine, que M. Abel Hugo disait ĂȘtre le conventionnel Hugo, exĂ©cutĂ© pour modĂ©rantisme 3. Le pĂšre de M. Victor 4 Les MisĂ©rables, I'" partie, 1. I»', c, v. — On lit encore, dans la seconde partie des MisĂ©rables, au livre I', consacrĂ© Ă  la bataille de Waterloo Hougomont, pour l'antiquaire, c'est Hug ornons. Ce manoir fut bĂąti par Hugo, sire de Somerel, le mĂȘme qui dota la sixiĂšme chĂ tellenie de l'abbaye de Vil- liers. » — Au 1. IV, c. v, de Notre-Dame-de-Paris, M. Victor Hugo parle de l'Ă©vĂȘque Hugo de Besançon, IJugo II di Disuncio, 1326-1332 ; » et dans ses Lettres sur le Rhin, t. I, p. 101, il n'omet point de rappeler qu'au moyen Ăąge la ville de MĂ©ziĂšres a Ă©tĂ© anoblie par le comte Hugo ». 2 'William Shakespeare, par Victor Hugo, p. 338. 3 Je puis rassurer M. Victor Hugo sur le sort de ce conventionnel. EnvoyĂ© Ă  la Convention parle dĂ©partement des Vosges, il y joua un rĂŽle si effacĂ©, 12 VICTOR HUGO AVA^'T 1830 Hugo, Joseph-LĂ©opold-Sigisbert, s'engagea comme cadet en 1788, Ă  l'Ăąge de quatorze ans. Sept frĂšres qu'il avait, sans compter les sƓurs, partirent presqu'en mĂȘme temps que lui. Cinq furent tuĂ©s dĂšs le commencement de la guerre, aux lignes de Wissembourg. Deux survĂ©curent, Francis-Juste, qui devint major d'infanterie, et Louis-Joseph, mort il y a dix ans gĂ©nĂ©ral de Ijrigade *. Chateaubriand avait dit, au dĂ©but de ses MĂ©- moires Lorsque ChĂ©rin vit nos titres pour ma prĂ©- sentation Ă  Louis XVI, et pour faire les preuves de ma sƓur Lucile au chapitre de LargentiĂšre et ensuite Ă  celui de Remiremonty il dĂ©clara qu'il n'avait jamais eu entre les mains une plus belle et plus complĂšte gĂ©nĂ©alogie. » Puisque les portes du chapitre de Re- miremont, en Lorraine^ s'ouvraient toutes grandes devant les Chateaubriand , il ne se pouvait pas qu'elles restassent fermĂ©es devant les Hugo, et c'est pour cela que nous voyons figurer dans la gĂ©nĂ©alo- gie du poĂšte, Anne-Marie, chanoinesse de Remiremont. Or sait-on combien il fallait prouver de quartiers de noblesse pour ĂȘtre reçue chanoinesse du chapitre de Remiremont ? Pour entrer dans ce chapitre, dit M. le comte d'Haussonville, il fallait prouver trente- deux quartiers de noblesse dans les lignes pater- nelles, et autant dans les lignes maternelles, en tout soixante-quatre quartiers =^. » que ni les Tables, pourtant si complĂštes, du Moniteur de la RĂ©volution, ni les diverses biographies des Membres de la Convention nationale ne font men- tion de lui. Dans les Appels nominaux lors du procĂšs de Louis XVI, il est por- tĂ© absent par maladie. Il n'a point eu l'honneur d'ĂȘtre guillotinĂ©, et il est mort tranquillement dans son lit le 15 septembre 1825. 1 Yictor Huçio racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, t. I, p. 1. 2 Sowyenirs et MĂ©lanfjes, par le comte d'Haussonville, p. 3. VICTOR HUGO AYANT 1830 13 Soixante-quatre quartiers ! On voit que M. Victor Hugo laisse bien loin derriĂšre lui ce gentilhomme, si fier de ses parchemins, Ă  qui Boileau disait Votre race est connue, Depuis quand? rĂ©pondez. Depuis mille ans entiers. Et vous pouvez fournir deux ibis seize quartiers C'est beaucoup*. C'est peu, pourrait rĂ©pondre M. Hugo, qui possĂšde une collection ĂŻ ancĂȘtres presque aussi riche que celle de don Ruy Gomez de Silva VoilĂ  don Vasquez, dit le sage ; Don Jayme, dit le fort. Un jour sur son passage, Il arrĂȘta Zamet et cent Maures, tout seul. — J'en passe, et des meilleurs 2. Lui aussi, M. Hugo, a Ă©tĂ© forcĂ© d'en passer, et des meilleurs, parce que les documents antĂ©rieurs Ă  J ont disparu dans le pillar/e de Nancy, en 1670. Sans ce dĂ©plorable Ă©vĂ©nement, sans le marĂ©chal de CrĂ©qui et ses troupes, nul doute que l'auteur des MisĂ©rables n'eĂ»t Ă©tĂ© en mesure d'Ă©tablir que sa famille marchait de pair avec les petits chevaux de Lorraine^, comme celle de l'auteur du GĂ©nie du Christianisme rivalisait 1 Boileau, satire V. 2 Hernani, acte III, scĂšne v-i. 3 Les familles appelĂ©es grands chevaux de Lorraine Ă©taient au nombre de quatre les Ligneville, les du Chatelet, les Lenoncourt et les Haraucourt... On n'est point parfaitement d'accord sur le nombre et sur les noms des fa- milles qualifiĂ©es de petits chevaux de Lorraine. Les auteurs qui en parlent varient Ă  ce sujet. Ils citent tantĂŽt huit, tantĂŽt douze et quelquefois seize fa- milles comme portant ce titre honorifique. » Comte d'Haussonville, Souve- nirs et MĂ©langes, p. 5, et Hist. de la rĂ©union de la Lorraine Ă  la France, t. I, p, 20. 14 VICTOR HUGO AVANT 1830 de grandeur et d'anciennetĂ© avec celle des Rohan et des Montmorency-Laval ^ Je ne me serais point Ă©tendu aussi longuement sur les prĂ©tentions aristocratiques de M. Victor Hugo, si elles n'avaient quelque chose de singulier chex un Ă©crivain qui se pique d'ĂȘtre dĂ©mocrate ; si elles n'a- vaient pas, en second lieu, droit de nous Ă©tonner en- core davantage, venant d'un homme assez illustre par lui-mĂȘme pour pouvoir se passer d'aĂŻeux ; si enfin elles n'offraient pas ce caractĂšre particuliĂšrement Ă©trange d'ĂȘtre dĂ©nuĂ©es de tout fondement. Le pĂšre de M. Victor Hugo, qui a Ă©crit, lui aussi, ses MĂ©mowes, nous apprend qu'il doit le jour Ă  d'honnĂȘtes gens dont rien n'Ă©gala mieux les vertus que l'excellente rĂ©putation qu'elles leur mĂ©ritĂšrent^». Ces honnĂȘtes gens, Ă  qui leurs vertus avaient valu une excellente rĂ©putation, demeuraient Ă  Nancy ; c'est donc lĂ  que nous devons nous adresser si nous vou- lons ĂȘtre renseignĂ©s exactement. J'ouvre en consĂ©- quence l'Histoire de Nancy, par M. Jean Gayon, et, Ă  la page 353, consacrĂ©e au rĂ©cit de la fĂȘte des Ă©poux, dans le dĂ©partement de la Meurthe, je lis ce qui suit Parmi les citoyens couronnĂ©s dans ces fĂȘtes pa- triarcales, nous remarquons, le 10 florĂ©al an V 29 avril 1797, Joseph Hugo, menuisier, trĂšs excellent rĂ©publicain » et pĂšre de neuf enfants dont plusieurs 1 Chateaubriand, MĂ©moires, p. 5. 2 MĂ©moires du gĂ©nĂ©ral Hugo, t. I, p. 1. VICTOR HUGO AVANT 1830 15 Ă©taient Ă  la frontiĂšre. Il est raĂŻcul de notre cĂ©lĂšbre Victor Hugo, pair de France *.» III Ce n'est pas sans raison que Joseph Hugo avait Ă©tĂ© couronnĂ© le jour de la fĂȘte des Ă©poux. Il s'Ă©tait mariĂ© deux fois sa premiĂšre femme, demoiselle DieudonnĂ©e BĂ©chet, Ă©tait fille de Dominique BĂ©chet, maĂźtre cordonnier; sa seconde femme, demoiselle Jeanne- Marguerite Michaud, Ă©tait gouvernante d'enfants chez le comte RosiĂšres d'Euvezin *. De ses deux mariages il avait eu douze enfants, sept filles et cinq garçons Jean-François, nĂ© le 27 janvier 1757, François-Bal- thazar, nĂ© le 5 janvier 1762, Joseph-LĂ©opold-Sigisbert, nĂ© le 15 novembre 1773, Louis- Joseph, nĂ© le 14 fĂ©vrier 1777 et François-Juste, nĂ© le 3 aoĂ»t 1780. Que les deux premiers aient Ă©tĂ© tuĂ©s aux lignes de Wis- sembourg, comme l'affirme M. Victor Hugo, je le veux bien croire, mais je fais mes rĂ©serves pour les trois autres, pour Joseph-LĂ©opold-Sigisbert, pĂšre du poĂšte, mort en 1828, pour Louis-Joseph, mort en 1854, et pour François-Juste, qui vivait encore en 1823, ainsi que l'Ă©tablit une lettre de Louis-Joseph Hugo Ă  sa sƓur madame Martin Ghopine, en date du 10 aoĂ»t 1823, que j'ai en ce moment sous les yeux. AprĂšs 1 Histoire de Nanc>/, par M. Jean Cayon. Nancy, 1846. 2 Les Archives de Nancy ou Documents relatifs Ă  l'histoire de cette ville, publiĂ©s sous le patronage de l'administration municipale, par M. Lepage, ar- chiviste de la Meurthe, 18G5, t. IV, 16 VICTOR HUGO AVANT 1830 tout, il est fort heureux pour M. Victor Hugo que Joseph Hugo n'ait pas eu cinq fils tuĂ©s ensemble Ă  Wissembourg , car alors Joseph-LĂ©opold-Sigisbert aurait Ă©tĂ© compris dans cette hĂ©catombe, — et M. Victor Hugo ne serait pas nĂ© ! La victoire des lignes de Wissembourg eĂ»t Ă©tĂ©, pour la France, dĂ©sastreuse Ă  l'envi d'une dĂ©faite ! Deux mots maintenant sur les sept filles du menuisier Joseph Hugo. H rĂ©sulte du recensement officiel des habitants de Nancy, fait en l'an IV 1796, que trois d'entrĂ© elles, Victoire, Anne-Julie et Marie-Françoise, Ă©taient couturiĂšres et demeuraient avec leur pĂšre dans une maison de la rue des MarĂ©chaux. Trois Ă©taient mariĂ©es, l'une Ă  Joseph Pettingcr, boulanger, puis livreur de blĂ© S une autre Ă  Joseph George, perruquier ; la troisiĂšme, qui habitait Paris, Ă  RenĂ©- François-Martin Ghopine. Peu aprĂšs ce recensement. Victoire quitta Ă  son tour la maison paternelle pour Ă©pouser Jean-Baptiste-x\ndrĂ© Werquin, magistrat de sĂ»retĂ© Ă  NeufchĂąteau, dĂ©partement des ForĂȘts Luxembourg^. L'aĂźnĂ©e, Catherine, nĂ©e le 12 mars 1755, est restĂ©e cĂ©libataire, ainsi qu'Anne-Julie et Marie-Françoise. 1 Ces renseignements et la plupart de ceux qui, dans ce chapitre, concernent la famille paternelle de M, Victoi- Hugo, nous ont Ă©tĂ© fournis, avec une obligeance dont nous ne saurions lui ĂȘtre trop reconnaissant, par M. Charles Courbe, un Ă©rudit qui connaĂźt son Nancy comme pas un, qui en sait toutes les pierres et tous les hommes, auteur des Promenades historiques Ă  travers les rues de Nanci/ au XVIIl^ sciĂšcle, Ă  l'Ă©poque rĂ©oolutionnaire et de nos jours. 2 On lit dans les annonces de V EspĂ©rance, courrier de Nancy, du 11 mars 1843 A cĂ©der amiablement une statue gothique de la Vierge, en iiierre colo- VICTOR HUGO AVANT 1830 17 Dans le tableau gĂ©nĂ©alogique que l'auteur de Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie a placĂ© en tĂȘte de son livre, tous ces braves gens brillent par leur absence. M. Hugo parle bien de ses oncles Francis-Juste, qui devint major d'infanterie, et Louis-Joseph, qui devint gĂ©nĂ©ral de brigade » ; mais les oncles perruquiers et boulangers n'ont pas obtenu la moindre mention, non plus que les tantes couturiĂšres. Que ne se faisaient-elles admettre, comme chanoinesses, au chapitre de Remiremont? De la grand'mĂšre gouvernante d'enfants, il n'est pas soufflĂ© un traĂźtre mot passe encore, si elle eĂ»t Ă©tĂ©, comme la grand'mĂšre de Lamartine, sous-gouver- nante des enfants de M. le duc d'OrlĂ©ans * ! Quant au grand'pĂšre, M. Victor Hugo n'a pas hĂ©sitĂ© Ă  le biffer de son tableau. Le moyen, je vous le demande, de faire figurer, dans un si bel arbre gĂ©nĂ©alogique, un maĂźtre menuisier ! Mais cette façon commode de se dĂ©barrasser des gens ne rĂ©ussit pas toujours, paraĂźt-il, et on assure que le spectre du menuisier de l'an V apparaĂźt parfois, Ă  l'heure de minuit, Ă  son petit-fils, qui frissonne en entendant la Bouche d'Ombre lui adresser ces vers de Destouches, — des vers clas- siques riĂ©e, de moyenne grandeur et d'une parfaite conservation. Cette statue, qui provient de la succession d'une tante de M. Victor Hugo, ornait autrefois rĂ©glise des Cordeliers. — S'adresser pour la voir Ă  M, George, coiffeur, grande rue Ville-Vieille, 121.» La tante dont il s'agit ici Ă©tait Anne Hugo, veuve du boulanger Joseph Pettingex'. — M. George, coiffeur , Ă©tait le cousin-germain de M. Victor Hugo. 1 Les Confidences, par A. de Lamartine, livre I. 18 VICTOR HUGO AVANT 1830 J'entends la vanitĂ© me dĂ©clare Ă  genoux Qu'un aĂŻeul menuisier n'est pas digne de vous ^ ! Gomment faire pour conjurer ces fĂącheuses appa- ritions et pour clouer Ă  tout jamais ce trouble-fĂȘte dans un de ces cercueils qu'il fabriquait lui-mĂȘme autrefois? Le dernier biographe du poĂšte, M. Barbou, s'y est appliquĂ© de son mieux, et M. Victor Hugo l'a eu, certes, pour agrĂ©able, car l'honnĂȘte M. Barbou nous apprend qu'il n'a Ă©crit son ouvrage qu'aprĂšs en avoir soigneusement recueilli les Ă©lĂ©ments dans ses conver- sations avec le MAITRE-. Son livre est un livre de bio- graphie domestique et qui entend M. Barbou entend M. Victor Hugo lui-mĂȘme. Comprenant que le silence avait ici ses dangers, l'auteur de Victor Hugo et son temps s'est dĂ©cidĂ©, non pas Ă  nommer Joseph Hugo, — son nom n'attristera jamais des pages consacrĂ©es Ă  la gloire de M. Victor Hugo, — mais Ă  y faire une allu- sion discrĂšte. Certains gĂ©nĂ©alogistes, dit-il, ont contestĂ© cette descendance celle qui rattacherait directement M. Victor Hugo Ă  une famille de vieille noblesse. Hs ont prĂ©tendu que legrand'pĂšre du gĂ©nĂ©- ral Hugo avait exercĂ© un mĂ©tier manueL » Pourquoi ce tour classique et cette pĂ©riphrase ? Le mot de menuisier est-il donc si terrible Ă  prononcer et Ă  Ă©crire? Cela est possible, continue mĂ©lancoli- quement M. Barbou, les plus illustres familles ayant eu des revers Ă  subir ; mais il n'en est pas moins exact que Victor Hugo, qui n'en tire point vanitĂ©, qui 1 Le Glorieux, de Destouches, acte IV, scĂšne vu. a Victor Hugo et son temps, par M. A. Barbou, 1882, p. 11. VICTOR UUGO AVANT 1830 19 ne rougirait pas, bien au contraire, de la plus humble extraction, qui estime qu'un homme ne vaut que par ce qu'il fait, que Victor Hugo, disons-nous, appartient aune famille de vieille noblesse, de cette noblesse vĂ©- nĂ©rable devant ses titres aux services rendus au pays.» — Ses pĂšres, ajoute le bon biographe Barbou, Avaient donjon sur roche et fief dans la campagne*. » Et Ă  l'appui de son dire, l'auteur de Victor Hugo et son temps invoque Pierre d'Hozier, juge d'armes de France, et le quatriĂšme registre de son Armoriai gĂ©nĂ©- ral, publiĂ© en 1752. D'Hozier a dressĂ©, en effet, sous ce titre Hugo en Lorraine, l'arbre gĂ©nĂ©alogique des descendants de Georges Hugo, capitaine dans les troupes de RenĂ© II, duc de Lorraine, et anobli par lettres du 14 avril 1535 Premier degrĂ© Georges Hugo. DeuxiĂšme degrĂ© Claude Hugo, Ă©cuyer, gendarme dans la compagnie du prince Nicolas de Lorraine. TroisiĂšme degrĂ© François Hugo, avocat au parle- ment de Saint-Mihiel. QuatriĂšme degrĂ© Nicolas Hugo, Ă©cuyer, syndic de la noblesse du bailliage de Saint-Mihiel. CinquiĂšme degrĂ© Nicolas-Ignace Hugo, Ă©cuyer, conseiller d'Etat et privĂ© du duc LĂ©opold de Lor- raine. SixiĂšme degrĂ© Charles-Hyacinthe Hugo, chevalier, nĂ© le 16 dĂ©cembre 1699, conseiller-maĂźtre en la chambre des Comptes de Lorraine, lequel Ă©pousa, le 9 mars * Victor Huqo et son temps, p. 20 VICTOR HUGO AVANT 1830 1734, Anne Lhuillier de Spitzemberg, fille de LĂ©opold Lhuillier, seigneur de la capitainerie de Spitzemberg et capitaine d'infanterie au service de France. Fran- çois, duc de Lorraine, accorda Ă  Charles-Hyacinthe, le 20 novembre 1736, des lettres par lesquelles lui, ses enfants et sa postĂ©ritĂ©, nĂ©e et Ă  naĂźtre en lĂ©gitime mariage, furent créés chevaliers \ L'Armoriai gĂ©nĂ©ral de France ayant paru en 1752, l'arbre gĂ©nĂ©alogique dressĂ© par d'Hozier s'arrĂȘte for- cĂ©ment Ă  cette date. M. Barbou profite de ce silence obligĂ© pour continuer Ă  sa façon la gĂ©nĂ©alogie inter- rompue, et il Ă©crit bravement Charles-Hyacinthe Hugo, issu de Georges au cinquiĂšme degrĂ©, obtint d'autres lettres patentes, et son petit-fils, Sigisbert Hugo, entra au service en 1788. » Ce n'est pas plus difficile que cela et le tour est jouĂ©. Du moment que le gĂ©nĂ©ral Sigisbert Hugo, pĂšre de M. Victor Hugo, est le 75e? /^/?/5 de Charles-Hyacin- the^ conseiller-maĂźtre on la chambre des Comptes de Lorraine et Ă©poux d'Anne de Spitzemberg, M. Victor Hugo est bien le descendant direct de Georges Hugo, capitaine dans les troupes du duc RenĂ© II ce qu'il fallait dĂ©montrer. Tout cela serait Ă  merveille s'il n'y avait dans cette dĂ©monstration une lacune fĂącheuse, une omission regrettable. M. Barbou affirme bien que le gĂ©nĂ©ral Hugo Ă©tait le petit-fils de Charles-Hyacinthe ; mais c'est lĂ  une assertion abso- 1 Armoriai gĂ©nĂ©ral ou registre de la noblesse de France. Registre iv. MDCCLII. VICTOR HUGO AVANT 1830 2l Inment fantaisiste nous allons l'Ă©tablir, Ă  l'aide d'une double sĂ©rie de preuves. Pierre d'Hozier termine ainsi son article sur les Hugo en Lorraine Charles-Hyacinthe mourut Ă  Estival, le 24 janvier 1738, laissant sa femme veuve, — Deiie Anne Lhuillier de Spitzem- berg, — et trois enfants nĂ©s de son mariage, savoir lo Nicolas-DieudonnĂ© Hugo, chevalier, nĂ© le 12 juin 1735 ; 2o Louis-Charles-Toussaint Hugo, chevalier, nĂ© le 29 mai 1736; 3o JosĂ©phine-Mectilde Hugo, nĂ©e le 6 juillet 1737 i. Nicolas-DieudonnĂ© Hugo devint lieutenant au rĂ©giment de Garaman et mourut sans enfants. Louis-Charles-Toussaint j chevalier Hugo de Spitzem- berg, Ă©pousa le 25 septembre 1770 Marie-Catherine de Bazelaire de Neuvillers, et sadescendancedirecte s'est continuĂ©e jusqu'Ă  nos jours. MassacrĂ© par la populace Ă  SaĂźnt-DiĂ©, au mois de septembre 1793, et sciĂ© entre deux planches, il laissait quatre enfants, une fille et trois fils, qui Ă©migrĂšrent et s'Ă©tablirent Ă  Stuttgart. Deux de ses fils sont morts sans postĂ©ritĂ© ; le troi- siĂšme, Ijouis-François-Xavier, baron Hugo de Spitzem- berg, nĂ© Ă  Saint-DiĂ© le 21 juillet 1781, et mariĂ© Ă  Elisabeth-Juliane-Garoline-Gharlotte baronne de Mas- sembach, est mort Ă  Stuttgart le 25 avril 1844, laissant quatre fils, dont les deux plus jeunes dĂ©cĂ©dĂšrent sans enfants. Des deux autres, l'aĂźnĂ©, Guillaume, baron Hugo de Spitzemberg^ nĂ© Ă  Stuttgart le 19 janvier 1825, gĂ©nĂ©- * Armoriai gĂ©nĂ©ral, registre iv. 22 VICTOR HUGO AVANT 1830 rai au service du Wurtemberg, grand chancelier, premier aide de camp du roi, a eu de son mariage avec Marie, baronne de Hermoux 1. Maximilien-Xavier-Guillaume, baron Hugo de Spitzemberg, nĂ© Ă  Stuttgart le 18 mars 1858, lieutenant de dragons au service du Wurtemberg, mort Ă  Ulm le 2 dĂ©cembre 1881 ; 2. Elisabeth Hugo de Spitzemberg, nĂ©e Ă  Stuttgart, le 8 mars 1881 ; 3. Olga Hugo de Spitzemberg, nĂ©e Ă  Stuttgart le 18 janvier 1863 ; 4. AmĂ©lie Hugo de Spitzemberg, nĂ©e Ă  Stuttgart le 25 mai 1869. Le second fils de Louis-François-Xavier, FrĂ©dĂ©rk- Henri-CharleSj barbon Hugo de Spitzemberg, nĂ© Ă  Stuttgart le 19 septembre 1826, a Ă©tĂ© conseiller d'Etat, chambellan du roi de Wurtemberg, ministre plĂ©nipo- tentiaire Ă  Berlin, oĂč il est mort le 13 dĂ©cembre 1880. Il avait Ă©pousĂ© Hildegarde, baronne de WarnbĂ»lerde Nemmingen. Sont issus de ce mariage 1. Constantin- Henry -Conrad -Lothard Hugo de S'piizemberg, nĂ© Ă  Berlin le 16 octobre 1868; 2. Anne - Francisca - Vilma - Garoline-Johanna de Spitzemberg, nĂ©e Ă  Berlin le 21 juin 1877 '. Pendant la guerre de 1870, le baron Guillaume Hugo de Spitzemberg et son frĂšre demandĂšrent — ce qui leur fut accordĂ© — Ă  ne point prendre part Ă  la campagne contre la France. 1 GĂ©nĂ©alogie des Hugo de Sp tzemberg. — BibliothĂšque pudlique be Nancy. VICTOR HUGO AVANT 1830 23 Nous avons donc, d"une façon complĂšte et sans so- lution de continuitĂ©, de 1535 Ă  1882, le tableau gĂ©nĂ©a- logique de la famille qui a pour chef Georges Hugo, capitaine dans les troupes de RenĂ© II, duc de Lor- raine. Et sur ce tableau, pas la moindre lacune, pas le plus lĂ©ger vide oĂč il soit possible, avec la meilleure volontĂ© du monde, d'introduire Joseph-LĂ©opold-Si- gisbert, pĂšre de M. Yictor Hugo. IV AprĂšs avoir dĂ©montrĂ© que M. Victor Hugo est Ă©tranger Ă  ia famille de vieille noblesse dont il prĂ©- tend descendre, il nous reste Ă  faire connaĂźtre sa gĂ©- nĂ©alogie vĂ©ritable. Son pĂšre, Joseph-LĂ©opold-Sigisbert Hugo, mort en 1828, lieutenant-gĂ©nĂ©ral des armĂ©es du roi, est nĂ© Ă  Nancy, le 15 novembre 1773. Voici l'extrait de son acte de naissance, relevĂ© sur les registres de la pa- roisse Saint-Epvre 15 novembre 1773. Joseph-LĂ©opold-Sigisbert, fils de Joseph Hugo, maĂźtre menuisier, et de Jeanne-Marguerite Michaud. Parrain, le sieur Joseph BĂ©chet, avocat Ă  la Cour ; marraine, demoiselle Marthe-Élisabeth BĂ©cheti. De qui Ă©tait fils Joseph Hugo, le maĂźtre menuisier? i 0n Ht dans la dĂ©dicace des Voix intĂ©rieures A JOSEPH-LÉOPOLD- SIGISBERT comte HUGO, lieutenant-gĂ©nĂ©ral des armĂ©es du roi, nĂ© en 1774... — C'est une erreur que le poĂšte n'aurait pas commise s'il avait consultĂ© l'acte de naissance de son pĂšre, nĂ© en 1773 ; mais on pense bien qu'une telle piĂšce, oĂč il est parlĂ© de Josrph Hugo, maĂźtre menuisier, n'est pas poui ĂȘtre admise jamais dans le chartrier de M. Victor Hugoi 24 VICTOR nuGO av^ant 1830 C'est ce que vont nous apprendre avec certitude ses deux actes de mariage publiĂ©s, d'aprĂšs les registres de l'Ă©tat civil de Nancy, par M. Lepage, archiviste de la Meurthe. 1755. 1er juillet. Acte de mariage de Joseph Hugo, maĂźtre menuisier, fils de Jean-Philippe Hugo et de feu Catherine Grandmaire, avec DieudonnĂ©e, fille de Dominique BĂ©chet, maĂźtre cordonnier. 1770. 22 janvier. Acte de mariage de Joseph Hugo, maĂźtre menuisier, veuf de DieudonnĂ©e BĂ©chet, avec Marguerite Mi- chaud, gouvernante d'enfants chez M. le comte RosiĂšres d'Euvezin*. Nous avons voulu remonter plus haut et nous y sommes arrivĂ©, grĂące Ă  d'obligeantes communica- tions. Jean-Philippe Hugo, pĂšre de Joseph, n'habitait point Nancy. Il Ă©tait cultivateur Ă  Baudricourt, prĂšs Mirecourt dĂ©partement des Vosges. Nous reprodui- sons ici son acte de mariage avec Catherine Grand- maire Ce premier janvier de l'an mil sept cent sept, Jean-Philippe, fils de Jean Hugo, paroissien de Domvalher, et de Catherine Mansuy, et Catherine Grandmaire, fille de dĂ©funt Didier Grand- maire et de Marguerite Voizy, paroissiens de Baudricourt, se sont volontairement promis en prĂ©sence du curĂ© soussignĂ© et des tĂ©moins, et ont signĂ© Jean-Phihppe Hugo, Catherine Grandmaire, Jean Hugo, P. Grandmaire, Grandmaire, Pierre Voizy, N. Meunier et Claude Durand 2. De ce mariage sont nĂ©s, Ă  Baudricourt 1 Les Archives de Nancy, par Auguste Lepage, tome iv, p. 17 et 18. 2 Extrait des actes de rĂ©tat civil de la commune de Baudricourt ci-devant Saint-Menge, arrondissement de Mirecourt, dĂ©partement des Vosges. VICTOR HUGO AVANT 1830 ^o 1. Pierre Hugo, le 7 juin 1708. 2. Claude-Joseph Hugo, le 19 mars 1713. 3. Jeanne Hugo, le 4 mars 1716. 4. Laurent Hugo, le 29 avril 1719. 5. Jean Hugo, le 30 mars 1722. 6. Joseph Hugo, le 17 fĂ©vrier 1726. 7. Joseph Hugo, le 24 octobre 1727. Le premier Joseph Hugo, nĂ© en 1726, paraĂźt Ă©lre mort peu de temps aprĂšs sa naissance. Il est d'usage en Lorraine, si l'on perd un enfant, de donner Ă  celui qui vient aprĂšs lui les prĂ©noms de l'enfant dĂ©funt. C'est ce qui eut lieu pour le fils qui naquit de Jean- Philippe Hugo et de Catherine Grandmaire le 24 octo- bre 1727 et qui fut appelĂ© Joseph comme son frĂšre. Comme il est devenu le menuisier Joseph Hugo, pĂšre du gĂ©nĂ©ral et aĂŻeul du poĂšte, il convient que nous reproduisions son acte de naissance, extrait du registre des actes de l'Ă©tat civil de la commune de Baudri- court Joseph, fils lĂ©gitime de Jean-Philippe Hugo et de Catherine Grandmaire sa femme, est nĂ© le vingt-quatriĂšme jour d'octobre de l'an mil sept cent vingt-sept et a Ă©tĂ© baptisĂ© le mĂȘme jour. Il a eu pour parrain Joseph L'Huillier, laboureur Ă  Offroicourt, et pour marraine Marguerite Christophe , femme de Claude Mansuy, de ce lieu, qui ont signĂ© et marquĂ©. Ont signĂ© Claude Mansuy, L. Pillement, Rollin, curĂ© de Saint- Menge. Marque \ de Marguerite Christoplie. AppuyĂ© sur les piĂšces qui prĂ©cĂšdent, nous pou- vons dresser, avec une certitude absolue, l'arbre gĂ©- nĂ©alogique de Mi Victor Hugo. 26 VICĂŻOH HUGO AYANT 1830 I. Jean Hugo, cultivateur Ă  DomvaĂźlier. II. Jean-Philippe Hugo, cultivateur Ă Baudricourt. III. Joseph Hugo, menuisier Ă  Nancy. IV. Joseph-LĂ©opold-Sigisbert Hugo, lieutenant- gĂ©nĂ©ral. V. VICTOR HUGO. Nous nous sommes adressĂ© Ă  DomvaĂźlier pour avoir les actes de l'Ă©tat civil concernant Jean Hugo et ses ascendants. Il nous a Ă©tĂ© rĂ©pondu que les plus anciens registres existant dans la mairie de cette commune ne remontaient pas au delĂ  de l'annĂ©e 1690. Il faut croire que cet affreux marĂ©chal de GrĂ©qui, que M. Victor Hugo, Ă  la premiĂšre page de ses MĂ©moires, accuse d'avoir dĂ©truit, Ă  Nancy, ses papiers de famille et ses titres de noblesse antĂ©rieurs Ă  i 532, a fait aussi des siennes Ă  DomvaĂźlier ! Nous arrĂȘterons lĂ  cette dĂ©monstration, Ă  l'appui de laquelle il nous serait facile d'apporter d'autres preuves, s'il en Ă©tait besoin ; mais celles qui prĂ©cĂšdent nous paraissent suffire et au delĂ . Que M. Victor Hugo renonce donc Ă  falsifier d'Hozier pour se forger une gĂ©nĂ©alogie menteuse ; qu'il ne rougisse plus d'avoir pour aĂŻeul un honnĂȘte ouvrier, et un honnĂȘte cultiva- teur pour bisaĂŻeul ; qu'il cesse de prĂȘter Ă  rire aux gens en se faisant — lui, qui est presque l'Ă©gal des Corneille et des MoliĂšre — l'Ă©mule de M. Jourdain ! Et encore M. Jourdain Ă©tait-il moins ridicule ! Lui, du moins, n'Ă©tait pas rĂ©publicain ! J'ajoute que si cet honnĂȘte M. Jourdain est sottement entichĂ© de noblesse, s'il prĂȘte complaisamment l'oreille Ă  cet intrigant de VICTOR HUGO AVANT 1830 27 Goviclle, lui disant que son pĂšre, lequel se connais- sit fort bien en Ă©toffes, allait en choisir de tous les cĂŽtĂ©s, les faisait apporter chez lui et en donnait Ă  ses amis pour de l'argent », il ne pousse cependant point la faiblesse jusqu'Ă  renier ses parents pour se parer des titres d'une famille Ă©trangĂšre ! M. Jourdain prĂȘte Ă  rire et c'est tout ; et c'est Ă  d'autres qu'il convient de faire Tapplication de ces belles paroles que MoliĂšre a mises dans la bouche de GlĂ©onte Je trouve que toute Imposture est indigne Vun honnĂȘte hommCy et qu'il y a de la lĂąchetĂ© Ă  dĂ©guiser ce que le ciel nous a fait naĂźtre, Ă  se parer aux yeux du monde cVun titre dĂ©robĂ©, Ă  se vouloir donner pour ce qu'ion n'est pas *. » Un homme dont M. Victor Hugo s'est moquĂ© dans un de ses livres ^, le procureur gĂ©nĂ©ral Bellart, Ă©crivait, le 23 juin 1823, Ă  certain biographe qui lui avait demandĂ© des renseignements sur ses ancĂȘtres HĂ©las ! monsieur, vous faites trop d'honneur Ă  ma famille. Elle n'a pas d'armoiries ! Je suis le premier des miens Ă  qui le roi ait daignĂ© en accorder, et j'ai suppliĂ© Sa MajestĂ© de permettre qu'Ă  cĂŽtĂ© de la fleur de lis dont elle m'honorait, je plaçasse la cognĂ©e de mon pĂšre, qui Ă©tait charron. Il n'y a pas en France, ni peut-ĂȘtre au monde, de famille plus ro- turiĂšre que la mienne. Je ne connais, dans aucune de mes deux lignes, mes bisaĂŻeuls. Mes aĂŻeuls, dans chacune des deux, Ă©taient de bons et honnĂȘtes fermiers, au delĂ  desquels je ne trouve plus rien Je ne vous en remercie pas moins de votre obligeance, monsieur, et de tout ce que vous voulez bien me dire de flatteur. Je rĂ©vĂšre certainement la noblesse acquise au prix des services rendus Ă  son roi, Ă  son pays. Je * Le Bourgeois gentĂŻlliomme, acte III, scĂšne xii. 2 Les MisĂ©rables, I""" partie, 1. m. 2H VICTOR HUGO AVANT 1830 serais trĂšs fier d'ĂȘtre un Montmorency, un Grillon, un Dugues- clin ; mais puisque la fortune ne m'avait pas rĂ©servĂ© cette gloire, je ne veux pas usurper ni celle-lĂ  ni aucune autre ana- logue. Je me tiens Ă  mon lot, content d'avoir Ă©tĂ© du moins un homme d'honneur, un homme de bien, et peut-ĂȘtre quelquefois un citoyen utile K L'auteur de ce drame a toujours mieux aimĂ© des armes que des armoiries. » Telles sont les fiĂšres paroles par lesquelles M. Victor Hugo terminait, en 1827, la fameuse prĂ©face de Cromioell. Ce noble dĂ©dain pour les armoiries ne l'a point empĂȘchĂ© d'en prendre il porte d'azur au chef d'argent, chargĂ© de deux merlettes de sable. L'Ă©cu est sommĂ© d'un vol banncret d'azur chargĂ© d'une fasce d'argent. S'il lui plait de conserver ces armoiries, — qui sont celles des barons Hugo de Spitzemberg, — je n'y vois, pour mon compte, aucun inconvĂ©nient, et je me borne Ă  exprimer timidement le vƓu qu'Ă  cĂŽtĂ© des deux merlettes il place le rabot de son grand-pĂšre, le me- nuisier, comme Bellart plaçait la cognĂ©e de son pĂšre, le charron, Ă  cotĂ© de la fleur de lis. Qu'il ne veuille pas mettre les chevilles de maĂźtre Adam dans son Ă©cu, je le comprends ; mais que du moins le rabot y figure, accompagnĂ© de ces vers Ă©crits par Boileau Ă  l'adresse des poĂštes... et des menuisiers Vingt fois sur le mĂ©tier remettez votre ouvrage ; Polissez-le sans cesse, et le repolissez. 1 ƒuvres de Bellart, t. VI, p. 164. VICTOR HUGO AVANT 1830 29 Du moment que M. Victor Hugo s'Ă©tait accordĂ©, du cĂŽtĂ© paternel, une si belle gĂ©nĂ©alogie, il lui en coĂ»tait peu de nous apprendre que, du cĂŽtĂ© maternel, il Ă©tait de souche bourgeoise. Aussi ne fait-il aucune difficultĂ© de dire que le pĂšre de sa mĂšre Ă©tait un honnĂȘte bourgeois, un armateur de Nantes, appelĂ© TrĂ©buchet *. Ici encore cependant il s'est arrangĂ© de façon Ă  ne pas ĂȘtre tout Ă  fait exact. On lit dans la prĂ©face des Feuilles d'automne La mĂšre de l'au- teur, pauvre fille de quinze ans, en fuite Ă  travers le Bocage, a Ă©tĂ© une hrigande, comme My^^ de Bonchamps et M"^*^ de la Rochejaquelein. » Avoir Ă©tĂ© une brigande en 93, avoir suivi, Ă  travers le Bocage de la VendĂ©e, la veuve de Bonchamps et la veuve de Lescure, savez- vous bien, monsieur Hugo, que cela n'est pas une moindre gloire que d'avoir Ă©tĂ© aux croisades ? Certes, vous le savez, et c'est pour cela que vous faites de votre mĂšre une byngande elle aurait pu l'ĂȘtre, elle ne l'a pas Ă©tĂ©. Ce TrĂ©buchet, dit le tĂ©moin de M. Victor Hugo, Ă©tait un de ces honnĂȘtes bourgeois qui ne sortent jamais de leur ville et de leur opinion. » Pendant toute la guerre de la VendĂ©e, il ne s'Ă©loigna pas de Nantes, et sa fille resta auprĂšs de lui. C'est dans cette ville que le capitaine Hugo eut occasion de voir, chez son pĂšre, M'ie Sophie TrĂ©buchet. Entre 1 Victor Htifjo racontĂ©, etc., t. I, p. 16. 30 VICTOR HUGO AVANT 1830 la famille de l'armateur royaliste et l'ofĂ»cier rĂ©publi- cain des relations s'Ă©tablirent, que les divisions de la politique ne parvinrent pas Ă  rompre. Le rĂ©publi- canisme du jeune capitaine Ă©tait pourtant, Ă  cette Ă©poque, singuliĂšrement ardent ; il avait mĂȘme dĂ©- pouillĂ© son prĂ©nom de LĂ©opold, pour prendre celui de Bnitus. J'ai sous les yeux l'original d'une adresse des officiers, sous-officiers et soldats du bataillon de l'Union, en date du 10 juillet 1793. Dans cette adresse, datĂ©e du camp sous Angers, prĂšs de la VendĂ©e, les rĂ©publicains, composant le bataillon de l'Union », fĂ©licitent la Convention d'avoir expulsĂ© de son sein les membres de la Gironde et d'avoir donnĂ© Ă  la nation la Constitution de 93 LĂ©gislateurs, nous sanctionnons cette sublime Constitution , et nous jurons d'en dĂ©fendre les principes et de rĂ©pandre jusqu'Ă  la derniĂšre goutte de notre sang pour Ă©craser les tyrans, les fanatiques, les royalistes et les fĂ©dĂ©- ralistes. » — Parmi les signatures, Ă  cĂŽtĂ© de celle de Muscar, premier chef du bataillon de l'Union, je relĂšve celle de Brutus Hugo, adjudant-major K Une Ă©troite amitiĂ© unissait le chef de bataillon et son adjudant, si bien qu'il leur arriva de refuser de 'avancement pour ne pas se sĂ©parer. Au mois d'avril 1794, nous les retrouvons tous les deux au chĂąteau d'Aux ou d'O, nommĂ© aussi la HibaudiĂšre, prĂšs de Nantes. Muscar commande le poste, Hugo signe plus 1 Nous devons la communication de cette piĂšce Ă  M. Gustave Bord, dont a collection d'autographes et de documents inĂ©dits sur la RĂ©volution est une des plus prĂ©cieuses qui soient en France. VICTOR ]IUGO AVANT 1830 31 que jamais Bniius. Les 2 et 3 avril 13 et 14 germi- nal an II, des paysans du bourg de Bouguenais ^ arrĂȘtĂ©s dans leurs maisons ou dans leurs champs, alors qu'ils se livraient Ă  leurs travaux, sont traduits, au nombre de plusieurs centaines, devant une com- mission militaire rĂ©volutionnaire, sĂ©ante au chĂąteau d'Aux, condamnĂ©s Ă  mort et fusillĂ©s par les soldats de Muscar. Dans ses MĂ©moires, le capitaine Hugo a cĂ©lĂ©brĂ©, Ă  cette occasion, les sentiments d'humanitĂ© de son ami, et il s'est mis lui-mĂȘme en scĂšne dans des conditions qui lui feraient grand honneur, mais dont il nous est malheureusement impossible de lui laisser le bĂ©nĂ©fice. Voici son rĂ©cit, Ă©crit longtemps aprĂšs les Ă©vĂ©ne- ments et publiĂ© en 1823, Ă  une Ă©poque oĂč le gĂ©nĂ©ral comte Hugo oubliait volontiers qu'il s'Ă©tait placĂ© au- trefois sous le patronage de Brutus Je vis, aprĂšs quelques courtes questions de pure forme, condamner ces deux cent soixante-dix infortunĂ©s Ă  la peine terrible Ă  laquelle ils s'attendaient on les conduisit Ă  la mort par petites troupes, ils la reçurent avec calme, Ă  cĂŽtĂ© des fosses ouvertes pour les recevoir. J'ai beaucoup fait la guerre, j'ai parcouru de vastes champs de bataille, jamais rien ne m'a tant frappĂ© que le massacre de ces victimes de l'opinion et du fanatisme. A peine ces malheureux furent-ils condamnĂ©s , que le tribunal reçut ordre de revenir Ă  Nantes. Le prĂ©sident pria Muscar de faire juger les jeunes filles par une commission militaire ; et cet officier, dĂ©sirant les sauver, me nomma, quoique bien jeune encore, pour prĂ©sider Ă  ce tribunal, certain 1 EinonBouquenay, comme rĂ©crivent le gĂ©nĂ©ral Hugo dans ses MĂ©moires, et aprĂšs lui Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie. 32 VICTOR HUGO avant 1830 que je ne dĂ©mentirais pas les sentiments d'humanitĂ© qu'il me connaissait. 11 n'osa point influencer la nomination des autres membres, mais il me pria de tout faire pour les apitoyer sur les infortunĂ©es dont le sort Ă©tait remis entre nos mains. Un vieux sous-lieutenant du 13e de Seine-et-Oise, nommĂ© Fleury, s'il m'en souvient bien, homme sombre et taciturne, devant opiner le premier, je craignais que sa voix n'influençùt dĂ©favorablement les autres juges, et je crus, avant de lui demander son opinion, devoir, aprĂšs la rentrĂ©e des prĂ©venues dans la chapelle, reprĂ©senter au tribunal qu'il Ă©tait bien pĂ©- nible, pour des militaires, d'ĂȘtre appelĂ©s Ă  prononcer sur le sort de malheureuses victimes de la guerre ; qu'il l'Ă©tait plus encore quand les jugements devaient tomber sur des jeunes filles qui ne pouvaient avoir pris aucune part aux hostilitĂ©s ; sur des infortunĂ©es qui toutes versaient dĂ©jĂ  des larmes de sang par suite des Ă©vĂ©nements affreux dont nous venions d'ĂȘtre tĂ©moins, et dont elles ne pouvaient douter, puisque tous les feux avaient retenti jusqu'Ă  elles. J'engageai les juges Ă  bien se recueillir, Ă  ne chercher aucun modĂšle de conduite et Ă  prononcer d'aprĂšs leur cƓur. Alors ce vieil officier, que je craignais tant, dit Ă  haute voix et sans sortir de son caractĂšre Je me suis fait militaire pour combattre des hommes et non pour assassiner des femmes. Je vote la mise en libertĂ© des vingt-deux prĂ©ve- u nues et leur renvoi immĂ©diat chez elles. » Cette opinion, qui m'aurait prĂ©cipitĂ© dans les bras du brave homme, si j'avais osĂ© le faire, fut appuyĂ©e de suite par un lieutenant de la lĂ©gion nantaise qui le suivait, et bientĂŽt une heureuse unanimitĂ© ouvrit les portes de la chapelle Ă  ces enfants tous Ă  genoux. Muscar vint alors remercier le tribunal de sa gĂ©nĂ©reuse conduite, et nous exprimer ses regrets que les deux cent soixante-dix prisonniers qui venaient de pĂ©rir n'eussent pas Ă©tĂ© soumis Ă  un arrĂȘt aussi doux que le nĂŽtre ^. Je regrette d'ĂȘtre obligĂ© de dire que ce rĂ©cit, en ce 1 MĂ©moires du gĂ©nĂ©ral Hiif/o, t. I'. VICTOR HUGO AVANT 1830 33 qiiicoQcorno le rĂŽle du commandant Muscar et celui du capitaine Hugo, est absolument imaginaire. Un certain nombre de piĂšces officielles nous Ă©difieront tout d'abord sur l'humanitĂ© du commandant du chĂą- teau d'Aux. En frimaire an II, le citoj^en Lenoir, prĂ©sident d'une commission rĂ©volutionnaire instituĂ©e par Car- rier, Ă©crivait Ă  Muscar, commandant temporaire de la HibaudiĂšre ci-devant chĂąteau d'Aux Nous avons reçu ta lettre du 18 frimaire 8 dĂ©cembre 1793. Les quatre brigands sur lesquels elle contenait des renseigne- ments ont Ă©tĂ© jugĂ©s de suite; ils subiront ce jour la peine due Ă  leurs crimes. Quand tu nous enverras les renseigne- ments sur les cinq derniers, prompte justice sera faite... Sois tranquille, la tĂȘte des coupables tombera ; nous en avons bien condamnĂ© sept. Vive la RĂ©publique * ! Le 8 nivĂŽse 28 dĂ©cembre 1793, Muscar Ă©crivait Ă  son tour Encore sept brigands de fusillĂ©s hier. Tous les jours ce jeu yatriotiquc va se reproduire. Bien dĂ©cidĂ© Ă  donner la chasse Ă  mort Ă  tous ceux qui infectent encore ces environs, j'espĂšre qu'aucun n'Ă©chappera Ă  mon activitĂ© et Ă  ma haine implacable contre tout ce qui ose fouler aux pieds les lois saintes de la RĂ©publique 2. Il Ă©crit encore, le 22 avril 1794 3 florĂ©al an II, au citoyen David Vaugeois, accusateur public prĂšs la commission militaire rĂ©volutionnaire qui, vingt jours auparavant, avait fait fusiller au chĂąteau d'Aux les malheureux habitants de Bouguenais 1 Cahier de correspondance delĂ  commission Lenoir. — Greffe du tribunal de Nantes. 2 Papiers de la commission Bignon, — Greffe du trilnmal de Nantes. 34 VICTOR HUGO AVANT 1830 Je vous envoie une petite collection de brigands, au nombre de quarante-cinq, que j'ai fait prendre hier au Pont-Saint- Martin. Vous en nourrirez la guillotine. Le citoyen Beilvert, ce flĂ©au des brigands, vous donnera des renseignements plus cir- constanciĂ©s sur ces coquins. Que ne puis-je vous envoyer toute l'armĂ©e de Charette ^ ! Et quelques jours plus tard, le 27 avril, il confir- mait sa lettre du 22 en ces termes Je t'envoie Beilvert, pour vous donner des renseignements sur les brigands que vous allez juger. Il porte une piĂšce de conviction trouvĂ©e chez eux, un habit de volontaire percĂ© de balles et coupĂ© de coups de sabre. D'ailleurs, il ne faut pas de grands renseignements sur le compte des gens qu'on est mora- lement sĂ»r d'avoir Ă©tĂ© avec des brigands ; le tact rĂ©volution- naire doit plus faire dans ces procĂšs que les formes ^. La cruautĂ© implacable de Muscar ne s'arrĂȘtait pas aux brigands elle s'Ă©tendait aussi aux femmes. Le 8 germinal an II 28 mars 1794, il Ă©crivait aux mem- bres de la Commission militaire, Ă  Nantes Je viens de faire fusiller dix hrigandes une onziĂšme, nom- mĂ©e Jeanne Bonneau, tout aussi coupable que les autres, Ă©tant femme de brigand et complice de son mari, est enceinte de cinq mois. Le conseil militaire assemblĂ© pour la juger, crai- gnant d'offenser la nature en suivant le cours rigoureux de la justice, a cru devoir la renvoyer Ă  votre tribunal ; votre sagesse saura concilier les Ă©gards qu'on doit Ă  son Ă©tat avec l'inflexible sĂ©vĂ©ritĂ© de la loi 3. Manifestement contraire Ă  la vĂ©ritĂ© en ce qui re- garde le commandant Muscar et ses prĂ©tendus senti- ments d'humanitĂ©, le rĂ©cit du gĂ©nĂ©ral Hugo est-il 1 Gi'effe du tribunal de Nantes. 2 Ibid. 3 Ibid. VICTOR UUGO AVANT 1830 35 plus exact en ce qui touche la commission militaire dont il aurait Ă©tĂ© le prĂ©sident ? Un Ă©crivain que recommandent ses patientes et consciencieuses Ă©tudes sur l'histoire de la RĂ©volution en province, M. Alfred LalliĂ© *, a retrouvĂ©, au greffe du tribunal de Nantes, et a bien voulu nous commu- niquer quelques-unes des piĂšces concernant cette commission militaire. L'adjudant-major Hugo n'en Ă©tait point le prĂ©sident. Le vieux sous-lieutenant du 1 3^ de Sehie-et-Oise, nommĂ© Fleury, n'en faisait pas partie. Voici quelle en Ă©tait la composition Simon^ second chef du bataillon de l'Union^ prĂ©sident; Boudar, Bourette, Jubert, Rothan, Kraust, Brutus Hugo, ce dernier faisant fonctions de greffier. Du moment que le capitaine Hugo^ au lieu d'ĂȘtre le prĂ©sident de la commission, n'en Ă©tait que le greffier, il est Ă©vident que son rĂ©cit manque de base et croule de toutes parts. Ce qui achĂšve de le dĂ©montrer, c'est que, d'aprĂšs ce rĂ©cit, les jeunes filles et les femmes traduites devant le conseil militaire auraient Ă©tĂ© immĂ©diatement re- ynises en libertĂ© et renvoyĂ©es chez elles ; il est, au con- traire, Ă©tabli, par les documents officiels, que les femmes furent condamnĂ©es, et que les jeunes filles elles-mĂȘmes, bien loin d'ĂȘtre mises en libertĂ©, furen renvoyĂ©es devant le tribunal rĂ©volutionnaire. Le greffe du tribunal de Nantes ne possĂšde plus que deux 1 Auteur du District de Machecoul, des Notes conceimant l'histoire du Bouffay de Nantes, de la Grande ArmĂ©e vendĂ©enyieet les prisonniers deSaint- Florent-le-Vieil, d'Une Commission d'enquĂȘte et de propagande en l'an II de la RĂ©publique, des Noyades de Nantes, etc., eto. 36 VICTOR HUGO avant 1830 des jugements rendus par le conseil militaire du chĂąteau d'Aux et signĂ©s tous les deux par Brutus Hugo. Le premier condamne Ă  la peine de mort Marie Brossot, femme Joseph Gautier, ĂągĂ©e de trente-quatre ans, coupable cVavoir fait du pain pour alimenter son mari, brigand. Le second a trait Ă  une jeune fille ĂągĂ©e de quinze ans, Jeanne Onillon, accusĂ©e d'avoir portĂ© le fusil d'un brigand son oncle, qu'elle a dit ĂȘtre saoul. » En voici le texte Le Conseil, considĂ©rant que cette fille n'Ă©tant ĂągĂ©e que de quinze ans a Ă©tĂ© sous la dĂ©pendance de ses parents, dont son Ăąge lui a fait suivre Timpulsion, n'est pas moins coupable que sa mĂšre dĂ©jĂ  condamnĂ©e Ă  mort, dĂ©cide qu'elle sera renvoyĂ©e devant le tribunal rĂ©volutionnaire, pour qu'il prononce sur les peines que la loi inflige aux personnes trop jeunes pour ĂȘti^ punies de mort*. On le voit, bien en a pris Ă  la mĂšre de M. Victor Hugo de ne point ĂȘtre une brigande, en fuite Ă  travers le Bocage ; car si elle avait Ă©tĂ© prise et traduite devant leconseilmilitaire oĂč siĂ©geait le capitaine Brutus Hugo, elle eĂ»t Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă  mort, ou tout au moins, en raison de son Ăąge, renvoyĂ©e devant le tribunal rĂ©volu- tionnaire de Nantes. VI Deux ans aprĂšs les sinistres exĂ©cutions du chĂąteau d'Aux, en 1796, le mariage de Mne Sophie TrĂ©buchet et du capitaine Hugo Ă©tait cĂ©lĂ©brĂ© Ă  Paris, oĂč le jeune 1 La Commune de Boufjuenais et la garnison du chĂąteau d'Aux, par Alfred LalliĂ©. VlGTUJl HUGO AVANT 1830 37 ot'licier avait Ă©tĂ© appelĂ© pour remplir les fonctions do rapporteur du premier conseil de guerre. Le futur, lisons-nous dans le livre de biographie domestique que nous avons dĂ©jĂ  citĂ©, ne pouvant aller Ă  Nantes, la future vint Ă  Paris avec son pĂšre et son frĂšre, mais sans ses sƓurs qui, Ă  force do dĂ©votion, venaient de se faire Ursulines * . » Meiie Sophie TrĂ©buchet avait trois sƓurs, — et non deux, comme le dit Victor Hugo racontĂ©. De ces trois sƓurs, Madeleine, Marguerite et RenĂ©e, une seule, xMadeleine, se fit Ursuline, et cela dĂšs 1787, et non en 1796, Ă©poque Ă  laquelle il n'y avait plus de maisons religieuses en France. Elle Ă©tait Ă  la veille de pronon- cer ses vƓux, en 1789, quand l'Ă©voque de Nantes, Mer de la Laurencie, crut devoir le lui dĂ©fendre en raison de la tournure inquiĂ©tante que prenaient les Ă©vĂ©ne- ments. Elle resta alors dans la communautĂ© comme novice agréée, et ne quitta le couvent que lorsqu'il fut formĂ©, le l^"" octobre 1792. Pendant toute la durĂ©e de la crise rĂ©volutionnaire, elle vĂ©cut avec sa demi- tante maternelle, Rose Lenormand-Dubuisson, reli- gieuse ursuline, et se consacra, comme elle, lorsque les plus mauvais jours furent passĂ©s, Ă  l'instruction des enfants. La communautĂ© ayant Ă©tĂ© rĂ©tablie en 180G, elle prononça solennellement ses vƓux le 16 novembre de cette mĂȘme annĂ©e lelle avait alors trente- six ans. xMĂšre TrĂ©buchet est morte Ă  l'Ăąge de prĂšs de quatre-vingt-dix ans, laissant un nom bĂ©ni et vĂ©nĂ©rĂ©. TrĂšs nombreux, du reste, sont les membres de la 1 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. I, p. 16. 38 VICTOR HUGO avant 1830 famille maternelle de M. Victor Hugo qui ont em- brassĂ© la vie religieuse. Deux de ses cousines, suivant l'exemple de leur tante Madeleine et de leur grand'tante Lenormand, sont entrĂ©es aux Ursulines M"^ Fanny Bellet, sƓur Sainte-Ursule, morte Ă  la communautĂ© de Nantes, le 10 fĂ©vrier 1881 ; M'^e JosĂ©phine Allor^', sƓur Saint- Stanislas, qui fait encore aujourd'hui partie de la mĂȘme communautĂ©. Deux autres de ses parentes appartiennent Ă  l'ordre des religieuses de Nazareth M^'^ AnaĂŻs TrĂ©buchet, maĂźtresse des novices, Ă  Oullins, et M^'e LĂ©onide TrĂ©- buchet, religieuse Ă  Reims. Un cousin germain de M^^^ Victor Hugo mĂšre, M. Lenormand, est mort, il y a peu d'annĂ©es, curĂ© de la BoissiĂšre, dans le diocĂšse de Nantes. Dans la famille paternelle de M. Victor Hugo, les vocations religieuses n'ont point fait dĂ©faut non plus. Il a une cousine germaine, de son nom, carmĂ©lite Ă  Tulle. L'un des fils de son frĂšre Abel, Jules Hugo, qui se destinait Ă  la prĂȘtrise, est mort Ă  Rome, tout jeune encore et ayant dĂ©jĂ  reçu plusieurs des ordres ecclĂ©- siastiques. C'Ă©tait un des plus chers amis de Ms^ de SĂ©gur. D'une lettre que j'ai sous les yeux et qui lui est consacrĂ©e, je dĂ©tache ces lignes J'ai eu la con- solation de voir Jules Hugo deux fois ; il avait alors dix-huit ans. Je ne me rappelle pas avoir jamais ren- contrĂ© personne qui m'ait fait autant d'impression, VICTOR uuctO avant 1830 ^9 tant la saintetĂ© brillait sur ses traits et respirait dans toutes ses paroles. Il me semblait voir saint Louis de Gonzague ou saint Stanislas de Kotska. » Vraiment, on serait tentĂ© de dire de la famille de M. Victor Hugo ce que disait un jour GrĂ©goire XVI de la famille du marquis de la Ferronnays Sono tutti santif Encore bien qu'il se soit fait l'ennemi de cette religion Ă  laquelle un si grand nombre des siens ont demandĂ© la consolation et la force, il est permis de croire que leurs vertus et leurs priĂšres viennent par- fois rafraĂźchir son Ăąme Ă  son insu. S'il a peint, avec tant de suavitĂ© et de grĂące, l'aimable et touchante figure de sƓur Simplice, c'est parce que le modĂšle Ă©tait lĂ , non loin de lui. C'est parce qu'il ne peut dĂ©- fendre Ă  sa pensĂ©e de se tourner quelquefois vers ces humbles et admirables femmes, — la vraie noblesse de sa famille, — qu'il a Ă©crit sur le cloĂźtre ces pages que l'on est Ă©tonnĂ© de rencontrer dans les MisĂ©rables^ et qui sont en contradiction si formelle avec les idĂ©es, les passions et les haines du parti dont il a acceptĂ© si docilement sur tous les autres points le dĂ©plorable mot d'ordre Il n'y a pas d'Ɠuvre plus sublime peut-ĂȘtre, — c'est M. Victor Hugo qui s'exprime ainsi, — que celles que font ces Ăąmes. Et nous ajoutons il n'y a peut-ĂȘtre pas de travail plus utile. Il faut bien ceux qui prient toujours pour ceux qui ne prient jamais... Quant Ă  nous, qui ne croyons pas ce que c^s femmes croient, mais qui vivons comme elles par la foi, nous n'avons jamais pu considĂ©rer, sans une espĂšce de terreur religieuse et tendre^ iU VICTOR IILGO AVANT 1830 sans une sorte de pitiĂ© pleine rrenvie, ces crĂ©atures dĂ©vouĂ©es, tremblantes et confiantes, ces Ăąmes humbles et augustes qui osent vivre au bord mĂȘme du mystĂšre, attendant, entre le monde qui est fermĂ© et le ciel qui n'est pas ouvert, tournĂ©es vers la clartĂ© qu'on ne voit pas, ayant seulement le bonheur de penser qu'elles savent oĂč elle est, c'est-Ă -dire soulevĂ©es Ă  de certaines heures par les souffles profonds de l'Ă©ternitĂ© *. Et plus loin, aprĂšs une admirable peinture du couvent, ce lieu de captivitĂ©, oĂč l'on est enchaĂźnĂ© par la foi », — d'oĂč sortent la bĂ©nĂ©diction et l'amour > , — qui renferme une seule chose , l'innocence, — l'innocence parfaite, presque enlevĂ©e dans une mystĂ©rieuse assomption, tenant encore Ă  la terre par la vertu, tenant dĂ©jĂ  au ciel par la saintetĂ© ; — M. Yictor Hugo poursuit en ces termes Jean Valjean comprenait bien l'expiation personnelle, l'ex- piation pour soi-mĂȘme. Mais il ne comprenait pas celle de ces crĂ©atures sans reproche et sans souillure, et il se deman- dait avec un tremblement Expiation de quoi ? quelle expiation ? Une voix rĂ©pondait dans sa conscience la plus divine des gĂ©nĂ©rositĂ©s humaines, l'expiation pour autrui. Il avait sous les yeux le sommet sublime de l'abnĂ©gation, la plus haute cime de la vertu possible, l'innocence qui par- donne aux hommes leurs fautes et qui les expie Ă  leur place ; la servitude subie, la torture acceptĂ©e, le supplice rĂ©clamĂ© par les Ăąmes qui n'ont pas pĂ©chĂ© pour en dispenser les Ăąmes qui ont failli ; l'amour de l'humanitĂ© s'abĂźmant dans l'amour de Dieu, mais y demeurant distinct et suppliant ; de doux ĂȘtres faibles ayant la misĂšre de ceux qui sont punis et le sourire de ceux qui sont rĂ©compensĂ©s 2. * Les MisĂ©rables, 2 partie, 1. VII, c. viii. 2 IbĂźd., 1. VIII, c. IX. * VICTOR HUGO AVANT 1830 ĂŻi Mais ces citations nous ont entraĂźnĂ© bien loin de la mĂšre du poĂšte, qui ne partageait pas les sentiments religieux de sa sƓur Madeleine et de sa tante MĂšre Lenormand-Dubuisson. C'est du moins ce qu'affirme l'auteur de Victor Hugo racontĂ© par un téßnoin de sa vie. AprĂšs avoir dit que le capitaine Joseph-LĂ©opold- Sigisbert Hugo et M^e Sophie TrĂ©buchet se mariĂšrent civilement Ă  l'HĂŽtel de Ville, et qu'il n'y eut pas do mariage religieux, il ajoute Les Ă©glises Ă©taient fermĂ©es dans ce moment, les prĂȘtres enfuis ou cachĂ©s, les jeunes gens ne se donnĂšrent pas la peine d'en trouver un. La mariĂ©e tenait mĂ©diocrement Ă  la bĂ©nĂ©- diction du cin^Ă©, et le mariĂ© n'y tenait pas du tout V» 1 Yldor Hiujo racontĂ©, olr., I, p. 17. CHAPITRE II L'Enfance du poĂšte Le haptĂȘme d'Abel. — La Corse, l'Ăźle d'Elbe et l'Italie. — Napo- lĂ©on 1er et Victor Hugo. — Les Feuillantines. — Madrid et le collĂšge des Nobles. — Retour Ă  Paris. — La lĂ©gende de l'Ă©du- calion clĂ©ricale de M. Victor Hugo. Le pĂšre et la mĂšre Lari- viĂšre. Mme Hugo et M^e Phlipon. L'entresol du bonhomme Royol. — La mĂšre de M. Victor Hugo et la mĂšre de Lamar- tine. La mĂšre de Chateaubriand et celle de BĂ©ranger, — Le parrain de M. Victor Hugo et le dix-huit brumaire. — La brigande de la VendĂ©e et le brigand de la Loire. Un Ă©rudit, poĂšte Ă  ses heures, M. Edouard Fournier, dans sa notice sur le chef de l'Ă©cole romantique, dit qu'il Ă©tait le second des trois fils de Joseph-LĂ©opold- Sigisbert Hugo ^ Il y a lĂ  une lĂ©gĂšre inexactitude. M. Edouard Fournier avait-il donc oubliĂ© la piĂšce des Contemplations qui commence ainsi Mes deux frĂšres et moi, nous Ă©tions tout enfants Notre mĂšre disait Jouez, mais je dĂ©fends Qu'on marche dans les fleurs et qu'on monte aux Ă©chelles.» Abel Ă©tait l'aĂźnĂ©, j'Ă©tais le plus petit. 1 Soiivenirs poĂ©tiques de l'Ecole romantique, par Edouard Fournier. p. 100. — 1880. VICTOR HUGO AVANT 1830 43 N6 Ă  Paris le 15 novembre 1798, Abel fut baptisĂ© Ă  Nancy dix-neuf mois plus tard. A dĂ©faut de son acte de naissance, qui a pĂ©ri, lors des incendies de la Commune, avec tous les registres de l'Ă©tat civil antĂ©- rieurs Ă  1860, nous pouvons donc donner son acte de baptĂȘme, copiĂ© sur les registres de la paroisse Saint- Epvre. Il porte la date du i^r thermidor an YIII 20 juillet 1800 Jean-François, fils de Joseph-LĂ©opold-Sigisbert Hugo, chef de bataillon, et de Sophie-FrançoiseTrĂ©buchet, a Ă©tĂ© baptisĂ© le 1er thermidor an VIII, ĂągĂ© d'environ dix-neuf mois ; a eu pour parrain François-Juste Hugo, fils majeur de feu Joseph Hugo, oncle paternel de l'enfant, et pour marraine Jeanne- Marguerite Michaud, veuve de Joseph Hugo, ayeule mater- nelle, qui ont signĂ©. Pagnant. — Hugo Jeune. — Michaud, veuve Hugo. Pagnant Ă©tait le curĂ© constitutionnel de la paroisse Saint-Epvre. Le second des trois frĂšres, EugĂšne, naquit Ă  Nancy le 29 fructidor an VIII 16 septembre 1800. Son acte de naissance fut dressĂ© le lendemain par Bouteiller, adjoint au maire, en prĂ©sence d'AndrĂ©-Urbain Decom- ble, caissier de la recette d'arrondissement, et de Julie Hugo, ĂągĂ©e de vingt-neuf ans. Le chef de bataillon Hugo, appelĂ©, dans les premiers mois de 1801, Ă  commander le quatriĂšme bataillon de la 20e demi-brigade, en garnison Ă  Besançon, y avait fait venir sa femme et ses deux enfants. C'est dans cette ville que Victor Hugo est nĂ©, le 26 fĂ©vrier 1802 7 ventĂŽse an X. 44 VICTOR JJL'GO AVANT 1830 Voici l'extrait de naissance Du huitiĂšme du mois de ventĂŽse l'an dix de la RĂ©publique. Acte de naissance de Victor-Marie Hugo, nĂ© le jour d'hier Ă  dix heures et demie du soir, fils de Joseph-LĂ©opold-Sigis- bert Hugo, natif de Nancy Meurthe, et de Sophie-Françoise TrĂ©buchet, native de Nantes Loire-InfĂ©rieure ; — profession de chef de bataillon de la 20e demi-brigade, demeurant Ă  Besançon — mariĂ©s ; — prĂ©sentĂ© par Joseph-LĂ©opold-Sigis- bert Hugo. — Le sexe de l'enfant a Ă©tĂ© reconnu ĂȘtre mrde. Premier tĂ©moin, Jacques DelelĂ©e, chef de brigade, aide-de- camp du gĂ©nĂ©ral Moreau, ĂągĂ© de quarante ans, domiciliĂ© audit Besançon. Second tĂ©moin, Marie-Anne Dessirier, Ă©pouse du citoyen DelelĂ©e, ĂągĂ©e de vingt-cinq ans, domiciliĂ©e Ă  la dite ville. Sur la rĂ©quisition Ă  nous faite par le citoyen Joseph-LĂ©opold- Sigisbert Hugo, pĂšre de l'enfant. Et ont signĂ© Hugo, Dessirier, Ă©pouse DelelĂ©e, DelelĂ©e. ConstatĂ© suivant la loi par Charles-Antoine SĂ©guin, adjoint au maire de cette commune, faisant les fonctions d'of- ficier public de l'Etat civil. En 1798, le capitaine Hugo et sa femme n'avaient pas fait baptiser leur fils aĂźnĂ©, Abel ; mais on vient de voir qu'en 1800, ils avaient rĂ©parĂ© cette omission. Gomment supposer qu'en 1802, aprĂšs le rĂ©tablisse- ment de la religion en France, ils auraient nĂ©gligĂ© de faire confĂ©rer le baptĂȘme Ă  leur nouvel enfanl? Nous trouvons d'ailleurs, au chapitre IV de Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, une lettre Ă©crite par Madame Hugo au gĂ©nĂ©ral Victor Lahorie et dans , laquelle elle lui disait A la veille d'ĂȘtre mĂšre d'un troisiĂšme enfant, il me serait trĂšs agrĂ©able que vous fussiez le parrain de l'enfant qui va venir. ^> Lahorie VICTOR HUGO AVANT 1830 lo accepta. Il n'est donc pas douteux pour nous que M. Victor Hugo ait Ă©tĂ© baptisĂ© ; nous devons dire cependant que nous avons fait compulser les registres de toutes les paroisses de Besançon pendant l'annĂ©e 1802, et que l'ami qui avait bien voulu se charger pour nous de ces recherches n'a pas trouvĂ© trace de l'acte do baptĂȘme de Marie-Victor Hugo. H Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie, J'errai, je parcourus la terre avant la vie. Rien n'est plus exact que ces deux vers du poĂšte, empruntĂ©s Ă  la piĂšce des Odes et Ballades qui a pour titre Mon enfance. A peine ĂągĂ© de six semaines, il faisait son premier voyage et allait de Besançon Ă  Marseille. De Marseille, le quatriĂšme bataillon de la 20e demi-brigade fut envoyĂ© en Corse et Ă  l'Ăźle d'Elbe. Les trois fils du commandant Hugo le suivirent et, pendant trois ans, ils allĂšrent d'une Ăźle Ă  l'autre, tantĂŽt Ă  Porto-Ferrajo, tantĂŽt Ă  Baslia. La premiĂšre langue que balbutia le jeune Victor fut donc Fitalien des Ăźles, c'est-Ă -dire la mĂȘme langue qu'avait, aux mĂȘmes lieux, parlĂ©e l'enfant qui devait ĂȘtre NapolĂ©on. Jean-Jacques Rousseau disait de la Corse, en 1762, dans un chapitre du Contrat social J'ai quelque pressentiment que cette petite Ăźle Ă©tonnera l'Europe \ » 1 Contrat social, 1. II, ch. x. 3. 4 VICTOR HUGO AVANT 1830 Nul doute que, dans ropinion de M. Victor Hugo, cette petite Ăźle n'ait doublement justifiĂ© le pressenti- ment de Jean-Jacques^ puisqu'elle a Ă©tĂ© la nourrice de deux hommes Ă©galement grands, — Ă  ses yeux du moins, — l'homme d'Austerlitz et l'homme diHernam, le captif de Sainte-HĂ©lĂšne et le proscrit de Guernesey, le poĂšte et l'empereur, gĂ©ants tous deux, occupant, dans l'ordre de l'action et dans l'ordre de la pensĂ©e, les deux sommets du dix-neuviĂšme siĂšcle... et de tous les siĂšcles, — NapolĂ©on Bonaparte et. . . Victor Hugo ! Le monde au-dessous d'eux s'Ă©chelonne et se groupe. Ils font et dĂ©font. L'un dĂ©li et l'autre coupe. L'un est la vĂ©ritĂ©, l'autre est la force. Ils ont Leur raison en eux-mĂȘmes, et sont parce qu'ils sont * ! Sur la fin de l'an XIII septembre 1805, Mme Hugo, dont le mari avait reçu l'ordre d'embarquer son ba- taillon pour GĂȘnes et de gagner Ă  marches forcĂ©es 1 TIernani, arte IV, srĂšne ii. — Se faire accepter comme l'hĂ©ritier vĂ©ritable, comme le successeur et TĂ©gal de NapolĂ©on le Grand, telle a Ă©tĂ©, pendant plus de vingt ans, la prĂ©occupation prinf'ipaie de l'auteur de NapolĂ©on le Petit. II lui plaĂźt que l'on voie en lui l'homme prĂ©destinĂ© qui devait, en se combinant avec NapolĂ©on, selon la mystĂ©rieuse algĂšbre de la Providence, donner complĂšte Ă  l'avenir la formule gĂ©nĂ©rale du dix-neuviĂšme siĂšcle ». — . Jusqu'ici, Ă©crivait-il encore en 1833, vous n'avez qu'un profil de ce siĂšcle, NapolĂ©on ; laissez se dessiner l'autre. La physionomie de cette Ă©poque ne sera fixĂ©e que lorsque la rĂ©volution française, qui s'est faite homme dans la sociĂ©tĂ© sous la forme de Bonaparte, se sera faite homme dans l'art. Et cela sera. Notre siĂšde tout entier s'encadrera et se mettra de lui-mĂȘme en pers- pective entre ces deux grandes vies parallĂšles, l'une du soldat, rautre de l'Ă©crivain, l'une toute d'action, l'autre toute de pensĂ©e, qui s'expliqueront et se commenteront sans cesse l'une par l'autre. Marengo, les Pyramides, Austerlitz, la Moskowa, Montereau, Waterloo, quelles Ă©popĂ©es ! NapolĂ©on a %es poĂšmes, le poĂšte aura ses batailles, » {LittĂ©ratui^e et Philosophie mĂȘ- lĂ©es, p. 341. VICTOR nUGO AVANT 1830 47 l'Adige et l'armĂ©e d'Italie \ quitta la Corse avec ses trois fils et vint Ă  Paris, oĂč elle se logea au numĂ©ro 24 de la rue de Glichy, dans une maison aujourd'hui dĂ©- molie et qui se trouvait sur l'emplacement occupĂ© par le square de l'Ă©glise de la TrinitĂ©. Pendant que Victor allait Ă  l'Ă©cole rue du Mont- Blanc^, NapolĂ©on entrait Ă  Vienne, gagnait la bataille d'Austerlitz, signait le traitĂ© de Presbourg, donnait Ă  son frĂšre Louis le trĂŽne de Hollande et le trĂŽne de Naples Ă  son frĂšre Joseph. Le chef de bataillon Hugo, qui avait connu le prince Joseph Ă  LunĂ©ville, passait Ă  son service, s'emparait de Michel Pezza, dit Fra- Diavolo, partisan habile et redoutĂ©, dont les coups de main, presque toujours couronnĂ©s de succĂšs, inquiĂ©- taient vivement la royautĂ© nouvelle, et se voyait rĂ©- compensĂ© de ses services par le brevet de colonel de Royal-Corse et par le titre de gouverneur de la pro- vince d'Avellino^ Son premier soin fut d'Ă©cnre Ă  sa femme de venir le rejoindre ; et, Ă  la fm d'octobre 1807, M^e Hugo se mit en route avec ses enfants. Les voyageurs traver- sĂšrent le mont Cenis, virent Turin, Florence, Rome, et arrivĂšrent Ă  Naples Naple aux bords embaumĂ©s, oĂč le printemps s'arrĂȘte Et que VĂ©suve en feu couvre d'un dais brĂ»lant, Comme un guerrier jaloux qui, tĂ©moin d'une fĂȘte, Jette au milieu des fleurs son panache sanglant^. 1 MĂ©moires du f/Ă©nĂ©ral Hugo, t. I, p. 112. 2 Aujourd'hui la rue de la ChaussĂ©e-d'Antin. 3 MĂ©moires du gĂ©nĂ©ral Hugo, t. I, p. 170, 4 Mon enfance Odes et Ballades. 48 VICTOR HUGO 1830 De Naples on se rendit Ă  Avellino, ville pittoresque, pays abrupt et sauvage, semĂ© de dĂ©filĂ©s, de gorges, de montagnes, fait Ă  souhait pour emplir d'images inoubliables les yeux et l'esprit de l'enfant que la fĂ©e de la poĂ©sie semblait prendre plaisir Ă  promener ainsi du berceau de NapolĂ©on Ă  la tombe de Virgile. Pendant son sĂ©jour Ă  Avellino, son pĂšre le fit ins- crire sur les contrĂŽles du rĂ©giment de Royal-Corse. M. Victor Hugo a donc Ă©tĂ© enfant de troupe, ce qui lui a permis de dire plus tard Moi qui fus un soldat quand j'Ă©tais un enfant ! Et ailleurs J'aime les gens d'Ă©pĂ©e, en Ă©tant moi-mĂȘme un. Seulement lorsqu'il a rappelĂ© ce souvenir dans sa lettre et Charles Hugo^, il l'a fait avec son inexactiude accoutumĂ©e A ma naissance, j'ai Ă©tĂ© inscrit par mon pĂšre sur les contrĂŽles du Royal-Corse. Oui, Corse. Ce n'est pas ma faute. » A la naissance du poĂšte, en 1802, le rĂ©giment de Royal-Corse n'existait pas. Il fut créé seulement en 1806, dans le royaume de Naples, pour aider le roi Joseph Ă  combattre les par- tisans de la Fouille et des Calabres ^. Au mois de juin 1808, Joseph passa roi d'Espagne. DĂšs son arrivĂ©e Ă  Madrid, il adressa au gouverneur d'Avellino, par un courrier extraordinaire, une lettre dans laquelle il lui proposait de venir le rejoindre ^. 1 18 dĂ©cembre 1869. Pendant l'Exil, par Victor Hugo, p. 382 2 MĂ©moires du gĂ©nĂ©ral Hugo, t. I, ch. xxvi. 3 Ibid.. t. I, p. 187. VICTOR HUGO AYANT 1830 49 Le colonel Hugo accepta Toffre qui lui Ă©tait faite et se dirigea immĂ©diatement vers l'Espagne, tandis que sa famille revenait Ă  Paris. M»^ Hugo se logea d'abord dans une maison voisine de rĂ©glise Saint-Jacques- du-Haut-Pas , puis, au bout de peu de temps , s'installa, tout prĂšs du Val-do-GrĂące, au rez-de- chaussĂ©e d'une vaste maison qui avait Ă©tĂ©, avant la rĂ©volution, le couvent des Feuillantines. M. Victor Hugo a immortalisĂ©, dans ses poĂ©sies, le souvenir de la maison et du jardin des Feuillan- tines, n y a passĂ© les trois annĂ©es Ă©coulĂ©es depuis la fin de 1808 jusqu'Ă  son dĂ©part pour l'Espagne, au printemps de 1811. Lorsqu'il revint de Madrid, au commencement de 1812, il rentra aux Feuillantines pour y demeurer jusqu'au 31 dĂ©cembre 1813. Qui n'a prĂ©sente Ă  la mĂ©moire la piĂšce des Rayons et des Ombres Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813? Le jardin Ă©tait grand, profond, mystĂ©rieux, FermĂ© par de hauts murs aux regards curieux... Et tout ce beau jardin, radieux paradis, Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses, Tous CS objets pensifs, toutes ces douces clioses, ParlĂšrent Ă  ma mĂšre avec l'onde et le vent, „A lui dirent tout bas Laisse-nous cet enfant !... ^ ^ Il est revenu ailleurs, — non plus en vers cette fois, — sur ces radieux souvenirs, colorĂ©s des premiers feux du matin et trempĂ©s des larmes de l'aurore 1 Voy. aiissi^ dans les Contemplations, la piĂšce intitulĂ©e Aux Feuil- lantines. oO VICTOR HUGO AVANT 1830 Je me revois enfant, Ă©colier rieur et frais, jouant, courant, criant avec mes frĂšres dans la grande allĂ©e verte de ce jardin sauvage oĂč ont coulĂ© mes premiĂšres annĂ©es, ancien enclos de religieuses que domine de sa tĂȘte de plomb le sombre dĂŽme du Val-de-GrĂ ce. Et puis, quatre ans plus tard, m'y voilĂ  encore, toujours enfant, mais dĂ©jĂ  rĂȘveur et passionnĂ©. Il y a une jeune fille dans le solitaire jardin. La petite Espagnole, avec ses grands yeux et ses grands cheveux, sa peau brune et dorĂ©e, ses lĂšvres rouges et ses joues roses, l'Andalouse de quatorze ans, Pepa. Nos mĂšres ont dit d'aller courir ensemble i... La charmante Pepa, c'est M'^^ Foucher, celle qui sera quelques annĂ©es plus tard la femme du poĂšte et sur laquelle il a Ă©crit lĂ , dans le Dernier jour d'un condarrmĂ©, livre Ă©trange oĂč Ton ne s'attendait guĂšre Ă  les rencontrer, des pages vraiment dĂ©licieuses. III Cependant, Ă  l'heure mĂȘme oĂč le vieil enclos des Feuillantines est tĂ©moin de ces fraĂźches idylles, lĂ -bas, en Espagne, les bataillons s'cntre-choquent, le canon tonne avec fureur, le sang coule dans les ravins comme l'eau des torrents, et le vieux soldat, le pĂšre, songeant, le soir de la bataille, aux trois enfants dont il est sĂ©parĂ© depuis tant de mois, sent une larme humecter sa paupiĂšre, pendant que, suivi de son hussard fidĂšle, il parcourt Ă  cheval Le champ couvert de sur qui tombe la nuit 2. 1 Le Dernier jour d'un condamnĂ©, ch. XXXIII. 2 AprĂšs la bataille. {La LĂ©gende des siĂšcles, XIII. VICTOR HUGO AVANT 1830 o1 La situalion de l'ancien colonel du Royal-Corse a d'ailleurs singuliĂšrement grandi. Il a Ă©tĂ© nommĂ© successivement aide de camp du roi, gĂ©nĂ©ral, premier majordome du palais, comte de Gisuentes, inspecteur gĂ©nĂ©ral de tous les corps formĂ©s et Ă  former dans la pĂ©ninsule, gouverneur des trois provinces d'Avila, de SĂ©govie et de Soria. Le siĂšge de son gouvernement Ă©tait Ă©tabli Ă  SĂ©govie. Au printemps de 1811, il appela auprĂšs de lui Mℱe Hugo et ses fils, qui partirent avec un convoi composĂ© de quinze cents fantassins, de cinq cents che- vaux et de quatre canons. On traversa successivement Irun, Ernani, Tolosa, Burgos, Valladolid et SĂ©govie L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ; Burgos, sa cathĂ©drale aux gothiques aiguilles ; Irun, ses toits de bois, Vittoria ses tours; Et toi, Valladolid, tes palais de familles, Fiers de laisser rouiller des chaĂźnes dans leurs cours ^... Le gĂ©nĂ©ral n'Ă©tait plus Ă  SĂ©govie, oii il avait Ă©tĂ© remplacĂ© par le comte de Tilly, et M^^ Hugo en repartit, au bout de quelques jours, pour conduire ses enfants Ă  Madrid. La famille du majordome du palais s'installa au palais Masserano, dont Victor et son frĂšre EugĂšne sortirent bientĂŽt pour ĂȘtre pensionnaires au collĂšge des Nobles. Abel resta pour ĂȘtre page du roi Joseph. Victor, que l'on destinait, lui aussi, Ă  entrer dans les pages, vĂ©cut un an entre les quatre grands murs du collĂšge, oĂč il eut pour ami le fils 1 Mon enfance. {Odes et Ballades. 52 VICTOR HUGO AVANT 1830 aĂźnĂ© du duc de Benavente, qu'il devait retrouver Ă  Paris, en 1825. C'est Ă  lui qu'est adressĂ©e l'ode vingt et uniĂšme des Odes et Ballades A RAMONy duc de Ben av. HĂ©las ! j'ai compris ton sourire, Semblable au ris du condamnĂ©, Quand le mot qui doit le proscrire A son oreille a rĂ©sonnĂ© ! En pressant ta main convulsive, J'ai compris ta douleur pensive Et ton regard mome et profond. Qui, pareil Ă  l'Ă©clair des nues, Brille sur des mers inconnues. Mais ne peut en montrer le fond. Le collĂšge des Nobles Ă©tait frĂ©quemment tĂ©moin de ces combats d^ enfants pour le grand empereur, dont l'auteur des Orientales fait quelque part mention S et oi^i les fils du premier majordome du palais rencon- traient surtout pour adversaires deux Espagnols l'un, appelĂ© Frasco, comte de Belverana, qui, un jour, se jeta sur EugĂšne et le blessa Ă  la joue, ce qui lui a valu de donner son nom Ă  l'un des personnages les moins sympathiques des drames de M. Victor Hugo, Ă  ce Gubetta, comte de Belverana, gentilhomme castil- lan, l'Ăąme damnĂ©e de LucrĂšce Borgia, Gubetta-polson, Gubeita-poignard , Gubetta-gibet ^ ; — l'autre un affreux grand gaillard, Ă  cheveux crĂ©pus, Ă  mains griffues, mal bĂąti, mal peignĂ©, mal lavĂ©, hargneux et risible ^ », qui s'appelait Elespuru, et dont le nom 1 Les Orientales, XLI. 2 LucrĂšce Borgia, acte I*', l'^ partie, 3 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. I, p. 200. VICTOR lU'GO AVANT 1830 o3 s'est retrouvĂ© plus tard sous la plume du poĂšte, qui, sans doute en souvenir de quelques taioches reçues, en a fait l'un des quatre fous de Cromwell, celui qui chante, au troisiĂšme acte du drame Oyez ceci, bonnes Ăąmes ! J'ai voyagĂ© dans l'enfer. Moloch, Sadoch, Lucifer Allaient me jeter aux flammes. Avec leurs fourches de fer. DĂ©jĂ  prenait feu mon linge ; Mon pourpoint Ă©tait roussi ; Mais par bonheur, Dieu merci ! Satan me prit pour un singe, Et me lĂącha — Me voici. IV Au commencement de 1812, en prĂ©sence de la tour- nure fĂącheuse que prenaient les affaires des Français en Espagne, le gĂ©nĂ©ral Hugo jugea prudent de ren- voyer Ă  Paris sa femme et ses deux plus jeunes enfants. L'aĂźnĂ©, dĂ©jĂ  sous-lieutenant, demeura avec son pĂšre. W^^ Hugo reprit son logement des Feuillantines, et c'est lĂ  qu'EugĂšne et Victor achevĂšrent leur Ă©duca- tion classique sous le vieux maĂźtre, M. LariviĂšre, qui, de 1808 Ă  1811, leur avait enseignĂ© les premiers Ă©lĂ©ments du latin. Depuis qu'il est devenu rĂ©publi- cain, M. Victor Hugo a trouvĂ© bon de faire de son vieux maĂźtre un Ă©mule du P. Loriquet, afin de bien montrer que, s'il avait Ă©tĂ©, sous la Restauration, catholique et royaliste, il en fallait rendre respon- 54 VICTOR HUGO avant 1830 sable VĂ©ducation clĂ©ricale dont son enfance avait Ă©tĂ© victime, ĂŻĂ©troite Ă©ducation de caste et de clergĂ© qui avait dĂ©formĂ© son intelligence. Au commencement de ce siĂšcle, dit-il, un enfant habitait, dans le quartier le plus dĂ©sert de Paris, une grande maison qu'entourait et qu'isolait un grand jardin. Cet enfant vivait lĂ , seul, avec sa mĂšre et ses deux frĂšres et un vieux prĂȘtre, ancien Oratorien, encore tout tremblant de 93, digne vieillard persĂ©cutĂ© jadis et indulgent maintenant, qui Ă©tait leur clĂ©ment prĂ©cepteur, et qui leur enseignait baucoup de latin, un peu de grec et pas du tout d'histoire Le digne prĂȘtre-prĂ©cep- teur s'appelait l'abbĂ© de la RiviĂšre. Avoir Ă©tĂ© enseignĂ© dans sa premiĂšre enfance par un prĂȘtre est un fait dont on ne doit parler qu'avec calme et douceur ; ce n'est ni la faute du prĂȘtre ni la vĂŽtre. C'est, dans des con- ditions que ni l'enfant ni le prĂȘtre n'ont choisies, une ren- contre malsaine de deux intelligences, Tune petite, l'autre rapetissĂ©e, l'une qui grandit, l'autre qui vieillit. La sĂ©niiĂŻtĂ© se gagne. Une Ăąme d'eafant peut se rider de toutes les erreurs d'un vieillard Le prĂȘtre a Ă©tĂ© lui-mĂȘme anciennement le patient de cet enseignement dont il est aujourd'hui l'opĂ©rateur ; devenu maĂźtre, il est restĂ© esclave. De lĂ  ses leçons redoutables. Quoid^ plus terrible que le mensonge sincĂšre ? Le prĂȘtre enseigne le faux, ignorant le vrai ; il croit bien faire. Cet enseignement a cela de lugubre que tout ce qu'il fait pour l'enfant estfait contre l'enfant ; il donne lentement on ne sait quelle courbure Ă  l'esprit; c'est de l'orthopĂ©die en sens inverse ; il fait tors ce que la nature a fait droit ; il lui arrive, affreux chefs-d'Ɠuvre, de fabriquer des Ăąmes difformes, ainsi Torquemada ; il produit des intelHgences inintelligentes, ainsi Joseph de Maistre ; ainsi tant d'autres, qui ont Ă©tĂ© les victimes de cet enseignement avant d'en ĂȘtre les bourreaux. Étroite et obscure Ă©ducation de caste et de clergĂ© qui a pesĂ© sur nos pĂšres et qui menace encore nos fils ! VICTOR HUGO AVANT 1830 55 Cet enseignement inocule aux jeunes intelligences la vieil- lesse des prĂ©jugĂ©s; il ĂŽte Ă  l'enfant Taube et lui donne la nuit, et il aboutit Ă  une telle plĂ©nitude du passĂ©, que l'Ă me y est comme noyĂ©e, y devient on ne sait quelle Ă©ponge de tĂ©nĂšbres et ne peut plus admettre l'avenir... Les trois Ă©coliers des Feuillantines Ă©taient soumis Ă  ce pĂ©rilleux enseignement *. Il est fĂącheux, pour ce plaidoyer du poĂšte, que les bases sur lesquelles il repose aient Ă©tĂ© dĂ©truites d'avonce par le tĂ©moin de sa vie, c'est-Ă -dire par lui- mĂȘme. On lit, en effet, au tome premier de ses MĂ©moires, une page singuliĂšrement curieuse sur le digne prĂȘtre-prĂ©cepteur, M. LariviĂšre. Voici cette page La mĂšre s'inquiĂ©ta bientĂŽt de commencer leur Ă©ducation. Ils n'avaient pas, surtout Victor, l'Ăąge du collĂšge; elle les envoya d'abord Ă  une Ă©cole de la rue Saint-Jacques, oĂč un brave homme et une brave femme enseignaient aux fils d'ouvriers la lecture, l'Ă©criture et un peu d'arithmĂ©tique. Le pĂšre et la mĂšre LariviĂšre, comme les appelaient les Ă©coliers, mĂ©ritaient cette appellation par la paternitĂ© et la maternitĂ© de leur enseigne- ment. Ça se passait en famille. La femme ne se gĂȘnait pas, la classe commencĂ©e, pour apporter au mari sa tasse de cafĂ© au lait, pour lui prendre des mains le devoir qu'il Ă©tait en train de dicter, et pour dicter Ă  sa place pendant qu'il dĂ©jeunait. Ce LariviĂšre, du reste, Ă©tait un homme instruit et qui eĂ»t pu ĂȘtre mieux que maĂźtre d'Ă©cole. Il sut trĂšs bien, quand il le fallut, enseigner aux deux frĂšres le latin et le grec. C'Ă©tait un ancien prĂȘtre de l'Oratoire. La rĂ©volution l'avait Ă©pouvantĂ©, et il s'Ă©tait vu guillotinĂ© s'il ne se mariait pas ; il avait mieux aimĂ© donner sa main que sa tĂšte. Dans sa prĂ©cipitation, il * Actes et paroles, par V. Hugo. t. I, Introduction , IS7". 56 VICTOR lU'GO AVANT 1830 n'Ă©tait pas allĂ© chercher sa femme bien loin ; il avait pris la premiĂšre qu'il avait trouvĂ©e auprĂšs de lui, sa servaate K Allons ! avouez-le, avec ce prĂȘtre jureiir qui a Ă©pousĂ© sa servante, nous voilĂ  loin, bien loin de Jo- seph de Maistre et du P. Loriquet ! Est-ce tout? Non. Le poĂšte a ou un autre maĂźtre que le digne abbĂ©-prĂ©cepteur, il a eu sa mĂšre. J'eus dans ma blonde enfance, hĂ©las ! trop Ă©phĂ©mĂšre, Trois maĂźtres un jardin, un vieux prĂȘtre et ma mĂšre -. Or le systĂšme d'Ă©ducation de M^^ Hugo Ă©tait en- core moins clĂ©rical que celui du pĂšre et de la mĂšre LariviĂšre ». M^^ Roland raconte, dans ses MĂ©moires, qu'un jour, toute jeune encore, elle lisait Candide, lorsqu'elle fut surprise par une voisine, M"^^ Ghar- bonnĂ©, qui dĂ©nonça le fait Ă  sa mĂšre et lui en tĂ©- moigna son Ă©tonnement. Ma mĂšre sans lui rĂ©pondre, continue M^e Roland, me dit purement et simple- ment de reporter le livre oĂč je l'avais pris. Je regar- dai de bien mauvais Ɠil cette femme Ă  ligure re- vĂŽche, grosse Ă  pleine ceinture, grimaçant avec im- portance, et depuis onques je n'ai souri Ă  M'"^ Ghar- bonnĂ©. Mais ma bonne mĂšre ne changea rien Ă  son allure fort singuliĂšre, et me laissa lire ce que je trou- vais, sans avoir l'air d'y regarder, quoiqu'en sachant fort bien ce que c'Ă©tait ^. » ]\jrae Hugo faisait mieux encore que cette excellenle M»^e Phlipon. Aimant beaucoup Ă  lire, et ne voulant 1 Victor Hugo racontĂ©, et'"., t. I, p. 57. 2 Les Rayons cl les Ombres. 3 MĂ©moires de Mme Roland, Ă©dition Danban, p. 17. VICTOR UUGO AVANT 1830 57 pas s'exposer Ă  entamer une lecture ennuyeuse, elle faisait essayer ses livres par ses enfants. Ici en- core, il faut citer les propres paroles de l'auteur de Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie Mme Hugo Ă©tait pour l'Ă©ducation en libertĂ©. On a dĂ©jĂ  vu qu'en fait de culte elle n'avait pas voulu violenter rame de ses fils et leur faire leur religion ; elle ne gĂȘnait pas plus leur intelligence que leur conscience. Elle lisait beaucoup et avait un abonnement Ă  l'annĂ©e chez un loueur de livres. Quand on aime lire, quelque livre qu'on ait commencĂ©, on va jusqu'au bout ; afin de ne pas s'engager dans une lecture trop en- nuyeuse, Mme Hugo faisait essayer ses livres par ses enfants. Elle les envoyait chez son loueur, un nommĂ© Royol, qui Ă©tait un bonhomme trĂšs particulier... Les deux frĂšres EugĂšne et Victor allaient chez ce bonhomme, fourrageaient dans sa bi- bhothĂšque, et emportaient ce qu'ils voulaient. Avec ces deux pourvoyeurs qui ne manquaient jamais Ă  sa faim de livres, Mme Hugo en consomma effroyablement et eut bientĂŽt Ă©puisĂ© le rez-de-chaussĂ©e du bonhomme Royol ; il avait bien encore un entresol, mais il ne se souciait guĂšre d'y introduire des en- fants ; c'Ă©tait lĂ  qu'il relĂ©guait les ouvrages d'une philosophie trop hardie ou d'une moraUtĂ© trop libre pour ĂȘtre exposĂ©s Ă  tous les yeux. Il fit l'objection Ă  la mĂšre, qui lui rĂ©pondit que les hvres n'avaient jamais fait de mal, et les deux frĂšres eu- rent la clef de l'entresol. L'entresol Ă©tait un pĂȘle-mĂȘle. Les rayons n'avaient pas suffi aux livres et le plancher Ă©tait couvert. Pour n'avoir pas la peine de se baisser et de se relever Ă  tout moment, les enfants se courbaient Ă  plat ventre et dĂ©gustaient ce qui leur tombait sous la main. Quand l'intĂ©rĂȘt les empoignait, ils restaient quel- quefois lĂ  des heures entiĂšres. Tout Ă©tait bon Ă  ces jeunes ap- pĂ©tits, prose, vers, mĂ©moires, voyages, sciences. Ils lurent ainsi Rousseau , Voltaire, ^Diderot ; ils lurent Faublas et d'autres romans de mĂȘme nature K 1 Victor Ilurjo racontĂ©, etc., t. I, p. 213-21o. S8 VICTOR HUGO AVANT 1830 Le voilĂ  donc connu ce secret plein d'horreur ! Cette Ă©troite et obscure Ă©ducation de caste et de clergĂ© qui a pesĂ© sur l'enfance du poĂšte ; cet ensei- gnement lugubre qui a cloĂźtrĂ© sa jeunesse dans Lori- quet *, les voilĂ  ! Nous savons maintenant quelle rĂ©a- litĂ© se cache sous cette lĂ©gende de V Ă©ducation clĂ©ri- cale de M. Hugo. La rĂ©alitĂ©, la voici une Ă©ducation en libertĂ© ; pour maĂźtre, un prĂȘtre apostat, qui se fait Ă  l'occasion remplacer dans sa classe par sa cuisiniĂšre, devenue sa femme; pour guide, une mĂšre voltai- rienne, dont l'un des principes est que les livres, — mĂȘme les livres obscĂšnes, — n'ont jamais fait de mal ; — pour salle d'Ă©tudes, l'entresol d'un bon- homme trĂšs particulier, qui avait entassĂ© lĂ , pĂȘle- mĂȘle, les ouvrages de Voltaire et de Louvet, de Dide- rot et de Restif de la Bretonne ^ ! 11 Ă©tait essentiel de rĂ©tablir la vĂ©ritĂ© sur ce point, et ce n'est pas ma faute, si je n'ai pu le faire sans montrer la mĂšre du poĂšte telle que lui-mĂȘme nous l'a peinte. En reproduisant ces pages sur Mi"tl ij >, die - tĂ©es par son fils, Ă©crites par sa belle-fille, je ne pou- vais me dĂ©fendre de reporter ma pensĂ©e sur cette ad - mirable et noble femme qui a Ă©tĂ© la mĂšre de Lamar - 1 Les Contemplations, t. II, p. 8b. 2 Sainte-Beuve, Biographie des Contempo- rains. 1831. VICTOR HUGO AVANT 1830 50 tine, et dont il nous a laissĂ©, dans les Confidences, un si vivant portrait Ma pensĂ©e, dit-il, toujours en communication avec celle de ma mĂšre, se dĂ©veloppait, pour ainsi dire, dans la sienne... Le goĂ»t de la lecture m'avait pris de bonne lieure... Je regardais avec envie les volumes rangĂ©s sur quelques planches dans un petit cabinet du salon. Mais ma mĂšre modĂ©rait chez moi cette impatience de connaĂźtre ; elle ne me hvrait que peu Ă  peu les livres et avec intelligence On peut dire que ma mĂšre vivait en Dieu, autant qu'il est permis Ă  une crĂ©ature d'y vivre. Il n'y a pas une face de son Ăąme qui n'y fĂ»t sans cesse tournĂ©e, qui ne fĂ»t transparente, lumineuse, rĂ©chaufĂŻee par ce rayonnement d'en haut, dĂ©cou- lant directement de Dieu sur nos pensĂ©es. Il en rĂ©sultait pour elle une piĂ©tĂ© qui ne s'assombrissait jamais. Elle croyait hum- blement, elle aimait ardemment, elle espĂ©rait fermement... Elle Ă©tait nĂ©e pieuse, comme on naĂźt poĂšte ; la piĂ©tĂ©, c'Ă©tait sa nature ; l'amour de Dieu, c'Ă©tait sa passion ! mais cette pas- sion, par l'immensitĂ© de son objet et par la sĂ©curitĂ© mĂȘme de sa jouissance, Ă©tait sereine, heureuse et tendre comme toutes ses autres passions. Cette piĂ©tĂ© Ă©tait la part d'elle-mĂȘme qu'elle dĂ©sirait le plus nous communiquer. Faire de nous des crĂ©atures de Dieu en esprit et en vĂ©ritĂ©, c'Ă©tait sa pensĂ©e la plus maternelle... Sa piĂ©tĂ©, qui dĂ©coulait de chacune de ses inspirations, de chacun de ses actes, de chacun de ses gestes, nous enveloppait, pour ainsi dire, d'une atmosphĂšre du ciel ici-bas. Nous croyions que Dieu Ă©tait derriĂšre elle, et que nous allions l'entendre et le voir, comme elle semblait elle-mĂȘme l'entendre et le voir, et converser avec lui Ă  chaque impression du jour. Dieu Ă©tait pour nous comme l'un d'entre nous. Il Ă©tait nĂ© en nous avec nos premiĂšres et nos plus indĂ©finissables impressions. Nous ne nous souvenions pas de ne pas l'avoir connu ; il n'y avait pas un premier jour oĂč on nous avait parlĂ© de lui. Nous l'avions toujours vu en tiers entre notre mĂšre et nous. GU VlCTOll HUGO AVANT 18^0 Son nom avait Ă©tĂ© sur nos lĂšvres avec le lait maternel, nous avions appris Ă  parler en le balbutiant. A mesure que nous avions grandi, les actes qui le rendent prĂ©sent et mĂȘme sensible Ă  TĂ me s'Ă©taient accomplis vingt fois par jour sous nos yeux. Le matin, le soir, avant, aprĂšs nos repas, on nous avait fait faire de courtes priĂšres. Les genoux de notre mĂšre avaient Ă©tĂ© longtemps notre autel familier. Sa figure rayonnante Ă©tait toujours voilĂ©e Ă  ce moment d'un recueillement respectueux et un peu solennel, qui nous avait imprimĂ© Ă  nous-mĂȘmes le sen- timent de la gravitĂ© de Tacte qu'elle nous inspirait. Quand elle avait priĂ© avec nous et sur nous, son beau visage devenait plus doux et plus attendri encore. Nous sentions qu'elle avait communiquĂ© avec sa force et avec sa joie pour nous en inon- der davantage 1. Et maintenant viennent la jeunesse et ses passions, la vieillesse et ses douleurs, les rĂ©volutions et leurs orages, le fils d'une telle mĂšre pourra voir s'obscurcir et se voiler les rayons de la foi qu'elle a dĂ©posĂ©e au fond de son Ăąme ; comme la lampe qui veille au fond du sanctuaire, elle ne s'Ă©teindra jamaistout Ă  fait. Il ne descendra jamais Ă  d'indignes blasphĂšmes ; mĂȘme au plus profond de sa chute, il balbutiera encore avec respect et avec amour le nom du Dieu qui a bĂ©ni son enfance, et lorsque approchera l'heure suprĂȘme, il pressera sur ses lĂšvres mourantes le crucifix qui a reçu le dernier soupir de sa mĂšre ! Il ne m'appartient pas d'insister plus longuement sur le rapprochement auquel j'ai Ă©tĂ© conduit presque ^ Les Confidences, par A. de Lamartiac, 1. IV. — Le Manuscrit de ma mĂšre, publiĂ© par A. de Lamartine. — Chateaubriand a dit de sa mĂšre, dans ses MĂ©moires d' Outre-tombe Pour la piĂ©tĂ©, maniĂšre Ă©tait un ange. '> — BĂ©ranger a dit de la sienne qu'elle servait dans les troupes lĂ©gĂšres du beau sexe, qu'elle aimait la toilette au-dessus de tout. VICTOR HIGO AVANT 1830 01 malgrĂ© moi; j'estime d'ailleurs que ce serait manquer Ă  l'admiration mĂ©mo et au respect que je professe pour la mĂšre de Lamartine que d'opposer sa mĂ©moire Ă  celle de la mĂšre do M. Victor Hugo. Mais je tiens en mĂ©mo temps que la critique littĂ©raire ne serait plus qu'un jeu puĂ©ril, si elle se refusait Ă  proclamer les enseignements qui se dĂ©gagent de la vie et des Ɠuvres des Ă©crivains qu'elle Ă©tudie. Or, ici, comment ne pas faire remarquer que les leçons reçues au foyer de la famille par l'enfant qui sera, un jour, un poĂšte, un orateur ou un historien, sont les plus puissantes de toutes; qu'Ă  cet enfant, Ă  ce jeune homme, des- tinĂ© Ă  rĂ©pandre un jour autour de lui la poĂ©sie ou l'Ă©loquence, elles impriment une direction favorable ou funeste, qui sera le salut ou la perte de Lien des Ăąmes ? MĂšres, dont le fils porte au front le signe du gĂ©nie, n'oubliez jamais la grandeur de la mission que Dieu vous a donnĂ©e ; n'oubliez pas que vous avez charge d'Ăąmes, non seulement de l'Ăąme de cet enfant que vous avez nourri de votre lait, mais encore de toutes ces Ăąmes Ă  qui votre fils versera le lait et le vin de sa parole. Yl Par une contradiction singuliĂšre, en mĂȘme temps qu'il nous peint son enfance courbĂ©e sous le joug d'une Ă©troite et obscure Ă©ducation de caste et de clergĂ©, 32 VICTOR UUGO AVA>T 1830 et cet enseignement lugubre inoculant Ă sajeime intel- ligence la vieillesse des prĂ©jugĂ©s \ M. Victor Hugo s'attache Ă  nous persuader qu'il est non seulement un rĂ©publicain de la veille, mais encore un rĂ©publicain de naissance. Dans l'introduction de son livre Actes et Paroles, il se rĂ©clame de son parrain, le gĂ©nĂ©ral Lahorie, qui lui aurait donnĂ©, aux Feuillantines, Ă  l'heure oĂč l'Empire Ă©tait Ă  son apogĂ©e, des leçons de rĂ©publicanisme. Lahorie, qui avait Ă©tĂ© impliquĂ© dans la conspiration de Georges Gadoudal, de Pichegru et de Moreau, en 1804, — et non en 1801, — comme le dit M. Victor Hugo, par distraction ^, — et qui devait ĂȘtre fusillĂ© dans la plaine de Grenelle, le 23 octobre 1812, pour la part qu'il avait prise Ă  la conspiration du gĂ©nĂ©ral Malet, — Ă©tait venu demander Ă  M^e Hugo, qui le lui avait gĂ©nĂ©reusement accordĂ©, un asile aux Feuillantines. C'est lĂ  que se serait passĂ©e, en 1809, la scĂšne dont l'auteur AWctes et Paroles nous a tracĂ© un si dramatique rĂ©cit. Trois gĂ©nĂ©raux, les comtes Drouet, Lucotte et de Tilly, sont venus visiter M^e Hugo. C'est le soir, le grand jardin est dans l'ombre, tandis qu'au dehors resplendit la clartĂ© d'une fĂȘte en l'honneur de l'empereur et de la grande armĂ©e. La cou- pole du PanthĂ©on est entourĂ©e d'un cercle d'Ă©toiles, le dĂŽme du Val-de-GrĂące dresse une flamme Ă  son sommet ; le canon des Invalides tire de quart d'heure en quart d'heure. Les trois gĂ©nĂ©raux se pro- mĂšnent dans les herbes du vieux jardin ; ils causent, 1 Actes et paroles, par Victor Hugo. Inlroductioa. 2 Avant VExiL p. 10. VICTOn HUGO AVANT 1830 63 et le jeune Victor, marchant Ă  leurs cĂŽtĂ©s, grave au fond de sa mĂ©moire chacune de leurs paroles. Sou- dain, dans le clair-obscur des arbres, apparaĂźt Lahorie. — Quelqu'un est plus grand que NapolĂ©on, dit Lahorie au gĂ©nĂ©ral Lucotte. — Qui ? — Bonaparte. Il y eut un silence. Lucotte le rompit. — AprĂšs Marengo ? Lahorie rĂ©pondit. — Avant Brumaire Brumaire, c'est la chute. — De la RĂ©publique, oui. — Non, de Bonaparte. Les trois hommes Ă©coutaient, stupĂ©faits et sĂ©rieux. Lucotte s'Ă©cria — Tu as raison. Pour effacer Brumaire, je ferais tous les sacrifices. La B'rance grande, c'est bien ; la France libre, c'est mieux. — La France n'est pas grande si elle n'est pas libre. — C'est encore vrai. Pour revoir la France libre, je donnerais ma fortune. Et toi ? — Ma vie, dit Lahorie. Il y eut encore un silence. On entendait le grand bruit de Paris joyeux ; les arbres, Ă©taient roses ; le reflet de la fĂȘte Ă©clai- rait les visages de ces hommes ; les constellations s'eflaçaient au-dessus de nos tĂȘtes dans le flamboiement de Paris illuminĂ©; la lueur de NapolĂ©on semblait remplir le ciel. Tout Ă  coup l'homme si brusquement apparu se tourna vers moi qui avais peur et me cachais un peu, me regarda fixeiiiont et me dit — Enfant, souviens-toi de ceci avant tout, la libertĂ©. Et il posa sa main sur ma petite Ă©paule, tressaillement que je garde encore. Puis il rĂ©pĂ©ta 64 VICTOR HUGO AYANT 1830 — A vaut tout, la libertĂ©. Et il reatra sous les arbres d'oĂč il venait de sortir ^ La scĂšne est belle ; est-elle vraie ? Suivant M. Tictor Hugo, sa mĂšre assistait Ă  l'entre- tien de Lahorie avec le gĂ©nĂ©ral Lu cotte, et c'Ă©tait Ă  elle que ce dernier Ă©tait venu faire visite. Gomment alors expliquer ce passage de Victor Hugo racontĂ© par 171 tĂ©moin de sa vie Victor Huijo racontĂ©, etr.. t. I. VICTOR I[[IGO ANANT 1830 65 1809, employĂ© clans leTyrol, sous les ordres du marĂ©- chal Lefebvre K Les trois interlocuteurs de Lahorie lui font donc dĂ©faut. Ses antithĂšses sur Bonaparte et NapolĂ©on, sur Brumaire etMareng'o, sur Brumaire qui est la chute, — non de la rĂ©publique, — mais de Bonaparte il paraĂźt que l'on cultivait l'antithĂšse, sous le premier empire, entre gĂ©nĂ©raux, avec autant d'ardeur et de succĂšs que, sous le gouvernement de Juillet, entre romxantiques, toutes ces belles paroles se heurtent, du reste, Ă  une autre impossibilitĂ© Lahorie avait coopĂ©rĂ© au 18 Bru- maire et il en tirait gloire. V Histoire de la conspira- tion du gĂ©nĂ©ral Malet, par l'abbĂ© Lafon, l'un des con- jurĂ©s, ne laisse Ă  cet Ă©gard aucun doute. Devant la commission militaire chargĂ©e de juger le gĂ©nĂ©ral Malet et ses coaccusĂ©s, Lahorie fit la dĂ©claration suivante Je n'ai pas cru concourir Ă  une conspira- tion ; j'ai cru concourir Ă  la formation d' un nouveau gouvernement, c^ovumQ f ai concouru au 18 Brumaire. C'Ă©tait dans Paris un mĂŽme Ă©tat de tranquillitĂ©. TrompĂ© par ce souvenir, j'ai pu, plus qu'un autre, ĂȘtre dans l'erreur ; et j'y ai Ă©tĂ©, j'en conviens ; je dirais fran- chement si jj avais eu un tort ^.» Tout le monde a lu, dans les ChĂątiments, la belle piĂšce intitulĂ©e l'Expiation. Dans une suite de tableaux d'un dessin vigoureux et d'un coloris superbe, le poĂšte fait passer sous nos yeux la retraite de Moscou, 1 Biographie moderne, t. I. 2 Histoire de la complration du f/Ă©nĂ©ral Malet, par M. TabbĂ© Lafon, p. l2o. 6 VICTOR Ur. AVANT 1830 la dĂ©route de Waterloo, l'agonie de Sainte-HĂ©lĂšne. A chaque nouveau coup qui le frappe, pst-ce le chĂątiment, Seigneur? demande NapolĂ©on, etiuie voix lui rĂ©pond dans l'ombre Non ! L'empereur a Ă©tĂ© ramenĂ© sur les rives de la Seine , il dort dans son tombeau des Invalides, confiant et tranquille, sacrĂ© par l'exil et par la mort. Une nuit, il s'Ă©veille. Une vision, oii l'horrible le dispute au grotesque, emplit sa paupiĂšre son nom sert d'en- seigne Ă  une baraque de la foire On quĂȘte des liards dans le petit chapeau. La redingote grise, couverte de taches sordides, s'Ă©tale sur le dos de Cartouche; et, Ă  la porte de la baraque, des pitres essouflĂ©s se dĂ©mĂšnent en criant Nous sommes les neveux du grand NapolĂ©on. L'horrible vision s'Ă©vanouit. L'empereur, dĂ©sespĂ©rĂ©, pousse un cri Les victoires de marbre Ă  la porte sculptĂ©es, FantĂŽmes blancs debout hors du sĂ©pulcre obscur, Se faisaient du doigt signe et, s'appuyant au mur. Écoutaient le Titan pleurant dans les tĂ©nĂšbres. Et lui cria — DĂ©mon aux visions funĂšbres, Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois, Qui donc es-tu ? — Je suis ton crime, dit la voix. La tombe alors s'emplit d'une lumiĂšre Ă©trange, Semblable Ă  la clartĂ© de Dieu quand il se venge ; Pareils aux mots que vil resplendir Balthazar, Deux mots dans l'ombre Ă©crits flamboyaient sur CĂ©sar ; Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mĂšre, Leva sa face pale et lut — DIX-HUIT BRUMAIRE ! Quand M. Yictor Hugo Ă©crivait ces vers, se VICTOR HUGO AVANT 1830 7 doutait-il que son parrain avait Ă©tĂ© l'un des auteurs du Dix-huit Brumaire, de ce crime, le plus grand de l'histoire, Ă  ses yeux... aprĂšs le Deux DĂ©cembre ? Lahorie effaça-t il du moins sa faute le jour oĂč il prit part Ă  la conspiration du gĂ©nĂ©ral Malet? Aucu- nement. Cette conspiration, en effet, n'Ă©tait rien moins qu'une entreprise rĂ©publicaine. Duruy a trĂšs-bien dĂ©montrĂ© qu'elle avait pour but le rĂ©ta- blissement de la Monarchie lĂ©gitime \ Parmi les membres du gouvernement provisoire appelĂ© Ă  remplacer le gouvervement impĂ©rial, figuraient le gĂ©nĂ©ral Moreau, le duc Mathieu de Montmorency et le comte Alexis de Noailles. Un des articles du sĂ©natus-consulte, prĂ©parĂ© par Malet et par l'abbĂ© Lafon, son principal complice, portait que tous les Ă©migrĂ©s seraient rappelĂ©s; un autre, qu'une dĂ©pu- tation Victor Hiujo racontĂ© 2^0-1' un tĂ©moin de sa vie. 3 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. I"»-,, p. 309. — PalmarĂšs des concours /Ă©- nĂ©raux. BibliothĂšque de la Sorbonno. 78 VICTOR HUGO AVANT 1830 rexactilude la plus minutieuse, de mettre la main Ă  la fois aux choses sublimes et aux petites choses, comme Ghaiiemagne qui dĂ©ployait dans la guerre, dans la politique et dans l'administration le gĂ©nie le plus vaste, et qui s'occupait en mĂȘme temps des lĂ©- gumes de ses jardins et des Ɠufs de ses basses-cours de minimis curai Victor. La distribution solennelle des prix du concours gĂ©- nĂ©ral entre les quatre collĂšges royaux de Paris, — Bourbon, Louis-le-Grand, Henri IV et Gharlemagne S — eut lieu, le 17 aoĂ»t 1818, dans la salle des sĂ©ances publiques de l'Institut, sous la prĂ©sidence de M. Royer- Gollard, ayant Ă  sa droite M, Guvier et Ă  sa gauche M. Sylvestre de Sacy l'UniversitĂ© reverra-t-elle jamais pareille fĂȘte ? Le discours latin, prononcĂ© par M. Andrieux, pro- fesseur au collĂšge Bourbon, avait pour texte Non metuenclum esse ne juvenes, in tractandis veterum scriptisy concipiant insanum status popularis amorem, aut regni odium legibus temperati ^. 1 Ce n"ost pas Louis XVIII qui a proscrit les noms de LycĂ©e ImpĂ©rial, LycĂ©f! NapolĂ©on et LycĂ©e Bonaparte, et les a remplacĂ©s par ceux de Louis- le-Grand, Henri IV et Bourbon, C'est le conseil imjiĂ©rial de l'instruction publique, prĂ©sidĂ© par le sĂ©nateur, comte de Fontanes. grand-maĂźtre de l'Uni- versitĂ©, qui, dĂšs les premiers jours d'avril 1814, prit l'initiative de cette mesure et la rĂ©alisa sans mĂȘme attendre l'arrivĂ©e du comte d'Artois 12 avril. 2 Un ancien Ă©lĂšve de M. Andrieux, M. Albert du Boys, le savant auteur \e Y Histoire du droit criminel, de Catherine d'Aragon, etc., m'a fait l'hon- neur, aprĂšs avoir lu ce passage dans le Correspondant, de m'Ă©crire une lettre d'oĂč j'extrais les lignes suivantes D'une piĂ©tĂ© Ă©gale Ă  son talent, M. Andrieux faisait tous les samedis, de trois Ă  quatre heures, Ă  sa classe de rhĂ©torique, un cours de religion ou de haut catĂ©chisme. Michelet, alors Ă©lĂšve de l'Ecole normale, venait le voir souvent et lui tĂ©moignait une grande dĂ©fĂ©rence. » VICTOR HUGO AVANT 1830 79 Un incident signala la coromonie. En rhĂ©torique, le premier et le second prix de discours latin furent remportĂ©s par les jeunes Demersan et Gibon, tous les deux Ă©lĂšves de Henri IV. Les camarades des laurĂ©ats cĂ©lĂ©brĂšrent la victoire de leur collĂšge en demandant Ă  grands cris l'air de Vive Henri IV f Les vaincus, de leur cĂŽtĂ©, acceptĂšrent galamment leur dĂ©faite, et l'on vit Bourbon et Louis-le-Grand rĂ©pĂ©- ter avec Gharlemagne Vive Henri IV f Parmi les laurĂ©ats de ce concours, il en est jus- qu'Ă  sept qui auraient pu marquer d'avance leur place sur les bancs de l'Institut EugĂšne Burnouf, Sylvestre de Sacy,Éliede Beaumont, LittrĂ©, DuchĂątel, Guvillier- Fleury et Victor Hugo. D'autres noms retentirent, le 17 aoĂ»t 1818, sous la coupole du palais Mazarin, qui devaient marquer plus tard dans la philosophie et dans les lettres, au théùtre et au barreau, Ă  la Chambre des Pairs et Ă  l'Ecole de droit Georges Farcy, Paravcy, LĂ©on HalĂ©vy, Gustave et LĂ©on de Wailly, Baroche, LĂ©on Duval, de Kergorlay, Oudot et cet incomparable professeur de droit, mort Ă  trente ans, au seuil mĂȘme de la gloire, Joseph-Edouard Boitard. Le nom de Victor Hugo fit moins de bruit ce jour-lĂ  que celui de Paravey, qui remporta le premier prix de dissertation française, et je soupçonne que son cinquiĂšme accessit de physique passa inaperçu. A propos de cet accessit, le TĂ©moin de sa vie fait cette remarque Contrairement Ă  la philosophie, la phj^- sique l'avait vivement intĂ©ressĂ© *. » N'y avait-il pas lĂ  1 Vicioj^ Hiif/o rnrnnt^ par 11V tĂ©moin df sa rir. t. l»'', p. ‱SOfl. 80 VICTOR HUGO AYANT 1 S30 un symptĂŽme significatif ? Tel enfant, tel homme ; tel Ă©tait l'Ă©colier, tel est restĂ© le poĂšte, plus sensible Ă  la forme qu'au fond, plus prĂ©occupĂ© de la physique, c'est-Ă -dire de la nature et des objets matĂ©riels, que de la philosophie, c'est-Ă -dire des principes et de l'Ăąme mĂȘme des choses. Encore bien que Victor Hugo n'ait point Ă©tĂ© reçu Ă  l'École polytechnique, — oĂč d'ailleurs il ne se prĂ©senta pas, — les Ă©tudes spĂ©ciales auxquelles il se livra, pendant trois ans, Ă  la pension Gordier, n'ont pas Ă©tĂ© perdues pour lui, et l'on en retrouve la trace en plus d'un endroit de ses oeuvres. Nous lisons, par exemple, au premier chapitre de Notre-Dame de Paris MaĂźtre Andry, reprit Jehan, toujours pendu Ă  son chapi- teau, tais-toi, ou je te tombe sur la tĂšte ! MaĂźtre Andry leva les yeux, parut mesurer un instant la hauteur du pilier, la pesanteur du drĂŽle, multiplia mentale- ment cette pesanteur par le carrĂ© de la vitesse, et se tut. Dans LittĂ©rature et philosophie mĂȘlĂ©es, Ă  la fin d'un article sur un jeune poĂšte suisse, Ymbert G;dlois, M. Victor Hugo Ă©crit Toute grande Ăšre a deux faces; tout siĂšcle est un binĂŽme, a -\' h, Thomme d'action , plus l'homme de pensĂ©e, qui se multiplient l'un par l'autre et expriment la valeur de leur temps. Mais c'est surtout dans les MisĂ©rables que sa passion pour le chiffre et sa prĂ©tention Ă  l'exactitude et Ă  la prĂ©cision mathĂ©matique se donnent libre carriĂšre. Il se complaĂźt dans des calculs comme celui-ci VICTOR HUGO AVA?^T 1830 81 On a calculĂ© qu'en salves, politesses royales et militaires, Ă©changes de tapages courtois, signaux d'Ă©tiquettes, formalitĂ©s de rades et de citadelles, levers et couchers du soleil saluĂ©s tous les jours par toutes les forteresses et tous les navires de guerre, ouverture et fermeture des portes, etc., etc., le monde civilisĂ© tirait Ă  poudre par toute la terre, toutes les vingt- quatre heures, 150 000 coups de canon inutiles. A 6 francs le coup de canon, cela fait 900 000 francs par jour, 300 mil- hons par an qui s'en vont en fumĂ©e K L'application des mathĂ©matiques Ă  la littĂ©rature ne saurait sans doute ĂȘtre proscrite d'une maniĂšre absolue ; mais du moins convient-il de ne point s'en servir pour jeter de la poudre aux yeux du lecteur, et d'en user sobrement, sans affectation et sans pĂ©- dantisme, comme Ta su faire, dans une page de ses MĂ©moires y M^e de Staal Je fus reçue dans mon couvent, Ă©crit-elle, avec une extrĂȘme joie. J'y vĂ©cus comme Ă  mon ordinaire, avec mes amis, M. Brunel, Miles d'Epinay et M. de Rey, qui me tĂ©moignait toujours beaucoup d'attachement. Je dĂ©couvris cependant, sur de lĂ©gers indices, quelque diminution de ses sentiments. J'allais souvent voir Mlles d'Epinay, chez qui il Ă©tait presque toujours. Comme elles demeuraient fort prĂšs de mon couvent, je m'en retournais ordinairement Ă  pied, et il ne manquait pas de me donner la main pour me conduire jusque chez moi. Il y avait une grande place Ă  passer, et dans les commencements de notre connaissance, il prenait son chemin par les cĂŽtĂ©s de cette place je vis alors qu'il la traversait par, le milieu ; d'oĂč je jugeai que son ainour Ă©tait au moins diirtinuĂ© de 'la diffĂ©- rence de la diagonale aux deux cĂŽtĂ©s du carrĂ© ^. ^^"^ p Glissez, mortels, n^ appuyez pas. En ^ qiialitĂ© d'im 1 Les MisĂ©rables. 2 MĂ©moires de M°»e de Staal M'ie de Lauuay, [. .i",. 82 VICTOR HUGO AVANT 1830 mortel, M. Hugo a refusĂ© de prendre pour lui ce con- seil, peut-ĂȘtre parce qu'il ne vient pas de Voltaire, Ă  qui on l'attribue gĂ©nĂ©ralement, mais du poĂšte Roy, laurĂ©at de l'AcadĂ©mie française, en 1715, et dont Fontenelle disait C'est l'homme d'esprit le plus bĂȘte que j'aie connu. » L'auteur des Travailleurs de la mer appuie de toutes ses forces, il entasse chiffres sur chiffres^ il met de l'arithmĂ©tique partout. Le plus fĂ©condant des engrais, dit-il dans la cinquiĂšme partie des MisĂ©rables, c'est l'engrais humain.... Tout l'en- grais humain et animal que le monde perd, rendu Ă  la terre au lieu d'ĂȘtre jetĂ© Ă  l'eau, suffirait Ă  nourrir le monde. La statis- tique a calculĂ© que la France Ă  elle seule fait tous les ans Ă  l'Atlantique, par la bouche de ses riviĂšres, un versement d'un demi-milhard Or, Paris contenant le vingt-cinquiĂšme de la population française, et le giumo parisien Ă©tant le plus riche de tous, on reste au-dessous de la vĂ©ritĂ© en Ă©valuant Ă  25 mil- lions la part de perte de Paris dans le demi-milliard que la France refuse annuellement ^ Et plus bas De 1806 Ă  1831, on avait bĂąti annuellement, en moyenne, 750 mĂštres d'Ă©gouts ; depuis, on a construit tous les ans 8 et mĂȘme 10 000 mĂštres de galeries, en maçonnerie de petits ma- tĂ©riaux Ă  bain de chaux hydraulique sur fondation de bĂ©ton. A 200 francs le mĂštre, les 60 lieues d'Ă©gouts du Paris actuel reprĂ©sentent 48 millions 2. DĂ©cidĂ©ment, je prĂ©fĂšre la gĂ©omĂ©trie de M"»e de Staal Ă  l'arithmĂ©tique de M. Hugo. 1 Les MisĂ©rables, p. 687. 2 JbiiJ., p. 606, VICTOR iĂŻUGO AVANT 1830 83 II Nascuntur poetƓ ; mathematici fiunt. — Victor Hugo aurait pu devenir mathĂ©maticien ; mais certes il Ă©tait nĂ© poĂšte. A l'Ăąge oĂč les autres enfants sont Ă  peine en Ă©tat de distinguer la prose des vers, il sen- tait dĂ©jĂ  s'Ă©veiller en lui et chanter sur ses lĂšvres de vagues et fraĂźches mĂ©lodies. Mes souvenirs germaient dans mon Ăąme Ă©chauffĂ©e ; J'allais chantant des vers d'une voix Ă©touffĂ©e, Et ma mĂšre, en secret, observant tous mes pas, Pleurant et souriant, disait C'est une fĂ©e Qui lui parle et qu'on ne voit pas i. On sait quels spectacles magiques avaient frappĂ© ses premiers regards, de quels rĂ©cits merveilleux avaient Ă©tĂ© bercĂ©es ses premiĂšres annĂ©es les Alpes et les Apennins, Florence et Rome, le golfe de Naples et les gorges de la Galabre, ces incomparables dĂ©cors se dĂ©roulant devant les yeux d'un enfant de cinq ans ; le palais de marbre d'Avellino, tout creusĂ© par le temps et par les tremblements de terre ^, » et le soir, dans la grande salle, le colonel Hugo racontant la capture de Fra Diavolo ; Naples quittĂ©e pour Paris, le vieux puisard et Vescarpolette sous les marronniers dans le jardin des Feuillantines, profond, mystĂ©rieux. Plein de bourdonnements et de confuses voix ; et, un jour, au PanthĂ©on, la vision du grand empe- 1 Odes et Ballades. 2 Yictor Thujo racontĂ©, t. I. \\. 51. 84 VICTOR HUGO AVANT 183U reiir, apparaissant dans un flot de poussiĂšre dorĂ©e, muet et grave, pendant que devant lui passent les rĂ©giments, les drapeaux, les musiques, et que la foule emplit les airs de cris enthousiastes ; — puis le voyage de Paris Ă  Madrid, Ernani, ce nom inconnu, frappant les oreilles de cet enfant qui passe et qui s'en souviendra un jour, Burgos, oĂč les pas des sol- dats de NapolĂ©on retentissent sans rĂ©veiller dans sa tombe le Gid GampĂ©ador, les cathĂ©drales gothiques, les palais mauresques, les rues mystĂ©rieuses ; partout le bruit des combats, et, le soir encore, dans le palais Masserano, le gĂ©nĂ©ral racontant ses chasses contre les guĂ©rillas ; — le retour de Madrid Ă  Paris, les dĂ©- sastres qui se succĂšdent comme hier encore se succĂ©- daient les victoires, la France envahie, l'empereur qui prend le chemin de l'Ăźle d'Elbe pendant que le frĂšre de Louis XYI rentre aux Tuileries ; et bientĂŽt, comme sur un théùtre se produisent en un instant les changements de dĂ©cors. NapolĂ©on qui reparait, Louis XVIII qui s'Ă©loigne Ă  son tour, le Ghamp de Mai, Waterloo, la seconde Restauration Victor Hugo avait vu tout cela, et il n'avait pas quatorze ans ! Dans ces tableaux et ces souvenirs, que de germes d'inspirations pour cette Ăąme de poĂšte ! Et comment nous Ă©tonner maintenant qu'en 1815 — Ă  treize ans — il eĂ»t dĂ©jĂ  composĂ© des piĂšces de vers sans nom- bre ? Pendant les trois annĂ©es qu'il passa Ă  la pension Gordier, de 1813 Ă  1818, il mena de front les mathĂ©- matiques et la poĂ©sie. D'ordinaire, les Ă©coliers-poĂštes VICTOR HUGO AYANT 1830 85 quittent le collĂšge avec une tragĂ©die en portefeuille. A la fin de ses Ă©tudes, Victor Hugo, outre la tragĂ©die de rigueur, emportait avec lui force cahiers, sur les- quels il avait mis au net, de sa plus belle main, un mĂ©lodrame en trois actes avec deux intermĂšdes Inez de Castro, un opĂ©ra comique A quelque chose hasard est bon, un poĂšme sur le dĂ©luge, des odes, des satires, des Ă©pitres, des Ă©lĂ©gies, des idylles, des imi- tations d'Ossian, des traductions de Virgile, d'Horace, de Lucain, d'Ausone et de Martial, des romances, des fables, des contes, des Ă©pigrammes, des madrigaux, des logogriphes, des acrostiches, des charades, dos Ă©nigmes et des impromptus *. n avait quatorze ans, lorsqu'il fit sa tragĂ©die. Elle Ă©tait intitulĂ©e ArtamĂšne, et cĂ©lĂ©brait, sous des noms Ă©gyptiens, le retour de Louis XVIII et la chute de NapolĂ©on. L'usurpateur s'appelait Actor, et le roi lĂ©gitime ZobĂ©ir. Le dernier vers, qui renfermait la morale de la piĂšce, Ă©tait celui-ci Quand on hait les tyrans, on doit aimer les rois. L'annĂ©e suivante, en 1817, il commença une autre tragĂ©die, AthĂ©lie ou les Scandinaves, mais, cette fois, il n'alla que jusqu'Ă  la fin du second acte. Les deux actes &' AthĂ©lie et les cinq actes d'Irt amĂšne n'ont jamais vu le jour ; il n'en est pas de mĂȘme des fragments de V EnĂ©ide et des GĂ©orgiques, traduits par le jeune Ă©colier ils ont Ă©tĂ© publiĂ©s en 1820, dans le 1 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. I, p. 277. 86 VICTOR HUGO AVANT 1830 Conservateur littĂ©raire. Ces fragments sont au nombre de quatre le Vieillard du GalĂšse GĂ©orgiques, 1. IV ; l'Ă©pisode Ă 'AchĂ©mĂ©nide EnĂ©ide, 1. III ; celui de Cacus 1. VIII, et V Antre des Cyclopes 1. VÏII. Ces essais de Victor Hugo enfant tĂ©moignent dĂ©jĂ  d'un rare talent de versificateur. Dans sa traduction de l'Ă©pisode des GĂ©orgiques, tout en restant bien loin de l'inimitable perfection du poĂšte latin, sans attein- dre mĂȘme Ă  la souplesse et Ă  la dextĂ©ritĂ© de l'abbĂ© Delille, il a des vers d'une facture excellente. Voici cette piĂšce, que le lecteur nous saura peut- ĂȘtre grĂ© de placer sous ses yeux, M. Victor Hugo ne l'ayant recueillie dans aucune Ă©dition de ses Ɠuvres. LE VIEILLARD DU GALÈSE Si mon vaisseau, dĂ©jĂ  prĂȘt Ă  toucher les bords, Vers le but dĂ©sirĂ© ne tournait sans efforts, PoĂšte des jardins, je chanterais peut-ĂȘtre La culture des fleurs et la rose champĂȘtre. Je dĂ©crirais l'acanthe arrondie en berceaux. L'endive, se gonflant du suc des clairs ruisseaux. Le myrte, amant des eaux qu'il couvre de son ombre, Les contours tortueux de l'Ă©norme concombre. Le narcisse tardif, le persil frais et vert, Et le herre rampant dont le chĂȘne est couvert. Aux plaines du GalĂšse, oĂč, noire et sablonneuse, Roule en des champs dorĂ©s son onde limoneuse. Sous les tours d'OEbalie, il fut, je m'en souviens, ' Un paisible vieillard, riche de peu de biens. C'Ă©tait un lieu dĂ©sert, aride pĂąturage. Funeste aux jeunes ceps, rebelle au labourage. Le vieux sage semait, dans ces prĂ©s buissonneux. Des lĂ©gumes, parmi les chardons Ă©pineux. VICTOR HUGO AVANT 1830 87 Et croyait, cultivant le lis et la verveine, Être l'Ă©g-al des rois dans son humble domaine. Le soir, Ă  son retour, il goĂ»tait sans ennui Des mets simples et purs, qu'il ne devait qu'Ă  lui. Le premier au printemps, le premier en automne, Il recueillait les dons de Flore et de Pomone ; Et quand le triste hiver, brisant les rocs durcis. Mettait un frein de glace aux ruisseaux Ă©paissis, DĂ©jĂ  taillant le front de l'acanthe encor tendre, Il hĂątait les zĂ©phirs, qu'il se lassait d'attendre. Aussi, sur mille essaims il Ă©tendait ses droits, Des rayons pleins de miel Ă©cumaient sous ses doigts ; Dans l'automne, cliez lui, chaque arbre se colore D'autant de fruits nouveaux qu'il voit de fleurs Ă©clore. Il plantait le tilleul prĂšs du pin rĂ©sineux. Et greffait le prunier sur l'arbuste Ă©pineux ; Chez lui, se soumettant au cordeau qui l'ahgne. Le platane ombrageait les sarments de la vigne ; Et seul il sut toujours transplanter, sans efforts, Des poiriers dĂ©jĂ  vieux, des ormeaux dĂ©jĂ  forts. Mais Ă  d'autres sujets il faut que je me livre. Je laisse un vaste champ Ă  qui voudra me suivre i. La traduction de l'Ă©pisode d'AchĂ©mĂ©nide et de Poly- phĂšme a Ă©tĂ© reproduite au tome premier de Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie ^. Elle peut soutenir, sans dĂ©savantage, la comparaison avec celle de l'abbĂ© Delille et celle de BarthĂ©lĂ©my. Les trois fragments de V EnĂ©ide, auxquels s'est atta- chĂ© le jeune traducteur, prĂ©sentent tous les trois un caractĂšre ils sont consacrĂ©s Ă  peindre des 1 GĂ©orfjiques, 1. IV. — Le Conservateur littĂ©raire, t. II, p. 32!. 2 Yictor Hugo racontĂ©, etc.. t. I. p. 293. 8H VICTOR HUGO AVANT 1830 monstres, ici Gacus, lĂ  PolyphĂšme, ailleurs les Gy- clopes, Brontesque, Steropesque et nudus membra Pyracmon. N'y avait-il pas lĂ  comme un prĂ©sage de l'Ă©trange sympathie qui, plus tard, poussera le poĂšte Ă  choisir ses hĂ©ros parmi les ĂȘtres difformes faits pour exciter l'horreur ou le dĂ©goĂ»t, nains comme Habibrah, bor- gnes comme Quasimodo, bossus comme Triboulet, aux mains crochues, aux genoux noueux, aux rugis- sements fĂ©roces comme Han d'Islande ? Quoi qu'il en soit, ces traductions de V EnĂ©ide et des GĂ©orgiques tĂ©moignent, chez celui qui sera bientĂŽt le chef de l'Ă©cole romantique, d'une prĂ©dilection toute particuliĂšre pour Virgile. A la mĂȘme Ă©poque, dans une piĂšce qu'il prĂ©sentait Ă  l'AcadĂ©mie française et sur laquelle nous aurons Ă  revenir tout Ă  l'heure, il disait Mon Virgile Ă  la main, bocages verts et sombres, Que j'aime Ă  m'Ă©garer sous vos paisibles ombres !... LĂ , mon Ăąme tranquille et sans inquiĂ©tude S'ouvre avec plus d'ivresse aux charmes de l'Ă©tude ; LĂ ... mon cƓur est plus tendre et sait mieux compatir A des maux... que peut-ĂȘtre il doit un jour sentir. M. Victor Hugo — et ceci Ă©tonnera peut-ĂȘtre plus d'un de nos lecteurs, — est restĂ© fidĂšle au culte de Virgile. On en trouve la preuve en plus d'un endroit, et en particulier dans les Voix intĂ©rieures et les Rayons et les Ombres. 0 Virgile ! ĂŽ poĂšte ! ĂŽ mon maĂźtre divin, s'Ă©crie-t-il dans le premier de ces ouvrages. — Et dans VICTOR HUGO AYANT 1830 81 le second, s'adressant Ă  J/. le duc de.. .y le poĂšte lui dit Prenez ce vieux Virgile oĂč tant de fois j'ai lu ! Cherchez l'ombre, et tandis que dans la g-alerie Jase et rit au hasard la folle causerie, Vous, Ă©clairant votre Ăąme aux antiques clartĂ©s, Lisez mon doux Virgile, ĂŽ Jule, et mĂ©ditez ! A^ous connaissez, Ă©crivait-il, en 1838, Ă  M. Louis Boulanger, mon goĂ»t pour les grands voyages Ă  petites journĂ©es, sans fatigue, sans bagage, en cabriolet, seul avec mes vieux amis d'enfance, Virgile et Tacite ^ n Plus tard, et alors que, devenu pair de France, il semblait vouloir donner le pas Ă  la politique sur la littĂ©rature, il Ă©crivait Ă  M. le baron Gaston de Flotte, en rĂ©ponse Ă  l'envoi de son poĂšme sur la VendĂ©e Ne croyez pas. Monsieur, que je renonce jamais Ă  la place que les PoĂštes comme vous veulent bien me garder au milieu d'eux. Je me tourne, en ce moment, vers ce que les hommes appellent l'Utile, mais je n'en reste pas moins le contemplateur religieux de l'IdĂ©al et du Beau. Vingt vers de Virgile tiennent plus de place dans le gĂ©nie humain, et j'ajoute dans le progrĂšs mĂȘme de la civiUsation, que tous les discours de tribune faits ou Ă  faire. Je sais cela, Monsieur, et c'est mon Credo de Pen- seur. Je ne l'oublierai jamais, je ne m'oublierai jamais 2. » Sans doute Victor Hugo n'a ni le goĂ»t exquis, ni le 1 Le Rhin, lettre premiĂšre. 2 Lettre du 31 mars 1846. M, le baron Gaston de Flotte, Ă  qui nous devons la communication de cette lettre, est mort au mois d'aoĂ»t 1882, Ă  Saint- Jean-du-dĂ©sert Bouches-du-RliĂŽne, oĂč il Ă©tait nĂ© le 2G fĂ©vrier 1803. Catholique et royaliste ardent, poĂšte distinguĂ©, Ă©rudit aimable, il a publiĂ© plusieurs vo- lumes Ă Q^'Qvs, JĂ©sus-Christ, la VendĂ©e, Souvenirs poĂ©tiques. Sainte CĂ©cile, et deux volumes de prose, singuliĂšrement piquants, sous ce titre les BĂ©vues parisiennes. 90 A'ICTOR HUGO AVANT 1830 sentiment profond qui respirent dans le chantre de y EnĂ©ide. Racine avait depuis longtemps recueilli cette partie de l'hĂ©ritage. Mais peut-ĂȘtre le poĂšte des Feuilles cV automne est-il parvenu, dans plusieurs de ses piĂšces, Ă  donner Ă  son vers un caractĂšre de perfection qui prouve que, comme artiste et au point de vue de la forme, il a plus d'une fois merveilleusement profitĂ© des leçons de Virgile. En ces mĂȘmes annĂ©es oĂč, dans sa petite chambre de la pension Cordier, au fond de la vieille rue Sainte- Marguerite, entre la prison de l'Abbaye et le passage du Dragon, enserrĂ© et martelĂ© par ses forgerons*, » il demandait des inspirations au chantre de VEnĂ©ide, il en puisait d'autres dans un Ă©crivain qui a eu, sur la direction de ses idĂ©es Ă  cette Ă©poque, la plus heu- reuse et la plus puissante influence. Tous ceux, a dit Augustin Thierry dans une page ineffaçable, oĂč il raconte comment, au fond d'un collĂšge do province, Ă  Blois, il a senti s'Ă©veiller en lui, Ă  la lecture du Yle livre des Martyrs, sa vocation d'historien, tous ceux qui, en sens divers, marchent dans la voie de ce siĂšcle, ont rencontrĂ©, de mĂȘme, Ă  la source de leurs Ă©tudes, Ă  leur premiĂšre inspiration, l'Ă©crivain de gĂ©nie qui a ouvert et qui domine le nouveau siĂšcle littĂ©raire. Il n'en est pas un qui ne doive lui dire, comme Dante Ă  Virgile Tu duca, tu signore e tumaestro ^. » Plus encore que d'Augustin Thierry, l'auteur des Martyrs a droit de rĂ©clamer de Victor Hugo cet hom- 1 Victor Huçin racnnU, etc., I, 2b8. 2 F'rĂ©faop des RĂ©cits des temps mĂ©mrinf/iens. VICTOR HUGO AVANT 1830 91 mage. Le lecteur se rappelle peut-ĂȘtre cette note, signalĂ©e dĂ©jĂ  dans notre premier chapitre et jetĂ©e par l'Ă©lĂšve de la pension Gordier sur l'un de ses cahiers, Ă  la date du 10 juillet 1816 Je veux ĂȘtre Chateaubriand ou rie7i. C'est que pourlui, en effet, la vĂ©ritĂ© politique, religieuse et littĂ©raire se personnifiait tout entiĂšre en Chateaubriand. L'auteur de la Monarchie selon la Charte est ultra ; son jeune disciple l'est Ă©galement. L'auteur des Martyrs est catholique ; en dĂ©pit de l'Ă©ducation qu'il a reçue, en dĂ©pit de sa mĂšre voltai- rienne, en dĂ©pit mĂȘme de l'entresol du bonhomme Royol % le poĂšte des Odes et Ballades sera catholique^. L'auteur du GĂ©nie du Christianisme a remis en hon- neur la Bible et HomĂšre, en mĂȘme temps que Vir- gile ^ ; Virgile, HomĂšre et la Bible seront les lectures favorites du poĂšte des Rayons et des Ombres et des Voix intĂ©rieures Dans ma retraite obscure oĂč, sous un rideau vert, Luit comme un Ɠil ami maint vieux livre entr'ouvert, OĂč ma Bible sourit dans l'ombre Ă  mon Virgile ^ Et dans la piĂšce A des oiseaux envolĂ©s i Voy. ci-dossus, chap. II. 2 La lecture de Chateaubriand modifia sensiblement les idĂ©es de Victor sur un point. Le GĂ©nie du Christianisme, en dĂ©montrant la poĂ©sie de la reli- gion catholique, avait pris le bon moyen de la persuader aux poĂštes. Victor passa du royalisme voltairien de sa mĂšre an royalisme chrĂ©tien de Chateau- briand. ' Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II, p. 4. 3 Voir dans le GĂ©nie du Christianisme la seconde 2iartie, consacrĂ©e Ă  la PoĂ©tique du CfuHstianisme, et en particulier le livre cinquiĂšme la Bible et HomĂšre. 4 Les Rayons et les Ombres. Dans la prĂ©face de ce recueil mai 1840, M. Victor Hugo dĂ©clare que la Bible est son livre », 92 VICTOR HUGO AVANT 1830 Je VOUS laisserai mĂȘme, et gaĂźment et sans crainte, 0 prodige ! en vos mains tenir ma Bible peinte, Que vous n'avez touchĂ©e encor qu'avec terreur, OĂč l'on voit Dieu le pĂšre en habit d'Empereur i ! AprĂšs Virgile et la Bible, HomĂšre Elle parlait, charmante et fiĂšre, et tendre encor. Laissant sur le dossier de velours Ă  clous d'or DĂ©border sa manche traĂźnante. Et toi, tu croyais voir Ă  ce beau front si doux Sourire ton vieux livre ouvert sur tes genoux, Ton Iliade rayonnante 2 ! Chateaubriand ne s'Ă©tait pas bornĂ©, dans le GĂ©nie du Christianisme, Ă  donner le signal du retour Ă  la vĂ©ritĂ© littĂ©raire, en mĂȘme temps qu'Ă  la vĂ©ritĂ© reli- gieuse ; il avait encore dĂ©posĂ©, dans cette Ɠuvre fĂ©conde, le germe de la rĂ©action qui devait s'opĂ©rer quelques annĂ©es plus tard en faveur de l'architecture gothique, couverte depuis plusieurs siĂšcles d'un in- juste mĂ©pris. C'est lĂ  que M. Victor Hugo a puisĂ© cet amour passionnĂ© pour nos vieux monuments qui lui dictera de si beaux vers et de si belles pages contre la Bande noire et qui lui inspirera un jour^ dans le plus cĂ©lĂšbre de ses romans, cet admirable chapitre qui a pour titre Notre-Dame ^. Mais le futur auteur de Notre-Dame de Paris n'est encore que l'Ă©lĂšve de la pension Cordier, et, en mĂȘme temps qu'il traduit quelques-uns des plus beaux Ă©pisodes de Virgile, il met en vers quelques- 1 Les Yoix intĂ©rieures. 2 Ibid. 3 Notre-Dame de Paris, 1. III. cli. i. VICTOR HUGO AVANT 1830 93 uns des plus beaux morceaux de Chateaubriand. Millevoye, dans son poĂšme sur PAmour matomel, Alexandre Soumet, au deuxiĂšme chant de son poĂšme sur VlncrĂ©dulitĂ©, avaient imitĂ© cette page charmante diAtala, qui nous montre une jeune mĂšre suspendant aux branches d'un arbre, selon la coutume indienne, le tombeau de son enfant mort et plaçant sa dĂ©pouille innocente dans la demeure des petits oiseaux*. SĂ©duit par les couleurs douces et pures de cet adorable tableau, Victor Hugo le reproduisit Ă  son tour, dans une piĂšce trĂšs supĂ©rieure Ă  celle de ses deux devan- ciers et publiĂ©e, en 1849, dans le LycĂ©e français ^, sous ce titre la Canadienne suspendant au palmier le tombeau de son nouveau-nĂ©. Ces vers, qui n'auraient certes pas dĂ©parĂ© les pre- miĂšres Odes, ne figurent dans aucun des recueils du poĂšte, qui les a seulement insĂ©rĂ©s, en 1863, au tome l^"^ de Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie ^. L'enfant qui Ă©crivait Ă  seize ans cette Ă©lĂ©gie, fraĂźche comme une rose trempĂ©e de rosĂ©e *, Ă©tait dĂ©jĂ  un vrai poĂšte. Il maniait, du reste, non moins heureusement le vers de l'Ă©pitre. Je trouve encore, dans l'ouvrage que je viens de ciler ^, des fragments d'une EpĂźtre Ă  1 Atalu, Ă©pilogue. 2 LycĂ©e français ou mĂ©langes de littĂ©rature et de critique. Ce recueil, Ă  la rĂ©daction duquel concoururent Casimir et Germain Delavigne, EugĂšne Scribe, Brifaut, Patin, Victor Le Clerc, BruguiĂšre de Sorsum, Viollet-Le-Duc pĂšre, ThĂ©ry, Avcnel. Charles de RĂ©musat, DelĂ©cluze, fut fondĂ©, en 1819, par Charles Loysou. Il a\ait pour Ă©pigrapiie Dulccs ante omnia MitsĂąe. 3 P. 292-294. 4 Millon, VAllegro. s Victor Hugo racontĂ©, Hc, t. I*', p. 308. 94 VICTOR HUGO avant 1830 M. Ourry, d'une facture excellente. M. Ourry, membre du Caveau moderney auteur de jolies chansons et de mĂ©diocres poĂšmes, venait de publier un volume dont les vers sont loin de valoir ceux de son jeune corres- pondant *. Celui-ci lui Ă©crivait Peut-ĂȘtre tu me crois de ces vieux cacochymes, Nobles et grands prĂȘcheurs des anciennes maximes ; Ourry, dĂ©trompe-toi j'ai seize ans et mes jours Dans une humble roture ont commencĂ© leur cours... Il paraĂźt qu'Ă  cette Ă©poque, Victor Hugo ne s'Ă©tait pas encore avisĂ© qu'il sortait d'une ancienne et illustre maison. Royaliste, il ne se piquait pas d'ĂȘtre noble. C'est surtout depuis qu'il est devenu rĂ©publicain qu'il a senti le besoin de se forger une gĂ©nĂ©alogie et de nous apprendre qu'il sortait d'une souche aristocratique. J'ai seize ans, disait-il Ă  M. Ourry ; cette Ă©pĂźtre est donc de 1818, l'annĂ©e oĂč il quitta les bancs du col- lĂšge. L'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, il avait concouru pour le prix de poĂ©sie Ă  l'AcadĂ©mie française. C'est l'Ă©pisode le plus marquant de sa jeunesse, et il convient de s'y arrĂȘter quelques instants, d'autant qu'il a Ă©tĂ© rap- portĂ© inexactement par tous ses biographes . m En 1817, dit Sainte-Beuve, Victor avait envoyĂ© de sa pension, au concours de l'AcadĂ©mie française, une 1 PoĂšmes, poĂ©sies fugitives, romances, chansons, etc., par M. Ourry, mem- bre du Caveau moderue, 1817. VICTOR iiUGO AVAiNT 1830 lo piĂšce de vers sur les Avantages de VĂ©tude, qui obtint une mention. La piĂšce du jeune poĂšte de quinze ans se terminait par ces vers Moi qui, toujours fuyant les citĂ©s et les cours, De trois lustres Ă  peine ai vu finir le cours. Elle parut si remarquable aux juges qu'ils ne pu- rent croire Ă  ces trois lustres, Ă  ces quinze ans de Tauteur, et, pensant qu'il avait voulu surprendre la religion du respectable corps, ils ne lui accordĂšrent qu'une mention au lieu d'un prix. Tout ceci fut ex- posĂ© dans le rapport prononcĂ© en sĂ©ance publique par M. Raynouard. Un des amis de Victor, qui assistait Ă  la sĂ©ance, courut Ă  la pension Cordier avertir le quasi-laurĂ©at, qui Ă©tait en train d'une partie de barres et ne songeait plus Ă  sa piĂšce. Victor prit son extrait de naissance et l'alla porter Ă  M. Raynouard, qui fut tout stupĂ©fait comme d'une merveille ; mais il Ă©tait trop tard pour rĂ©parer la mĂ©prise *. » L'anecdote, ainsi mise en circulation par Sainte- Beuve et reproduite par lui dans la Revue des Deux Mondes- et dans ses Portraits littĂ©raires, a Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©e depuis par les autres biographes de Victor Hugo, et en particulier par M. de LomĂ©nie, dans sa Galerie des Contemporains illustres Le ton grave et sĂ©rieux du morceau, dit M. de LomĂ©nie, annonçait au moins cinq lustres. L'AcadĂ©mie s'offensa de ces prĂ©tendus quinze ans de l'auteur comme d'une mystification irrespectueuse, et elle jugea Ă  propos de l'en punir en le pri- 1 Biographie des contemporains, t. IV, deiuiĂšiiie iai'tie. 2 T. III, 1831. 96 VlCTOll IILGO AVANT 1830 vaut du prix. Vainement le jeune Victor, averti par un ami, s'empressa de venir porter lui-mĂȘme son extrait de naissance au rapporteur, M. Raynouard. Il Ă©tait trop tard la palme avait Ă©tĂ© adjugĂ©e. Cette anecdote, maintenant passĂ©e Ă  l'Ă©tat de lĂ©gende, est si inoffensive, que je me reproche vrai- ment de venir en dĂ©montrer la faussetĂ© ; mais n'est- ce pas Sainte-Beuve lui-mĂȘme qui a dit L'histoire littĂ©raire veut des dĂ©tails exacts ? » Dans un livre que nous avons dĂ©jĂ  citĂ© et dont il nous faut hien tenir compte, puisque l'auteur dit tenir ses informations de M. Victor Hugo lui-mĂȘme, nous lisons ce qui suit, au sujet du concours de 1817 On Ă©tait en 1817, en pleine Restauration. Sujet imposĂ© le Bonheur que procure V Ă©tude dans toutes les situations de la vie. Le bonheur que procure l'Ă©tude dans toutes les situations de la vie, cela Ă©tait une excuse pour la Restauration, et les gens de lettres se consolĂšrent. Par bonheur, le peuple ne fut pas longtemps de l'avis des gens de lettres i. Encore un crime Ă  ajouter Ă  tous ceux de la Res- tauration ! Par une inspiration machiavĂ©lique, le gouvernement de Louis XVIII a imposĂ© ce sujet de concours les Avantages de VĂ©tude, afin d'endormir les esprits et d'Ă©touffer les souvenirs importuns des victoires impĂ©riales ! Malheureusement, cette belle invention a contre elle une date, et rien n'est brutal comme une date. C'est dans la sĂ©ance publique du o avril 1815, — pondant les Cent-Jours, — que la seconde classe de l'Institut impĂ©rial fit connaĂźtre 1 Victor Hugo et son temps, par A. Barbou, p. 55. VICTOIl lUJGO AVANT 1830 97 qu'elle mellait au concours, comme sujet du prix de poĂ©sie, le Bonheur que procure l'Ă©lude dans toutes les situations de la vie \ Suivant l'usage, le prix ne fut dĂ©cernĂ© que deux ans plus tard, le 25 aoĂ»t 1817. Ce concours fut trĂšs brillant et offrit ce rĂ©sultat qui ne s'est encore produit qu'une fois depuis deux siĂšcles ^ sur quarante-six piĂšces soumises Ă  l'exa- men de l'AcadĂ©mie, il y en eut jusqu'Ă  dix qui paru- rent dignes d'ĂȘtre distinguĂ©es. Le prix fut partagĂ© entre MM. P. Lebrun et Sain- tine. GĂš dernier, qui dĂ©butait alors et que le Journal des DĂ©bats, dans le compte rendu de la sĂ©ance, appe- lait M. de Saint-Cricq, gros comme le bras, avait pris pour Ă©pigraphe un des vers de son poĂšme Je voudrais d'un laurier faire hommage Ă  ma mĂšre. Cette mĂšre que je ne connaissais pas, Ă©crivait le lendemain M. Tissot, dans le Constitutionnel, Ă©tait Ă  ma droite ; ses larmes et sa joie l'ont trahie au mi- lieu du triomphe de son fils. » L'ouvrage qui obtint Yaccessit et qui portait pour Ă©pigraphe Me vero primum dulces ante omnia MusĂ©e, Ă©tait, d'aprĂšs le secrĂ©taire perpĂ©tuel, celui oi^i l'on trouvait le plus de verve, et M. llaynouard exprimait, au nom de ses collĂšgues, le regret que l'auteur eĂ»t consumĂ© les forces de son talent Ă  dĂ©passer le but. 1 Journal de l'Empire, 0 avril 1815. 2 Le prix de poĂ©sie a Ă©tĂ© dĂ©cernĂ© par i'AcudĂ©ni'c Irauoai&c pour la pre- miĂšre fuis le 25 aoĂ»t 1071. U8 VICTOR IIL'GO 1830 L'Ă©crivain, dont le Rapport parlait en ces termes, Ă©tait Charles Loj^son, maĂźtre de confĂ©rences Ă  l'Ecole normale, et chef de bureau au ministĂšre de la Justice. Publiciste et poĂšte distinguĂ©, ami de Yictor Cousin et de M. Guizot, consultĂ© par MM. de Serre et Royer- Collard, Charles Loyson Ă©tait une des espĂ©rances les plus brillantes de la Restauration. Il mourut de la poitrine, Ă  peine ĂągĂ© de vingt-neuf ans, le i27 juin 1820. Vingt ans plus tard, dans la discussion de l'Adresse de 1841, M. Guizot, qui avait pris plusieurs fois la parole, descendait de la tribune, tout prĂȘt Ă  y remonter encore. Son collĂšgue, M. Yillemain, lui re- prĂ©senta qu'il semblait bien fatiguĂ© ; pour toute rĂ©ponse, M. Guizot lui dit avec un sourire mĂ©lanco- lique C'est pour pĂ©rir bientĂŽt que le flambeau s'allume, Mais il brille un instant sur les autels des dieux ! Ce sont deux vers de Charles Loyson, dans sa piĂšce sur le Bonheur de l'Ă©tude \ Au-dessus de cette derniĂšre piĂšce, l'AcadĂ©mie en plaçait une autre qui ne recevait cependant aucune rĂ©compense, l'auteur, M. Casimir Delayigne, s'Ă©tant mis lui-mĂȘme hors du concours. Au lieu d'accepter le sujet comme une vĂ©ritĂ© reconnue, il l'avait envi- sagĂ© comme une question Ă  rĂ©soudre, et il Ă©tait arrivĂ© Ă  cette conclusion que VĂ©tude ne fait pas le bonheur dans toutes les situations de la vie. C'est dans cette Epitre de Casimir Delavigne Ă  MM, de VAcadĂ©- 1 Saiute-BeuNt;. Portraits contemporains, II, 2-lb, VICTOR ITIJGO AVANT 1830 99 7nie française que se trouve ce vers, devenu proverbe, dĂšs son apparition Les sots, depuis Adam, sont en majoritĂ©. VoilĂ  donc quatre piĂšces, — celles de MM. P. Le- brun, Saintine, Casimir Delavigne et Charles Loyson, — dont la supĂ©rioritĂ© avait paru incontestable aux juges du concours. Ils accordĂšrent de simples men- tions aux six autres piĂšces distinguĂ©es par l'AcadĂ©- mie, mais placĂ©es par elle Ă  une longue distance des quatre premiĂšres. Elles furent classĂ©es dans l'or- dre ci-aprĂšs o° le n° 36, qui parait ĂȘtre, disait M. Raynouard, d'un auteur exercĂ© dans l'art d'Ă©crire et qui sait employer sagement les ressources de la versification ; » 6^ une piĂšce de la princesse de Salm- Dyck ; 7° et 8° deux discours en vers, dont l'un Ă©tait du chevalier do Langeac, traducteur des Bucoli- ques de Virgile et laurĂ©at de 1768 ; 9'' la piĂšce ins- crite sous le n° 15, avec cette Ă©pigraphe empruntĂ©e Ă  Ovide At mihi jam puero cƓlestia sacra placebant. C'Ă©tait la piĂšce de Victor Hugo ; 10° une autre piĂšce, portant pour Ă©pigraphe ce vers de Racine Du chagrin le plus noir elle Ă©carte les ombres. En prĂ©sence de ce rĂ©sultat, ofticiellement constatĂ© par le rapport du secrĂ©taire perpĂ©tuel, force nous est bien d'Ă©carter le rĂ©cit de Sainte-Beuve. Bien loin que M. Raynouard ait exposĂ© dans son rapport prononcĂ© en sĂ©ance publique que l'AcadĂ©mie, au moment de 'JOO VICTOR HUGO AVANT 1830 dĂ©cerner le prix Ă  Victor Hugo, s'Ă©tait ravisĂ©e et avait pris le parti de lui accorder une simple men- tion, pour le punir d'avoir voulu mystifier ses juges avec ses trois lustres, on trouve, au contraire, dans ce document, la preuve que l'AcadĂ©mie avait consi- dĂ©rĂ© les quinze ans du poĂšte comme un titre Ă  sa sympathie. Si vĂ©ritablement il n'a que cet Ăąge, — ‱ ainsi s'exprimait le rapporteur, — l'AcadĂ©mie a dĂ» un encouragement au jeune poĂšte *. » Un encourage- ment, voilĂ  donc ce qui fut accordĂ© Ă  Victor Hugo on ne le lit pas descendre du premier au second rang; on lui assigna d'emblĂ©e le neuviĂšme rang, parce que huit autres piĂšces avaient paru Ă  ses juges l'emporter sur la sienne. J'ai dĂ©jĂ  eu occasion, il y a quelques annĂ©es ^, de rectifier cette petite erreur de Sainte-Beuve, dans les Ɠuvres duquel les erreurs de faits sont si rares. L'il- lustre auteur des Causeries du lundi me fit l'honneur de m'Ă©crire Ă  ce sujet ce qui suit, sous la date du 29 novembre 1864 En ce qui est de la piĂšce de Victor Hugo qui a concouru, mon rĂ©cit, qui peut bien ĂȘtre inexact, est pourtant authentique, car le passage a Ă©tĂ© Ă©crit d'aprĂšs une communication directe de Victor Hugo lui-mĂȘme. » Nul doute, en effet, que M. Victor Hugo ne soit le premier et vĂ©ritable auteur de cette anecdote ; mais Ă  quoi servirait d'ĂȘtre poĂšte, 1 Recueil des discours, rapports et piĂšces diverses lues dans les sĂ©ances publiques et particuliĂšres' de l'AcadĂ©mie française, 1803-1819, deuxiĂšme partie, p. 847, 2 Dans les PoĂštes laurĂ©ats de l'AcadĂ©mie française, par Edmond BirĂ© et Emile 2 vol. in-iS, Bray et Retaux, Ă©diteurs. T. I*"", p. 224 et suiv. VICTOR HUGO AA^ANT 1830 101 et grand poĂšte, si l'on n'avait pas le droit d'embellir les faits et de les inventer au besoin ? M. Victor Hugo, ou le TĂ©moin de sa vie ce qui est tout uni, reconnaĂźt d'ailleurs que l'AcadĂ©mie fut pleine de sourires pour l'adolescent. François de NeufchĂąteau le complimenta en vers Ce n'est pas seulement votre Ăąge Qui de l'AcadĂ©mie a fixĂ© les regards, Lorsque jusqu'Ă  deux fois elle a lu votre ouvrage ; Dans ce concours heureux brillaient de toutes parts Le sentiment, le charme et l'amour des beaux-arts ; Sur quarante rivaux qui briguaient son suffrage, Est-ce peu qu'aux traits sĂ©duisants De votre muse de quinze ans L'AcadĂ©mie ait dit Jeune homme, allons, courage i ? Ces vers de François de NeufchĂąteau confirme- raient, s'il en Ă©tait besoin, le rapport de M. Ray- nouard ; comme le rapport, ils montrent que les quinze ans du poĂšte, au lieu de le desservir auprĂšs de ses juges, avaient au contraire augmentĂ© ses chances. Un autre acadĂ©micien, le successeur de Delille, M. Gampenon, lui Ă©crivait de son cĂŽtĂ© L'esprit et le bon goĂ»t nous ont rassasiĂ©s ; J'ai rencontrĂ© des cƓurs de glace Pour des vers pleins d'Ăąme et de grĂące Que MalfilĂątre eĂ»t enviĂ©s. Je soupçonne M. Gampenon, quoique bon royaliste, de s'ĂȘtre inspirĂ©, pour composer ce quatrain, de la lec- ture du Constitutionnel qui, au sortir de la sĂ©ance acadĂ©- 1 Victor Hiif/o racontĂ©, etc.. t. I, p. 300. 6. J2 VICTOR HUGO AYANT 1830 mique, Ă©crivait, avec un lyrisme auquel il n'avait point habituĂ© ses lecteurs Parents auxquels appartient ce disciple de Virgile, lisez la PoĂ©tique de Vida et voyez avec quels soins, avec quelle tendresse il faut Ă©lever cette innocente et douce crĂ©ature, Ă©carter d'elle les peines qui usent le cƓur avant le temps, les rigueurs qui flĂ©trissent le talent avant qu'il ait poussĂ© toutes ses fleurs; nous vous devrons peut-ĂȘtre un suc- cesseur de MalfilĂąti^e. » Il faut avouer que M. Victor Hugo a fait mentir la prĂ©diction, toute bienveillante, d'ailleurs, du Cons- titutionnel, et que, s'il est vrai que la faim ait mis au tombeau MalfilĂątre ignorĂ©^, son successeur n'est menacĂ© ni de finir Ă  l'hĂŽpital, ni de mourir ignorĂ© ! IV Sa piĂšce sur le Bonheur de r Ă©tude n'a jamais Ă©tĂ© imprimĂ©e. J'en possĂšde une copie, avec cette Ă©pi- graphe ƒgri somnia et ce titre Essais poĂ©tiques. Elle est prĂ©cĂ©dĂ©e d'une dĂ©dicace Ă  M. D. L. R. M. de la RiviĂšre 1 Gilbert, le Dix-huitiĂšme siĂšcle. — Il n' 1830 reproduisons, d'aprĂšs M. Paul Lacroix, le rĂ©cit d'un des incidents de cette soirĂ©e Victor Hugo allait parler, tout le monde faisait silence et je n'Ă©tais pas le moins attentif. Il se recueillit un moment et commença son rĂ©cit — Vous avez pu entendre dire que M. le vicomte de Chateaubriand, qui avait publiĂ© aussi, presque en mĂȘme temps que moi, un Conservateur non littĂ©raire, mais politique, daigna me citer dans une note de ce journal Ă©loquent et passionnĂ©, en me qualifiant d'enfant sublime »^ Dans le cours de l'hiver de l'annĂ©e 1818, je fus trĂšs surpris et trĂšs intriguĂ©, en recevant une lettre de M. le comte François de NeufchĂąteau, ancien ministre, membre de l'AcadĂ©mie française, qui' m'invitait Ă  venir le voir un matin pour une affaire pres- sante Je me hĂątai de me rendre Ă  l'invitation de François de NeufchĂąteau, qui avait jouĂ© un rĂŽle considĂ©rable comme ministre de l'intĂ©rieur sous l'Empire. Asseyez-vous, mon enfant, me dit-il d'un air trĂšs avenant. C'est M. le comte de Chateaubriand qui m'a parlĂ© de vous. M. le comte fait le plus grand cas de vos talents de littĂ©rateur. Il m'a dit que vous Ă©tiez plus capable que personne de me rendre le petit service littĂ©raire que j'avais Ă  vous demander .Vous savez l'espagnol? » Je m'excusai de savoir trĂšs imparfaitement cette langue, et je rĂ©pondis qu'on m'avait sans doute confondu avec mon frĂšre Abel, qui la savait Ă  fond... François de NeufchĂąteau rĂ©pliqua que c'Ă©tait bien moi, VEnfant sublime ">, que le comte de Chateaubriand lui avait dĂ©signĂ© et recommandĂ©. Je ne pou- vais pas m'en dĂ©dire et je me mis aux ordres de cet entĂȘtĂ©, en le priant de me renseigner Ă  l'Ă©gard du petit service qu'il attendait de moi. — u C'est bien simple, me dit-il de l'air le plus confiant. M. Pierre Didot l'aĂźnĂ© veut rĂ©imprimer le Gil Blas de Le Sage ; mais il dĂ©sire que j'examine la question de savoir si Le Sage est bien l'auteur de Gil Blas ou s'il l'a pris de l'espagnol Je vous prie de me donner quelques notes trĂšs prĂ©cises et trĂšs dĂ©taillĂ©es sur la question^ et j'en ferai mon affaire... » VICTOR HUGO AVANT 1830 101 Je lui promis de faire de mon mieux pour rĂ©pondre Ă  la trop bomie opinion que M. de Chateaubriand avait de moi. — A bientĂŽt, jeune homme, me criait François de NeufcliĂ teau en me reconduisant ; le plus tĂŽt possible, car je me suis engagĂ© Ă  lire cette notice Ă  l'AcadĂ©mie, dans la sĂ©ance extraordinaire du 7 juillet prochain. Vous avez donc deux grands mois pour vos recherches. Soignez-moi cela, mon ami. » Je soignai donc ce travail, qui devait, me semblait-il, ĂȘtre honorable- ment payĂ©... Je me fis aider par mon frĂšre Abel qui avait Ă©tudiĂ© la question, et, dans l'espace de quinze ou vingt jours, j'eus achevĂ© ma besogne... It y avait un gros manuscrit tout entier de mon Ă©criture. Je le portai, un matin, chez François de NeufchĂ teau. — \^ous ĂȘtes un homme de parole, Mon- sieur, » me dit-il solennellement. Il me fit asseoir pendant qu'il dĂ©pliait mon manuscrit et en Usait les premiĂšres pages. — a Tout cela me parait trĂšs bien pensĂ© et trĂšs bien dit, mur- murait-il, en lisant. VoilĂ  bien ce que demande M. Pierre Didot l'ainĂ©. C'est trĂšs bien, mon enfant, ajouta-t-il en se levant avec un sourire qui tĂ©moignait de sa satisfaction. Je lirai la suiti Ă  tĂȘte reposĂ©e. Mais je veux vous donner un petit souvenir qui vous rappellera que j'ai toujours aimĂ© la poĂ©sie et les poĂštes. > Et il me remit deux petits volumes de Fables et Contes en vers.... Ce fut lĂ  tout ce que me rapporta mon travail d'Ă©rudition critique sur le chef-d'Ɠuvre de Le Sage. — Et votre travail vous a-t-il Ă©tĂ© restituĂ© ? m'Ă©criai -je, sans donner le temps Ă  Victor Hugo d'achever son rĂ©cit. Existe-t-il encore ? Est-il Ă  jamais perdu pour vos admirateurs? — Il existe, rĂ©pondit Hugo, il existe puisqu'il a Ă©tĂ© im- primĂ©. — ImprimĂ© ! repartis-je, dĂ©jĂ  curieux et impatient de con- naĂźtre, de dĂ©couvrir cette notice que je n'avais vu citer nulle part. Elle n'a pas Ă©tĂ© imprimĂ©e avec votre nom ? Autrement, elle serait connu a. = , — Ecoutez la fin, reprit Victor Hugo» François de XeufchĂą- teau eut l'aimable attention de m'envoyer un billet pour la 110 VICTOR IIUGO AYANT 1830 sĂ©ance de l'AcadĂ©mie française, dans laquelle il devait lire sa notice sur M Blas. Il la lut fort bien, en homme accoutumĂ© Ă  parler et Ă  lire dans les AssemblĂ©es, et j'eus lieu d'en ĂȘtre satis- fait. Sa notice n'Ă©tait autre que la mienne ; il n'y avait pas changĂ© dix phrases. Je suis heureux de pouvoir ajouter que la lecture avait complĂštement rĂ©ussi. C'Ă©tait la premiĂšre fois que j'entendais applaudir un de mes ouvrages. — Et vous ĂȘtes certain que cette notice est imprimĂ©e ? repartis-je, avec la tĂ©nacitĂ© d'un bibliophile qui s'enquiert d'un livre Ă  trouver... — Vous la trouverez tout au long, rĂ©pliqua Victor Hugo, dans l'Ă©dition de Gil Blas, qui fait partie de la collection des meilleurs ouvrages de la langue française... — Edition formant trois volumes in-8o, imprimĂ©e en 1819 par Pierre Didot FamĂ© et dĂ©diĂ©e aux amateurs de l'art typo- graphique. Je la vois d'ici, quoique je ne l'aie jamais feuil- letĂ©e. Et la notice sur Gil Blas s'y trouve ? et cette notice est signĂ©e...? — Par le comte François de NeufchĂ teau, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire. — C'est un peu trop fort ! s'Ă©cria Mme Bouclier, dont l'in- dignation Ă©tait au comble. Vous voler ainsi un de vos chefs- d'Ɠuvre ! Et vous vous ĂȘtes laissĂ© dĂ©pouiller ainsi ? Et vous n'avez pas mĂȘme rĂ©clamĂ© ? — Non, Madame, dit Victor Hugo avec indiffĂ©rence. J'ai oubhĂ© ma notice, et je n'ai jamais revu depuis François de NeufchĂ teau... Si fait, c'Ă©tait un vieillard trĂšs poli, qui m'a rendu ma visite deux ans aprĂšs. J'Ă©tais alors rĂ©dacteur en chef et principal rĂ©dacteur du Conservateur littĂ©raire. François de NeufchĂ teau l'apprit, peut-ĂȘtre de la bouche de M. le comte de Chateaubriand ; il m'Ă©crivit une lettre trĂšs cordiale, de poĂšte Ă  poĂšte, en me priant de vouloir bien parler, dans mon Conservateur, du recueil de ses Fables et Contes, qu'il avait eu le plaisir de m'offrir, deux ans auparavant... — Et vous avez daignĂ©, mon digne et bon maĂźtre, dis-je Ă  mon tour en ajoutant cette apostille au rĂ©cit de Victor Hugo, VICTOR HUGO AVANT 1830 111 vous avez daignĂ© consacrer un trĂšs bienveillant article du Conservateur littĂ©raire aux poĂ©sies de votre effrontĂ© pla- giaire * . Gomment lexcellent bibliophile Jacob n a-t-il pas vu que le rĂ©cit de son digne et bon maĂźtre Ă©tait inexact d'un bout Ă  l'autre ? M. le vicomte de Chateaubriand, — et c'est par cette affirmation que dĂ©bute le rĂ©cit de Victor Hugo, — M. do Chateaubriand daigna me citer dans une note du Cotiservateur, en me qualifiant cVenfant sublime, » Cette note n'existe pas ^. Suivant M. Hugo, lors de sa visite Ă  François de NeufçhĂąteau, celui-ci lui aurait rappelĂ© la note du Conservateur. Or la visite est antĂ©rieure au 7 juillet 1818, et Ă  cette date le Conservateur n'Ă©tait pas encore nĂ©. Le premier numĂ©ro a paru seulement au mois d'octobre 1818. Lorsque M. Victor Hugo, toujours d'aprĂšs son rĂ©cit, s'est rendu, au cours de l'annĂ©e 1818, chez le comte François de NeufçhĂąteau, il le voyait pour la premiĂšre fois et n'avait jamais eu avec lui aucune relation. TroisiĂšme erreur. Nous voyons, en effet, au tome I de Victor Hugo racontĂ©, {\\en 1817, Ă  l'occasion du concours sur le Bonheur de VEtude, François de NeufçhĂąteau avait exprimĂ© devant un ami d'Abcl le dĂ©sir de voir le jeune laurĂ©at, que celui-ci y avait coiiru et qu'ils avaient Ă©changĂ© ensemble force rimes. 1 L'Artiste, septembre 1882, p. 185 et suivantes. 2 Sur la lĂ©gende de l'Enfant subWne, voyez ci-dessous notre chapitre Vl. i\2 VICTOR UUGO AVANT 183 Tendre ami des neuf SƓurs, disait au rhĂ©toricien de la pension Gordier le doyen de l'AcadĂ©mie, Tendre ami des neuf SƓurs, mes bras vous sont ouverts, Venez, j'aime toujours les vers ! Je ne vous rendrai point louange pour louange, Laissons ces encensoirs l'un Ă  l'autre pareils ; Dans un ordre meilleur ma vieillesse me range, Et je puis acquitter, par un plus noble Ă©change, Vos Ă©loges par mes conseils *. Et pour mieux assaisonner ses conseils, M. Fran- çois de NeufchĂąteau invita Yictor Ă  dĂźner ^. » Depuis le 7 juillet 1818, M. Yictor Hugo n'aurait jamais revu François de NeufchĂąteau, sinon une fois, deux ans plus tard, un jour que le vieux poĂšte lui vint rendre visite pour le prier de vouloir bien parler, dans le Conservateur littĂ©raire, du recueil de ses Fables et Contes. Eh quoi ! M. Yictor Hugo n'a revu François de NeufchĂąteau que ce jour-lĂ  ! Il n'a pas couru chez lui, le 25 mars 1820, en recevant les vers par lesquels ce dernier lui annonçait que, sur sa recommandation, le Roi venait de lui accorder une gratification de 500 francs ^ ! M. Yictor Hugo, — nous suivons toujours son rĂ©cit, — a daignĂ© consacrer un trĂšs bienveillant article du Conservateur littĂ©raire aux Fables et Contes en vers de François de NeufchĂąteau. — J'ai sous les yeux la col- lection complĂšte du Conservateur littĂ©raire, oĂč ce j brille par son absence. 1 Victo' Hurjo racontĂ© etc., t. I, p. 391, 2 Jbid., p. 394. 3 Le COmcroatcur littĂ©raire, t. I, p. 361. Voj. ci-dessus chapitre V. VICTOR HUGO AVANT 1830 113 Si nous sommes obligĂ©s d'Ă©carter comme inexacts tous les dĂ©tails accessoires du rĂ©cit de M. Victor Hugo, que devons-nous penser du fait principal, du fond mĂȘme du rĂ©cit ? Est-il possible d'admettre qu'un membre de l'AcadĂ©mie française, qui avait Ă©tĂ© prĂ©- sident de l'AssemblĂ©e lĂ©gislative, membre du Direc- toire exĂ©cutif, ministre de l'intĂ©rieur, — avant le 18 Brumaire et non sous l'Empire, comme le dit Ă  tort M. Victor Hugo, — prĂ©sident du SĂ©nat, auteur de nombreux Ă©crits en prose et en vers qui lui avaient acquis une lĂ©gitime cĂ©lĂ©britĂ©, ait poussĂ© rimpudenco et la folie jusqu'Ă  s'approprier le travail d'un enfant, le lire dans une sĂ©ance publique de l'AcadĂ©mie et le faire imprimer sous son nom, livrant ainsi sa rĂ©putation et son honneur Ă  la discrĂ©tion d'un collĂ©gien ? Que M. Victor Hugo s'amuse Ă  conter de telles choses, je le veux bien ; mais comment l'Ă©rudit et judicieux biblio- phile Jacob se laisse-t-il aller Ă  les croire ? Pour moi, j'y suis d'autant moins portĂ© que je trouve au tome III du Conservateur littĂ©raire, un long article do M. Victor Hugo lui-mĂȘme sur l'Ă©tude consacrĂ©e Ă  Gil Blas par François de NeufchĂąteau, et que j'y remarque ce pas- sage Cette notice, qui a Ă©tĂ© apprĂ©ciĂ©e de tous les gens de lettres, et louĂ©e encore si justement dans le dernier ouvrage de M. Barbier, avait Ă©tĂ© imprimĂ©e en tĂȘte de la superbe Ă©dition do Gil Blas par Didot l'ainĂ© ; elle est rĂ©imprimĂ©e en tĂȘte de celle-ci par Grapolet. Les nombreuses erreurs historiques et gĂ©ographiques que M. F. de NeufchĂąteau relĂšve avec tant d'exacti- tude dans Gil Blas prouvent de reste que ce livre H4 VICTOR HUGO AYANT 1830 n'est pas originaire de la Yieille-Gastillc ; et l'on en sera encore plus convaincu, si l'on songe que la plu- part des personnages de ce roman ont eu en France des originaux rĂ©els que Le Sage avait nommĂ©s au comte de Tressan. Les recherches de M. F. de Neuf- chĂąteau sur ces originaux sont extrĂȘmement piquan- tes *. » A qui M. Victor Hugo fera-t-il croire qu'il aurait ainsi couvert d'Ă©loges l'Ă©crivain qui l'avait volĂ© ? Depuis quand, en Franco, rĂ©pond-on par des compli- ments et des rĂ©vĂ©rences au malhonnĂȘte homme qui vous dĂ©pouille ? VI AprĂšs le concours de 1817, d'oii \di Notice sur GUBlas et le comte François de NeufchĂąteau nous ont un peu Ă©loignĂ©s, Victor Hugo reprit, Ă  la fin des vacances, le chemin de la pension Gordier, oi^i il devait passer une annĂ©e encore, en compagnie de son frĂšre EugĂšne. C'Ă©tait le tour de ce dernier de voir couronner ses vers ; il envoya aux Jeux-Floraux, de Tou- louse, une Ode sur la mort du duc d'Enghieiiy qui obtint, dans la sĂ©ance du 3 mai 1818, non un beau lis d'argent, comme il est dit au tome I»" de Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, mais un souci rĂ©servĂ© -. DĂ©cidĂ©ment les deux frĂšres prenaient le plus long pour aller Ă  l'École polytechnique, ou plutĂŽt ils n'en prenaient pas du 1 Le Conserratcur littĂ©raire, t. III, p. 23. 2 Recueil de l'AcadĂ©mie des Jeux-Floraux, annĂ©e 1818. VICTOR HUGO AVANT 1830 145 tout le chemin, et ils obtinrent de leur pĂšre qu'ils ne se pnisenteraient pas aux examens. Au mois d'aoĂ»t 1818, ils quittĂšrent dĂ©finitivement la pension et revinrent habiter avec leur mĂšre. MĂŻiie Hugo ne demeurait plus rue du Cherche-Midi. Elle Ă©tait installĂ©e, depuis quelque, temps au nu- mĂ©ro 18 de la rue des Vieux-Augustins, dans une maison contiguo au musĂ©e des Petits-Augustins, sur l'emplacement occupĂ© aujourd'hui par la cour du palais des Beaux-Arts. Des fenĂȘtres de l'appartement, situĂ© au troisiĂšme Ă©tage, on avait vue d'un cĂŽtĂ© sur l'ancien jardin La Rochefoucauld et de l'autre sur la cour du musĂ©e, tout encombrĂ©e de sculptures et de fragments d'architecture *. Victor prit ses inscriptions de droit. Suivit-il les cours de la FacultĂ©? il est permis d'en douter. Sa vocation poĂ©tique Ă©tait trop prononcĂ©e, elle se rĂ©vĂ©lait avec trop d'Ă©clat pour que sa mĂšre elle-mĂȘme essayĂąt de la combattre. Les trois frĂšres embrassĂšrent du reste la carriĂšre littĂ©raire. En 1817, avait paru un TraitĂ© du mĂ©lo- drame, par A ! A ! A ! Les auteurs Ă©taient Annancl Malitourne, Acier, et Abel Hugo ^ Abel faisait aussi des vers, et il fut couronnĂ©, en 1822, par la SociĂ©tĂ© d'Ă©mulation de Cambrai, pour une Ode sur la bataille de Denain ^. * Yictor Hugo racontĂ©, etc., I, 409. 2 On trouve dans VHermite de Bellemlle ou choix d'ojniscules politiques, littĂ©raires et satiriques, de Charles Coluet, t. II, p. 3G9, un piquant article sur cet opuscule d'Abel Hugo. Le TraitĂ© du mĂ©lodrame, dit Colnet, est une plaisanterie ingĂ©nieuse. » ^ Moniteur dn 11 dĂ©cembre 1822. H 6 VICTOR HUGO AA^ANT 1830 EncouragĂ© par son succĂšs de 1818, EugĂšne con- courut encore l'annĂ©e suivante aux Jeux-Floraux ; mais cette fois il fut moins heureux. Son Ode sur la mort de S. A. S. Louis-Joseph de Bourbon, prince de CondĂ©, n'obtint qu'une mention ; cette piĂšce, assez faible, figure dans le Recueil de l'AcadĂ©mie. Quant Ă  Victor, il brĂ»lait de prendre sa revanche Ă  l'AcadĂ©mie française, et il n'entendait pas rester sur un simple encouragement. L'occasion justement Ă©tait des plus propices, l'AcadĂ©mie ayant Ă  dĂ©cerner, en 1819, deux prix de poĂ©sie au lieu d'un. Outre le prix traditionnel, dont le sujet Ă©tait V histitution du jury en France, il y avait, cette annĂ©e-lĂ , un prix extraor- dinaire. Un anonyme c'Ă©tait M. Lemontey, qui ne faisait pas encore partie de l'AcadĂ©mie, lui avait remis une somme destinĂ©e Ă  rĂ©compenser le meilleur discours en vers sur les Avantages de V enseignement mutuel, et le ministre de l'intĂ©rieur, M. Decazes, avait ajoutĂ© Ă  la valeur du prix. Victor Hugo venait de quitter les bancs du collĂšge, il avait seize ans ! Il se sentait donc de taille Ă  courir les deux prix Ă  la fois et Ă  faire coup double il envoya deux piĂšces Ă  l'Aca- dĂ©mie. M. Raynouard fit son rapport dans la sĂ©ance du 2o aoĂ»t 1819 et s'occupa d'abord du concours sur Vlns- titution du jury. Cinquante piĂšces avaient Ă©tĂ© en- voyĂ©es ; cinq furent distinguĂ©es, mais aucune ne parut digne du prix ; il ne fut mĂȘme pas accordĂ© de mentions. Le rapporteur parla seulement avec quel- ques dĂ©tails de l'un des ouvrages qui avaient Ă©tĂ© VICTOR HUGO AYANT 1830 117 soumis Ă  l'AcadĂ©mie, u II en esl un, dil-il, oĂč l'Aca- dĂ©mie a reconnu l'instinct do la vraie poĂ©sie, le germe d'un beau talent, un style parfois brillant et Ă©ner- gique, et une sorte d'originalitĂ© qui permet de beaucoup espĂ©rer mais elle ne doit pas dissimuler que le dĂ©faut de composition, l'incohĂ©rence des idĂ©es et des images, l'ignorance ou le mĂ©pris de l'art des transitions, feraient craindre pour le succĂšs de l'au- teur s'il ne se hĂątait, en s'imposant des Ă©tudes sĂ©vĂšres et en invoquant d'utiles conseils, de se placer dans la bonne route dont il parait Ă©cartĂ© \ » Le TĂ©moin de la vie de Victor Hugo nous appre- nant que ce dernier a pris part, en 1819, au concours sur VInstitution du jury en France, il est permis de supposer que sa piĂšce est justement celle dont parle M. Raynouard dans les lignes que l'on vient de lire, et, si cette conjecture est fondĂ©e, on peut voir que le secrĂ©taire perpĂ©tuel de l'AcadĂ©mie caractĂ©risait assez bien, dĂšs cette Ă©poque, quelques-unes des prin- cipales qualitĂ©s et quelques-uns des plus grands dĂ©fauts qui devaient Ă©clater plus tard dans les Ɠuvres du poĂšte. Il avait donnĂ© Ă  sa piĂšce la forme d'un dialogue entre Malesherbes et A^oltaire, le premier tenant pour les Parlements, le second accoidanl la prĂ©fĂ©rence au jury ^. Dans la seconde partie de son rapport, consacrĂ©e au concours sur les Avantages de renseignement i Recueil des Discours, Rapports, etc., lus dans les sĂ©ances publiques et particuliĂšres de l'AcadĂ©mie française, 1803-18 J9; deuxiĂšme partie, p. 868. 2 Victor Hvijo racontĂ©, etc. \. I. M^. 118 VICTOR UUGO AVANT 1830 mutuel, M. Raynouard fit connaĂźtre qu'aucune des dix-neuf piĂšces adressĂ©es Ă  l'AcadĂ©mie n'avait paru mĂ©riter le prix ; des mentions honorables Ă©taient cependant dĂ©cernĂ©es aux ouvrages inscrits sous les numĂ©ros 5, 9, 10, 13, 15 et 16. Le numĂ©ro 16, c'Ă©tait Victor Hugo. Le TĂ©moin de sa vie, dans le chapitre intitulĂ© PremiĂšres relations avec VAcadĂ©ynie, a com- plĂštement passĂ© sous silence la part prise par Victor Hugo Ă  ce concours ; elle n'en est pas moins certaine, puisque le poĂšte lui-mĂȘme a publiĂ© sa piĂšce, au mois d'aoĂ»t 1820, dans le Conservateur littĂ©raire, oĂč elle est prĂ©cĂ©dĂ©e de cette note L'auteur de cette piĂšce avait vu dans renseignement mutuel une mĂ©thode utile, mais non admirable, comme le prĂ©tend la l'action libĂ©rale. ConsidĂ©rant sa piĂšce sous le rapport littĂ©raire, nous l'admettons dans ce recueil, sans partager tout Ă  fait son opinion. L'enseignement mutuel y est, Ă  la vĂ©ritĂ©, louĂ© trĂšs modĂ©rĂ©ment l'auteur le regarde seulement comme susceptible de rendre les premiers travaux Ă©lĂ©mentaires moins tristes et plus courts ; l'auteur a mĂȘme su faire percer dans plusieurs endroits son opinion royaliste et ses sentiments religieux, et nous devons lui en savoir grĂ© dans un pareil sujet ; cepen- dant nous pensons que la nouvelle mĂ©thode, sans mĂȘme l'en- visager sous le point de vue moral, prĂ©sente le grand inconvĂ©- nient de laisser vite oubUer ce qu'elle a promptement enseignĂ©, ce qui compense de reste l'avantage d'abrĂ©ger et d'Ă©gayer les Ă©tudes. L'auteur de cette piĂšce nous autorise Ă  la faire prĂ©cĂ©der de cette note ; de mĂ»res rĂ©flexions et une observa- tion mieux entendue de la mĂ©thode mutuelle l'ont dĂ©jĂ  fait presque revenir Ă  notre avis. Son discours fut envoyĂ© en 1819 Ă  l'AcadĂ©mie, qui lui dĂ©cerna une mention honorable sous le no 16, et dĂ©cida qu'elle ne donnerait pas le prix. On l'insĂšre ici tel qu'il fut soumis Ă  l'AcadĂ©mie ; on croit devoir ajouter VICTOR HUGO AVANT 1830 119 que Tauteiir ne l'a point reprĂ©sentĂ© au concours de cette annĂ©e K » M. Yiclor Hugo a insĂ©rĂ©, dans le livre publiĂ© par lui, en 1834, sous ce titre LittĂ©rature et philosophie mĂȘlĂ©eSy deux passages de son Discours sur les avanta- ges de renseignement mutuel, — le dĂ©but Je ris quand chaque soir de l'Ă©cole voisine... et un trĂšs court fragment A des petits enfants en classe Vous qui, les yeux fixĂ©s sur un gros caractĂšre.... Il a donnĂ© Ă  ces deux morceaux la date de juin 1820, ce qui n'est pas exact, puisque sa piĂšce a figurĂ© au concours de 1819. Encore bien que l'Aca- dĂ©mie n'ait pas cru devoir lui dĂ©cerner le prix, elle n'en est pas moins trĂšs remarquable et renferme plus d'un vers heureux, plus d'un tableau piquant. Le poĂšte de dix-sept ans, qui avait, deux ans auparavant^ avouĂ© ingĂ©nument ses trois lustres, s'est vieilli cette fois et dĂ©guisĂ© en vieux maĂźtre d'Ă©cole. Il trace de sa classe cette jolie peinture LĂ , j'ai mis de JĂ©sus le sublime symbole, J'ai rempli ses dĂ©sirs, car sa touchante loi Dit u Laissez les enfants approcher jusqu'Ă  moi. » Au-dessous est ma table, et plus loin sont placĂ©es De mes jeunes sujets les banquettes pressĂ©es ; Ces cartes, ces tableaux, dont les murs sont couverts, Portent des premiers mots les mĂ©langes divers, 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. III. p. T. 120 VICTOR HUGO AVANT 1830 Et l'enfant, qui les voit, aisĂ©ment s'initie Aux arts que nous lĂ©gua l'antique PhĂ©nicie. Mais l'instant est venu tu vas voir sous tes yeux Au temple de l'Ă©tude entrer l'essaim joyeux. Leur chef marche Ă  leur tĂȘte en marquant la cadence, Et chacun sur son banc vient s'asseoir en silence. Tout se tait mais bientĂŽt leur voix s'Ă©lĂšve en chƓur, Leur douce voix demande Ă  ce Dieu protecteur Qui, parmi les vertus, compte l'humble espĂ©rance. De longs jours pour le roi, de beaux jours pour la France. La priĂšre a cessĂ© ; chacun avec ardeur Recommence un travail qu'il quitta sans tiĂ©deur ; D'abord le maĂźtre dicte et leur main exercĂ©e Sur l'ardoise fragile a traduit sa pensĂ©e. Le plus faible au combat provoque les plus forts. Souvent son jeune chef, couronnant ses efforts. Compare les essais, sourit, et lui dĂ©signe Le rang plus glorieux dont il s'est rendu digne. Mon tour vient je dispense, en mon dernier coup d'Ɠil, Le blĂąme avec regret, l'Ă©loge avec orgueil. En 1820, l'AcadĂ©mie française avait Ă  donner un prix extraordinaire de poĂ©sie, dont le sujet Ă©iaiile DĂ©- vouement de Malesherbes. Trente-cinq poĂštes se dispu- tĂšrent le prix. M. A^ictor Hugo Ă©tait-il du nombre ? Il ne fait aucune mention, dans son autobiographie, de ce concours et de la part qu'il y aurait prise. Elle pa- raĂźt cependant certaine. Le comte Gaspard de Pons, l'un des trente-cinq, qui ne devait jamais ĂȘtre l'un des Quarante, raconte en effet, dans ses Adieux poĂ©ti- ques *, qu'il envoya une piĂšce Ă  ce concours de 1820 et que M. Victor Hugo en fit autant de son cĂŽtĂ©. Il 1 Adieux poĂ©tiques, par le comte Gaspard de Pons, t. III, p. 10. VICTOR HUGO AVANT 1830 121 est difficile d'admetlre que ses souvenirs l'aient trom- pĂ© sur ce point, car il Ă©tait alors liĂ© de la plus Ă©troite amitiĂ© avec le futur auteur des Odes et Ballades *. Le prix ne fut dĂ©cernĂ© qu'en 1821, Ă  la suite d'un nouveau concours pour lequel l'AcadĂ©mie ne reçut pas moins de quarante-six piĂšces. L'ode couronnĂ©e avait pour auteur M. Antony Gaulmier, professeur de rhĂ©torique au collĂšge de Nevers -. 1 Voy. ci-dessous, chapitre X. 2 Voy. les PoĂštes laurĂ©ats de l'AcadĂ©mie française, par Edmond BirĂ© et Emile Grimaud. t. I, p. 277. CHAPITRE IV L'AcadĂ©mie des Jeux-Floraux. — Le TĂ©lĂ©graphe. Les Vierges de Verdun. — Le RĂ©tablissement de la statue de Henri IV. Alphonse de Lamartine et l'abbĂ© Gerbet. — MoĂŻse sur le Nil. — M. Victor Hugo maĂźtre es jeux- floraux. — Jules de RessĂ©guier, Joseph Rocher et M. Durangel. — L'ode sur les Destins de la VendĂ©e et la satire sur le TĂ©lĂ©graphe. M. Ya- Rius. — Une lettre d'Alexandre Soumet. M. Victor Hugo et la Pairie. I Pendant qu'il soumettait ainsi plusieurs piĂšces Ă  l'AcadĂ©mie française, M. Victor Hugo en adressait trois autres Ă  une acadĂ©mie de province, mais Ă  une aca- dĂ©mie de province qui faisait alors beaucoup parler d'elle, — celle des Jeux-Floraux. Gomme elle avait le bon esprit de laisser aux concurrents le choix des su- jets, il lui Ă©tait arrivĂ© plus d'une fois de couronner des ouvrages trĂšs supĂ©rieurs aux meilleures composi- tions des laurĂ©ats de TAcadĂ©mie française. N'est-ce pas Ă  elle que Millevoye avait envoyĂ© V Aniiiv ers aire et la Chute des Feuilles, deux tendres et pĂ©nĂ©trantes Ă©lĂ©gies, dont Tune au moins est assurĂ©e de ne pas pĂ©- rir ? On pouvait donc se consoler de ne pas ĂȘtre vain- queur au palais Mazarin, pour peu que Ton triomphĂąt au Gapitole. Les concours de Toulouse offraient de VICTOR HUGO AVANT 1830 1^3 plus col avantage que les prix y Ă©taient trĂšs nom- breux. Les Jeux-Floraux, dit l'auteur de Vlcto?' Hugo racontĂ©, n'Ă©taient pas de ces acadĂ©mies avares qui n'ont pour la poĂ©sie qu'un seul prix ils en avaient sept \ » En 1819, l'AcadĂ©mie toulousaine avait bien plus de sept prix Ă  donner aux poĂštes. Et d'abord, elle avait Ă  distribuer, comme prix de l'annĂ©e, l'ama- rante d'or, la violette d'argent, le souci d'argent et le lis d'argent. Outre ces quatre prix annuels ^, l'AcadĂ©- mie avait dĂ©cidĂ© de dĂ©cerner, comme prix extraor- dinaire, un lis Vor Ă  l'auteur de la meilleure ode sur le BĂ©tablissernent de la statue de Henri IV. Enfin, elle avait de plus Ă  sa disposition, comme prix rĂ©servĂ©s des concours prĂ©cĂ©dents, quatre amarantes d'or, deux lis d'argent, deux violettes d'argent et un souci d'argent. L'AcadĂ©mie, au concours de 1819, n'avait donc pas moins de quatorze prix Ă  distribuer ! Les trois piĂšces envoyĂ©es aux Jeux-Floraux par Vic- tor Hugo Ă©taient les Derniers bardes, les Vierges de Verdun et le RĂ©tablissement de la statue de Henri IV. Les Derniers bardes, poĂšme dans le goĂ»t d'Ossian, n'obtinrent qu'une simple mention ; mais les deux autres piĂšces furent couronnĂ©es. Le 3 mai 1820, un nouveau succĂšs viendra confirmer cet Ă©clatant dĂ©but ; une troisiĂšme fleur viendra s'ajouter aux deux pre- miĂšres, 1 Victor ffiifjo racontĂ©, etc., t. I, 413. 2 Les Jeux-FlorauK disposent chaque annĂ©e d'une cinquiĂšme fleur, rĂ©glan- tine d'or, rĂ©servĂ©e au meilleur discours en prose sur un sujet donnĂ© par rAcadĂ©mio. 12 i VICTOR nuGO avant 1830 Et les fruits passeront la promesse des fleurs ^ ! Les Vierges de Verdun, lisons-nous dans Victor Hugo racontĂ©, eurent l'amarante d'or -. » C'est une petite erreur. Elles eurent seulement ce qu'on appelle, dans le langage des Jeux-Floraux, une amarante rĂ©- servĂ©e, c'est-Ă -dire un prix infĂ©rieur d'un degrĂ© Ă  l'a- marante d'or pure et simple, qui est le vrai prix de l'Ode ^. Il faut reconnaĂźtre que les juges toulousains Ă©taient Ă©trangement difficiles, et l'on a peine Ă  com- prendre qu'ils aient refusĂ© le prix de l'annĂ©e Ă  cette piĂšce dans laquelle le poĂšte a trouvĂ© des accents dignes de ces vierges innocentes, Martyres dont l'encens plaĂźt au martyr divin ! Encore bien que le sujet du RĂ©tablissernent de la sta- tue de Henri IV eĂ»t Ă©tĂ© proposĂ© par l'AcadĂ©mie, Victor Hugo, en le traitant, avait bien moins rempli un pro- gramme de commande qu'il n'avait obĂ©i Ă  sa propre inspiration. Le 13 aoĂ»t 1818, le jour oĂč la statue Ă©tait sortie de la fonderie royale du faubourg du Roule, et, traĂźnĂ©e par quarante jeunes bƓufs, avait Ă©tĂ© dirigĂ©e vers le Pont-Neuf, par l'allĂ©e de Marigny et les quais, Ă  un certain moment l'Ă©norme bronze avait refusĂ© d'avancer. DĂ©telant alors les bƓufs, la foule s'Ă©tait jetĂ©e aux roues, au timon, Ă  l'arriĂšre, et avait elle-mĂȘme portĂ© 1 Malherbe. 2 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. I, p. 414. 3 Rectifil lie l'AcadĂ©mie des annĂ©e 1810. VICTOR HUGO AVANT 1830 125 triomphalement jusqu'Ă  la hauteur du Louvre la statue du bon Henri Accingunt omnes operi, pedibusque rotarum Subjiciunt lapsus, et stuppea vincula collo Intendant Pueri circum innuptƓque puelUe Sacra canunt, funemque manu contingere gaudent K Au premier rang tigurait le jeune Victor Hugo qui a rappelĂ© ce souvenir dans l'une des strophes de son ode Par mille bras traĂźnĂ©, le lourd colosse roule. Ah ! volons, joignons-nous Ă  ces efforts pieux. Qu'importe si mon bras est perdu dans ta foule ? Henri ma voit du haut des cieux. Gomment s'Ă©tonner qu'aprĂšs avoir Ă©tĂ© acteur dans cette belle journĂ©e, il l'ait cĂ©lĂ©brĂ©e avec un sincĂšre enthousiasme, et que ses vers, Ă©crits de verve, aient Ă©tĂ© composĂ©s en une nuit ? Voici les dĂ©tails que je trouve, Ă  ce sujet, dans la notice de Sainte-Beuve Mme Hugo Ă©tait malade d'une fluxion de poitrine, et chacun de ses fils la veillait Ă  son tour. La nuit du 5 au 6 fĂ©vrier 1819, c'Ă©tait le tour de Victor. Sa mĂšre qui tenait beaucoup car elle y croyait dĂ©jĂ  Ă  la gloire future de son fils, regretta qu'il eĂ»t laissĂ© passer un concours sans s'y essayer les piĂšces, en effet, devaient ĂȘtre envoyĂ©es Ă  Toulouse avant le 15, et il aurait fallu que Victor eĂ»t expĂ©diĂ© la sienne dĂšs le lendemain matin pour qu'elle pĂ»t arriver Ă  temps. La malade s'endormit sur ce regret, et le lendemain, au rĂ©veil, elle trouva pour bonjour l'ode pieuse composĂ©e Ă  son chevet, et le papier, mouillĂ© de ses larmes de mĂšre, partit dans la journĂ©e mĂȘme 2. 1 Virgile, .-En.. 1. II. 2 Borne ries Deux Mondes. 1831, t. III, p. 247. 126 VICTOR nUGO AVANT 1830 II Parmi les rivaux que A'ictor Hugo allait rencontrer en face de lui dans ce concours, il en Ă©tait un qui, certes, Ă©tait digne de lui disputer le lis d'or. Alphonse de Lamartine, encore inconnu, mais dĂ©jĂ  ĂągĂ© do vingt-huit ans, avait rĂ©pondu, lui aussi, Ă  l'appel de l'AcadĂ©mie de Toulouse. Il Ă©crivait de Milly, Ă  son ami Aymon de Virieu, le 10 aoĂ»t 1818 Pendant ma courte paralysie, j'ai composĂ© rapidement, par circonstance, une ode sur le rĂ©tablissement de la statue d'Henri IV au Pont-Neuf, que j'enverrai aux Jeux-Floraux qui ont proposĂ© ce prix-lĂ  aprĂšs l'AcadĂ©mie de MĂącon. Comme j'avais entendu tant de ces odes ici, oĂč personne ne faisait parler Henri IV en roi, cela m'a fait penser Ă  essayer de le faire; je ne sais pas encore si mon ode vaut guĂšre mieux que les leurs. Je m'en vais t'en envoyer quelques strophes pour que tu m'en fasses passer ton avis ; car il n'y a personne dans ce pays qu'on puisse entretenir de vers, ou qui les sente le moins du monde. ..... Cela commence par une longue comparaison Ă  la ma- niĂšre homĂ©rique Quand la lance d'Achille, aprĂšs tant de batailles, De la ville d'Hector eĂ»t forcĂ© les murailles Et ravi des Troyens le saint palladium. Le nautonier, voguant sur les flots du Bosphore, Des yeux cherchait encore Le palais de Priam et les tours d'ilium Surpris, il approchait, et la rive dĂ©serte. De silence et de deuil, hĂ©las ! partout couverte, VICTOR HUGO AVANT 1830 127 Ne rĂ©sonnait au loin que du seul bruit des flots ; Mais au moins ces dĂ©bris, dans leur triste Ă©tendue, DĂ©couvraient Ă  la vue, PrĂšs du tombeau d'Hector, les urnes des hĂ©ros ! Mais nous ! — Quand le vieillard sur les bords delĂ  Seine S'assied en soupirant, et tristement promĂšne Ses yeux accoutumĂ©s aux splendeurs de nos rois, Il voit sortir de l'onde une citĂ© superbe, Et cherche en vain sous l'herbe Une tombe, un dĂ©bris, une ombre d'autrefois ! Quoi ! ce peuple, dit-il, nouveau fils de la gloire, N'a-t-il donc point d'aĂŻeux au temple de MĂ©moire ? Dans les fastes du monde est-il nĂ© d'aujourd'hui ? A-t-il rĂ©pudiĂ©, dans sa fiertĂ© sauvage, L'immortel hĂ©ritage Que vingt siĂšcles de gloire ont amassĂ© pour lui? Le vieillard se plaint ainsi, et Henri IV lui apparaĂźt Ă  la mĂȘme place oĂč Ă©tait son bronze. De son coursier de feu l'ondoyante criniĂšre, Secouant la lumiĂšre. Frappe de mille Ă©clairs les yeux du vieux Français. Henri IV lui promet son retour avec le retour de ses fils, etc. Penses-tu que ma gloire ait ressenti l'atteinte Des coups qu'ils ont portĂ©s Ă  cette image sainte Que leur volage amour adorait autrefois ? Non, leur lĂąche courroux, dans la demeure sombre, A rĂ©joui mon ombre ! La liaine des pervers est l'Ă©loge des rois ! 128 VICTOR HUGO AVANT 1830 Qu'ils tremblent cependant ! Tel que m'ont vu leurs pĂšres Dans mes mains tour Ă  tour clĂ©mentes ou sĂ©vĂšres Serrant le fer vainqueur, arbitre de leur sort, Tel, Ă  la place mĂȘme oĂč ta douleur m'implore. Ils me verront encore PrĂ©senter Ă  leur choix le pardon ou la mort ! Dans son bonheur d'un jour l'iniquitĂ© sommeille. Mais, la foudre Ă  la main, la vengeance l'Ă©veille; Le nĂ©ant engloutit tous ces crimes perdus, Et, comme un astre fixe allumĂ© par Dieu mĂȘme, La justice suprĂȘme Se lĂšve sur le monde et ne se couche plus ! Il dit la Seine au loin frĂ©mit ; le Louvre antique, Reconnaissant les sons de la voix prophĂ©tique, Incline en tressaillant ses superbes crĂ©neaux ; Et le temps se hĂąta d'enfanter la journĂ©e OĂč de la destinĂ©e L'arrĂȘt avait marquĂ© le retour du hĂ©ros * Ăź Dans son livre sur Mgr Gerbet, M. l'abbĂ© de Ladoue nous apprend que le futur auteur de VEsqidsse de Rome chi^Ă©tienne, — l'un de nos meilleurs Ă©crivains, au jugement de Sainte-Beuve . lequel ajoute sans y prĂ©tendre, l'abbĂ© Gerbet e;^ t poĂšte ^, » — a com- posĂ©, lui aussi, en 1818, une piĂšce de vers sur le RĂ©tablissement de la statue de Henri IV. De cette mĂȘme inspiration, dit M. l'abbĂ© de Ladoue, sortit la piĂšce qu'il adressa Ă  l'AcadĂ©mie française qui avait fait appel Ă  tous les sentiments poĂ©tiques des Fran- 1 Correspondance de Lamartine, t. II, p. 213. 2 Causeries du lundi, t. VI, p. 317. VJCTOU IILGO AVANT 1830 129 çais pour cĂ©lĂ©brer le rĂ©tablissement de la statue du plus populaire de nos rois. » L'AcadĂ©mie française n'ayant jamais mis ce sujet au concours, c'est sans doute Ă  l'AcadĂ©mie des Jeux-Floraux que le jeune Gerbet avait envoyĂ© sa piĂšce. Elle n'a pas Ă©tĂ© im- primĂ©e ; mais les amis de l'auteur en avaient retenu plus d'un fragment, la premiĂšre strophe, entre autres, qui ne manque ni de mouvement ni de grandeur Dans mon essor perçant la nue, J'affronte le flambeau du jour ; PortĂ© sur une aile inconnue, Je vole au cĂ©leste sĂ©jour. La terre a fui, les cieux s'entr'ouvreul, Mes regards Ă©tonnĂ©s dĂ©couvrent, Dans un jour pur et radieux, Le monde, aux mortels invisible, OĂč, sur un trĂŽne inaccessible, Repose le maĂźtre des dieux K Ni Lamartine ni l'abbĂ© Gerbet ne furent couronnĂ©s. Le lis .Vor fut dĂ©cernĂ© d'une voix unanime Ă  Victor Hugo. Son ode souleva parmi les maint eneurs un enthousiasme dont nous retrouvons l'Ă©cho dans la lettre suivante qu'Alexandre Soumet adressa de Toulouse au jeune laurĂ©at Toulouse. Depuis que nous avons vos odes, Monsieur, je n'entends parler autour de moi que de votre beau talent et des prodi- gieuses espĂ©rances que vous donnez Ă  notre littĂ©rature. Si l'AcadĂ©mie partage mes sentiments, Isaure n^aura pas assez i Mgr Gerbet» sa viOi sea Ɠuc/es et l'ccoĂźe MeiuzisiennCi pai' M. TabbĂ© de Ladoue, t. I, p. Ăź^. 130 VICTOR UUGO AYANT 1830 de couronnes pour les deux frĂšres. Vos dix-sept ans ne trou- vent ici que des admirateurs, presque des incrĂ©dules. Vous ĂȘtes pour nous une Ă©nigme dont les Muses ont le secret. Au mois de fĂ©vrier 1820, Victor Hugo cĂ©lĂ©bra ses dix-huit ans en Ă©crivant MoĂŻse sur le Nil ; il l'envoya aux juges de Toulouse, qui accordĂšrent Ă  la piĂšce une amarante d'or rĂ©servĂ©e, et qui, par lettre du 28 avril, nommĂšrent l'auteur maĂźtre es jeux-floraux. 11 fut proclamĂ© sous ce titre, dans la sĂ©ance du 3 mai ^ III Toulouse la Romaine oĂč, dans des jours meilleurs. J'ai cueilli tout enfant la poĂ©sie en fleurs Ainsi s'exprimait Victor Hugo, dix ans plus tard^, dans les Feuilles cV automne. Nous aussi, nous nous complaisons au souvenir de ces jours meilleurs, et nous allons complĂ©ter ici l'histoire de ses relations avec l'AcadĂ©mie des Jeux-Floraux. f]n 1820, il lui avait adressĂ©, en mĂȘme temps que l'ode de MoĂŻse sur le Nil, une hĂ©roĂŻde intitulĂ©e le Jeune banni Raymond Ă  Emma, et une idylle, les Deux Ăąges. Ces deux piĂšces furent mentionnĂ©es. En 1821, reçu maĂźtre es jeux, il n'avait plus le droit de concourir, mais il paya son tribut Ă  l'AcadĂ©mie avec son ode sur Quiberon, slii sujet de laquelle il * Le Consercateur littĂ©raire, t. II, p. 118. VICTOR HUJO AVANT 1830 131 Ă©crivait Ă  son aini Jules de RessĂ©guier, le 21 Je serai Ă©ternellement reconnaissant Ă  l'AcadĂ©mie de son indulgence. J'ai tĂąchĂ© de le lui prouver en lui faisant, pour Tune de ses sĂ©ances publiques, une ode sur Quiberon, que j'aurai incessamment l'honneur d'envoyer Ă  cet excellent M. Pinaud, qui aura aussi toujours une bien grande place dans mes affections. Je l'ai faite de mon mieux je regrette d'ĂȘtre de ces hommes dont le mieux est encore si loin d'ĂȘtre bien ; mais j'espĂšre qu'elle aura quelque prix aux yeux de l'AcadĂ©mie, sinon par le talent, du moins par les efforts de l'auteur. Cet excellent M. Pinaud, dont le nom revient dans toutes les lettres de Victor Hugo Ă  Jules de RessĂ©- guier, Ă©tait le secrĂ©taire perpĂ©tuel de l'AcadĂ©mie dos Jeux-Floraux. IncarcĂ©rĂ© pendant la Terreur, liĂ©, au sortir de prison, avec Bernardin de Saint-Pierre, il menait de front l'Ă©tude des lettres et celle du droit. Sous la Restauration, successivement avocat gĂ©nĂ©ral et conseiller Ă  la cour royale de Toulouse, puis pro- cureur gĂ©nĂ©ral Ă  Metz, c'est Ă  ce dernier poste que le trouva la rĂ©volution de Juillet. 11 donna sa dĂ©mission au mois d'aoĂ»t 1830. En 1822, je trouve deux autres envois du poĂšte aux Jeux-Floraux. J'enverrai peut-ĂȘtre cette annĂ©e, Ă  l'AcadĂ©mie, Ă©crit-il le 17 janvier 1822, une ode sur 1 ;M. le comte Albert de RessĂ©guior a inid Ă  notre disposltiou, avco une bonne grĂące dont nous ne saurions trop lui tĂ©moigner notre gratitude, les nombreuses lettres de Victor Hugo Ă©crites Ă  son pĂšre, le comte Jules' de RessĂ©guier, l'un des poĂštes les plus distinguĂ©s de la pĂ©riode romantique. '13i V1CT0]Î IIL'GO AVANT 1830 le DĂ©oouemoil dans la peste. Au moins ne renfermera- t-elle aucun sentiment politique *. » Le 3 avril, il adresse sa piĂšce Ă  Jules de RessĂ©guier. Maintenant, lui dit-il , elle vous appartient ; donnez-lui le titre qu'il vous plaira. Je l'ai intitulĂ©e Barcelone, afin de la rattacher aux Ă©vĂ©nements rĂ©cents, quoique le sujet soit rĂ©ellement ce type moral, et par consĂ©- quent lyrique, le DĂ©vouement dans la peste ^. » Et le 19 avril ecazes, et l'un des secrĂ©taires de la Cliambre des dĂ©putĂ©s Ă  la sessioQ de 1819. VICTOR HUGO AVANT 1830 149 Ou Bar**te S Ă©ludant un orateur chagrin, Vivre en prince, aux dĂ©pens de vingt commis sans pain ; a J'admirais avec vous tous ces nobles courages, Par qui le trĂŽne enfin survit Ă  tant d'orages ; Et lorsqu'un pair voulut, pour la France alarmĂ©e -, Voir le SĂ©nat du peuple aux factieux fermĂ©, u Je blĂąmais cette loi qu'osait flĂ©trir son zĂšle, u Et je parlais pour lui, tout en votant pour elle. » On se quitte, et notre homme, en l'ardeur qui l'enivre. Contre les libĂ©raux dĂ©jĂ  rĂȘve un gros livre. TĂ©lĂ©graphe ! ĂŽ quel coup pour son cƓur affligĂ© ! HĂ©las ! le lendemain ton langage est changĂ© Que fera Varius ? pensez-vous qu'il balance ? Varius haletant court chez Son Excellence, Il sort tout radieux, et sans perdre^ un instant, Va courtiser Etienne, et saluer Constant. Il fuit ces Ă©migrĂ©s, Ă  face fĂ©odale ; Leur ombre est un flĂ©au, leur luxe est un scandale. La PiCnommĂ©e ^, enfant qui languit nouveau-nĂ©. Doit Ă  sa jeune ardeur un centiĂšme abonnĂ© ; 1 Le baron de Barante, conseiller d'Etat, avait Ă©tĂ© nommĂ© pair de France, par ordonnance du 5 mars 1819. M, de Barante Ă©tait un des dĂ©fenseurs les plus ardents et en mĂȘme temps les plus habiles du ministĂšre Decazes. 2 Le 20 fĂ©vrier 1819, le marquis de BarthĂ©lĂ©my, pair de France, avait demandĂ© Ă  ses collĂšgues de prendre une rĂ©solution en vertu de laquelle le roi serait humblement suppliĂ© de prĂ©senter aux Chambi'cs un projet de loi tendant Ă  faire Ă©prouver Ă  l'organisation des collĂšges Ă©lectoraux les modifi- cations dont la nĂ©cessitĂ© paraĂźtrait indispensable. AdoptĂ©e Ă  la Chambre des pairs, le 2 mars 1819, par 98 voix contre 55, la proposition BarthĂ©lĂ©my fut combattue, Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s, par M. Royer-Collard et par M. de Serre et repoussĂ©e dans la sĂ©ance du 23 mars, par 123 voix contre 94. 3 La RenommĂ©e, feuille libĂ©rab, fondĂ©e le lo juin 1819, et rĂ©unie au Courrier français, le 15 juin 1820. Elle comptait parmi ses rĂ©dacteurs Benja- min Constant. 150 VICTOR HUGO AVANT 1830 11 lit jusqu'Ă  Tissot *, souscrit pour Sainneville ^, Et pare son salon d'un plan du champ d'asile. VillĂšle est, Ă  l'entendre, un fanatique ardent, De Pradt sait le français, FiĂ©vĂ©e est un pĂ©dant 3 ; Les nobles, le clergĂ© sont faits pour nos insultes. Il faut un protestant pour ministre des cultes En un mot, Monseigneur, qu'il vit liier au bain, Veut qu'on soit libĂ©ral il s'est fait jacobin. Rien ne l'arrĂȘte ; il ose, et sans art et sans honte, Flatter l'abbĂ©-barou, excuser l'abbĂ©-comte ^ ; Devant leurs valets mĂȘme il met bas son chapeau ; Car enfin un boucher peut devenir bourreau s. Et le jeune poĂšte, — se doutait-il alors qu'il chan- gerait aussi souvent d'opinions que cet excellent M. A^vRius ? — terminait par ces vers Moi qui dans tout excĂšs cherche un juste Ă©quilibre, Loin des IndĂ©pendants je prĂ©tends vivre libre ; 1 Tissot, rĂ©dactoup du ConstUutionnel et du Mercure, terroriste sous lu rĂ©publique, Ă©crivain officieux sous l'empire, habile homme du reste qui, sans autre titre qu'une mĂ©diocre traduction en vers des Bucoliques de Vir- gile, trouva moyen de se faire nommer professeur de poĂ©sie latine au Col- lĂšge de France et membre do rAcadĂ©mie française. 2 JI. de Sainneville, commissaire gĂ©nĂ©ral de police Ă  Lyon, lors des Ă©vĂ©- nements qui avaient eu lieu dans cette ville et dans le dĂ©partement du RhĂŽne en 1817, et auteur de plusieurs Ă©crits dans lesquels il attaquait vio- lemment le gĂ©nĂ©ral Canuel et les, autres autoritĂ©s royalistes de Lyon. 3 FiĂ©vĂ©e, publiciste, moraliste, observateur, Ă©crivain froid, aiguisĂ© et mordant, trĂšs distinguĂ©. » Ainsi l'a dĂ©fini Sainte-Be^^e. Il Ă©tait en 1810 Tun des rĂ©dacteurs principaux du Consermiteur. 4 L'abbĂ© baron Louis et l'abbĂ© comte GrĂ©goire. 5 TĂ©moin cet habitant de Versailles, d'abord boucher, puis dĂ©putĂ© Ă  la Convention et rĂ©gicide. Les crimes de cet homme furent grands ; mais nous croyons devoir ajouter que son repentir les a sinon effacĂ©s, du moins rendus pardonnables. » Note de M. Victor Hugo. Legendre, 1 oucher, conventionnel et rĂ©gicide, n'Ă©tait point un habitant de Versailles; il Ă©tait dĂ©putĂ© de Paris et vdenipurait rue des Roucheries-Saint-Oermain. vicTon HUGO avant 1830 151 Heureux si, par relĂŻ'roi de raes hardis pinceaux, Je fais rugir le crime et grimacer les sots. Je veux, eu flĂ©trissant leur audace impunie, Adorer la vertu, rendre hommage au gĂ©nie ; Car le temps d'AzaĂŻs a vu naĂźtre Bonald, Et s'il fut plus d'un Brune, il est un Macdonald. ^'engeur des VendĂ©ens S je t'admire et je t'aime ; Mais le talent m'est cher dans un HbĂ©ral mĂȘme^ Etienne ^ me fait rire, et parfois j'applaudis, Dans l'Ermite dĂ©chu, l'esprit qu'il eut jadis 3. Aussi, gaiement je siffle, atĂźi"ontant leur colĂšre, Rover Ă  la tribune et Bavoux dans sa chaire ^ ; Au cou de Rodilard j'attache le grelot, Et du Joonnet d'HĂ©bert je coiffe Montar *** 5. Quand GrĂ©goire au SĂ©nat vient remphr un banc vide s. Je le hais libĂ©ral, je le plains rĂ©gicide. Et s'il pleurait son crime, au lieu de s'estimer. S'il s'exĂ©crait lui-mĂȘme, oui, je pourrais l'aimer. 1 Chateaubriand, 2 Etienne, auteur de la comĂ©die des Deux Gendres, publiait dans la Mi- nerve française des Lettres sur Paris qui Ă©taient trĂšs remarquĂ©es. 3 M, de Jouy qui, aprĂšs avoir brillamment rĂ©ussi avec YHermite de la ChaussĂ©e-d'Antin 1812-1814, faisait alors paraĂźtre, avecun succĂšs mĂ©diocre, VHermite en province. 4 Nicolas Bavoux, juge supplĂ©ant au tribunal civil de la Seine, et profes- seur supplĂ©ant Ă  la FacultĂ© de droit, avait Ă©tĂ© suspendu de ses fonctions de professeur, le l"' juillet 1819, par la commission de l'instruction publique, Ă  la suite de dĂ©sordres graves dont l'Ecole de droit avait Ă©tĂ© le théùtre. ^ Cugnot de Montarlot, ancien sous-officier et l'un des adversaires les plus implacables du gouvernement de la Restauration. ImpliquĂ© en 1817 dans le procĂšs de la SociĂ©tĂ© du Lion dormant, poursuivi en 1819 comme gĂ©rant du Nouvel homme gris, en 1820 comme auteur d'une brochure publiĂ©e quelques jours aprĂšs l'assassinat du duc do Berry, et, en 1821, comme affiliĂ© Ă  la Conspiration de l'Est, il passa Ă  cette Ă©poque en Espagne, oi'i, sous le nom de don Carlos de Malsot, il conspira contre Ferdinand comme il l'avait fait contre Louis XVIII. Il fut condamnĂ© Ă  mort par une commission mil taire et fusillĂ© Ă  AlmĂ©ria en Andalousie, le 24 avril 1824, 6 L'abbĂ© GrĂ©goire, Ă©lu dĂ©putĂ© de l'IsĂšre au mois de septembre 1819. 152 VICTOR HUGO AYANT 1830 Ainsi, jeune et brĂ»lant d'un courroux qui m'honore, Je fronde un siĂšcle impur, censeur sans tache encore, Qui ne saura jamais, peu fait pour parvenir, Dans l'esclave en faveur voir le maĂźtre Ă  venir. Toi cependant, aux lois de ta langue inconnue Courbe ton front bizarre, Ă©lancĂ© dans la nue. Poursuis, cher TĂ©lĂ©graphe, agite tes grands bras Semblable Ă  ce baron, fameux par son fatras, Qui, grattant son cerveau, l'Ɠil en pleurs, le teint blĂȘme, Annonce un grand secret, qu'il ne sait pas lui-mĂȘme ^ Le jeune homme qui dĂ©butait dans la satire parles vers que l'on vient de lire, en mĂȘme temps qu'il composait des Odes comme les Vierges de Verdun, \esDesti7is de la VendĂ©e^ le RĂ©tablissement de la statue de Henri IV et MoĂŻse sur le Nil, Ă©tait de ceux qui pour leurs coups d'essai veulent des coups de maĂźtre, et Alexandre Soumet n'exagĂ©rait rien lorsqu'il par- lait, dans la lettre que nous citions tout Ă  l'heure, des prodigieuses espĂ©rances que le poĂšte de dix-sept ans donnait Ă  notre littĂ©rature. Au commencement de 1820, Soumet vint Ă  Paris, et l'une de ses premiĂšres visites fut pour Victor Hugo. Voici en quels termes il en rend compte Ă  son ami Jules de RessĂ©guier, qui Ă©tait restĂ© Ă  Toulouse i baron Bignon, membre de la Chambre des dĂ©putĂ©s, ancien ministre des affaires Ă©trangĂšres du gouvernement provisoire juin-juillet 1815. se van- tait de possĂ©der un secret de nature Ă  porter un coup accablant au gouver- nement royal. SommĂ© de le produire, p ir MM. Decazes et de Serre, il s'y refusa. SĂ©ance du 19 juin 1819. On fil grand bruit, sous la Restauration, du Sicret de M. Bignon beaucoup de bruit pour rien. — Voyez Alfred Nette- ment, Histoire de la Restauration , t. III, p. 64, 400 et 660 ; t. V, p. 114 et suivantes. VICTOR HUGO AVAiXT 1830 lo3 Paris, samedi. Vous aurez peut-ĂȘtre appris, mon ami, la cause de mon voyage Ă  Paris ; elle Ă©tait bien triste puisqu'elle m'a forcĂ© de quitter Toulouse sans chercher Ă  dire adieu Ă  mes amis ; mais j'ai retrouvĂ© ici votre souvenir. — Vous faites presque partie de notre cercle poĂ©tique. L'Ă©loge de ClĂ©mence Isaure a rĂ©vĂ©lĂ© partout le troubadour, et vous avez gardĂ© pour vous plus d'une fleur de sa corbeille. — J'ai entendu des vers ravissants d'un jeune homme nommĂ© Alfred de Vigny. C'est une Ă©lĂ©gie intitulĂ©e le Somnambule et inspirĂ©e par la muse d'AndrĂ© ChĂ©nier i. Je la demanderai pour vous, afin que mes admirations soient aussi les vĂŽtres. — On a osĂ© me dire beaucoup de mal de Lamartine, et je l'ai dĂ©fendu avec votre suffrage autant qu'avec le mien. On l'appelle le poĂšte des pj'osateurs, et l'on ne se doute pas de l'Ă©loge que renferme ce jugement. Le jeune Hugo vous adresse mille expressions de sa recon- naissance. Je lui ai promis de vous les faire parvenir. Cet enfant a une tĂȘte bien remarquable, une vĂ©ritable Ă©tude de Lavater. Je lui ai demandĂ© Ă  quoi il se destinait, et si son intention Ă©tait de suivre uniquement la carriĂšre des lettres. 11 m'a rĂ©pondu qu'il espĂ©rait devenir un jour pair de France... et il le sera ! Avant de quitter Toulouse, mon ami, j'ai laissĂ© pour vous quelques brouillons de poĂ©sie. Si vous voulez les demander vous-mĂȘme Ă  mon pĂšre, il vous les remettra, et vous me direz votre pensĂ©e ; mais ne les montrez Ă  personne. ... Votre chĂąteau s'Ă©lĂšve-t-il toujours aussi rapidement ? Comme vous y serez bien !... Xe faites pas le voyage d'Itahe, n'allez pas aux rives lointaines, restez sous vos orangers et renfermez comme Horace de longues espĂ©ranees dans un eercle * Voy, cette piĂšce dans les PoĂšmes coifiques et nindernes. d'Alfred Ai Vignv, 151 VIOTOU IllCid AVANT I HIÎO Ă©troit. Horace offrait des sacrifices au gniie du lieu; vous avez aussi votre bon gĂ©nie Ă  adorer. Adieu, embrassez pour moi vos enfants... A. Soumet. Si vous pouvez m'envoyer une lettre de recommandation de M. de VillĂšle pour M. de Serre, ministre de la justice, vous me ferez plaisir. Je chercherai, peut-ĂȘtre, Ă  rentrer au conseil d'Etat ou dans quelque administration... Guiraud est de moitiĂ© dans tous mes souvenirs. Rue Saint-HonorĂ©, ??» 341, HĂŽtel de la Grande -Bretaçine ^. Ainsi Victor Hugo est encore un enfant, et dĂ©jĂ  il aspire Ă  la pairie. Ses premiers regards se tournent, non vers le palais Mazarin, mais vers le palais du Luxembourg. S'il est entrĂ© dans la carriĂšre des let- tres, c'est avec le dessein d'en sortir. Pour lui, poĂšte, la poĂ©sie ne vient qu'au second rang ; d'abord et avant tout, la politique. Et voilĂ  pourquoi les prodi- gieuses espĂ©rcoices que ses dĂ©buts avaient fait conce- voir, ne se rĂ©aliseront pas tout entiĂšres. 1 Nous devons l,i conimiinicatlon lio rctto lettre Ă  M. lo comte Albert d\\v le TĂ©lĂ©graphe. VICTOR IICGO AVANT 1830 157 Il y a, dans celle honorable entreprise, quelque chose de plus intĂ©ressant, de plus touchant encore, c'est son motif, dont MM. Hugo, que nous n'avons point l'avantage de connaĂźtre, nous pardonneront de rĂ©vĂ©ler ici le secret. L'Ă©ducation de ces intĂ©ressants jeunes gens a Ă©tĂ© dirigĂ©e par une mĂšre distinguĂ©e, qui a pensĂ© de bonne heure que de bons principes et des talents formaient la seule fortune qui pĂ»t ĂȘtre Ă  l'abri des rĂ©volutions, la seule arme avec laquelle on put, non pas se dĂ©fendre de l'envie, de la calomnie, mais les braver. Maintenant, fils reconnaissants, ils essayent d'acquit- ter une dette aussi sacrĂ©e que douce. Ils doivent Ă  leur mĂšre une seconde vie ; ils veulent soutenir, embellir la sienne ; et, pour y parvenir, ils unissent la fraternitĂ© du talent Ă  la frater- nitĂ© du sang. Heureux jeunes gens d'avoir une mĂšre qui ait senti le prix de l'Ă©ducation ! Heureuse mĂšre de voir ainsi cou- ronner ses soins ! Outre l'utilitĂ© et la bonne rĂ©daction du Conservateur littĂ©- raire, c'est donc la piĂ©tĂ© filiale et fraternelle qui le recommande Ă  tous les gens de bien. Il est difficile qu'une entreprise de cette nature paraisse sous de plus heureux et de plus touchants auspices... Nous aimons Ă  le rĂ©pĂ©ter, disait en terminant Fauteur de l'article, M. F. Agier, il est consolant, il est rassurant pour l'avenir de voir cette foule de jeunes gens qui aiment les let- tres pour elles-mĂȘmes, et non pour flĂ©trir, en les vendant au pouvoir, les premiĂšres faveurs qu'ils en reçoivent. Lorsque le culte qu'on leur adresse est pur, elles se montrent gĂ©nĂ©reuses ; car alors c'est dans leur sein que se forment les grands talents et que se prĂ©parent les grands caractĂšres *. Le Conservateur littĂ©raire, dont le premier numĂ©ro est du mois de dĂ©cembre 1819 et le dernier du mois de mars 1821, paraissait deux fois par mois, en une i Le Corner oateur, t. VI. p. 401. iriS VICTOI? Illi0 AVANT \HHi^^ livraison do 40 pages in-8°, qui portait cotte Ă©pi- graphe, empruntĂ©e Ă  VArl poĂ©f'irpm d'Horace FuDgar vicecotis, acutum Reddere qua? ferrum valet, exsors ipsa secandi. Chaque livraison commence par une ou plusieurs piĂšces de vers viennent ensuite des articles de cri- tique littĂ©raire, un article sur les spectacles et des VariĂ©tĂ©s et nouvelles littĂ©raires V Sainte-Beuve, — aprĂšs M. Agier, — a commis une erreur lorsqu'il a dit EugĂšne et Victor Ă©taient les rĂ©dacteurs assidus de ce journal... Les nombreux ar- ticles de critique dans lesquels EugĂšne juge les ou- vrages et les drames nouveaux respirent une cons- cience profonde et accusent un retour pĂ©nĂ©trant sur lui-mĂȘme, un souci comme effarĂ© de l'avenir ^. » L'erreur de Sainte-Beuve vient de ce qu'il a cru pou- voir attribuer Ă  EugĂšne Hugo les nombreux articles du Conservateur littĂ©raire signĂ©s E. Ces articles sont de Victor, ainsi que nous l'Ă©tablirons tout Ă  l'heure ; EugĂšne n'Ă©crivait pas dans le recueil fondĂ© par ses frĂšres. Nous trouvons, on effet, dans la huitiĂšme li- vraison, la note suivante Les rĂ©dacteurs du Conservateur littĂ©raire avaient dĂ©clarĂ©, dans la 7e livraison, qu'ils continueraient Ă  garder Tanonyme, comme ils l'ont cru devoir faire jusqu'ici. Cependant, un ar- 1 Les exemplaires complets du Cnnst^rvateur littĂ©raire sont devenus ex- trĂȘmement rares. Celui dont je me suis servi pour le travail que l'on va lire m'a Ă©tĂ© oommuniquĂ© par M. de la SicotiĂšre, sĂ©nateur de l'Orne, dont la bibliothĂšque est si riche, rĂ©rudition si sure, l'obligeance si parfaite. 2 Pnrf raif s contemporains, t. I. p. 402. VICTUll lilliO 1830 L'^ii» iiclc que M. Agier a bien voulu consacrer Ă  leur recueil, dans la 75e livraison du Conservateur, article, du reste, plein d'in- dulgence et de sentiments bienveillants, pourrait faire croire que MM. Hugo frĂšres sont les seuls auteurs du Conservateur littĂ©raire. MM. Hugo il n'est pas inutile d'observer que ileux le ees messieurs seulement, rainĂ© et le plus jeune S eomptent parmi les rĂ©dacteurs, uniquement dons TintĂ©rĂȘt de la vĂ©ritĂ©, nous prient de rectifier cette erreur involontaire. Ils nous in- vitent Ă  faire connaĂźtre qu'ils comptent plusieurs collabora- teurs dont les articles ne sont soumis, comme les leurs, qu'Ă  la censure du conseil de rĂ©daction, composĂ© de la rĂ©union de tous les rĂ©dacteurs. C'est avec regret que les rĂ©dacteurs du Conservateur littĂ©raire se voient encore forcĂ©s d'entretenir d'eux leurs lecteurs, mais c'est avec un bien vrai plaisir qu'ils saisissent cette occasion de remercier publiquement M. Agier de ses Ă©loges et de ses honorables encouragements -. Cette note Ă©tait exacte. Le Conservateur littĂ©raire a seulement insĂ©rĂ© deux piĂšces de vers d'EugĂšne Hugo ÏOde sio- la mort du duc cVEiighien, couron- nĂ©e aux Jeux-Floraux, en 1818, et une traduction de l'ode d'Horace A Thaliarque ^. J'y remarque ce vers Le prĂ©sent est Ă  toi ; l'avenir est aux dieux Ăź Victor Hugo se souvenait-il de ce vers de son frĂšre, lorsqu'il a dit Non l'avenir n'est Ă  personne ! Sire ! l'avenir est Ă  Dieu '* ! Abel Hugo, au contraire, ne laissait guĂšre passer 1 L'aĂźnĂ©, Abel, et le plus jeune, Victor. 2 Le Conservateur littĂ©raire, t. I,p. 320. 3 Horaec, Odes, 1. 1", ode vni. 4 Les Chants fin NapolĂ©on 11. 160 VICTOR HUGO AVANT 1830 de livraison sans y Ă©crire. Ssearticles Ă©taient signĂ©s A. et quelquefois A. H. Plusieurs sont consacrĂ©s aux littĂ©ratures Ă©trangĂšres;, et plus particuliĂšrement cĂ  la littĂ©rature espagnole. Le Conservateur littĂ©raire ren- dait compte de toutes les poĂ©sies qui paraissaient, et il en paraissait tous les jours de nouvelles. Abel et Victor suffisaient Ă  cette lourde charge les odes, les Ă©pitres, les dithyrambes, les satires, relevaient de Victor. Les poĂšmes on en faisait encore en ce temps- lĂ  ressortissaient au tribunal d'Abel, qui a eu Ă  juger tour Ă  jour la Panhypocrisiade, de NĂ©pomucĂšne Lemercier, comĂ©die Ă©pique en seize chants ; la Mas- siliade, de S. Marin, poĂšme Ă©pique en douze chants ; VOrlĂ©anide, de Le Brun des Gharmettes, poĂšme national en vingt-quatre chants, etc., etc. Ces longs poĂšmes n'Ă©taient point pour effrayer Abel Hugo, qui avait entrepris lui-mĂȘme une publication en trente volumes ! Il est vrai que, de ces trente volumes, il n'a paru que le prospectus. On lit dans la vingt- septiĂšme livraison du Conservateur littĂ©raire Le prospectus d'un ouvrage en trente volumes in-8o, inti- tulĂ© le Géßiie du théùtre espagnol, par A. Hugo, se distribue en ce moment, et paraĂźt devoir fixer l'attention du monde littĂ©raire. Cette entreprise, dont l'importance et l'utilitĂ© sem- blent incontestables, a dĂ©jĂ  mĂ©ritĂ© Ă  son auteur une foule de suffrages honorables. Nous voudrions qu'il nous fĂ»t permis d'y joindre le nĂŽtre, motivĂ© sur ce que nous connaissons de ce grand travail ; mais nous nous interdisons cette satisfaction. M. Abel Hugo est notre ami et, de plus, notre collabo- rateur *. 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. HT. p. 2ft7, VICTOR IllGO AVANT 1830 161 Abel Hugo faisait ainsi volontiers de vastes projets que, malgrĂ© un rĂ©el talent et une remarquable facilitĂ© de travail, il ne lui Ă©tait pas toujours donnĂ© de rĂ©aliser. Il a insĂ©rĂ© dans le Conservateur littĂ©raire quatre nouvelles El Viejo, la Naissance de HenrilV, le Combat de taureaux, le Carnaval de Venise, et il annonçait, en tĂ©to de ce dernier rĂ©cit, qu'il Ă©tait extrait d'une suite de compositions, dans lesquelles l'auteur s'est proposĂ© de retracer, d'une maniĂšre dramatique, les coutumes do quelques peuples * ». Encore un projet qui ne devait pas recevoir d'exĂ©- cution ^. Ce que Chateaubriand a fait pour sa sƓur Lucile, pourquoi M. Victor Hugo ne le ferait-il pas pour ses frĂšres ? Pourquoi ne recueillerait-il pas dans l'Ă©dition dĂ©finitive de ses Ɠuvres les vers d'EugĂšne et les nou- velles d'Abel ? La gloire alors serait bien tenue de laisser tomber devant eux ses barriĂšres il leur suffi- rait de dire, comme Hernani De sa suite! J^en suis ; et ils passeraient. Les autres rĂ©dacteurs du Conservateur littĂ©raire Ă©taient Alexandre Soumet, Alfred de Vigny, Ader, Saint-Valry, Adolphe TrĂ©buchet, cousin ger- main des Hugo, J. Sainte-Marie, Gaspard de Pons, etc.; mais aucun d'eux ne donnait au journal une collaboration active et rĂ©guliĂšre ; de loin en loin seulement, ils apportaient, qui une ode ou une Ă©lĂ©gie, qui un article de prose. C'est ainsi qu'Alfred de 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. lU, p. 303. 2 Abel Hueo est mort au mois de fĂ©vrier 18oo, 162 VICTOR mGO avant 1830 Vigny n'a fourni que deux morceaux son joli poĂšme intitulĂ© le Bal ^y et une Ă©tude sur lord Byron, que Sainte-Beuve attribue Ă  tort Ă  Victor Hugo ^. Le poids de la rĂ©daction retombait donc Ă  peu prĂšs tout entier sur Abel et sur Victor, sur ce dernier principalement, qui Ă©tait, dĂšs cette Ă©poque, un travailleur infatigable, et qui, des trois volumes dont se compose la collec- tion du recueil, en a Ă©crit au moins deux Ă  lui seul. Pendant prĂšs de deux ans, il s'est dĂ©pensĂ© lĂ  tout entier. Une part de son Ăąme, de sa jeunesse et de son talent est enfermĂ©e sous la couverture bleue de cette revue oubliĂ©e, comme VĂąme du licenciĂ© Pierre Qarcias, sous la pierre que rencontrĂšrent, en allant de Penafiel Ă  Salamanque, les deux Ă©coliers de Gil Blas. Je ne voudrais pas ressembler au plus jeune de ces Ă©coliers, qui passa outre Ă©tourdiment. J'imiterai, au contraire, son compagnon qui, ayant creusĂ© tout autour de la pierre et l'ayant soulevĂ©e, fut bien rĂ©compensĂ© de la peine qu'il avait prise. Peut-ĂȘtre me sera-t-il donnĂ©, comme Ă  lui, de trouver VĂąme du licenciĂ©. Je sais bien qu'Ă  m'arrĂ©ter, comme je le fais, Ă  chaque dĂ©tour de la route, je m'expose Ă  m'entendre dire par le lecteiu^ Si nous allons ainsi, nous n'arriverons pas. Je ne saurais pourtant lui promettre de marcher 1 PoĂšmes, par A. de V^'gny, 1 822. 2 Portraits contemporains, t. I. p. 401. VICTOR JIUGO AVANT 1830 133 beaucoup plus vile. Ceci n'est point une Ɠuvre didactique, allant directement au but par une route tracĂ©e d'avance ; c'est une causerie, un peu longue, je l'avoue; une sorte de promenade, Ă  travers champs, dans le passĂ©. Nul plus que moi ne respecte et n'ad- mire, — de loin, — le grand chemin battu oĂč passe l'histoire en son carrosse, ce grand chemin qui s'al- longe toujours en ligne droite et d'oĂč sont bannis le buisson d'aubĂ©pine, le liseron et l'Ă©glantier ; mais j'ai un faible pour les sentiers de traverse oĂč l'herbe ' pousse, oĂč fleurit l'anecdote, et oĂč se rencontrent Ă  . chaque pas les petits dĂ©tails inconnus, pareils Ă  ces petites fleurs qui ne rĂ©vĂšlent leurs couleurs et leurs parfums qu'Ă  l'humble piĂ©ton, voyageant Ă  petites journĂ©es, le bĂąton Ă  la main. N'est-il pas, d'ailleurs, plus d'un motif qui nous commande de nous arrĂȘter quelques instants Ă  cet Ă©pisode de la jeunesse de Victor liugo, et de parler, avec quelques dĂ©tails, de la part considĂ©rable prise par lui Ă  la rĂ©daction du journal qu'il avait fondĂ© avec son frĂšre Abel ? Rien de ce qui so rattache aux dĂ©buts de l'auteur des Odes et Ballades ne doit ĂȘtre perdu pour l'histoire littĂ©raire. Nulle part, cependant, on ne trouve de renseignements exacts sur le Conservateur littĂ©raire et sur les nombreux articles que Victor Hugo y a insĂ©rĂ©s. Sainte-Beuve en a bien parlĂ©, en 1831, dans Xdi Biographie des contemporains et dans hi Revue des Deux Mondes ; mais, outre qu'il l'a fait trĂšs briĂšve- ment, on ne retrouve pas dans ces deux ou trois 164 VICTOR HUGO AVANT 1830 pages son exactitude et sa prĂ©cision habituelles *. En 1834, M. Victor Hugo a publiĂ©, sous le titre de LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, un livre qui ren- ferme, s'il faut l'en croire, la collection de tous ses articles de jeunesse ; la vĂ©ritĂ© est qu'il n'en a pas reproduit la dixiĂšme partie, et comme s'il craignait que le lecteur ne remontĂąt Ă  la source et ne rouvrit le Conservateur littĂ©raire, il a soigneusement Ă©vitĂ©, dans sa prĂ©face, de nommer ce recueil. Le TĂ©moin de sa vie est presque aussi discret. Abel, dit-il, eut l'idĂ©e d'une revue qui paraĂźtrait deux fois par mois. Il fonda, avec ses deux frĂšres et quelques amis, le Con- servateur littĂ©raire. Victor y collabora assidĂ»ment. Il y publia Bag-Jargal ; il y lit des vers et de la prose. Tout cela fort royaliste^. » Quatre lignes sur le journal oii Victor Hugo lit ses premiĂšres armes, oĂč il publia ses premiĂšres odes et son premier roman, quatre lignes seulement, alors que l'auteur consacre de lon- gues pages Ă  raconter les jeux de Victor Hugo enfant, Ă  dĂ©crire les combats des veaux et des chiens dans la cour de la pension Gordier ! Il semble qu'autour de Tillustre Ă©crivain on se soucie peu de voir remuer les cendres du Conservateur littĂ©raire. Nous le ferons nĂ©anmoins, non pour y chercher des sujets de querelle, mais afin, au contraire, de dĂ©couvrir les Ă©tincelles de gĂ©nie enfouies sous ces cendres Ă©teintes, afin d'y rallumer la flamme de ces croyances, qui furent celles 1 Portraits contemjiorains, t. I, p. 400-403. 2 Yictor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, t, II, p. 1. VICTOR HUGO AVANT 1830 165 de M. Victor Hugo et qui sont les nĂŽtres, heureux de nous rĂ©chauffer un instant avec lui au mĂȘme foyer. II Victor Hugo, nous l'avons dit, travaillait Ă  lui seul plus que tous ses collaborateurs rĂ©unis. Il est telle livraison de son journal dont tous les articles sont de lui, depuis Tode qui brille Ă  la premiĂšre page jus- qu'aux variĂ©tĂ©s et nouvelles littĂ©raires qui se cachent modestement Ă  la derniĂšre ; d'oĂč la nĂ©cessitĂ© pour lui de varier ses signatures, de recoudra des initiales diverses et Ă  des noms empruntĂ©s, ahn que le lecteur ne s'aperçût pas qu'il avait presque toujours devant lui le mĂȘme rĂ©dacteur. J'ai relevĂ©, au bas d'articles qui lui appartiennent sans conteste, jusqu'Ă  dix signatures diffĂ©rentes, sans compter celle de son vrai nom. Les voici cVAuvernmj ^,— Aristide, — Publicola Petissot, — B, — E, — H, — M, — M***% — V, - U. Les piĂšces de vers qu'il a insĂ©rĂ©es dans le Conser- 1 Aiweniey, petit bourg- de la Loire-InfĂ©rieure, situĂ© Ăč trois lieues de la ville de ChĂątcaubriant, Ă©tait le pays d'origine de la mĂšre du poĂšte. Voyez, au tome III du Conservateur littĂ©raire, le rĂ©cit d'un voyagea Auverneij, signĂ© J. A. dont quelques dĂ©tails semblent pris sur le vil", dont les autres sont tout Ă  fait de fantaisie, et dans lequel on lit > l7o l^ui', une ct'iilaiiios darlicles qui tĂ©moignent d'une rare flexibilitĂ© d'esprit ei d'un talent de prosateur dĂ©jĂ  singuliĂšrement remarquable. La phrase est Ă©lĂ©- gante et correcte, prĂ©cise et vigoureuse. Plus tard, sans doute, dans la prĂ©face de Cromivell et dans Nolre-Damc rĂŻr Paris, la prose du grand poĂšte sera plus haute en couleur, elle acquerra plus de puissance et plus d'Ă©clat ; mais peut-ĂȘtre y a-t il, dans les arti- cles du CoĂŻiservctteiir liftraire, des qualitĂ©s qu'il im- jorte d'autant plus de saluer au passage qu'on ne les reverra plus dans les Ɠuvres de M. Victor Hugo. Bien- tĂŽt, en effet, il ne faudra plus lui demander ce qui brille Ă  chaque page dans ces Ă©crits de sa jeunesse, le naturel et la gaietĂ©, la sincĂ©ritĂ© de l'Ă©motion, la franchise de l'accent. De ces cent articles, dont la moitiĂ© au moins mĂ©ri- teraient d'ĂȘtre tirĂ©s de l'oubli et de ligurer dans l'Ă©di- tion dĂ©hnitive des ƒuvres cojnplĂštes de l'auteur, quelques fragments seulement ont Ă©tĂ© insĂ©rĂ©s par lui dans les deux volumes de LittĂ©ral ure et Philosophie mĂȘlĂ©es. Il les a fait prĂ©cĂ©der d'une prĂ©face intitulĂ©e Bat de cette pablieation, et dans laquelle il s'exiiilme ainsi Ces deux volumes ne sont autre cliose que la collection complĂšte de toutes les notes que l'auteur, dans la route littĂ©- raire et politique qu'il a dĂ©jĂ  parcourue, a Ă©crites çà et lĂ , che- min faisant, depuis quinze ans qu'il marche... En consultant les dates qu'on a eu soin de placer en tĂȘte de tous les fragments, ceux des lecteurs qui se plaisent Ă  ces sortes de comparaison, mĂȘme lorsqu'il s'agit d'ouvrages aussi peu importants que 176 VICTOR HUGO AVANT 1830 celui-ci, pourront voir aisĂ©ment Ă  quelle Ɠuvre de l'auteur, Ă  quel moment de sa maniĂšre, Ă  quelle phase de sa pensĂ©e sur la sociĂ©tĂ© et sur l'art se rattache chacune des divisions de ce livre... On y retrouve, de 1819 Ă  1834, tous les changements successifs de style et de pensĂ©e, toutes les modifications d'opi- nion et de l'orme, tous les Ă©largissements d'horizon politique et littĂ©raire que les personnes qui veulent bien suivre le dĂ©ve- loppement de son esprit ont pu remarquer en gravissant la sĂ©rie totale de ses Ɠuvres... Il livre ce recueil au public en toute franchise et en toute confiance. Le premier de ces deux volumes ne contient que deux divi- sions ; l'une a pour titre Journal des idĂ©es, des opinions et des lectures d'un jeune jacobite de 1819 ; l'autre .‱ Journal des idĂ©es et des opinions d'un rĂ©volutionnaire de 1830. Le plus ancien de ces deux journaux, surtout, a besoin d'ĂȘtre lu avec une extrĂȘme indulgence, et sans que le lecteur en perde un seul instant la date de vue, 1819. L'auteur l'offre ici, non comme une Ɠuvre littĂ©raire, mais comme sujet d'Ă©tude et d'observation... Aussi, pour que cette partie du livre ait, du moins, le mĂ©rite de prĂ©senter une base sincĂšre aux Ă©tudes de ce genre, a-t-on eu soin de l'imprimer .sans y rien changer, absolume7Ăźt telle qu'on Va recueillie, soit dans les publications du temps, aujourd'hui oubliĂ©es, soit dans des dossiers de notes restĂ©es manuscrites. Ce recueil reprĂ©sente durant deux annĂ©es, de l'Ăąge de seize ans Ă  l'Ăąge de dix-huit ans, l'Ă©tat de l'esprit de l'auteur... il y a des plans de tragĂ©die faits au collĂšge *... Eh bien ! rien de tout cela n'est vrai, pas mĂšnie les plans de tragĂ©die faits au collĂšge ! Et d'abord, M. Victor Hugo insiste tout particuliĂš- rement sur la date de 1819 ; il l'inscrit en tĂȘte de son journal, il la rĂ©pĂšte en tĂšte de plusieurs des articles * LltttTfititrr l't P/iilosop/lifi iiii'Ji'Ps. Introdurtioii. VICTOR HUGO AVANT 1830 177 qu'il renferme. Or tous ces articles sont extraits du Conservateur littĂ©raire, dont deux livraisons seulement ont paru au mois de dĂ©cembre 1810 ; toutes les autres appartiennent Ă  TannĂ©e 18^20 et Ă  l'annĂ©e 1821. Il date, par exemple, de fĂ©vrier 1819, le fragment qui commence ainsi Ce que je veux, c'est ce que tout le monde veut, ce que tout le monde demande, c'est-Ă -dire du pouvoir pour le roi, et des garanties pour le peuple \ » Ce passage est tirĂ© d'un article sur les Avantages de la monarchie, insĂ©rĂ© dans la „ livrai- son du Conservateur littĂ©raire, qui a paru au mois de janvier 1820 ^. 11 donne Ă©galement la date de fĂ©vrier 1819 Ă  des pages trĂšs piquantes sur les orateurs du barreau et de la tribune. Elles ont paru, eu janvier 1820, Ă  l'occasion d'un livre de M. Laurentie, intitulĂ© de V Éloquence po- litique et de son influence dans les gouvernernents popu- laires et reprĂ©sentatifs ^. Le morceau sur Le Sage et ]Valter Scott, dat'' d'avril 1819, est du mois iV octobre 1820. Il se trouve dans un article sur l'Etude consacrĂ© par le comte François de NeufcliĂ teau Ă  WHistoire de Gil Blas de Santillane '\ Ailleurs, M. Victor Hugo ne se borne pas Ă  l'indi- cation de l'annĂ©e et du mois, il prĂ©cise le joiu^ E. nous avons vu que c'Ă©tait une des nombreuses signa- tures dont il se servait dans le Conservateur littĂ©- 1 LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 87. Edition Fiinio i' '.‱‱. I8il. 2 Le Conservateur littĂ©raire, t. I. p. I ii. 3 md., t. I,p. 104. 4 Ibid., t. [II. p. 478 VICTOR HUGO AYANT 1830 raire, E. vient d'Ă©crire ceci aujourd'hui 27 avril 1819... » Suit un fragment de son article sur la pre- miĂšre reprĂ©sentation de la tragĂ©die de Mario. Sluart, par M. Pierre Lebrun. Cette reprĂ©sentation ayant eu lieu le 6 mars 1820, la date du 27 avril 1819 est Ă©vi- demment erronĂ©e. L'article est de man^ 1820 \ Ces inexactitudes ont, Ă  coup sĂ»r, peu d'impor- tance. Il convient pourtant de les relever, parce que, de la part de M. Victor Hugo, elles sont volontaires et systĂ©matiques. En antidatant ses Ă©crits royalistes, il espĂšre en attĂ©nuer la portĂ©e que voulez-vous ? il Ă©tait si jeune ! Il affirme n'avoir absolument rien changĂ© Ă  ses ar- ticles d'autrefois ; il n'a touchĂ©, dit-il, ni Ă  la forme ni au fond, voulant fournir une base sincĂšre aux lec- teurs dĂ©sireux d^Ă©tudier les changernents sftrcessifs do son style et de sa pensĂ©e. J'ai regret Ă  le dire, cette dĂ©claration n'est rien moins que conforme Ă  la vĂ©ritĂ©. En reproduisant ses anciens articles, M. Victor Hugo a fait subir Ă  son style et Ă  sa pensĂ©e des changements nombreux et parfois importants. TantĂŽt il retranche et tantĂŽt il ajoute. PassionnĂ© pour les antithĂšses, — en 183 i, — il les sĂšme Ă  pleines mains sur ses articles de 1820, comme on jette de la poudre d'or sur la page que l'on vient d'Ă©crire. Toutes les fois que le mot de la fin ne, lui semble pas assez bien venu, il le remplace par un autre il est devenu homme de théùtre, et il sait combien il est important de soigner ses sorties. 1 f,p Cnnafir-.'ntevr Jiffrrniri\ t. I. p. S50. VICTOR IILGO AVANT 1830 HU Je citerai quelques-unes de ces antithĂšses, quel- ques-uns de ces mots de la fin, ajoutĂ©s aprĂšs coup. Dans un article sur la tragĂ©die de Clovis, par M. NĂ©pomucĂšne Lemercier, dont il devait ĂȘtre, vinj^t ans plus tard, le successeur Ă  T AcadĂ©mie française, il avait Ă©tabli un trĂšs ingĂ©nieux parallĂšle entre le dĂ©- nouement du Mahomet de Voltaire et celui du Britan- nicus de Racine. Il reproduit ce parallĂšle dans LittĂ©- rature et philosophie mĂȘlĂ©es, avec cette addition Le sujet de Racine est mieux choisi que celui de Voltaire. Pour le poĂšte tragique, il y a une profonde et radicale diffĂ©rence entre Tempereur romain et le chamelier prophĂšte. NĂ©ron peut ĂȘtre amoureux, Mahomet, non. NĂ©ron *...» Mais ici, continuer la cita- tion devient impossible. L'antithĂšse devant laquelle ne recule pas M. Victor Hugo — le Victor Hugo de 1834 — brave l'honnĂȘtetĂ©, et elle n'a pas mĂŽme l'ex- cuse d'ĂȘtre mise en latin. Rendons Ă  chacun ce qui lui appartient cette an- tithĂšse dont la reproduction nous est interdite, c'est le rĂ©volutionnaire de 1830 qui Va commise ; le jeune jacobite de 4819 aurait rougi de l'Ă©crire. Son article sur IvanhoĂ©, publiĂ© dans la 12 livraison du Conservateur littĂ©raire, renfermait de curieux dĂ©- tails sur la condition des juifs au moyen Ăąge. Hugo les reproduit, mais il Ă©prouve le besoin de les complĂ©ter par une triple antithĂšse ce Aujourd'hui, il y a fort peu de juifs qui soient juifs, fort peu de chrĂ©tiens qui soient chrĂ©tiens. On 1 LittĂ©rature et PhÛosophie mĂȘlĂ©es, p. ti. 480 VICTOR HUGO AVANT 1830 ne mĂ©prise plus, on ne hait plus, parce qu'on ne croit plus. Immense malheur! JĂ©rusalem et Salomon, choses mortes. Rome et GrĂ©goire YII, choses mortes. Il y a Paris et Voltaire \ » Dans un article sur VHistolre gĂ©nĂ©rale de France depuis le rĂšgne de Charles IX jusquĂ  la paix gĂ©nĂ©rale en 1815, Victor Hugo parle de Voltaire comme histo- rien^. Son jugement est plein de justesse et d'Ă©lĂ©va- tion. Mais le mot de la fin manque ; le voici, — Ă©crit en 1834 Voltaire a toujours l'ironie Ă  sa gauche, sous sa main, comme les marquis de son temps ont toujours l'Ă©pĂ©e au cĂŽtĂ©. C'est fin, brillant, luisant, poli, joli, c'est montĂ© en or, c'est garni de diamants, mais cela tue ^ » M. Victor Hugo ne se borne pas Ă  ajouter des phrases ou Ă  refaire et Ă  polir celles qu'il conserve, il modifie quelquefois sa pensĂ©e et la change du tout au tout. 11 avait Ă©crit, par exemple, en 1821 Pour moi, je n''aime point, je l'avouerai, qu'un historien soit cosmopolite, et je trouve quelque chose de lier qui me plaĂźt dans ce mot d'un Arabe Ă  Haygage Je ne sais que des histoires de mon pays'*'. » Le mot de cet Arabe est heureux, en effet, et M. Victor Hugo tient Ă  s'en parer ; il le reproduira donc en 1834, mais non sans avoir pris la prĂ©caution de dĂ©clarer qu^il aime qu'un 1 LUtĂ©ra ture et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 30. 2 Le Conservateur littĂ©raire, t. III. p. 306. 3 LittĂ©rature et Philosophie mdĂ©es, p. 40. 4 Ze CoiTSPrt'ateiir littĂ©raire, t. III, p. 311. VICTUU IILGO AVAAT 1830 181 historien soit cosmopolite, — c'est-Ă -dire tout le con- traire de ce qu'il a dit dans cet article qu'il est censĂ© rĂ©imprimer sans y faire aucun changement. Il est devenu humanitaire, et il entend bien faire croire qu'il l'a toujours Ă©tĂ©. Il refait ainsi le passage que je viens de citer Pour moi, bien que l'historien cosmo- polite soit plus grand et plus Ă  mon grĂ©, je ne hais pas l'historien patriote. Le premier est plus selon l'hu- manitĂ©, le second est plus selon la citĂ©. Le conteur domestique d'une nation me charme souvent, mĂȘme dans sa particularitĂ© Ă©troite, et je trouve quelque chose de fier qui me plaĂźt dans ce mot d'un Arabe Ă  Haygage Je ne sais que des histoires de mon pays *. » A un traducteur d'HomĂšre sous ce titre, je trouve, au tome I^^^ de LittĂ©rature et Philosophie 7nĂȘleĂ©s, un fragment dans lequel l'auteur s'Ă©lĂšve avec force contre les pygmĂ©es qui essayent de soulever la massue d'Hercule, contre les versificateurs qui ne craignent pas de toucher Ă  la poĂ©sie d'HomĂšre. S'adressant Ă  l'infortunĂ© traducteur, il lui dit Croyez-moi, ne vous mĂȘlez pas Ă  ces nains. Votre traduction est encore en portefeuille ; vous ĂȘtes bien heureux d'ĂȘtre Ă  temps pour la brĂ»ler. Une traduction d'HomĂšre en vers français ! C'est mons- trueux et insoutenable, monsieur. Je vous affirme, en toute conscience, que je suis indignĂ© de votre traduction. Je ne la lirai, certes, pas. Je veux en ĂȘtre quitte pour la peur. Je dĂ©clare qu'une traduction en vers de n'importe qui, par n'importe qui, me semble chose absurde, impossible et * LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 40. M 182 VICTOR HUGO AVANT 1830 chimĂ©rique. Et j'en sais quelque chose, moi qui ai rimĂ© en français ce que j'ai cachĂ© soigneusement jusqu'Ă  ce jour quatre ou cinq mille vers d'Horace, de Lacain et de Virgile ; moi, qui sais tout ce qui se perd d'un hexamĂštre qu'on trans- vase dans un alexandrin ; Mais HomĂšre ! monsieur ! traduire HomĂšre i ! J'ouvre maintenant le Conservateur littĂ©raire . Victor Hugo y a rendu compte, au tome le^, pages 255 et suivantes, de la traduction de trois chants de riliade, par M. A. Bignan, et c'est de cet article que sont extraits le dĂ©but et la conclusion du fragment, citĂ© dans LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es. Quant aux lignes que l'on vient de lire, elles ne sont pas dans l'article de 1821, et pour cause. Votre traduction est encore en portefeuille, dit le fragment. — H nous reste, dit l'article, Ă  fĂ©liciter M. Bignan du mode de publication partielle qu'il a choisi pour donner aux gens de lettres un avant-goĂ»t de sa nouvelle traduction. » Vous ĂȘtes bien heureux d'ĂȘtre Ă  temps pour la brĂ»ler, continue le fragment. — EspĂ©rons, dit l'article, que M. Bignan, qui ne doit point se dĂ©courager, fera dis- paraĂźtre, dans sa traduction complĂšte de VJliade, ces faux ornements que rĂ©prouvent Ă©galement le goĂ»t français et la gravitĂ© sĂ©vĂšre de la muse grecque. » Je vous affirme, en toute conscience, que je suis in- dignĂ© de votre traduction. Je ne la lirai, certes, pas ! A la bonnne heure ! Et voilĂ  qui est bravement dit. * LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 112. VICTOR ilUiiO AVANT 1830 183 Mais, en 1820, Victor Hugo ne disait pas cela. Non content de lire la traduction de M. Bignan, d'en dis- cuter le fort et le faible et d'en reproduire de longs passages, il lisait encore celles de ses devanciers ; il comparait, c'est lui-mĂȘme qui nous l'apprend, l'essai de M. Bignan avec plusieurs autres traductions de V Iliade, et notamment avec celle de M. Aignan. » On voit que l'auteur de LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es en a pris fort Ă  son aise avec ses articles du Conservateur littĂ©raiy^e. C'Ă©tait son droit, Ă  une condi- tion pourtant, celle de ne pas venir nous dire qu'il les publiait absolument tels quils avaient Ă©tĂ© Ă©crits dans leur temps. Mais voici qui est mieux encore. Il nous annonce, dans sa prĂ©face de 1834, qu'il y a de tout dans son journal de 1819, mĂȘme un plan de tragĂ©die fait au collĂšge, et un peu plus loin, en effet, il en donne l'analyse. Nous assistons, acte par acte, au dĂ©velop- pement de la piĂšce qui a pour hĂ©ros Phocion, chef du sĂ©nat, accusĂ© de trahison, traduit devant le peuple et condamnĂ©, dans le temps mĂȘme oĂč, insensible Ă  tout autre intĂ©rĂȘt qu'Ă  celui de ses concitoyens, il ne songe qu'au salut de la rĂ©publique. Avec une impar- tialitĂ© louable, M. Victor Hugo signale les cĂŽtĂ©s faibles de son plan et il en fait ressortir les qualitĂ©s avec une satisfaction lĂ©gitime. C'est le tableau, dit-il, des agitations populaires et de la vertu malheureuse, c'est-Ă -dire le plus grand exemple qu'on puisse mettre sous les yeux des hommes et le spectacle digne des dieux... L'action se dĂ©roule par une suite de rĂ©volu- iHi VICTOR JIUGU AVANT 183U tions inattendues ; les moyens d attaque et de rĂ©sis- tance ont entre eux des proportions qui rendent l'anxiĂ©tĂ© possible. » Il termine son analyse en disant, non sans modestie Cette tragĂ©die pourrait ĂȘtre belle ; cependant elle n'obtiendrait qu'un succĂšs d'es- time. Gela tient Ă  ce qu'elle serait froide ; au théùtre, un conte d'amour vaut mieux que toute l'histoire*. » Pourquoi M. Victor Hugo ne parle-t-il ici qu'au con- ditionnel ? Pourquoi ne dit-il pas que sa piĂšce n'a ob- tenu qu'un succĂšs d'estime, lorsqu'elle a Ă©tĂ© jouĂ©e au Théùtre-Français par les comĂ©diens ordinaires du roi^ le 16 juillet 1817? Son plan de tragĂ©die fait au col- lĂšge n'est pas autre chose, en effet, que l'analyse faite par lui, dans la cinquiĂšme livraison du Conservateur littĂ©raire^, de la tragĂ©die de Phocion, par Royou, frĂšre de l'abbĂ© Royou, rĂ©dacteur de VAini du roi, et beau-frĂšre de FrĂ©ron, l'ennemi de Voltaire. L'auteur d'Hernani et de Ruy-Blas, se parant des plumes de Gorentin Royou et dĂ©marquant une de ses tragĂ©dies pour se l'attribuer, voilĂ , certes, un des plagiats les plus extraordinaires dont l'histoire des lettres fasse mention ! Que penseriez-vous, monsieur Hugo, de M. de Rothschild, s'il lui prenait un jour fantaisie de dĂ©rober le mouchoir de quelque pauvre diable et de le ma rquer Ă  son chiffre ? 1 LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 145. a Le Conservateur littĂ©raire, t. I, p. 189. VICTOR HUGO AVANT 1880 185 IV On pense bien que M. Victor Hugo, qui a si Ă©tran- gement remaniĂ© ses articles littĂ©raires, n'en a pas usĂ© moins librement avec ses articles politiques. Au lieu de les reproduire tous ou de nous donner tout au moins le dessus du panier, il n'en a rĂ©im- primĂ© qu'un seul, consacrĂ© Ă  la mort du duc de Berri. AprĂšs ce grand effort, Ă©prouvant sans doute le besoin de montrer au lecteur que, mĂŽme en 1820, il n'Ă©tait pas si royaliste que cela, il publie, en les da- tant d'avril 1820, des pages oĂč l'on trouve ce qui suit Que dire de la littĂ©rature de 1820, encore plus plate que celle de 1810, et plus impardonnable, puisqu'il n'y a plus lĂ  de NapolĂ©on pour rĂ©sorber tous les gĂ©nies et en faire des gĂ©nĂ©raux ! Qui sait ! Ney, MurĂąt et Davoust auraient peut- ĂȘtre Ă©tĂ© de grands poĂštes. Ils se battaient comme on voudrait Ă©crire *. En 1820^ M. Victor Hugo ne disait point NapolĂ©on, il disait Buonaparte. Il ne faisait point l'Ă©loge de Mural; il insĂ©rait dans son journal l'ode de son frĂšre EugĂšne sur la mort du duc d^Enghien, dans laquelle on lit cette stropbe Du moins que la parole sainte Pour la derniĂšre fois descende sur d'Enghien ! 11 parle... et ce MurĂąt, qui vit l'homme avec crainte. Avec mĂ©pris voit le chrĂ©tien. i LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 03. 186 VICTOR HUGO AVANT 1830 Retiens, lĂąche, retiens ton insultant blasphĂšme 1 Tu ne crois pas en un juge suprĂȘme TĂ©moin de tes longs attentats... Mais tremble ! la Calabre et ses rochers t'attendent ; Ses vautours naissants te demandent ! Il est un Dieu vainqueur et tu le connaĂźtras * ! L'annĂ©e littĂ©raire, continue M. Yictor Hugo, s'an- nonce mĂ©diocrement. Aucun livre important... Il se- rait temps, cependant, que quelqu'un sortit de la foule et dit Me voilĂ . Il serait temps qu'il parĂ»t un livre ou une doctrine, un HomĂšre ou un Aris- to4e... Pauvre temps que le nĂŽtre ! Force vers, point de poĂ©sie... Le fait politique de l'annĂ©e 1820, c'est l'assassinat de M. le duc de Berri ; le fait littĂ©raire, c'est je ne sais quel vaudeville. Il y a trop de disproportion ^. » Eh ! non, monsieur, le fait littĂ©raire de l'annĂ©e 1820, ce n'est pas un vaude- ville, c'est un livre, — un livre admirable, les MĂ©dita- tions poĂ©tiques d'Alphonse de Lamartine. Elles ont paru au mois de mars 1820 ^ ; vous n'avez donc pas pu Ă©crire, au mois cV avril Aucun livre important. Force vers, point de poĂ©sie !... » Tout ce morceau a Ă©tĂ© Ă©crit, arrangĂ© aprĂšs coup. En veut-on une nouvelle preuve ? il se termine ainsi M. le duc de Berri, c'est la tragĂ©die. Voici la parodie main- tenant. Une grande querelle politique vient de s'Ă©mouvoir ces jours-ci, Ă  propos de M. Decazes. M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Donnadieu. M. Clausel 1 Le Conservateur littĂ©raire, 9» livraison avril 1820. 2 LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 92. 3 Journal de la librairie, annĂ©e 1820. n» 882. VICTOR HUGO AVANT 1830 187 de Coussergues contre M. d'Argout. — M. Decazes s'en mĂȘlera- t-il enfin lui-mĂȘme ? Toutes ces batailles nous rappellent les anciens temps oĂč les preux chevaliers allaient provoquer dans son fort quelque gĂ©ant fĂ©lon. Au bruit du cor un nain parais- sait. Nous avons dĂ©jĂ  vu plusieurs nains apparaĂźtre ; nous n'attendons plus que le gĂ©ant *. Gomment, au mois d'avril 1820, M. Hugo aurait-il parlĂ© de ces grandes querelles, si elles n'Ă©taient pas nĂ©es ? Le Projet de la proposition d'accusation contre M, le duc Decazes, par M. Glausel de Coussergues ^, est du mois d'aoĂ»t 1820, ainsi que les Observatimis de M. d'Argout sur rĂ©crit publiĂ© par M. Clausel de Cous- sergues ^. Le MĂ©moire pour le vicomte Donnadieu n'a Ă©tĂ© publiĂ© qu'au mois de septembre *, et la RĂ©ponse de M. de Sainte-Aulaire, au mois d'octobre. Le pas- sage de M. Victor Hugo sur la grande querelle poli- tique de 1820 n'a donc pas Ă©tĂ© Ă©crit au mois d'avril ; il n'a mĂȘme Ă©tĂ© Ă©crit que longtemps aprĂšs l'Ă©vĂ©ne- ment, car s'il l'eĂ»t Ă©tĂ© au moment oii il se produisit, M. Hugo n'aurait pas dit M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Donnadieu. M. Glausel de Goussergues contre M. d'Argout. » Il eĂ»t dit M. Clausel de Coussergues et M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Clausel de Cous- sergues. M., de Sainte-Aulaire contre M. Donnadieu. Tous les doutes sont, d'ailleurs, levĂ©s par ce fait que la sommation Ă  M. Decazes et l'air de bravoure sur 1 LittĂ©mture et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 93. 2 Journal de la librairie, annĂ©e 1820, n» 2990. 3/6irf., n» 3061. ^ Ce MĂ©moire iivait pour .inteur M. Berryor. fils. 188 VICTOR HUGO AVANT 1830 les 7iains et le gĂ©ant, qui terminent le prĂ©tendu article dĂź' avril 1820, se trouvent dans la 24 livraison du Conservateur littĂ©raire, publiĂ©e au mois de novembre 1820 *, aprh et non avant les brochures de MM. Clausel de Goussergues et d'Argout, Donnadieu et de Sainte-Aulaire. Dans ce morceau, faussement datĂ© de 1820, et qui est en rĂ©alitĂ©, sauf quelques lignes, de 1834, M. Victor Hugo a eu Ă©videmnant pour objet de faire croire au lecteur qu'Ă  l'Ă©poque mĂȘme oĂč il composait son Ode sur la mort de S. A. R. C harles-Ferdinand d'Artois, duc de Berri, fils de France, il commençait dĂ©jĂ  Ă  professer le culte de NapolĂ©on, ce qui Ă©tait, Ă  ses yeux, en 1834, un comble de libĂ©ralisme. Il ne s'en est pas tenu lĂ , et il termine son Journal des idĂ©es d'un jeune jacobite de 1819 par un autre morceau, datĂ©, celui-lĂ , de dĂ©cembre 1820 et dont voici le texte Le tout jeune homme qui s'Ă©veille de nos jours aux idĂ©es politiques est dans une perplexitĂ© Ă©trange. En gĂ©nĂ©ral, nos pĂšres sont bonapartistes, nos mĂšres sont royalistes. JNos pĂšres ne voient dans NapolĂ©on que l'homme qui leur donnait des Ă©paulettes, nos mĂšres ne voient dans Bonaparte que l'homme qui leur prenait leurs fils. Pour nos pĂšres, la rĂ©volution, c'est la plus grande chose qu'ait pu faire le gĂ©nie d'une assemblĂ©e ; l'empirĂ©, c'est la plus grande chose qu'ait pu faire le gĂ©nie d'un homme. Pour nos mĂšres, la rĂ©volution, c'est une guillotine ; l'empire, c'est un sabre. Nous autres enfants nĂ©s sous le consulat, nous avons grandi * Le Conservateur littĂ©rnirp. t. III. p. 142. VICTOR HUGO AVANT 1830 189 sur les genoux de nos mĂšres, nos pĂšres Ă©tant au camp ; et, bien souvent privĂ©es, par la fantaisie conquĂ©rante d'un homme, de leurs maris, de leurs frĂšres, elles ont fixĂ© sur nous, frais Ă©coliers de huit ou dix ans, leurs doux yeux maternels remplis de larmes, en songeant que nous aurions dix-huit ans en 1820, et qu'en 1825 nous serions colonels ou morts... En gĂ©nĂ©ral, il est peu d'adolescents de notre gĂ©nĂ©ration qui n'aient sucĂ© avec le lait de leurs mĂšres la haine des deux Ă©poques violentes qui ont prĂ©cĂ©dĂ© la Restauration. Le Croque- mitaine des enfants de 1802, c'Ă©tait Robespierre ; le Croque- mitaine des enfants de 1815, c'Ă©tait Bonaparte. DerniĂšrement, je venais de soutenir ardemment, en prĂ©sence de mon pĂšre, mes opinions vendĂ©ennes. Mon pĂšre m'a Ă©coutĂ© parler en silence, puis il s'est tournĂ© vers le gĂ©nĂ©ral L*** % qui Ă©tait lĂ , et il lui a dit Laissons faire le temps ; l'enfant est de l'opinion de sa mĂšre, Vhomme sera de Vopinimi de son pĂšre. Cette prĂ©diction m'a laissĂ© tout pensif. Quoi qu'il arrive, et en admettant mĂȘme jusqu'Ă  un certain point que l'expĂ©rience puisse modifier l'impression que nous fait le premier aspect des choses Ă  notre entrĂ©e dans la vie, l'honnĂȘte homme est sur de ne point errer en soumettant toutes ces modifications Ă  la sĂ©vĂšre critique de sa conscience -. Ainsi, le lecteur est averti si M. Victor Hugo a Ă©tĂ© royaliste sous la Restauration, ce n'est pas la faute Ă  Voltaire et Ă  Rousseau^ cest la faute Ă  sa mĂšre. Nous le voulons bien ; mais qu'en 1820, Ă  l'heure oĂč ses opinions monarchiques Ă©taient le plus ardentes, alors que^ suivant ses propres expressions, il poussait la passion politique jusqu'Ă  la folie et jusqu'Ă  la rage, quand Bonaparte » n'Ă©tait pour lui qu'un Corse 1 Le gĂ©nĂ©ral Lurotte. 2 LittĂ©i'atvre et Philosophip mĂȘlĂ©es, p. 11 190 VICTOR HUGO AVANT 1830 gardĂ© par un mameluck * », il ait Ă©crit la page que nous venons de reproduire, dans laquelle l'idĂ©e, le principe royaliste, sont rĂ©duits Ă  n'ĂȘtre plus qu'un conte de nourrice oĂč l'on fait peur aux petits enfants de Groquemitaine et de l'ogre... de Corse; qu'il ait prĂ©vu Ă  ce moment que ses convictions se modifie- raient sans doute Ă  mesure qu'il avancerait en Ăąge et que bientĂŽt il dĂ©pouillerait ses opinions vendĂ©ennes, comme le jeune homme dĂ©pouille les vĂȘtements deve- nus trop Ă©troits pour lui, voilĂ  ce que nous ne saurions admettre. Qu'on le remarque d'ailleurs, le morceau que l'on vient de lire forme une longue suite d'anti- thĂšses. Or, en 1820, M. Victor Hugo partageait l'avis de Pascal, qui a dit Ceux qui font des antithĂšses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenĂȘtres pour la symĂ©trie ^. » — Les jeunes gens, a dit, de son cĂŽtĂ©, la BruyĂšre, sont Ă©blouis de l'Ă©clat de l'antithĂšse et s'en servent ^. » Chose Ă©ton- nante, M. Victor Hugo, en sa prime jeunesse, n'a pas Ă©tĂ© Ă©bloui de l'Ă©clat de cette figure ; il n'en a fait au- cun emploi dans les trois volumes du Conservateur littĂ©raire, oĂč il ne cache pas, au contraire, l'Ă©loigne- ment qu'il professe pour elle. Vous trouverez, dit-il dans son article sur les poĂ©sies d'AndrĂ© ChĂ©nier, vous trouverez dans ChĂ©nier la maniĂšre franche et large des anciens, rarement de vaines antithĂšses ^. » Et ail- 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. I, p. 275. 2 PensĂ©es, Ă©dition de M. Havet, p. 110. 3 Des ouvrages de l'esprit. '* Le Conservateur littĂ©raire, t. I. p. 23f>. VICTOR HUGO AVANT 1830 191 leurs, dans un article sur l'abbĂ© Delille On pour- rait critiquer dans ce morceau une recherche d'ex- pressions antithĂ©tiques c'est lĂ  le dĂ©faut de Delille, ou plutĂŽt du genre qu'il avait adoptĂ© '. » La page que M. A^ictor Hugo a datĂ©e do dĂ©cembre 1820 ne peut donc ĂȘtre de cette Ă©poque si elle avait Ă©tĂ© Ă©crite Ă  ce moment, elle ne renfermerait pas les nombreuses antithĂšses que l'on y trouve presque Ă  chaque ligne. Le morceau, du reste, n'a Ă©tĂ© fait que pour amener le mot du gĂ©nĂ©ral Hugo Laissons faire le temps ; Venfant est de l'opinion de sa mĂšre, l'homme sera de r opinion de son pĂšre . L'auteur tient tellement Ă  ce mot-lĂ , que, dans son autobiographie, il lui a con- sacrĂ© un chapitre entier, sous ce titre Un mot du gĂ©nĂ©ral Hugo^. Ce mot a-t-il Ă©tĂ© prononcĂ©? H n'a pu l'ĂȘtre que si le gĂ©nĂ©ral Hugo Ă©tait, en 1820, un adversaire de la Restauration. Or ses MĂ©moires^ publiĂ©s en 1823, attestent qu'il n'en Ă©tait rien. H n'y dissimule pas, en effet, son peu de sym- pathie pour NapolĂ©on ; il y rappelle que c'est Ă  Louis XVIII qu'il doit d'avoir Ă©tĂ© confirmĂ© dans le grade de gĂ©nĂ©ral qu'il tenait du roi Joseph et que le gouvernement impĂ©rial s'Ă©tait refusĂ© Ă  recon- naĂźtre ; il y donne place Ă  un Ă©crit de son fils Abel, oĂč respire le plus ardent royalisme. Arienne le rĂšgne de Charles X, et l'un des premiers actes du nouveau roi sera de le nommer lieutenant gĂ©nĂ©ral de ses ar- mĂ©es, ce qui ne fait pas supposer que le comte Hugo 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. II, p. 18. 2 Victor Hugo racontĂ©, p\c.. t. II. p. I . 192 VICTOR HUGO AVANT 1830 fĂ»t un ennemi bien prononcĂ© du gouvernement royal *. Aussi bien, puisque M. Victor Hugo attache une si grande importance au mot qui nous occupe, puisque ses biographes le rĂ©pĂštent Ă  l'envi, achevons de prouver qu'il n'a point Ă©tĂ© prononcĂ©. C'est au gĂ©nĂ©ral Lucotte qu'il aurait Ă©tĂ© adressĂ© ^. Le gĂ©nĂ©ral Lucotte n'Ă©tait donc pas royaliste ; car s'il eĂ»t partagĂ© les opinions du fils, le pĂšre n'aurait pas pu avoir l'idĂ©e de dire Ă  son vieux camarade Laissons faire le temps; l'enfant est de l'opinion de sa mĂšre, l'homme sera de l'opinion de son pĂšre. » Or il se trouve que le gĂ©nĂ©ral comte Lucotte Ă©tait, en 1820, un fervent royaliste, voire mĂȘme un clĂ©rical. MariĂ© Ă  la fille du marquis de Gorberon, qui avait pĂ©ri sur l'Ă©chafaud rĂ©volutionnaire, il avait servi dans le royaume de Naples et en Espagne, sous le roi Joseph, et pas plus que le gĂ©nĂ©ral Hugo, il n'avait eu Ă  se louer de l'em- pereur. En 1814, il avait Ă©tĂ© des plus empressĂ©s Ă  se rallier Ă  la Restauration. H Ă©tait allĂ© Ă  Saint-Ouen ofTrir ses services Ă  Louis XVIII, qu'il avait accom- pagnĂ© aux Tuileries, et qui le rĂ©compensa en le nommant lieutenant gĂ©nĂ©ral. En 1815, pendant les Cent-jours, il s'opposa Ă  ce que les soldats sous ses ordres prissent la cocarde tricolore, et il fut compris, en 1818, dans le corps royal d'Ă©tat-major. Lorsqu'il mourut, le 21 septembre 1825, il Ă©tait un des admi- nistrateurs de la confrĂ©rie du Saint-SĂ©pulcre, asso- * Voy. ci-dessus, chapitre II, p. 70 et suiv. 2 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II. p. 3. VTCTOR HUGO AVANT i83 193 dation qui ne comptait dans ses rangs que des roya- listes ultras \ AdressĂ© au baron Lucotte, le mot du gĂ©nĂ©ral Hugo n'aurait pas eu de sens. Que les deux morceaux datĂ©s Ă ' avril 1820 et de dĂ©cembre 1820 aient Ă©tĂ© Ă©crits beaucoup plus tard, aprĂšs 1830 ; que M. Victor Hugo, aprĂšs avoir an- noncĂ©, dans la prĂ©face de LittĂ©rature et Philo- sophie mĂȘlĂ©es, qu'il allait rĂ©imprimer, sans y rien changer, ses articles du Conservateur littĂ©raire, leur ait fait subir des altĂ©rations qui en dĂ©naturent complĂštement le sens et la portĂ©e, nous croyons l'avoir dĂ©montrĂ© ; et ce n'est pas notre faute si, aprĂšs avoir Ă©tĂ© forcĂ© de contester, sur plusieurs points, la vĂ©racitĂ© de ses affirmations, nous sommes amenĂ© Ă  Ă©tablir, par un nouvel exemple, que l'illustre Ă©crivain est coutumier du fait. En 1875, il a publiĂ© sous ce titre Actes et Paroles avant VexiU les discours politiques que, de 1846 Ă  1851, il a prononcĂ©s Ă  la tribune de la Gbambre des pairs, de l'AssemblĂ©e constituante et de l'AssemblĂ©e lĂ©gislative. S'il s'Ă©tait bornĂ©, lĂ  oĂč le Moniteur dit Marques cV approbation, Ă  mettre Explosion cV ap- plaudissements, et lĂ  oĂč le Moniteur ne dit rien, Ă  supplĂ©er Ă  son silence par une sĂ©rie de formules ad- 1 Biographie unĂźoĂ©rselle. supplĂ©ment, t. LXXIL 194 VICTOR HUGO AVAMT 1830 miratives Vive Ă©motion, — Explosion de bravoSy — lĂźires d'approbation, — FrĂ©missement sur tous les bancs, — il y aurait simplement lieu de sourire. Mais il ne s'en est point tenu lĂ  il a modifiĂ© le texte mĂȘme de ses discours, dans le dessein Ă©vident de tromper le lecteur d'aujourd'hui sur ses opinions d'autrefois. Dans son discours du 14 juin 1847, en faveur de la rentrĂ©e en France des membres de la famille Bona- parte, il avait dit Je leur imposerais une condition, une seule ce serait de demander leur rentrĂ©e. — De la demander Ă  qui ? Au roi, qui reprĂ©sente rmiitĂ© inviolable et perpĂ©tuelle de la nation, et aux Chambres, qui en reprĂ©sentent le mouvement, la pensĂ©e et la vie *. » SupprimĂ© en 1875. Le 17 juillet 1851, dans son discours sur la rĂ©vision de la constitution, voici dans quels termes il parlait du roi Charles X ; intĂ©rieures, xxx et Tristesse d'Olympio {les Rayons et les Ombres, xxxiv. 2 William Shakespeare, pur Victor Hugo. Parmi ces quatorze grands gĂ©nies de rhumanitĂ© », M. Victor Hugo a trouvĂ© piquant de ne pas faire figurer Bossuet ; il ne l'a mĂȘme pas jugĂ© digne d'un accessit ! H est vrai qu'il n'en accorde pas non plus Ă  Pascal ni Ă  Racine. Les Quatorze qui ont trouvĂ© grĂące devant lui le doivent Ă  cela seulement qu'ils ont Ă©tĂ© ses prĂ©curseurs. C'est ainsi que JuvĂ©nal et saint Jean ont Ă©tĂ© admis dans le groupe immortel le premier, parce que ses Satires annoncent les ChĂątiments ; le second, parce que son Apocalypse est la prĂ©face de Ce que dit la bouche d'ombre les Con- templations, 1. Vie. — Voyez aussi, dans ce recueil, la piĂšce qui commence par ce vers Ecoutez. Je suis Jean. J'ai vu des choses sombres. 3 Les Orientales, xi.. 208 VICTOR iiroo avant 1830 damnĂ© Ă  no rĂ©flĂ©chir jamais qu'une seule image, celle de Victor Hugo. Il n'en allait pas de mĂȘme en 1820 et en 1821. Le poĂšte alors Ă©tait vĂ©ritablement un critique, s'oubliant lui-mĂȘme pour ne voir que ceux qu'il avait Ă  juger, les apprĂ©ciant avec une curiositĂ© intelligente et tou- jours en Ă©veil, avec une originalitĂ© qui n'excluait pas la justesse. Il est temps, Ă©crivait un jour l'auteur du GĂ©7iie du Christianisme, de quitter la critique mes- quine des dĂ©fauts pour la critique fĂ©conde des beau- tĂ©s. Ce noble conseil de Chateaubriand, le jeune rĂ©dacteur du Conservateur littĂ©raire s'applique gĂ©nĂ©- reusement Ă  le suivre. Sans arriĂšre-pen-Ă»e person- nelle, avec une naĂŻvetĂ© dont il se corrigera plus tard, il glisse sur les dĂ©fauts, il insiste sur les beautĂ©s. Il salue, avec une joie fraternelle, les glorieux dĂ©buts de Lamartine ; le gĂ©nie de Walter Scott trouve en lui un panĂ©gyriste enthousiaste ; personne n'a mieux parlĂ© de l'auteur ĂŻlvanhoĂ© que celui qui devait ĂȘtre un jour l'auteur de Notre-Dame de Paris. De la lecture des nombreux articles du Conserva- teur littĂ©raire ressort la dĂ©monstration qu'Ă  cette Ă©poque 1819-1821, Victor Hugo n'Ă©tait pas encore romantique. S'il admirait Lamartine et AndrĂ© GhĂ©nier, il ne laissait pas de goĂ»ter fort l'abbĂ© Delille. Dans une Ă©tude consacrĂ©e aux ƒuvres posthumes du chantre de la PitiĂ©, il cĂ©lĂšbre l'Ă©lĂ©gance et l'har- monie de son style » ; il fait l'Ă©loge du joli poĂšme que le traducteur du Paradis perdu a laissĂ© sur le DĂ©part d'Eden ». Il le loue d'avoir changĂ© le sau- VICTOR HUGO AVANT 1830 209 vage mĂ©contentement qu'Adam tĂ©moigne Ă  Eve, dans Milton, en une tendre commisĂ©ration », et il ajoute Cette idĂ©e heureuse prouve que Delille connaissait parfaitement les dĂ©licatesses de la muse française *.» Il proclame la supĂ©rioritĂ© des tragĂ©dies de Corneille et do Racine sur les drames de Shakespeare et de Schiller, et il appuie sa thĂšse de considĂ©rations Ă  la fois neuves et ingĂ©nieuses Nous n'avons jamais compris, dit-il, cette distinction entre le genre classique et le genre romantique. -Les piĂšces de Shakespeare et de Schiller ne diffĂšrent des piĂšces de Cor- neille et de Racine qu'en ce qu'elles sont plus dĂ©fectueuses. C'est pour cela qu'on est obligĂ© d'y employer plus de pompe scĂ©nique. La tragĂ©die française mĂ©prise ces accessoires, parce qu'elle marche droit au cƓur, et que le cƓur hait les distrac- tions ; la tragĂ©die allemande les recherche, parce qu'elle s'adresse souvent Ă  l'esprit et plus souvent encore Ă  tous les sens. L'une prĂ©sente un spectacle attachant, l'autre un tableau singulier. Dans l'une, tout concourt au mĂȘme but ; dans l'autre, il n'y a point d'ensemble. Les Français veulent que l'intĂ©rĂȘt se concentre sur quelques personnages ; les Anglais regardent la variĂ©tĂ© comme une qualitĂ© tragique. Chez nous, l'intĂ©rĂȘt va toujours croissant ; chez eux, chaque scĂšne en est rĂ©duite Ă  son propre intĂ©rĂȘt ; et veut-on voir quelle diffĂ©rence il en rĂ©sulte dans les effets ? Prenez le cinquiĂšme acte d'une de nos tragĂ©dies, et lisez-le sĂ©parĂ©ment, souvent vous le trou- verez faible et languissant ; hsez-le en le faisant prĂ©cĂ©der de tous les autres, vous n'aurez rien remarquĂ©, seulement vous aurez fondu en larmes. Mais les Allemands se contentent de leurs tragĂ©dies... Cela prouve que les Allemands ont moins de goĂ»t que nous, c'est- Ă -dire qu'ils raisonnent moins leurs sensations. 11 suffit de la 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. H, p. lf>. 12. 210 VICTOR UUGO AVANT 1830 simple narration des faits les plus bizarres et les plus invrai- semblables pour Ă©mouvoir les enfants, parce que les enfants n'ont pas la force de comparer leurs idĂ©es *... On le voit, nous sommes encore loin de la prĂ©face de CromwelL Classique par le fond des idĂ©es, Yictor Hugo l'est Ă©galement au point de vue de la forme. C'est ainsi qu'il n'hĂ©site pas Ă  condamner, dans les vers, l'emploi de l'enj ambement , qui sera cependant bientĂŽt, dans les recueils romantiques, comme le signe parti- culier'Ăšwv les passeports. Rendant compte d'un poĂšme sur la mort du duc d''Enghien, par M. E. MichĂšle t La maniĂšre de l'auteur, dit-il, n'apparlient Ă  aucune Ă©cole, ses vers ne sont pas d'un versificateur ; un ver- sificateur aurait Ă©vitĂ© ces frĂ©quents enjambements qui dĂ©truisent souvent toute l'harmonie d'une pĂ©riode, d'ailleurs poĂ©tique ^. » Dans ce mĂȘme article, Yictor Hugo indique les rai- sons pour lesquelles il est partisan de la rime riche, et l'on sait que sur ce point, du moins, il n a jamais variĂ©. Il faut Ă  prĂ©sent, continue-t-il, que M. Michelet tĂąche d'ap- prendre Ă  faire difficilement les vers faciles, qu'il cherche Ă  resserrer sa pensĂ©e dans un petit nombre de vers, et surtout qu'il s'attache soigneusement Ă  la richesse des rimes. Car et cette rĂ©flexion n'est pas pour M. Michelet seulement, dont les rimes sont gĂ©nĂ©ralement suffisantes depuis que la prose est venue empiĂ©ter sur le domaine de la poĂ©sie, depuis qu'elle s'est emparĂ©e des tours poĂ©tiques et des Ă©pithĂštes sonores, la * Le Conservateur littĂ©raire, t. I, p. 335. ^Ibid., t. II. p. 384. VICTOR HUGO AVANT 1830 !2ll poĂ©sie, qui n'a pas la ressource d'employer les tournures pro- saĂŻques, doit chercher, dans les attributs qui lui sont parti- culiers, celui qui peut servir Ă  la faire distinguer de sa sƓur ambitieuse ; et comme, pour la poĂ©sie française, le plus dis- tinctif de tous, c'est la rime, un poĂšte français doit travailler avec soin cette partie de la versification *. III En mĂȘme temps qu'il parlait des livres que voyait naĂźtre chaque quinzaine, Yicto;i^ Hugo faisait aussi, dans le Conservateur littĂ©raire, le feuilleton drama- tique, et il n'est que juste de reconnaĂźtre qu'il s'en acquittait Ă  merveille. Il n'estime point que cette besogne soit au-dessous de lui, et parce qu'il a charge de garder un troupeau de vaudevilles et d'en rendre compte, il ne croit point poar cela devoir se com- parer Ă  Apollon , rĂ©duit Ă  garder les troupeaux d'AdmĂšte. Il paraĂźt, au contraire, portĂ© d'un naturel et vif attrait vers les choses de théùtre. Qu'il ait Ă  juger une tragĂ©die du Théùtre-Français ou une comĂ©die du théùtre du Vaudeville, un opĂ©ra de l'AcadĂ©mie royale de musique, ou une parodie du théùtre de la Porte- Saint-Martin, il y apporte un soin Ă©gal. Il est tout Ă  son affaire, et c'est le plus consciencieusement du monde qu'il analyse les piĂšces de Casimir Delavigne et d'Ancelot, d'EugĂšne Scribe et de Pierre Lebrun, de Brifaut et de Viennet, de Royou et de Delrieu, de LiadiĂšres et de NĂ©pomuccne Lemercier, de DĂ©sau- 1 Lp Conserva ffir liffprnirc t. II. p. ‱'^84. 212 MCTOR HUGO AVANT 1830 giers et de Delaville de Miremonl, de Wafflard et de Fulgence, de Dupin et de Garmouche. L'un de ses premiers feuilletons est consacrĂ© aux VĂȘpres Sici- liennes, de Casimir Delavigne, et au Louis IX, d'Ancelot, et ce qui frappe tout d'abord dans le travail du jeune Ă©crivain , — l'article est du mois de dĂ©- cembre 1819, et l'auteur n'avait pas encore dix-huit ans, — c'est une impartialitĂ© d'autant plus mĂ©ritoire que la vivacitĂ© de ses passions politiques Ă©tait plus grande. Ancelot est royaliste; Casimir Delavigne est libĂ©ral Victor Hugo n'hĂ©site pas Ă  donner le pas au libĂ©ral sur le royaliste. C'est une chose Ă©trange, Ă©crit-il, et digne de notre siĂšcle vraiment unique, que de voir l'esprit de parti s'emparer des banquettes d'un théùtre, comme il assiĂšge les tribunes des Chambres. La scĂšne littĂ©raire a acquis presque autant d'im- portance que la scĂšne politique. Le public aveugle ou mali-n prĂȘte aux paroles des acteurs tout le poids qu'elles devraient avoir si elles sortaient de la bouche de ceux qu'ils reprĂ©- sentent ; il semble ne voir dans nos comĂ©diens que de grands personnages, de mĂȘme qu'il ne voit dans plusieurs de nos grands personnages que des comĂ©diens. Le petit marchand Ă©lecteur s'en va siffler Louis IX, non parce que Lafon manque de majestĂ© ou la piĂšce de chaleur ; mais son Constitutionnel lui a rĂ©vĂ©lĂ© que Louis IX s'appelle sami Lowe's, et le mar- chand-Ă©lecteur est philosophe. Les gazettes libĂ©rales exaltent les VĂȘpres siciliennes, non parce que cette tragĂ©die renferme des beautĂ©s, mais en raison des mouvements d'Ă©loquence qu'elle peut leur fournir contre les fanatiques, les prĂȘtres et les massacres au son des cloches ; les siĂšcles fĂ©odaux offrent seuls de pareilles horreurs ; car on sait que, durant les beaux jours de 93, toutes les cloches Ă©taient changĂ©es en gros sous.,. Le dĂ©chaĂźnement des indĂ©pendants contre M. Ancelot et HUGO AVANT 1830 il 3 pour M. G. Delavigne a dĂ» naturellement influer en sens contraire sur l'opinion des royalistes Ă  l'Ă©gard des deux au- teurs. Cependant nous conviendrons que, cette fois, leur esprit de parti a mieux servi les libĂ©raux que ne l'auraient peut-ĂȘtre fait leurs lumiĂšres. A l'exagĂ©ration prĂšs, leur juge- ment, qui place Louis IX au-dessous des VĂȘpĂź^es siciliennes, nous semble juste ; ceux des journaux royalistes qui ont ma- nifestĂ© l'opinion contraire reviendront sans doute sur leur dĂ©cision, aprĂšs avoir lu les deux tragĂ©dies dans cette affaire, les indĂ©pendants ont mieux vu qu'eux ; ce qui rappelle cet Ăąne de l'Ecriture, qui eut une fois la vue plus prompte et plus perçante que son maĂźtre. S'il y a quelque courage Ă  casser les arrĂȘts de la faction, il y en a peut-ĂȘtre plus encore Ă  les dĂ©fendre, quand le hasard les fait justes. Dans le premier cas, on ne s'expose qu'aux in- jures de quelques sophistes et aux menaces de quelques furieux ; dans le second, on provoque la dĂ©fiance des honnĂȘtes gens ; pour dissiper une telle impression, nous ferons tous nos efforts ; car nous sentons que, plaidant momentanĂ©ment la mĂȘme cause que le parti novateur par excellence, nous avons besoin de preuves magnifiques et plus claires que le soleil Bossuet ». Suivent les preuves qui sont en effet concluantes ; c'est un excellent morceau de critique. Victor Hugo rend pleine justice au talent de Casimir Delavigne, sans pourtant le surfaire. A quelque temps de lĂ , il avait Ă  rendre compte de la seconde piĂšce de l'auteur des VĂȘpres Siciliennes, les ComĂ©dieyis. Ce nouveau feuilleton est vif, alerte, Ă©crit de verve; c'est du Janin de derriĂšre les fagots. Le mot de la fin est des plus heureux et renferme, sous une forme piquante, un jugement que l'avenir a pleinement confirmĂ©. * Le Cnnservatojr littĂ©raire, t. I. p, tVi. 214 VICTOR HUGO AVANT 4830 Nous terminerons, Ă©crivait Victor Hugo, par une observation que ses deux ouvrages nous ont mis Ă  mĂȘme de faire ; nous craignons que M. Delavigne ne soit dĂ©pourvu des deux qua- litĂ©s les plus essentielles au théùtre. Comme auteur tragique, il a du mouvement et manque de sensibilitĂ© ; comme auteur comique, il a de l'esprit et point de gaietĂ©. // semble, ainsi que le disait cet infortunĂ© Scarron, il semble que cet homme-lĂ  n'ait ni entrailles ni rate i. Son apprĂ©ciation du talent de Scribe n'est pas moins remarquable. Voici le dĂ©but de son feuillelon sur la Somnambule, reprĂ©sentĂ©e le 6 dĂ©cembre 1819 Une chaise de poste qui verse, un domestique poltron, un revenant, un capitaine Ă©tourdi, un mariage fait et rompu, etc.; voilĂ  des choses bien rebattues. Cependant, allez voir la Scm- 7iambule, et dites-nous si le premier mĂ©rite de cette charmante piĂšce ne vous paraĂźt pas la nouveautĂ©. Ce joli vaudeville res- semble Ă  ces dĂ©corations fraĂźches et brillantes que le machi- niste monte sur de vieux ressorts, ou plutĂŽt Ă  ces physiono- mies originales qui n'ont pourtant d'autres Ă©lĂ©ments que ceux de toutes les figures humaines. Que nos vaudevillistes par mĂ©tier n'aillent pas demander Ă  MM. Scribe et Germain Dela- vigne leur secret ce secret-lĂ  ne peut se communiquer, c'est le talent. Depuis longtemps aucun théùtre n'avait vu les genres mis Ă  part un succĂšs aussi Ă©clatant, et, ce qui est plus encore, aussi mĂ©ritĂ©. Nous n'analyserons pas le vaudeville nouveau ; l'ennui qu'inspire une analyse est presque toujours en raison directe du plaisir que cause un ouvrage, et, dans ce cas, nous risquerions d'ĂȘtre mortellement ennuyeux. La Somnambule est un petit chef-d'Ɠuvre oĂč nous aurions honte de relever quel- ques invraisemblances et peut-ĂȘtre quelques incorrections. Ces dĂ©fauts sont si lĂ©gers que nous ne savons si les auteurs doivent 1 Le Conservateur littĂ©raire, t. I. p. irĂź8. VICTOR HUGO AVANT 1830 215 chercher Ă  les ejftacer souvent quand le tissu est dĂ©licat, en voulant enlever une tache on le dĂ©chire. Parmi la foule de scĂšnes vives et animĂ©es que prĂ©sente cet ouvrage, il serait aussi difficile de trouver une situation froide qu'il est malaisĂ© de trouver une idĂ©e dramatique dans la plu- part des piĂšces qui se succĂšdent journellement sur nos théùtres. Le style rappelle quelquefois la maniĂšre de Beaumarchais ; et pour la liaison des scĂšnes et le naturel du dialogue, les au- teurs ne nous semblent pas infĂ©rieurs Ă  Sedaine. L'intĂ©rĂȘt ne languit jamais, et l'attention est constamment Ă©veillĂ©e, sans ĂȘtre fatiguĂ©e. Les plaintes de CĂ©cile vous attendrissent, et le moment d'aprĂšs vous riez aux Ă©clats des plaisanteries de FrĂ©- dĂ©ric. VoilĂ  Fart tant vantĂ© par Boileau*. Scribe jugĂ© par Hugo, l'auteur de la Demoiselle Ă  marier cĂ©lĂ©brĂ© par l'auteur d'JIsrnani, n'y a-t-il pas lĂ  un curieux chapitre d'histoire littĂ©raire, et ne vous semble-t-il pas que M. Villemain, lorsqu'il reçut EugĂšne Scribe Ă  l'AcadĂ©mie française, aurait pu tirer un charmant parti de ce feuilleton du Conservateur littĂ©raire ? IV Que d'heureuses rencontres, que de trouvailles ne pourrions-nous pas faire encore dans ce recueil ? ObligĂ© de nous borner, nous ne voulons pourtant pas finir sans une derniĂšre citation, empruntĂ©e au feuil- leton sur la Marie Stuart de M. Lebrun. AprĂšs avoir analysĂ© la piĂšce, qui venait de rĂ©ussir brillamment * Le Conservateur littĂ©raire, t. I, p. 72. ait VICTOR HUGO AVANT 1830 au Théùtre-Français, avec Talma, dans le rĂŽle de Leicester, et M^^ Duchesnois, dans celui de Marie, M. Victor Hugo esquisse, Ă  son tour, le plan d'une tragĂ©die sur le mĂȘme sujet, telle qu'il la conçoit Tout roule, dit-il, sur ce caractĂšre de Leicester qui veut une chose au premier acte, et qui fait le contraire au cinquiĂšme ; il le fait par faiblesse ; il y aurait tragĂ©die s'il le faisait par violence ; il faudrait donc qu'il fĂ»t trompĂ© ; or, quel moyen plus naturel pouviez-vous dĂ©sirer que l'amour et les illusions de la jalousie ? Je suppose donc que vous nous eussiez montrĂ© la belle et repentante Marie, enfermĂ©e dans une prison, sans autre espĂ©- rance que la mort ; elle a fait vƓu de se consacrer au ciel et de se retirer dans un monastĂšre pour pleurer les fautes de sa vie, si jamais elle se voyait dĂ©livrĂ©e. Depuis elle a connu Leicester, elle l'aime, mais d'un amour pur et cĂ©leste, tel qu'elle n'en avait jamais ressenti ; elle combat cette passion, elle la cache Ă  son amant de peur de lui donner des armes contre elle-mĂȘme. A ce caractĂšre angĂ©lique, il fallait opposer le carac- tĂšre de Leicester. C'est ici, monsieur Lebrun, que le sang devait vous bouillonner dans les veines ; il ne fallait pas nous montrer le lĂąche, le courtisan Leicester, mais un homme hardi, Ă©nergique, impĂ©tueux, un de ces ĂȘtres nĂ©s pour le mal- heur d'eux-mĂȘmes et des autres, ayant les bras d'un gĂ©ant et les entrailles d'un lion, un de ces ĂȘtres qui ont tout prĂ©vu dans leurs desseins, sauf un coup de tonnerre. Il aime Marie, mais il l'aime avec tout l'Ă©goĂŻsme d'une Ăąme dĂ©gradĂ©e ; il veut, il peut la sauver ; mais, comme Roxane, il aime mieux la voir pĂ©rir que de la sauver pour un autre. AprĂšs avoir tracĂ© ces caractĂšres, il fallait Ă©lever la jalousie entre eux ; c'est Ă  quoi pouvai 'nt vous servir les froideurs Ă©tudiĂ©es de Marie, l'Ăąme soupçonneuse de Leicester, et surtout le personnage de Mortimer, ou tout autre moyen que vous auriez facilement imaginĂ©; ce n'Ă©tait lĂ  qu'affaire de patience; j'arrive au dĂ©- VICTOR HUGO AYANT 1830 217 nouement. Je suppose que vous nous ayez montrĂ©, au qua- triĂšme acte, le jaloux Leicester, se croyant trompĂ© par Marie, croyant avoir des preuves de sa trahison, persuadĂ© qu'il ne la sauve que pour Mortimer ; il se jette Ă  ses genoux, il lui de- mande de lui promettre de l'Ă©pouser, d'une main il lui montre le trĂŽne et de l'autre l'Ă©chafaud. En vain Marie lui objecte son vƓu ; il n'y croit point, il veut qu'elle le rompe, et il le lui propose avec toute la libertĂ© d'esprit d'un anglican. Marie hĂ©site, combattue entre son amour, la crainte de la mort et la voix de la religion ; enfin son devoir l'emporte ; dĂ©sespĂ©rĂ©e, elle se rĂ©sout Ă  boire le caHce ; elle refuse, et soudain elle voit le barbare Leicester passer de ses genoux Ă  ceux d'Elisabeth, dĂ©couvrir Ă  son ennemie cette conspiration qui fait sa seule espĂ©rance, et ne demander d'autre grĂące que de la conduire elle-mĂȘme Ă  la mort. Je pense que ces situations Ă©taient tra- giques. Je suppose donc qu'au cinquiĂšme acte vous nous montriez le coupable et malheureux Leicester ; il se croit sĂ»r de son courage, il a Ă©tĂ© trahi, il vient jouir de sa vengeance. Il est lĂ , debout, dans le fond de la scĂšne ; sur le devant paraĂźt Marie, vĂȘtue de blanc, prĂȘte Ă  monter au ciel, entourĂ©e de ses femmes ; elle les console, elle leur fait ses adieux, ses derniers regards se reportent vers sa patrie ; enfin elle tombe aux ge- noux de son sujet, et elle reçoit la bĂ©nĂ©diction du vieillard. Cette situation est belle dans Schiller ; mais alors elle eĂ»t Ă©tĂ© terrible, parce que le spectateur l'eĂ»t sentie avec l'Ăąme de Leicester. Cependant l'heure sonne, les portes s'ouvrent ; Leicester, dont l'Ăąme est brisĂ©e, rappelle son courage, il s'avance, il prĂ©sente la main Ă  Marie, il la conduit silencieusement vers l'Ă©chafaud. Tout'Ă  coup, prĂȘte Ă  entrer dans le lieu fatal, Marie s'arrĂȘte, elle se retourne, elle lui dit, comme dans Schiller Comte de Leicester, je vous aimais ; elle se jette dans ses bras ; soudain elle s'Ă©lance dans la salle, et les portes se re- ferment. Leicester pousse un cri, tire son Ă©pĂ©e, et veut la sauver ; les gardes d'Ehsabeth paraissent, il est dĂ©sarmĂ©, 13 218 VICTOR UUGO AVANT 1830 chargĂ© de chaĂźnes ; immobile au milieu de la scĂšpe, il entend le bruit des bourreaux dans la salle d'exĂ©cution ; il entend les sanglots de l'assemblĂ©e, la voix de Marie qui prie, le dernier silence, et enfin une tĂȘte qui tombe. Ah ! c'est alors qu'il n'y eĂ»t point eu assez de cris, assez de pleurs, c'est alors, Talma, que vous auriez Ă©tĂ© sublime. Enfin, pour terminer cette scĂšne, Mortimer, cet ami qu'il avait voulu faire pĂ©rir, parvient jusqu'Ă  lui, et lui rend le der- nier service de lui prĂȘter un poignard. J'ai dit que cette tra- gĂ©die aurait Ă©tĂ© sublime, et qu'Ă©tait-ce en effet ? rien que quelques pages d'Atala, deux scĂšnes d'Àndromaque et le dĂ©- nouement de ZaĂŻre et d'Othello *. Feuilletoniste dramatique, Victor Hugo Ă©tait Ă©gale- ment critique d'art ; il a des pages sur le musĂ©e de peinture et sur l'exposition des prix de Rome. C'est encore lui qui rend compte des sĂ©ances publiques de l'Institut et des leçons du CollĂšge de France. Tout lui est sujet d'article, tout, mĂȘme le Manuel du Recrutement, ou recueil des ordonnances ^ ins- tructions approuvĂ©es par le Roi, circulaires et dĂ©ci- sions ministĂ©rielles, auxquelles InexĂ©cution de la loi du j 0 mars 1 81 8 a donnĂ© lieu ; et comme, en ces heu- reuses annĂ©es, tout ce qu'il touchait se convertissait en or, il se trouve que cet article sur le Manuel du recrutement est le plus charmant du monde. En voici la fin Le dĂ©bit de cet ouvrage sera prompt, grĂące aux fonction- naires publics, dont le nombre est immense, quoique beaucoup de ces messieurs, convenons-en tout bas, soient Ă  peu prĂšs aussi utiles Ă  l'Etat que l'Arlequin de Regnard, qui recevait * Le Conservateur littĂ©raire, t. I, p. 357. VICTOR UUGO AVAAT 1830 Ăą'l9 une pension de la ville pour faire tous les quinze jours le crin au cheval de bronze *. M. Hugo se rappelait-il ce vieil article du Conserva- teur littĂ©raire, lorsque trente-deux ans plus tard, Ă  Bruxelles, il Ă©crivait dans NapolĂ©on le Petit Que faites-vous dans ce pays ? demande-t-on au SĂ©nat. — Nous sommes chaT^gĂ©s de garder les libertĂ©s publiques. — Qu'est-ce que tu fais dans cette ville? demande Pierrot Ă  Arlequin. — ,]e suis chargĂ©, dit Arlequin, de peigner le cheval de bronze'^. En 1818, a dit quelque part M. Victor Hugo, l'au- teur avait seize ans ; il paria qu'il Ă©crirait un volume en quinze jours. Il fit Bug-Jargal. » Bug-Jargal a paru dans le Conservateur littĂ©raire, avec cette indi- cation Extrait d\in ouvrage intitulĂ© les contes sous LA TENTE. Cet ouvrage ayant Ă©tĂ© remaniĂ© et rĂ©crit en grande partie sept ans plus tard, en 1825, nous aurons Ă  y revenir. Le Conservateur littĂ©raire cessa de paraĂźtre au mois de mars 1821. Le Conservateur s'est rĂ©uni aux Annalesy Ă©crivait Victor Hugo Ă  Jules de RessĂ©guier. Cette rĂ©union des deux recueils m'a fait plaisir en me dĂ©barrassant d'un travail permanent qui me fatiguait depuis longtemps ; d'un autre cĂŽtĂ©, je n'aurai plus un journal Ă  la disposition de mes amis, comme l'Ă©tait le Conservateur, et cette privation compense, de reste, le plaisir '. » ^ Le Conservateur littĂ©raire, i. II, p. 305. 2 NapolĂ©on le Petit, 1, II. S Lettre du 17 avril 1821. 220 VICTOR nuGO avant 1830 Les Annales de la littĂ©rature et des aiHs, qui re- cueillirent la succession du Conservateur littĂ©raire^ avaient pour rĂ©dacteurs quelques-uns des Ă©crivains les plus distinguĂ©s du parti royaliste Charles Nodier, Alexandre Guiraud, QuatremĂšre de Quinc}^ Abel RĂ©musat, Edouard Mennechet, Vanderbourg, l'auteur des PoĂ©sies de Clotilde de Surville, Raoul Rochette, Brifaut, Malitourne,ChĂȘnedollĂ©, le baron d'Eckstein, etc. Yictor Hugo n'avait que dix-neuf ans, et dĂ©jĂ  il Ă©tait entrĂ© dans la gloire. En mĂŽme temps que deux satires remarquables, le TĂ©lĂ©graphe et VEnrĂŽleur politique, il avait Ă©crit des odes qui lui assuraient le premier rang parmi nos poĂštes lyriques, les Vierges de Verdun, le RĂ©tablissement de la statue de Henri IV, les Destins de la VendĂ©e, la Mort du duc de Berri, MoĂŻse sur le Nil, le GĂ©nie, la Naissance du duc de Bordeaux, la Fille d'0-TaĂŻti, Quiberon,]di Vision sur le dix-huitiĂšme siĂšcle et le PoĂšte dans les RĂ©volutions. LaurĂ©at de l'AcadĂ©mie française, il avait Ă©tĂ© couronnĂ© trois fois aux Jeux-Floraux. Prosateur, il avait, pendant prĂšs de deux ans, soutenu presque seul tout le poids d'un journal, semant sans compter les articles politiques, les analyses de livres ou de piĂšces de théùtre, les pages de critique, d'imagination et de pensĂ©e. Si doux que soient les premiers rayons de la gloire, le bonheur est plus doux encore, et le bonheur Ă©tait assis au foyer du poĂšte. Sa mĂšre Ă©tait lĂ , prĂšs de lui, VICTOR HUGO AVANT 1830 221 lisant par-dessus son Ă©paule l'ode commencĂ©e ou la page interrompue. Un noble et chaste amour ajoutait ses ivresses Ă  celles de la gloire et du bonheur, et le jour n'Ă©tait pas Ă©loignĂ© oi^i celle qui avait Ă©tĂ© la com- pagne de son enfance allait unir sa destinĂ©e Ă  la sienne et devenir le tĂ©tnoin de sa vie. Par delĂ  l'amour, le bonheur et la gloire, dans une sphĂšre plus haute, s'Ă©lĂšve la foi le chantre de MoĂŻse sur le Nil et de la Naissance du duc de Bordeaux avait, en religion comme en politique, de sincĂšres et ardentes convic- tions. Oh! la radieuse aurore Ăź et combien l'avenir s'ouvrait, Ă©clatant et superbe, plein d'immenses pro- messes et de merveilleuses perspectives, devant cet enfant que la gloire avait dĂ©jĂ  touchĂ© de son aile, devant ce jeune homme qui demandait Ă  la foi le secret du gĂ©nie et au travail le secret du bonheur ! CHAPITRE YII L'Enfant sublime. — Odes et PoĂ©sies diverses. La lĂ©gende de l'enfant sublime. Sainte-Beuve et le Conservateur. La Quotidienne. Le Drapeau blanc. Le salon de l'Abbaye-aux- Bois. M. de Salvaudy. — Henri Heine, Chateaubriand et M. Victor Hugo en dĂ©shabillĂ©. — Mort de madame Hugo. Second mariage du gĂ©nĂ©ral. Une lettre de faire part. — La SociĂ©tĂ© royale des Bonnes-Lettres. L'AcadĂ©micien Roger. — Odes et PoĂ©sies diverses. Variantes. Raymond d'Ascoli. — Les MĂ©ditations et les MessĂ©niennes de Casimir Delavigne. — Un vers d'Horace traduit par le roi Louis XVIIL La duchesse de Berri et la pre- miĂšre pension de M. Victor Hugo. Le Conservateur littĂ©raire s'Ă©tant fait, en toute rencontre, le champion de Chateaubriand, le panĂ©gy- riste de son caractĂšre et de ses Ă©crits, des relations s'Ă©taient naturellement Ă©tablies entre l'illustre Ă©cri- vain et son jeune et enthousiaste disciple. Victor Hugo lisait quelquefois ses vers Ă  l'auteur du GĂ©nie du Christianisme, qui lui donnait des conseils et lui indi- quait les corrections Ă  faire. En adressant, le 20 oc- tobre 1820, Ă  son ami Saint-Valry, son ode sur la Naissance du duc de Bordeaux, il lui Ă©crivait L'ode que je vous envoie Ă©tait terminĂ©e deux jours aprĂšs l'accouchement. M. de Chateaubriand, Ă  qui je la fis VICTOR HUGO AVANT 1830 223 voir sur-le-champ, m'indiqua cinq ou six taches Ă  faire disparaĂźtre. Ce travail minutieux me coĂ»ta huit grands jours. Vous voyez qu'en vous invitant Ă  cor- riger, je prĂȘche d'exemple. » Qu'aprĂšs la lecture de cette ode ou de celle inspirĂ©e Ă  Victor Hugo, quelques mois auparavant, par la mort du lac de Berri, Chateaubriand eĂ»t appelĂ© leur auteur l'enfant sublime, cela, certes, n'aurait rien eu que de trĂšs naturel et n'aurait Ă©tonnĂ© personne. Est-il vrai, cependant, que ce mot, aujourd'hui lĂ©gendaire, ait Ă©tĂ© prononcĂ©, ou ne doit-il pas, au contraire, ĂȘtre rangĂ© parmi ces mots cĂ©lĂšbres qui, pour ĂȘtre repro- duits partout, n'en sont pas pour cela plus authen- tiques ? Suivant Sainte-Beuve, qui en parle dans la Biogra- phie des contemporains * et dans la BĂ©vue des Deux Mondes ^, dans les Portraits littĂ©raires ^ et dans les Portraits contemporains *, ce serait dans une note du Conservateur que Chateaubriand aurait qualifiĂ© Victor Hugo Ă ' enfant sublime . J'ai parcouru avec soin les six volumes de ce journal dont les rĂ©dacteurs s'appelaient Chateaubriand, La Mennais, Bonald, FiĂ©vĂ©e, Genoude, Berryer fils la note Ă  laquelle renvoie l'auteur des Portraits littĂ©raires n'existe pas. L'annĂ©e mĂȘme de la mort de Sainte-Beuve, ayant eu occasion de signaler la petite erreur qu'il avait * Biographie des Contemporains, publiĂ©e sous la direction de Boisjolin, SupplĂ©ment. 2 Vol. IlI-IV. — 1831. 3 T. I, p. 321.— 1839. 4 T. T, p. 402. — 1869. 224 VICTOR HUGO AYANT 1830 commise Ă  ce sujet, je reçus de lui une lettre, en date du 19 avril 1869, de laquelle j'extrais ce passage Je rĂ©imprime en ce moment mes Portraits contemporains. Deux premiers volumes de cette rĂ©impression paraĂźtront Ă  la fois. Dans le premier, oĂč j'ai placĂ© tout ce que j'avais Ă©crit sur Victor Hugo, vous verrez une note sur le mot di' enfant sublime. Je suis persuadĂ© et convaincu que le mot a Ă©tĂ© dit par Chateaubriand ; aprĂšs m'ĂȘtre assurĂ©, comme vous, qu'il ne se trouvait point dans une note du Conservateur, j'en suis venu Ă  penser que c'Ă©tait en causant avec M. Agier que Chateaubriand l'avait dit, et M. Agier l'aura rĂ©pĂ©tĂ© et l'aura mĂȘme imprimĂ© dans quelque article de la Quotidienne ou de quelque autre journal royaliste. La grimace que faisait Chateaubriand et sa dĂ©nĂ©gation ne prouvent rien que sa variation de sentiment Ă  l'Ă©gard de Hugo. Je pris la libertĂ© de faire observer Ă  l'Ă©minent cri- tique qui voulait bien me faire l'honneur de discuter avec moi ce petit point d'histoire littĂ©raire, que le mot de Chateaubriand ne se trouvait pas plus dans la Quotidienne que dans le Conservateur, Il ne voulut pas en avoir le dĂ©menti, et il insĂ©ra dans la rĂ©im- pression de ses Portraits contemporains la note sui- vante Ce n'est point dans une note du Conservateur, comme je l'avais dit d'abord, que M. de Chateaubriand lui dĂ©cerna cet Ă©loge, c'Ă©tait dans une conversation avec M. Agier, lequel, au sortir de lĂ , n'eut rien de plus pressĂ© que de le rĂ©pĂ©ter Ă  l'auteur, et le consigna mĂȘme publiquement dans un article de journal *. On remarquera qu'ici Sainte-Beuve n'indique plus * Portraits contemporains, Ă©dition do 1860, t. I, p, 402. VICTOR HUGO AVANT 1830 225 le journal qui aurait publiĂ©, sous la signature de M. Agier, le mot de Chateaubriand. La prĂ©caution Ă©tait sage. Le TĂ©moin de Yictor Hugo a Ă©tĂ© moins prudent. Voici sa version La mort du duc de Berry inspira Ă  Victor une ode qui rĂ©ussit beaucoup dans le monde royaliste. Louis XVIII en rĂ©cita plusieurs fois, devant ses intimes, la strophe qui com- mence par Monarque en cheveux blancs, M. de Chateaubriand, causant avec un dĂ©putĂ© de la droite, M. Agier, lui parla de l'ode en termes enthousiastes, et lui dit que l'auteur Ă©tait un enfant sublime. M. Agier fit, dans le Drapeau blane, mi article sur l'ode, et cita le mot de M. de Chateaubriand. Cette parole fat rĂ©pĂ©tĂ©e partout, et Victor entra dans la vraie cĂ©lĂ©britĂ© ^ Le Drapeau blanc ne contient point l'article dont parle le TĂ©moin. M. Agier, qui ne faisait pas partie, en 1820, de la Chambre des dĂ©putĂ©s, oĂč il ne fut envoyĂ© qu'en 1824 par les Ă©lecteurs du dĂ©partement des Deux-SĂšvres, publia bien quelques lignes sur l'ode de Victor Hugo, mais elles parurent dans le Conser- vateur ; les voici in extenso Une affreuse catastrophe, dont tous les cƓurs français ne se remettront de longtemps, est venue, soudainement autant que violemment, arracher des mains de M. Victor Hugo le fouet de la satire et demander Ă  sa lyre de douloureux sons. Ceux qu'elle a rendus vont jusqu'Ă  l'Ăąme et la dĂ©chirent de nouveau. L'ode sur la mort de Mgr le duc de Berri rend en beaux vers, Ă  chacun, l'expression du sentiment qu'il Ă©prouve. C'est 1 Yictor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, t. U, p. 5. , 13. ^20 VICTOR HUGO AVANT 1830 bien rinspiration du dĂ©sespoir commun, de l'indignation gĂ©nĂ©- rale ; c'est bien l'enthousiasme de la douleur *. De Venfant sublime^ on le voit, il n'est fait aucune mention, et le TĂ©moin de sa vie se trompe, comme s'Ă©tait trompĂ© Sainte-Beuve. Mais si le mot n'a pas Ă©tĂ© Ă©crit, peut-ĂȘtre a-t-il Ă©tĂ© prononcĂ© ? Pas davantage ; et Ă  cet Ă©gard je puis invoquer un tĂ©moignage formel, celui d'un habituĂ© du salon de Mℱ^ RĂ©camier, M. de LomĂ©nie J'ai entendu de mes propres oreilles, dit-il au tome V"^ de la Galerie des Contemporains illustres, j'ai entendu M. de Chateaubriand lui-mĂȘme dĂ©clarer positivement que, de sa vie, il n'imagina cet heureux accouplement du substantif enfant et de l'adjectif sublime. C'Ă©tait quelques jours avant la rĂ©ception de M. Hugo Ă  l'AcadĂ©mie. M. de Salvandy, chargĂ© de rĂ©pondre au rĂ©cipiendaire et assez peu hugolĂątre, comme chacun sait, se lamentait en prĂ©sence de M. de Chateaubriand sur la difficultĂ© de sa tĂąche AprĂšs tout, ajouta-t-il en s'adressant au grand Ă©crivain, je me tirerai toujours bien d'affaire en brodant votre fameux mot. — Allons, vous aussi ! s'Ă©cria vivement M. de Chateaubriand ; mais sachez donc, une fois pour toutes, que je n'ai jamais dit cette... j'attĂ©nue l'expression ,p/aisa/z^me. — Gomment, rĂ©pliqua M. de Salvandy, Venfant su- blime n'est pas de vous ? — Eh ! non, vraiment ! — Pas possible ! Ah ! ma foi, tant pis, le mot est con- sacrĂ©, il fait bien et je m'en servirai tout de mĂȘme. » 1 Le Conservateur, t. VI, p. 468. VICTOR HUGO AVANT 1830 227 Et en effet, le spirituel acadĂ©micien n'a pas manquĂ© d'orner son discours du mot consacre ; seulement, par un scrupule de conscience dont l'histoire doit lui tenir compte, il a laissĂ© en blanc le nom de l'auteur*.» Eh bien ! j'en suis fĂąchĂ© ; le mot ne laissait point d'ĂȘtre d'une justesse rare sublime^ M. Hugo l'a Ă©tĂ© quelquefois ; e/?//i^^ ill'est toujours. Ne se montre-t-il pas, dans ses derniers livres, lĂ©ger, oublieux, ingrat, brisant ses hochets de la veille, battant le sein qui l'a nourri, prodigue, envers cette Restauration qui l'a Ă©levĂ©, de ces gamineries ^ et aussi, il faut bien le dire, de ces mĂ©chancetĂ©s souvent cruelles, qui ont fait dire Ă  La Fontaine Cet Ăąge est sans pitiĂ© ? II Tout en se parant du mot de Chateaubriand, au- quel il a consacrĂ© tout un chapitre de son autobio- graphie ^, M. Victor Hugo croit devoir nous apprendre que, s'il est allĂ© plusieurs fois, en 1820, chez le grand Ă©crivain royaliste, c'a Ă©tĂ© uniquement pour obĂ©ir aux ordres de sa mĂšre. Sans elle, sans son 1 M. de Salvandy tourna fort habilement la difficultĂ©. Nous vous avons vu, dit-il, homme de lettres avant l'Ăąge dhomme, poursuivre et obtenir Ă  quinze ans des palmes dans cette enceinte ; composer coup sur coup, i cet Ăąge oĂč Voltaire ne mĂ©ditait pas encore ƒdipe, vos premiers poĂšmes qui vous valurent ce nom d'enfant sublime oĂč le mot d'enfant Ă©tait de trop. » AcadĂ©mie française, sĂ©ance du 3 juin 1841. 2 Voy. dans les MisĂ©rables, le chapitre intitulĂ© V AnnĂ©e / Ă  l'unanimitĂ©. 3 Le Conservateur littĂ©raire, t. III, p. 363. 4 Lettres champenoises, t. VII^ p. 188. VICTOR HUGO AVANT 1830 241 La sĂ©ance du 13 mars, ouverte par M. Raoul Ro- chette, qui prĂ©senta des ConsidĂ©rations su?' les jwinci- pales Ă©poques de rhistoh^e moderne, se termina par la lecture de l'une des plus belles odes de Victor Hugo, celle qui a pour titre Vision \ Le 10 dĂ©cembre 1822, Victor Hugo souleva des transports d'enthousiasme en lisant son ode sur Louis XVII. Au dĂ©but de cette sĂ©ance, qui inaugurait la seconde annĂ©e de la SociĂ©tĂ© des Bonnes-Lettres, l'acadĂ©micien Roger avait prononcĂ© un discours qui se terminait par cet appel aux poĂštes royalistes Venez, enfants des muses royalistes, ajouter Ă  l'Ă©clat de nos sĂ©ances par les heureux tributs de votre veine poĂ©tique. PrĂ©parons, messieurs, de nouvelles couronnes Ă  ces jeunes fronts dĂ©jĂ  ceints des lauriers acadĂ©miques ou des palmes du théùtre! Je vois d'ici, et le peintre noble et touchant de Saint Louis 2, et le pathĂ©tique auteur des MachabĂ©es 3, et le poĂšte ^ qui, dans un mĂȘme jour, ravissait nos Ăąmes par des accents dignes du roi-prophĂšte et nous faisait retrouver des pleurs pour ces lamentables Atrides, dont les malheurs semblaient avoir Ă©puisĂ© les ressources du gĂ©nie, de l'intĂ©rĂȘt et de la terreur ! Je vois enfm, ou plutĂŽt, messieurs, vous allez entendre tout Ă  l'heure ce jeune lyrique, dont les premiers accords respirent une si heureuse audace, et qui a peint la chute des plus cĂ©lĂšbres tyrans du monde en traits aussi profonds, aussi ter- ribles que la catastrophe elle-mĂȘme. 1 Odes et Ballades, liv. I, ode x. 2 Ancelot. 3 Alexandre Guiraud. 4 Alexandre Soumet, auteur des tragĂ©dies de Clytemnestre et de Saiil, reprĂ©sentĂ©es Ă  deux jours de distance, sur le Théùtre-Français et sur le théùtre de l'OdĂ©on, les 7 et 9 novembre 1822. 14 M"! VICTOR JlUGO AVANT 1830 Quelle gĂ©nĂ©ration de poĂštes s'Ă©lĂšve autour de votre berceau, comme pour attendre les jours de votre gloire, jeune prince, vous, l'enfant de la douleur, mais qui ĂȘtes aussi l'enfant de l'espĂ©rance ! vous, Ă  qui un auguste pĂšre n'a jamais pu sou- rire, mais que les muses qu'il aima vont servir Ă  leur tour de toute h. puissance de leurs vƓux et de leurs voix reconnais- santes ! Dernier rejeton d'une tige adorĂ©e, croissez, nouvel Henri, sous l'aile maternelle, sous les regards des rois et des saints, vos aĂŻeux, environnĂ© de la protection du ciel et de l'amour de la terre ! Consolez-nous,. .s'il se peut, de nos pertes com- munes ; rendez-nous les vertus et l'image du hĂ©ros que nous pleurons, et que notre chĂšre France, un jour illustrĂ©e par vous, ne cesse jamais d'ĂȘtre la terre de la gloire, du courage et de la fidĂ©htĂ© i. IV Je travaille beaucoup en ce moment, Ă©crivait Victor Hugo Ă  Jules de RessĂ©guier, le 19 avril 1822. Tous ces perfides amis se sont mis dans la tĂȘte qu'il fallait que je publiasse un volume d'Odes, et je leur obĂ©is cruellement. Je corrige, et, quand j'ai fini, il n'y a plus Ă  corriger que les corrections. Je ne sais rien d'insipide comme ce genre de travail. » Le volume que Victor Hugo annonçait ainsi Ă  son ami, parut au mois de juin 1822, avec ce titre Odes et PoĂ©sies diverses. Sorties des presses de Guiraudet, impriineury rue Saint-HonorĂ©, n"" 315, vis-Ă -vis S aint-Roch^ les Odes 1 ƒuvres diverses de M. Roger, de l'AcadĂ©mie française, publiĂ©es par M. Charles Nodier, t. II, p. 337. VICTOR HUGO AVANT 1830 243 et PoĂ©sies diverses Ă©taient Ă©ditĂ©es par PĂ©licier, libraire, place du Palais-Royal, n" 243. Ce fut Ă©galement PĂ©licier, — Victor Hugo l'appelle quelque part un Ă©diteur naĂŻf ^, — qui fĂźt paraĂźtre, en cette mĂȘme annĂ©e 1822, le premier recueil d'Alfred de Yigny, publiĂ©, sans nom d'auteur, sous ce titre PoĂšmes. Quelle merveilleuse succession de cbefs-d'Ɠuvre en 1819_, les PoĂ©sies d'AndrĂ© GhĂ©nier ; en 1820, les MĂ©ditations de Lamartine ^ ; en 1822, les PoĂšmes d'Alfred de Vigny et les Odes de Victor Hugo ! Une courte prĂ©face ouvrait le livre. Il y a, disait Victor Hugo, deux intentions dans la publi- cation de ce livre, l'intention politique et l'intention littĂ©raire ; mais, dans la pensĂ©e de l'auteur, la premiĂšre est la consĂ©- quence de la derniĂšre, car Vhistoire des horrimes ne iwĂ©sente de poĂ©sie que jugĂ©e du haut des idĂ©es monarchiques et des croyances religieuses. On pourra voir dans l'arrangement de ces odes une division qui, nĂ©anmoins, n'est pas mĂ©thodiquement tracĂ©e. Il a semblĂ© Ă  l'auteur que les Ă©motions d'une Ăąme n'Ă©taient pas moins fĂ©condes pour la poĂ©sie que les rĂ©volutions d'un empire. * Le libraire PĂ©licier publiait une Ă©dition de Voltaire sous ce titre ƒuvres de Voltaire, de l'AcadĂ©mie française. Cela fait venir les acheteurs,» disait cet Ă©diteur naĂŻf. » {Les MisĂ©rables, I'» partie, liv. III, chap. i. 2 Les MĂ©ditations poĂ©tiques, Ă©ditĂ©es par un brave homme dont la postĂ©ritĂ© devra retenir le modeste nom, le libraire NicoUe, firent leur apparition dans les premiers jours du mois de mars 1820, sans nom d'auteur. Voy. Journal de la librairie, annĂ©e 1820, n» 882 ; QuĂ©rard, France littĂ©raire, t. IV, p. 479; Correspondance de Lamartine, t. II. C'est donc par erreur que Sainte- Beuve parle, en plusieurs endroiis et notamment dans ses Nouveaux lundis, t. XIII, p. 189, de cette mĂ©morable annĂ©e 1819, oĂč Lamartine se rĂ©vĂ©lait par ses premiĂšres MĂ©ditations. » Comme les MĂ©ditations de Lamartine et comme les PoĂšmes d'Alfred de Vigny, un autre chef-d'Ɠuvre de la poĂ©sie au dix-neuviĂšme siĂšcle, Marie, de Brizeux, a Ă©tĂ© publiĂ© Ă©galement sans nom d'auteur. 244 AICTOR HUGO AVANT 1830 Au reste, le domaine de la poĂ©sie est illimitĂ©. Sous le monde rĂ©el, il existe un monde idĂ©al qui se montre resplen- dissant Ă  l'Ɠil de ceux que des mĂ©ditations graves ont accou- tumĂ©s Ă  voir dans les choses plus que les choses. Les beaux ouvrages de poĂ©sie en tout genre, soit en vers, soit en prose, qui ont honorĂ© ce siĂšcle, ont rĂ©vĂ©lĂ© cette vĂ©ritĂ©, Ă  peine soupçonnĂ©e auparavant, que la iwĂ©sie n'est pas dans la forme des idĂ©es, mais dans les idĂ©es elles-mĂȘmes. La poĂ©sie, c'est tout ce qu'il y a d'intime dans tout. Dans ces quelques lignes, il y a beaucoup de choses et peu de mots depuis, Victor Hugo a changĂ© tout cela. Ses derniĂšres Ɠuvres pourraient avoir pour Ă©pigraphe ce passage d'Hamlet Des mots ! des mots ! des mots ! Les Odes Ă©taient au nombre de vingt-quatre. Comme elles ont Ă©tĂ©, dans l'Ă©dition dĂ©finitive de 1828, mĂȘlĂ©es et confondues avec celles du second volume, publiĂ© en 1824, et celles du troisiĂšme, publiĂ© en 1826, nous croyons utile, pour que le lecteur puisse suivre la marche des idĂ©es et du talent de l'auteur, relever les dates de sa pensĂ©e et apprĂ©cier les modifications de sa maniĂšre Ă  trois Ăąges diffĂ©rents, de donner ici la liste des piĂšces que renfermait le volume de 1822. Nous les avons classĂ©es dans l'ordre mĂȘme de leur composition. AnnĂ©e 1818 les Vierges de Verdun. AnnĂ©e 1819 le. RĂ©tablissement de la statue de Henri IV ; la VendĂ©e. AnnĂ©e 1820 MoĂŻse sur le Nil ; la mort du duc de Berri ; le GĂ©nie ; la Naissance du duc de Bordeaux. AnnĂ©e 1821 la fille d'0-TaĂŻti; le Regret; Quiberon ; VICTOR HUGO AYxVNT 1830 245 le PoĂšte dans les RĂ©volutions ; le BaptĂȘme du duc de Bordeaux; Vision; Au vallon de ChĂ©rizy ; le DĂ©voue- ment; A toi. AnnĂ©e 1822 V Homme- heureux ; Buonaparte ; la Chauve-Souris ; le Nuage ; le Cauchemar ; le Matin ; la Lyre et la Harpe; A V AcadĂ©mie des Jeux-Floraux. On a vu, tout Ă  l'heure, clans la lettre du poĂšte Ă  son ami Jules de RessĂ©guier, qu'il avait revu avec le plus grand soin chacune de ces piĂšces. Il devait les corriger encore dans les Ă©ditions suivantes, et dans la prĂ©face de l'Ă©dition dĂ©finitive des Odes aoĂ»t 1828, il a dit Quelque puĂ©rile que paraisse Ă  l'auteur l'ha- bitude de faire des corrections Ă©rigĂ©e en systĂšme, il est trĂšs loin d'avoir fui, ce qui serait aussi un systĂšme non moins fĂ cheuX;, les corrections qui lui ont paru importantes... Ainsi, bon nombre de vers se sont trouvĂ©s refaits, bon nombre de strophes remaniĂ©es, remplacĂ©es ou ajoutĂ©es. » Ces vers refaits », ces strophes remaniĂ©es », nous nous attendions Ă  les retrouver, Ă  titre de va- riantes, dans l'Ă©dition nouvelle des ƒuvres complĂštes, faite diaprĂ©s les inanuscrits originaux. Il n'en est rien. Une Note, placĂ©e Ă  la fin du premier volume, nous apprend que les Ă©diteurs de 1880 n'ont pas jugĂ© qu'il fĂ»t intĂ©ressant de reproduire ces variantes ». Il y aurait eu lĂ  cependant, pour tous ceux qui aiment les vers, un curieux sujet de comparaison et d'Ă©tude. Il n'est rien de tel que ces retouches successives pour faire pĂ©nĂ©trer le lecteur dans les secrets mĂȘmes du travail du poĂšte. 14. 246 VICTOR nuGO avant 1830 Voici, par^exemple, une strophe remaniĂ©e ». Dans le texte, publiĂ© au mois de juin 1820 par le Conser- vateur littĂ©raire, de l'ode sur le GĂ©nie, dĂ©diĂ©e Ă  M. le vicomte de Chateaubynand, la strophe dixiĂšme se lisait ainsi A l'ombre de la pyramide, Tente immobile de la mort, Le camp voyageur du Numide T'accueillit, errant sur ce bord. Tu vis encor le mont auguste OĂč, maudit par son peuple injuste. Mourut le Sauveur des humains ; Sur le tombeau qui nous rachĂšte, La muse sainte du prophĂšte T'enseigna ses secrets divins, Victor Hugo, dans son recueil de 1822, fit subir aux quatre premiers vers la modification suivante Le camp voyageur du Numide T'accueihit, errant sur ce bord, OĂč s'Ă©lĂšve la pyramide. Tente immobile de la mort. Dans l'Ă©dition de 1828, l'auteur n'a conservĂ© de son premier texte qu'un seul vers Mais si la GrĂšce est sans prestiges, Tu savais des lieux solennels OĂč sont de plus sacrĂ©s vestiges, Des monuments plus Ă©ternels, Une tombe pleine de vie. Et JĂ©rusalem asservie VICTOR HUGO AVANT 1830 447 Qu'un pacha foule sans remord, Et le BĂ©douin, fils du Numide, Et Carthage, et la Pyramide, Tente immobile de la mort ! Strophes ajoutĂ©es. » — Une strophe entiĂšre a Ă©tĂ© ajoutĂ©e, dans l'Ă©dition de 1828, Ă  l'ode qui a pour titre r Homme heureux. C'est la strophe septiĂšme. Je m'ennuie au Forum, je m'ennuie aux ArĂšnes, Je demande Ă  tous Que fait-on ? Je fais jeter par jour un esclave aux murĂšnes, Et je m'amuse Ă  peine Ă  ce jeu de Caton. Yers refaits. » — Leur nombre est considĂ©rable ; si nous en reproduisions, mĂȘme une faible partie, il faudrait indiquer le vers primitif, en regard de celui qui a prĂ©valu; un pareil travail, on le comprend, ne serait point ici Ă  sa place. Nous nous bornerons Ă  un seul exemple. Dans le Cauchemar^ Ă©dition de 1822, on lisait ce vers TantĂŽt dans une eau morte il traĂźne son corps bleu. Ce corps hleuy qui dut faire frissonner d'aise Eug Ăšne Delacroix alors Ă  ses dĂ©buts, — la Barque de Dante est contemporaine de la premiĂšre Ă©dition des Odes % — provoqua chez tous les tenants de la littĂ©rature impĂ©riale un rire inextinguible. M. Hoffman, le spi- rituel critique du Journal des DĂ©bats , s'Ă©criait Gorbleu Ăź ce n'est pas lĂ  du classique 1 » Yictor Hugo 1 SaloH de 1822, par A. Thiers. Paris, 1822. 248 VICTOR HUGO AVANT 1830 eut la faiblesse de rougir de son vers, et il le remplaça par celui-ci TantĂŽt d'une eau dormante il lĂšve son front bleu. Le volume des Odes et poĂ©sies diverses se terminait par trois piĂšces^ dont la publication justifiait la se- conde partie du titre Raymond d'Ascoli, Ă©lĂ©gie, les Deux Ăąges, \^y\\Q ; les Derniers bardes, poĂšme. En- voyĂ©es par l'auteur au concours des Jeux-Floraux, en 1819 et 1820, elles n'avaient point Ă©tĂ© couronnĂ©es ; l'AcadĂ©mie leur avait accordĂ© une simple men- tion *. Si la premiĂšre de ces piĂšces, l'Ă©lĂ©gie, n'offre rien de trĂšs remarquable au point de vue littĂ©raire, elle a en revanche une rĂ©elle valeur comme piĂšce auto- biographique. En voici le sujet Raymond d'Ascoli, jeune poĂšte, disciple de PĂ©trarque, est amoureux d'Emma-Giovanna Stravaggi. Son pĂšre, ayant dĂ©couvert cette passion par des mots entrecoupĂ©s qu'il lui a entendu profĂ©rer dans son sommeil, le chasse de sa prĂ©sence. Raymond, dĂ©sespĂ©rĂ©, Ă©crit Ă  sa maĂźtresse une lettre, — en vers, naturellement, — dans laquelle il donne un libre cours Ă  son dĂ©sespoir. Mais sous ce sujet apparent il y en avait un autre plus intime et plus vivant ; derriĂšre cette fiction, il y avait une rĂ©alitĂ©. La passion de Victor pour la jeune fille qu'il aimait, a dit Sainte-Beuve qui avait 4 Voy. oi-dcsĂŻus, chapitre IV, pp. 123 et 130. VICTOR nUGO AVANT 1830 249 reçu les confidences du poĂšte lui-mĂŽme, avait fini par devenir trop claire aux deux familles, qui, rĂ©- pugnant Ă  unir un couple de cet Ăąge et sans fortune, s'entendirent pour ne plus se voir momentanĂ©ment. Il a consacrĂ© cette douleur de l'absence, dans une piĂšce intitulĂ©e Prernler soupir * ; une tristesse douce etfiĂšre y est empreinte. Mais ce qu'il n'a pas dit et ce que je n'ai le droit ici que d'indiquer, c'est la fiĂšvre de son cƓur durant ces annĂ©es continentes et fĂ©condes, ce sont les ruses, les plans, les intelligences de cet amour merveilleux, qui est tout un roman ^. » L'Ă©lĂ©gie de Raymond cFAscoli fut l'une de ces ruses. La lettre de Baymond Ă , Emma n'est pas autre chose qu'un message d'amour adressĂ© par le poĂšte Ă  celle qu'il aimait depuis l'Ăąge de neuf ans, — l'Ăąge auquel Dante Ă©tait tombĂ© amoureux de BĂ©atrice Portinari. A ce titre, il n'est pas sans intĂ©rĂȘt de relire aujour- d'hui ces vers oĂč, sous une forme imparfaite^ Ă©clate une passion ardente et sincĂšre. Victor Hugo est si vivement Ă©mu, il Ă©crit si bien avec son cƓur et son cƓur seul que, pour la premiĂšre et la derniĂšre fois de sa vie, il oublie de rimer richement ! Cette Ă©lĂ©gie a paru d'abord dans le Conservateur littĂ©raire , en 1820. Lorsqu'il l'a rĂ©imprimĂ©e, en 1822, dans les Odes et poĂ©sies diverses, l'auteur lui a fait subir de nombreux retranchements. Il a supprimĂ© notamment tout un passage;, dans lequel Ă©taient retracĂ©es ses promenades solitaires sous les arbres de l'hĂŽtel Tou- 1 Odes et ballades, liv. V, ode i. 2 Portraits contemporains, t. I, p. 309, 250 VICTOR nuGO avant 1830 louse *, et aussi ces heureuses soirĂ©es oĂč M^'" Hugo, ]^jme Foucher et sa fille travaillaient Ă  l'aiguille autour d'un guĂ©ridon, tandis que Victor Foucher, son frĂšre EugĂšne et lui, formaient le cercle Hier... te souvient-il, fille aimable et modeste, De cet hier, dĂ©jĂ  si loin de moi ?... Le soir, aidant ton pĂšre en sa marche pesante, AuprĂšs de toi je suis entrĂ© Dessins, tissus, travaux de ta main diligente, J'ai tout vu, j'ai tout admirĂ©, J'ai cultivĂ© les fleurs que mon Emma cultive ; Ton frĂšre, encore enfant, jouait sur mes genoux 2... Le frĂšre encore enfant, c'Ă©tait Paul Foucher. De tous ceux qui s'asseyaient alors, le soir, autour de la table de travail, Victor Hugo reste seul au- jourd'hui Toutes ces choses sont passĂ©es Comme Fonde et comme le vent ! Les Deux Ăąges, idylle antique, dans le goĂ»t d'AndrĂ© GhĂ©nier, sont une piĂšce agrĂ©able, mais oĂč l'on cher- cherait en vain les qualitĂ©s principales du genre, la lĂ©gĂšretĂ©, la grĂące naĂŻve et simple. Le spiritus Graiae tenuis camƓnƓ faisait dĂ©faut dĂšs lors Ă  Victor Hugo. 1 L'hĂŽtel Toulouse, oĂč siĂ©geaient alors les conseils de guerre, Ă©tait situĂ© au n» 39 de la rue du Cherche-Midi. M. Foucher, chef de bureau au minis- tĂšre de la guerre, aprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps greffier des conseils de guerre, avait conservĂ© Ă  l'hĂŽtel Toulouse l'appartement qu'il y avait occupĂ© en qualitĂ© de greffier, et qu'il partageait avec son beau-frĂšre, M. Asseline, Ă  qui il avait cĂ©dĂ© son greffe. 2 Consercateur littĂ©raire, t. Il, p. 200, VICTOR UUGO AVANT 1830 251 Il y a dans son gĂ©nie quelque chose de la puissance, mais aussi de la duretĂ© du gĂ©nie romain; il n'a pas la fraĂźcheur et la fleur du gĂ©nie grec on ne reconnaĂźt jamais chez lui le parfum exquis de l'Hymette. Les Derniers bardes nous transportent bien loin du ciel bleu de la GrĂšce, dans les brouillards de l'Ecosse. L'auteur a fait prĂ©cĂ©der son poĂšme de cet argument, destinĂ© Ă  Ă©clairer les obscuritĂ©s du sujet qu'il avait choisi Edouard, roi d'Angleterre, ne put pĂ©nĂ©trer en Ecosse qu'a prĂšs avoir taillĂ© en piĂšces les guerriers calĂ©doniens. Les bardes, alors, se rĂ©unirent sur des rochers que l'auteur sup- pose ĂȘtre ceux de Trenmor, aĂŻeul de Fingal, pĂšre des vents, des tourbillons, etc., et lĂ , ils maudirent solennellement l'armĂ©e et le roi Ă  leur passage, puis se prĂ©cipitĂšrent dans l'abĂźme oĂč marchaient les bataillons anglais. Victor Hugo attachait sans doute une certaine im- portance Ă  ce poĂšme, puisqu'ill'a publiĂ© trois fois, — dans le Conservateur littĂ©raire *, dans les Odes etpoĂ©sies diverses^ et enfin au tome 1er ^e Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie *. Des trois versions, qui dif- fĂšrent considĂ©rablement entre elles, la plus complĂšte est celle du Conservateur, qui n'a pas moins de deux cent quatre-vingt-dix-huit vers. Dans les Odes et poĂ©sies diverses, la piĂšce a cent quatre-vingt-seize vers seulement ; elle n'en a plus que cent cinq dans Victor Hugo racontĂ©. Lorsqu'on recueillera ses Ɠuvres de jeunesse, c'est donc la version du Con- 1 T. I, p. 281. a Yictor Hugo racontĂ©, etc., t. I, p. 284 et suiv. 252 VICTOR HUGO AVANT 1830 servateur HttĂ©raire qu'il importera de donner. Chateaubriand, avant d'Ă©crire le GĂ©nie du christia- nisme, avait traduit quelques productions ossianiques de John Smith, les poĂšmes de Dargo, de Duthona et de Gaul. Il leur a donnĂ© place dans ses OEuvres complĂštes *. Pourquoi Victor Hugo ne publierait-il pas, dans les siennes, les Derniers bardes ? Les dĂ©bris des tours de Morven, frappĂ©s des rayons de l'astre de la nuit, ont leur charme ". » Je t'enverrais les MĂ©ditations, Ă©crivait Lamartine Ă  son ami Aymon de Yirieu, le 23 mars 1820, si je savais comment et oĂč. Elles ont un succĂšs inouĂŻ et universel pour des vers en ce temps-ci. Le roi en a fait des compliments superbes ; tous les plus anti- poĂštes, MM. de Talleyrand, Mole, Mounier, Pasquier, les lisent, les rĂ©citent, enfin on en parle au milieu de ce brouhaha rĂ©volutionnaire du moment. Je te dis tout cela pour te tranquilliser et te rendre la justice que tu as Ă©tĂ© bon prophĂšte ^ ... » Dans cette lettre, Lamartine n'exagĂ©rait rien. Le succĂšs soudain qu'obtinrent les 3IĂ©ditations, a dit Sainte-Beuve, fut le plus Ă©clatant du siĂšcle depuis le GĂ©nie du chrĂźs- 1 ƒuvres complĂštes de Chateaubriand, Ă©dition Ladvocat, t. XXII. 2 Chateaubriand. 3 Correspondance de Lamartine, t. II, p. 450. VICTOR HUGO AVANT 1830 253 Ăčanisjne; il n'y eut qu'une voix pour s'Ă©crier et ap- plaudir *. i Le succĂšs des Odes et poĂ©sies diverses fut loin d'Ă©galer celui des MĂ©ditatioiis. Victor Hugo Ă©crivait Ă  Jules de RessĂ©guier, le 20 juillet 1822 Nos journa- listes n'ont point encore honorĂ© d'un article mon pauvre recueil. Ils attendent, m'a-t-on dit, des visites, des sollicitations, des louanges. Je ne puis croire qu'ils fassent cet affront Ă  moi et Ă  eux-mĂȘmes. » Les journalistes ne tardĂšrent pas Ă  rompre le silence dont se plaignait le jeune poĂšte, et la plupart ne lui refu- sĂšrent pas les Ă©loges qui lui Ă©taient dus ; ils n'eurent garde cependant de mettre sur la mĂȘme ligne l'Ɠuvre de A^ictor Hugo et celle de Lamartine, en quoi, il faut le reconnaĂźtre, ils eurent pleinement raison. Les premiĂšres Odes, faites de main d'ouvrier, Ă©tonnent, surtout lorsqu'on songe Ă  l'Ăąge de l'auteur, elles n'Ă©meuvent pas. Les MĂ©ditations, au contraire, aujourd'hui comme il y a 'soixante ans, font battre nos cƓurs et mouillent nos yeux de larmes. H y a une Ăąme dans le livre de Lamartine, et l'Ăąme est immortelle. Mais oĂč les journalistes et le public de 1822 ces- saient do voir juste, c'est lorsqu'ils prĂ©fĂ©raient aux Odes et poĂ©sies diverses les Ti^ois MessĂ©niennes que venait de faire paraĂźtre Casimir Delavigne le jeune Diacre ou la GrĂšce chrĂ©tienne, ParthĂ©nope ou V Etran- gĂšre, Aux ruines de la GrĂšce paĂŻenne. Pour Ă©trange i Portraits contemporains, t. I, p. 20Ăź. 15 234 VICTOR HUGO avant 1830 que nous semble cette prĂ©fĂ©rence accordĂ©e aux vers de Delavigne, elle n'en est pas moins incontestable, et j'en trouve la preuve dans une publication du temps, VAiinuaire historique de Lesur, qui, Ă  Ă©gale distance des libĂ©raux et des ultras, reprĂ©sentait assez exactement l'opinion de la moyenne des lecteurs. Entre quatre Ă  cinq autres publications en vers, Ă©crivait Lesur, on a remarquĂ© un poĂšme didactique en quatre chants, VArt historique^ d'un anonyme dont les vers sont faciles, pleins de sens, de raison et d'une Ă©lĂ©gante simplicitĂ©, et un recueil Ă ^Odes et poĂ©sies diverses, de M. Victor Hugo, d'un style chaud, vigoureux, mais surtout trois nouvelles MessĂ©- niennes de M. Casimir Delavigne ^. Cependant, le livre de Victor Hugo faisait son cbe- min, et l'auteur Ă©crivait, Ă  la fin de juillet 1822 En attendant, le volume se vend bien au delĂ  de mes espĂ©rances, et j'espĂšre songer, avant peu, Ă  une seconde Ă©dition^. » Dans tous les salons royalistes, on cĂ©lĂ©brait ses vers et on chauffait son succĂšs. C'est ce que nous apprend Stendhal dans sa Correspoii- dance. V E dinburgh-Revieic, lisons-nous dans une de ses lettres, s'est complĂštement trompĂ©e en faisant de M. de Lamartine le poĂšte du parti ultra. Ce parti, si habilement dirigĂ© par MM. de Yitrolles et Frays- sinous, cherche Ă  adopter toutes les gloires. Il a pro- curĂ© Ă  M. de Lamartine neuf Ă©ditions de ses poĂ©sies ; * Annuaire historique et universel pour iS23, par Lesur, p. 853. — Cette prĂ©fĂ©rence accordĂ©e Ă  Casimir Delavigne sur Victor Hugo subsistait encore Ă  la fin de la Restauration. Voyez, Ă  ce sujet, ce que dit M. de Pont ‱ raartin, au tome I*' de ses MĂ©moires, p. 106-110. 2 Lettre de Victor Hugo Ă  Jules de RessĂ©guier VICTOR UUGO AVANT 1830 25o mais le vĂ©ritable poĂšte du parii, c'est M. Hugo. Ce M. Hugo a un talent clans le genre de celui de Young, l'auteur des Niglit Thoughts; il est toujours exagĂ©rĂ© Ă  froid ; son parti lui procure un fort grand succĂšs. L'on ne peut nier, au surplus, qu'il ne sache fort bien faire des vers français ; malheureusement il est somni- fĂšre \ » Si l'auteur des Odes et poĂ©sies diverses avait eu con- naissance de ce jugement Ă©chappĂ© Ă  la plume d'un bonapartiste, il en eĂ»t Ă©tĂ© bien vite consolĂ© par la pensĂ©e que son livre avait obtenu le plus auguste des suffrages, celui du roi lui-mĂȘme. Edouard Mennechet, confrĂšre de Victor Hugo Ă  la SociĂ©tĂ© des Bonnes- Lettres et presque son compatriote, puisqu'il Ă©tait de Nantes comme la mĂšre du poĂšte, Ă©tait lecteur duroi^ Il porta les Odes aux Tuileries. Non content de se les faire lire, Louis XVHI les relut et les annota de sa main. H salua au passage, avec un sourire d'approba- tion, les Ă©pigraphes que l'auteur avait empruntĂ©es Ă  Horace, celle-ci entre autres qu'il rencontrait dĂšs la premiĂšre page Dictus ob hoc lenire tigres, rabidosque leones* Peut-ĂȘtre ne put-il se dĂ©fendre de blĂąmer çà et iĂ  quelques vers trop hardis et d'inscrire en marge de quelques strophes trop audacieuses cette maxime de son auteur favori, qui renfermait la condamnation de tous les ultras, en littĂ©rature comme en politique 1 Correspondance inĂ©lite de Stendhal., t. I, p. 221. 2 Edouard Menneo6 , VICTOR IILGO AYANT 183U Est modus in rĂ©bus, sunt certi denique fines QuĂ»s ultra citraque nequit consistere rectum *. Mais il se dit en mĂȘme temps, toujours avec Horace, qu'il ne faut pas s'ofĂŻenser de quelques taches lĂ  oĂč les beautĂ©s abondent ... Ubi plura nitent in carminĂ©, non ego paucis Offendar maculis -... Heureux de l'avĂšnement d'un astre nouveau dans le ciel de la Restauration et de l'Ă©clat fraternel des MĂ©ditations et des Odes, de Lamartine et de Victor Hugo, — fratres Helenx lucida sidĂ©ra, — entraĂźnĂ© par l'amour des citations, il n'hĂ©sita pas Ă  en faire une de plus ; hedera nascentem ornate poetain, et Ă  la traduire ainsi pour l'intendant de sa liste civile A compter de ce jour, vous aurez Ă  payer Ă  M. Tictor Hugo, auteur des Odes et poĂ©sies diverses, une pension annuelle de 1000 francs sur ma cassette particuliĂšre. » n a plu Ă  M. Victor Hugo de donner une autre ori- gine Ă  la pension qu'il a reçue du roi. Il aime Ă  raconter, et tous ses biographes racontent d'aprĂšs lui, qu'en 1822, son ancien camarade d'enfance, Edouard Delon, ayant Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  mort par contumace pour sa participation Ă  la conspiration de Saumur, il avait Ă©crit Ă  la mĂšre de Delon, femme du lieutenant du roi, Ă  Saint-Denis, lui offrant un asile sĂ»r pour son fils Je suis trop royaliste, madame, lui disciit- 1 Huiace, Satires, I. 2 Horace. Art poĂ©tiqup... VICTOR HUGO AVANT 1830 257 il, pour qu'on s'avise de le venir chercher dans ma chambre, » Trois ans plus tard, au printemps de 1825, il eut occasion de voir l'acadĂ©micien Roger, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des postes, qui le plaisanta sur ses relations avec les conspirateurs. Gomme il se rĂ©criait, Roger lui rappela sa lettre Ă  M""'' Delon, et lui apprit qu'elle avait Ă©tĂ© dĂ©cachetĂ©e et mise sous les yeux du roi, qui dit Je connais ce jeune homme ; il se con- duit en ceci avec honneur ; je lui donne la prochaine pension qui vaquera \ » Le mot est d'un homme d'esprit; rien ne s'oppo- serait donc Ă  ce qu'il eĂ»t Ă©tĂ© dit par Louis XYlll, et pour ma part je serais charmĂ© que les choses se fussent ainsi passĂ©es. Mais la vĂ©ritĂ© m'oblige Ă  recon- naĂźtre que la pension accordĂ©e Ă  l'auteur des Odes ne l'a point Ă©tĂ© dans les conditions et pour la cause qu'il indique. Louis XYlIl, qui avait donnĂ© des mar- ques de sa bienveillance Ă  tous les jeunes poĂštes dont le talent honorait son rĂšgne, Ă  Lamartine, Ă  Soumet, Ă CĂźuiraud, Ă  Ancelot, Ă  Casimir Delavigne lui-mĂȘme -, ne pouvait pas oublier, dans la distribution de ses faveurs, le poĂšte royaliste par excellence, celui qui avait eu des hymnes pour toutes les douleurs, des chants pour toutes les joies de^ la famille des Bourbons ! 11 le pouvait d'autant moins qu'il y avait lĂ , auprĂšs de lui, pour plaider la cause, d'ailleurs gagnĂ©e d'avance, de l'auteur des Odes ei poĂ©sies dl- 1 Sainte-Beuve, Portraits contemporains. — Barbou, Victor Hinjo et son temps. — Victor ffufjo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, t. II. 2 Voy. le Journal d'un poĂšte, par Alfred de Vigny, p. 201. 258 VICTOR HUGO AVANT 1830 verses, la voiivo du duc de Berri, la mĂšre du duc de Bordeaux. Voici, en effet, ce qu'Ă©crivait M. Victor Hugo, en 1826, Ă  M. le vicomte de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargĂ© du dĂ©partement des Beaux-Arts Monsieur le vicomte, Par dĂ©cision du mois de septembre 1822, S. M. Louis XVIII, sur la proposition de M. le marquis de Lauriston, alors mi- nistre de la maison du roi, et sur la recommandation spĂ©ciale de S. A. R. Madame^ duchesse de Berri, transmise au ministre par Mme la marĂ©chale, duchesse de Reggio, daigna m'ac- corder une pension de 1000 francs. Le ministre et M. le vicomte de Senonnes, alors secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la maison du roi, en me transmettant l'avis de cet honorable bienfait du roi, me donnĂšrent l'assurance verbale que cette pension, quo plusieurs circonstances n'avaient point permis de crĂ©er plus forte, ne serait que provisoire, et qu'ils ne tarderaient pas Ă  en solliciter l'augmentation auprĂšs de Sa MajestĂ©... CHAPITRE VIII Le Mariage du PoĂšte. — M. Viciou Hugo ET Alexandre Soumet. Un voyage sentimental. La citĂ© de — Lettre de faire part et Acte de mariage. — Deux faux tĂ©moins. — Le roman d'une confession. L'abbĂ©-duc de Rohan et Mgr Frayssinous. Miie Du- chesnois, M^ie Leverd et M^^^ Sophie Gay. L'abbĂ© Garron et l'abbĂ© de la Mennais. Alphonse de Lamartine et le duc Mathieu de Montmorency. — A ce qui fut EugĂšne. Une tragĂ©die de Spartanus. — Seconde Ă©dition des Odes. — Feuilleton de .M. Victor Hugo sur la tragĂ©die de Saul d'Alexandre Soumet. J'arrive tout poudreux Dans la citĂ© de Dreux, , crivait M. Victor Hugo Ă  son ami Saint-Valry, au mois de juillet 1822, et quittant les vers pour la prose, il continuait ainsi son Ă©pĂźlre, toute pleine de la grĂące et de la fraĂźcheur des jeunes annĂ©es Mon expĂ©dition n'a rien eu d'extraordinaire, sinon qu elle m'a distrait et rendu le sommeil ; elle a encore eu cela de remarquable, qu'Ă  Pontchartrain, le papier de la chambre oĂč j'ai dĂ©jeunĂ© reprĂ©sentait un couple villageois se donnant le bras, et qu'ici il reprĂ©sente un couple bourgeois ; ce couple quitte une voiture versĂ©e et entre dans une chaumiĂšre. Je me suis demandĂ© si une vilaine chaumiĂšre qui se tient toujours 260 VICTOR HUGO AVANT 1830 debout ne vaut pas une belle voiture qui verse. — Ma foi, non ! Pour lui, il n'avait point ou Ă  craindre que sa voi- ture versĂąt, car il avait voyagĂ© Ă  pied, le bĂąton Ă  la main, la bourse assez lĂ©gĂšre, mais le cƓur plein d'il- lusions et de craintes, plein de tristesse et d'espoir. Les parents de M^'*^ Foucher, qui ne pouvaient se dĂ©- cider Ă  unir leur fille Ă  un jeune homme de vingt ans, avaient cru sage de mettre entre le poĂšte et celle qu'il aimait la distance qui sĂ©pare Paris de la citĂ© de Dreux. Peine perdue ! prĂ©caution inutile ! la distance avait Ă©tĂ© lestement franchie, et le poĂšte avait retrouvĂ© bien vite la trace adorĂ©e. Devant cette preuve nouvelle d'un amour que rien ne lassait, M. et M^e Foucher s'avouĂšrent vaincus, et la date du mariage fut enfin fixĂ©e. L'expĂ©dition du jeune poĂšte eut un heu- reux rĂ©sultat, » dit M. de Saint-Yalry, qui a retracĂ© dans des pages exquises les aimables pĂ©ripĂ©ties de ce voyage senĂčinental . tor Hugo, dominĂ© sans doute par la puissance de ses souvenirs Massiques, Ă©^rit Ă  tort Carcn. 3 ƒuvres posthumes dp La Mennnis. Correspondance, t. I. VICTOR llUdO AVANT I S30 271 vous la lui rapportez, et je me plais Ă  en trouver dans votre lettre l'expression naĂŻve et touchante. Mais entendez aussi que c'est une joie du temps, et fugitive comme lui. Il y a une autre joie dans l'Ă©ternitĂ©, et c'est celle-lĂ  qui doit ĂȘtre l'objet de tous les dĂ©sirs de votre Ăąme. Que le Ciel cependant, cher ami, rĂ©pande sur vous et sur celle dont le sort ne sera plus sĂ©parĂ© du vĂŽtre, tout ce qu'il y a de plus doux dans les grĂąces qu'il accorde aux jeunes Ă©poux. Qu'il daigne Ă©carter de votre route Ă  travers ce monde ce qui pourrait affliger votre vie et en troubler l'aimable paix. VoilĂ  les vƓux que forme pour vous le plus sincĂšre et le plus tendre de vos amis. Dans une autre lettre, Ă©crite Ă©galement de la ChĂȘnaie et datĂ©e du 9 juin 1822, LaMennais remercie Yictor Hugo de l'envoi de ses Odes et poĂ©sies diverses J'ai le recueil de vos poĂ©sies, mon cher Victor, et je vous remercie du plaisir que vous m'avez procurĂ©. Les beaux vers ressemblent Ă  la lumiĂšre du Midi, qui colore davantage les objets et rĂ©pand sur eux des teintes plus variĂ©es et plus harmonieuses. Et la lettre, trĂšs longue et trĂšs belle, se termine par ces mots Ce qui me peine le plus, c'est d'ĂȘtre si longtemps sĂ©parĂ© de mes amis. 11 faut que je me redise de temps en temps que Dieu le veut, et il est vrai que ce mot rĂ©pond Ă  tout et console de tout. Prie', pour moi, mon cher Victor. Je ne vous oublie point Ă  l'autel, et votre souvenir est partout un des plus doux de mon cƓur. Votre ami, F. M*. i Voir cette lettre et la prĂ©oĂ©ilonte. tome II de Victor Huçjn racontĂ©, etc.. p. 5 8 et suivantes, 272 VICTOR HUGO AVANT 1830 Au mois d'octobre 1822, La Mennais et Victor Hugo Ă©taient donc , depuis longtemps dĂ©jĂ  , liĂ©s d'une Ă©troite amitiĂ©, et sur ce point comme sur tous les autres, le rĂ©cit du poĂšte est en contradiction formelle avec les faits et les documents les plus authentiques. Celte dĂ©monstration faite, nous nous garderons bien de rechercher quels motifs ont pu conduire M. Victor Hugo Ă  bĂątir ainsi tout un roman autour d'un fait aussi simple et aussi naturel que sa confes- sion, Ă  une Ă©poque oi^i il Ă©tait sincĂšrement religieux. Serait-ce donc qu'il en rougirait aujourd'hui ? Lamar- tine s'est confessĂ© lui aussi. Voici en quels termes nobles et touchants, dans une lettre Ă©crite de Florence le 6 avril 1826, il en donnait la nouvelle Ă  sa mĂšre La mort angĂ©lique de ce brave et saint duc de Alontmorency me fait un vrai chagrin. C'Ă©tait un homme unique, accompli, et non remplaçable pour tout ce qui l'a connu. Outre cela, c'est une perte de cƓur pour moi. On me mande de Paris que les derniĂšres lignes qu'il ait tracĂ©es de sa main Ă©taient une lettre commencĂ©e pour moi. Je l'aimais beaucoup, et il m'aimait sincĂšrement aussi. Tout s'en va successivement ainsi, bon et mauvais ; tout nous montre le chemin et le monde se renouvelle. Heureux ceux qui suivent les traces des Montmorency dans ce monde et surtout dans l'autre ! J'es- pĂšre ĂȘtre du nombre, car je fais mes pĂąques demain. Je sais que c'est une bonne nouvelle Ă  vous donner *. 1 Correspondance de Lamart ne, t. III, p. 308. A'ICTOR HUGO AVANT 1830 273 III La veillo de son mariage, Ă  son ami Saint-Yalry, celui qu'il appelait le doux confident de ses jeunes mys- tĂšres et qui Ă©tait en ce moment retenu loin de Paris^ M. Yiclor Hugo Ă©crivait a FĂ©licitez-moi, aimez-moi et hĂątez-vous de revenir ici voir le rare visage d'un homme pleinement heureux. » 0 poĂȘle ! oubliez- vous donc que nul ne peut jamais, sans imprudence, se diĂŻvQ pleinement heureux, et ne vous souvient-il plus de ce beau vers de VOdyssĂ©e Le chemin de la nuit est prĂšs du chemin du jour? » Une grande douleur allait atteindre M. Victor Hugo en pleine fĂ©licitĂ©. Au dĂźner de noces, son frĂšre EugĂšne prononça des paroles incohĂ©rentes qui frappĂšrent ses voisins de table. Lorsqu'on entra chez lui le lende- main matin, on le trouva poussant des cris forcenĂ©s et s'escrimant Ă  grands coups de sabre contre les meubles de la chambre, illuminĂ©e comme pour une fĂȘte. Il Ă©tait fou. Le comte Gaspard de Pons, trĂšs liĂ© Ă  cette Ă©poque avec les frĂšres Hugo, a, dans une piĂšce de ses Adieux poĂ©tiques, intitulĂ©e /a DĂ©mence, soulevĂ© une partie du voile qui recouvre cet Ă©pisode. J'en citerai seulement quelques vers. S'adressant A ce qui fut EugĂšne, le poĂšte lui dit Peut-ĂȘtre, dĂ©daignĂ© par l'Amour et la Muse, Un dĂ©sespoir jaloux s'alluma dans ton cƓur Tu haĂŻs malgrĂ© toi ton rival, ton vainqueur... 274 VICTOR HUGO AVANT 1830 La mort d9 la pensĂ©e au plus affreux dsstin A seule, hĂ©las ! pu te soustraire Tu cessas b eu Ă  temps d'ĂȘtre toi, d'ĂȘtre frĂšre, Le pre nier frĂšre fut CaĂŻn. Oui, certe, et dans ce mot ne vois pas un outrage ; L'outrage sarait lĂąche autant que solennel. Ton coeur fut assez chaud pour qu'un moment d'orage En toi pĂ»t allumer un foudre criminel *... Et dans une des notes de sa piĂšce, Gaspard de Pons ajoutait Cet EugĂšne, qui est mort enfin, aprĂšs avoir survĂ©cu quatorze ou quinze ans Ă  son Ăąme, Ă  son intelligence, cet EugĂšne dont j'ai voulu recueillir la gloire avortĂ©e avait Ă©bauchĂ© une tragĂ©die de Spartacus, tragĂ©die trĂšs romantique alors, qui serait trouvĂ©e trop classique aujourd'hui. Dans la scĂšne d'exposition, un Ă©dile faisait l'appel des gladia- teurs inscrits pour les prochains jeux du cirqu?, et les accouplait chacun avec Thomme ou la bĂȘte fĂ©roce contre laquelle il devait combattre. On appelait ainsi, au milieu da noms l'Ours le DĂ©vorateur ! Spartacus ! et voilĂ  de quelle maniĂšre le hĂ©ros esclave Ă©tait annoncĂ©. Je ne sais si c'esl du romantique ou du classique, mais c'est du assurĂ©ment. » — EugĂšne Hugo est mort dans la maison de Saint-Maurice, Ă  Gharenton, le 5 mars 1837 ^. Oh ! ne regrette rien sur la haute colline OĂč tu t'es endormi ^ ! ^ Adieicx poĂ©ti'jues, par le comte Gaspard de Pons. t. Il, p. 324. 3 Moniteur du 6 mars 18-37. 3 A EugĂšne, V»» H. Les Voix intĂ©rieures, xxix. VICTOR HUGO AVANT 1830 27o AprĂšs son mariage, Yictor Hugo quitta sa mansarde de la rue du Dragon et vint loger avec son beau-pĂšre Ă  ThĂŽlel Toulouse. Les ressources du jeune mĂ©nage Ă©taient trĂšs Ă©troites, et le poĂšte se remit sur-le-champ au travail avec cette ardeur qui ne devaitjamais l'abandonner. Il composa, Ă  quelques jours d'intervalle, doux odes nouvelles, JĂ©hovah et Louis XVII. L'ode sur JĂ©hovah renferme de trĂšs beaux vers ; l'auteur y reste cependant trĂšs loin de Lamartine dans sa mĂ©ditation sur Dieu, dĂ©diĂ©e Ă  l'abbĂ© de la Mennais *, et surtout dans cet admirable poĂšme lyrique que le chantre des Harmonies poĂ©tiques et religieuses a intitulĂ© JĂ©hovah ou l'IdĂ©e de Dieu, — le ChĂȘne, suite de JĂ©hovah, — VHumayiitĂ©, suite de JĂ©hovah, — VidĂ©e de Dieu, suite de JĂ©hovah ^. L'ode sur Louis XVII, lue Ă  la SociĂ©tĂ© des Bonnes- Lettres ^, reçut la publicitĂ© du Moniteur, qui la donna en entier dans son numĂ©ro du 13 dĂ©cembre 1822. La premiĂšre Ă©dition des Odes, tirĂ©e Ă  quinze cents exemplaires, s'Ă©tait Ă©coulĂ©e en quatre mois. La se- conde Ă©dition parut dans les derniers jours de 1822, chez Persan, un marquis ruinĂ©, qui s'Ă©tait fait libraire. Elle ne portait plus pour titre, comme la pre- miĂšre, Odes et poĂ©sies diverses, mais simplement Odes. L'auteur avait supprimĂ© avec raison l'Ă©lĂ©g'e, le poĂšme et l'idylle, qui altĂ©raient l'unitĂ© de son recueil. ^ PremiĂ ^es MĂ©litations, '-i I/armoniei poĂ©tiques et relujieuses, li^. If. S Voyez ci-dessus chap. VII. page 241. 276 VICTOR HUGO AVANT 1830 En tĂȘte de cette Ă©dition nouvelle, il avait mis une nouvelle prĂ©face, contenant quelques observations sur le but qu'il s'Ă©tait proposĂ© en Ă©crivant ses odes. L'ode française, disait-il, gĂ©nĂ©ralement accusĂ©e de froideur et de monotonie, paraissait peu propre Ă  retracer ce que les trente derniĂšres annĂ©es de notre histoire prĂ©sentent de tou- chant et de terrible, de sombre et d'Ă©clatant, de monstrueux et de merveiUeux. L'auteur de ce recueil, en rĂ©flĂ©cliissant sur cet obstacle, a cru dĂ©couvrir que cette froideur n'Ă©tait point dans l'essence de l'ode, mais seulement dans la forme que lui ont jusqu'ici donnĂ©e les poĂštes lyriques. Il lui a semblĂ© que la cause de cette monotonie Ă©tait dans l'abus des apostrophes, des exclamations, des prosopopĂ©es et autres figures vĂ©hĂ©- mentes que l'on prodiguait dans l'ode ; moyens de chaleur qui glacent lorsqu'ils sont multipliĂ©s, et Ă©tourdissent au lieu d'Ă©mouvoir. Yictor Hugo Ă©tait dans le vrai en reprochant aux poĂštes lyriques, qui l'avaient prĂ©cĂ©dĂ©, l'abus des apos- trophes, des exclamations et des prosopopĂ©es. Mais lui-mĂȘme avait-il Ă©vitĂ© l'Ă©cueil qu'il signalait ? N'avait- il pas prodiguĂ©, lui aussi, ces figures de rhĂ©torique qu'il condamnait avec raison chez Malherbe, chez Rousseau et chez Lebrun-Pindarc ? Dans l'ode cĂ©lĂšbre de Jean-Baptiste \ M. le comte du Luc, qui n'a pas moins de trente-quatre strophes et de deux cent quatre vers, il n'y a qu'une seule apostrophe Puissantes dĂ©itĂ©s, qui peuplez cette rive... Dans les premiĂšres odes de Yictor Hugo, au con- traire, et en particulier dans les Vierges de Verdun, la VendĂ©e, le RĂ©tablissement de la statue de Henri IV, VICTOR ULGO AVANT 1830 ^77 /c GĂ©nie, la Mort du duc de Bei'rl, la Naissance du duc de Bordeaux, le BaptĂȘme du duc de Bordeaux, les apostrophes abondent. Dans la Naissance du duc de Bordeaux, j'en ai relevĂ© prĂšs de vingt, et l'ode n"a que seize strophes Savez-voLis, voyageur, pourquoi, dissipant l'ombre, D'innombrables clartĂ©s brillent dans la nnit sombre?... Ce bruit, si cher Ă  ton oreille, N'a-t-il donc rien qui te rĂ©veille, 0 toi qui dors Ă  Saint-Denis?... LĂšve-toi 1 Henri doit te plaire Au sein du berceau populaire ; Accours ! o pĂšre triomphant ! Enivre sa lĂšvre trompĂ©e, Et viens voir si ta grande Ă©pĂ©e PĂšse aux mains du royal enfant... 0 toi, de ma pitiĂ© profonde Reçois l'hommage solennel, riumble objet des regards du monde, PrivĂ© du regard paternel !... Oui, souris, orphelin, aux larmes de ta mĂšre ! Ecarte, en te jouant, ce crĂȘpe funĂ©raire... Sois aux sombres soucis qui nous rongent encore Ce qu'est le flambeau de l'aurore Aux vapeurs dont la nuit couvre son char de deuiJ ^. Guerriers, peuple, chantez Bordeaux lĂšve ta tĂȘte... 1 L'auteur, dans les Ă©ditions suivantes, a ainsi refait ces trois vers Chasse le noir passĂ© qui nous attriste encore ; Sois Ă  nos yeux comme une aurore ! Rends le jour et la joie Ă  notre ciel en deuil ! 16 278 VICTOR HUGO AVANT 1880 Et toi, que le martyr aux combats eĂ»t guidĂ©e, Sors de ta douleur, ĂŽ VendĂ©e !... Dis, qu irais-tu chercher au lieu qui te vit naĂźtre, Princesse ?... Courage ! ĂŽ vous, vainqueurs sublimes, Tandis que vous marchez aux crimes, La terre tremble sous vos pas !... Reste au sein des Français, Ăč fille de Sicile 1 Ne fuis pas, pour des bords d'oĂč le bonheur s'exile. Une terre oĂč le lis se relĂšve immortel. Les exclamations ne sont pas plus rares que les apostrophes dans le premier recueil de M. Victor Hugo Quoi ! mes chants sont-ils tĂ©mĂ©raires ?... Quoi! ce trait glorieux, qui t ahit leur belle Ăąme. Sera donc leur arrĂȘt de mort ! Quoi ! disaient les captifs, dĂ©jĂ  Ton nous dĂ©livre !... Quoi ! de ma longue vie ai-je achevĂ© le reste !... Eh quoi ! sont-ils donc loin, ces jours de notre histoira ?... Le poĂšte, du moins, s'est-il abstenu de la proso- popĂ©e ? Aucunement. Dans l'ode sur la VendĂ©e, il Ă©voque un vieux prĂȘtre martyr On dit qu'en ce moment, dans un divin dĂ©lire, Un vieux prĂȘtre parut parmi ces fiers soldats ;... et il met dans sa bouche un discours qui n'a pas moins de soixante-dix vers. ^ Ni cette prosopopĂ©e, d'ailleurs, ni l'abus des apos- trophes el des exclamations ne nuisirent au succĂšs de la seconde Ă©dition des Odes, et le roi Louis XVIH VICTOR HUGO AVANT 1830 1279 tint Ă  honneur d'en donner lui-mĂȘme le signal. On lit dans le Journal des DĂ©bats du 18 dĂ©cemi re 1822 Sa MajestĂ© vient de faire souscrire, par S. Exe. le Ministre de sa maison, aux Odes de M. Victor Hugo, pour un nombre de vingt-cinq exemplaires destinĂ©s Ă  ses iDibliothĂšques parti- culiĂšres. IV Dans celle Ă©dition, comme dans la prĂ©cĂ©dente, le volume s'ouvrait par une dĂ©dicace Ă  M. Alexandre Soumet, placĂ©e en tĂȘte de l'ode I^^, le PoĂšte dans les rĂ©volutions. Victor Hugo Ă©tait, Ă  cette Ă©poque, le plus fervent admirateur de l'auteur de SaĂ»l, et il venait de rĂ©pondre, dans le Moniteur du 26 novembre 1822, aux critiques dirigĂ©es contre cette tragĂ©die. Ce feuilleton dramatique de l'auteur d'Hernani m'a paru msriter, Ă  plus d'un titre, d'ĂȘtre tirĂ© de l'oubli et mis sous les yeux du lecteur Au rĂ©darfcur du Moniteur. Monsieur, Dans un moment oĂč l'attention publique est si vivement excitĂ©e par le triomphe, sans exemple, de M. Alexandre Soumet, me permettrez-vous de vous entretenir de celle de ses deux belles tragĂ©dies, qui a Ă©tĂ© le plus diversement jugĂ©e, de cette piĂšce de SaUl, sur laquelle vous avez publiĂ© un article plein de sagesse et de mesure. Cette -lettre sera principale- ment consacrĂ©e Ă  relever une erreur grave et Ă©trange dans laquelle sont tombĂ©s, ce me semble, presque tous les critiques qui ont rendu compte de ce grand ouvrage, erreur que vous 280 VICTOR HUGO AVANT 1830 avez dĂ©jĂ  signalĂ©e en partie, et que je vais essayer de combattre entiĂšrement. Je garderai ici le silence du mĂ©pris sur toutes les attaques malveillantes qu'ont prodiguĂ©es Ă  M. Soumet les grands et petits journaux d'une faction qui est antipoĂ©tique, parce quelle est antireligieuse et antisociale. C'est aux hommes de bonne foi et de conscience que je m'adresse avec conscience et bonne foi, sans consulter d'autre intĂ©rĂȘt que celui des lettres et de la vĂ©ritĂ©, et bien moins dans l'intention d'Ă©clairer que dans l'espĂ©rance d'ĂȘtre Ă©clairĂ©. FrappĂ© de la nouveautĂ© et de la grandeur de ce drame do Saill, j'en ai longtemps mĂ©ditĂ©, autant qu'il est en moi, toutes les parties, et j'avoue que je ne puis me ranger de l'avis de la, plupart des critiques qui se sont accordĂ©s, en admirant la beautĂ© constamment irrĂ©prochable du style de M. Soumet, Ă  dire que la conception et la conduite de son ouvrage en Ă©taient le cĂŽtĂ© faible. Certes, nul n'est plus disposĂ© que moi Ă  rendre justice Ă  la poĂ©sie de Saiil, Ă  ce style qui s'empreint de toutes les nuances de la pensĂ©e conmie de toutes les couleurs de la Bible ; qui se plie aux blasphĂšmes infernaux de la Pythonisse et de SaĂčl comme aux angĂ©liques priĂšres de David et de Michol ; en un mot, qui semble magique parce qu'il est vrai. Mais je ne crains pas d'avancer que c'est surtout par la con- ception et la conduite que le drame de M. A. Soumet me semble digne d'ĂȘtre hautement et profondĂ©ment Ă©tudiĂ©. VA d'abord, .Monsieur, c'est Ă  mon sens une nĂ©cessitĂ© de toute production de l'esprit humain, depuis la chanson jusqu'Ă  l'Ă©popĂ©e, que de reposer sur une idĂ©e mĂšre primitive, unique, comme un Ă©difice sur sa base. Que si l'ouvrage est destinĂ© Ă  raconter un fait, il faut, pour qu'il y ait unitĂ© dans la compo- sition, que le dĂ©veloppement de la pensĂ©e fondamentale s'ap- puie dans toutes ses parties sur le dĂ©veloppement du fait. Je n'ai point la prĂ©tention de donner ceci comme une rĂšgle, c'est simplement le rĂ©sultat d'une Ă©tude sĂ©vĂšre de tout ce qu'il y a de vraiment beau dans les Ɠuvres de l'espĂšce humaine. Je sais que bien des ouvrages admirĂ©s sur parole ne rĂ©sistent pas Ă  l'application de cette loi intime que dĂ©couvrent et que suivent VICTOR HUGO AVANT 1830 281 naturellement tous les vrais gĂ©nies ; mais cela ne prouve rien, sinon qu'il ne faut pas admirer sur parole, mĂȘme si l'on peut s'exprimer ainsi sur la parole des siĂšcles. C'est en soumettant cette belle tragĂ©die de Saiil Ă  cette Ă©preuve, que j'ai vu quelle liante idĂ©e en avait dominĂ© la conception, que j'ai admirĂ© la hardiesse du poĂšte crĂ©ateur, qui a su transporter sur notre Ă©troite scĂšne toute l'immense Ă©popĂ©e de Milton. L'idĂ©e premiĂšre de ce drame n'est, eu effet, autre chose que ce qu'il y a de plus vaste dans la crĂ©a- tion, la lutte perpĂ©tuelle du bien et du mal, de Dieu et de Satan. Et remarquez, monsieur, avec quel art la balance dra- matique est Ă©tablie dans ce combat entre l'ĂȘtre qui peut tout pour le bien et l'ĂȘtre qui ne peut rien que pour le mal. Voyez la toute-puissance divine de l'un reprĂ©sentĂ©e par ce qu'il y a de plus faible parmi les hommes, un vieillard et un enfant ; tandis que la faiblesse infernale de l'autre a pour agent tout ce qu'il y a de puissant sur la terre un monarque con- quĂ©rant,' une magicienne qui fait pĂąlir les astres et rĂ©veille les morts. Observez encore les deux personnages de Jonathas et de Michol, unis par leur naissance Ă  SaĂŻil, Ă  David par leur vertu, placĂ©s comme un lien entre les deux principes opposĂ©s, et secondant, souvent Ă  leur insu, l'esprit du mal de tout le pouvoir de leur caractĂšre presque angĂ©lique. J'ignore si toutes ces combinaisons dramatiques sont le rĂ©sultat de longues mĂ©- ditations ou l'effet d'une inspiration soudaine ; mais il me paraĂźt difficile de pousser plus loin le talent, et je ne comprends pas comment on a pu accuser de faiblesse et mĂȘme de mĂ©dio- critĂ© une crĂ©ation aussi vaste, une conception aussi sĂ»rement originale. A ces considĂ©ralions le jeune critique en ajoutait d'autres, non moins ingĂ©nieuses, dans lesquelles il rĂ©pondait aux attaques dont la marche de l'action avait Ă©tĂ© l'objet, et il terminait son feuilleton en ces termes 28l> VICTOR HUGO AVANT 1830 J'ignore, Monsieur, si, dans cette analyse beaucoup trop restreinte, je suis parvenu Ă  faire ressortir le haut talent dra- matique que dĂ©cĂšle le plan de Sntil. Bien des choses m'ont sans doute Ă©chappĂ© ; j'aime mieux que ce les imper- fections que les beautĂ©s. On pourra toujours faire Ă  M. Soumet quelques, reproches fondĂ©s, soit sur la difficultĂ© de traduire les Livres Saints sur la scĂšne sans les altĂ©rer, soit sur le degrĂ© de convenance que prĂ©sente cette sorte de translation. En tout cas, M. Soumet pourra s'appuyer d'exemples respec- tables, et entre autres de celui de Racine. Pour moi, monsieur, si je me suis trompĂ©, j'aime mieux m'ĂȘtre trompĂ© dans la louange que dans le blĂąme. Je ne crois pas, du reste, m'aventurer, en signalant une grande appari- tion dramatique. Il importe fort peu au public qui lira cette lettre, Ă  la fois trop longue et trop courte, de savoir quel nom insignifiant suivra ces observations bonnes ou mauvaises. S^ je les signe, c'est uniquement pour montrer que je ne recule pas devant mon opinion. AgrĂ©ez, etc., etc. VlCTOR-M. Huoo. Paris, le 20 novembre 1822. Tant d'enthousiasme pour une tragĂ©die , Ă©cho affaibli des tragĂ©dies de Racine, ne laissait guĂšre pressentir l'auteur de la prĂ©face de Cromicell. Cette lettre, en revanche, tĂ©moignait chez Victor Hugo d'un vif attrait pour le théùtre. Peut-ĂȘtre rĂȘvait-il dĂ©jĂ  de s'adresser, lui aussi, Ă  un autre public que celui des livres, de lui demander des larmes ou des sourires, des applaudissements et des couronnes ! PrĂ©voyait-il qu'un jour Ă  ces mĂȘmes acteurs qui jouaient dans les piĂšces de son ami Soumet, il demanderait de tra- duire sur la scĂšne sa pensĂ©e et de la rendre visible Ă  VICTOR HUGO AVANT 1830 1283 la foule ? C'est Joanny qui remplissait le rĂŽle de SaĂ»l ; il crĂ©era, dans Hernam, le rĂŽle do don Ruy Gomez de Silva, et celui de M. de Sainl-Vallier dans le Roi s'amuse. M"e Georges — qui Ă©tait Ă  cette Ă©poque le Talma du second Théùtre-Français — tenait le rĂąle de la Py honisse d'Endor ; Victor Hugo Ă©crira pour elle LucrĂšce Borgia et Marie Tudor. A M'i AnaĂŻs, qui jouait io rĂŽle de Michol, la fille de Saul, il confiera le rĂŽle de Blanche^ la fille de Tri- boulet. Ligier, qui jouait Ă  cĂŽtĂ© de Talma dans la Clytemnestre de Soumet et qui reprĂ©sentait Pylade, sera plus tard le Triboulet du Roi s amuse et le FrĂ©- dĂ©ric Barbcrousse des Biirgraves. Mais ne nous Ă©loignons pas de notre annĂ©e 1822 et revenons, pour quelques instants encore, Ă  l'auteur de Clyteynnestre et de SrxĂŻd, Ă  celui que Victor Hugo appelait alors notre Alexandre». AprĂšs avoir rem- portĂ© au théùtre de nombreuses victoires, il consacra les vingt derniĂšres annĂ©es de sa vie Ă  la composition de deux vastes poĂšmes, la Divine Ă©popĂ©e et Jeanne F Arc. Sans doute le succcs n'a pas rĂ©pondu Ă  la grandeur de son effort, et, quand on voit que les trente mille vers de ses deux Ă©popĂ©es pĂšsent moins dans la balance de la postĂ©ritĂ© que ^a. courte Ă©lĂ©gie de la Pauvre fille, on se demande si lui aussi, au dĂ©clin de sa journĂ©e, n'a pas pu s'Ă©crier avec l'un des auteurs de V Anthologie Je suis sorti ce matin pour chasser de^ sangliers, et je su,s rentrĂ© ne rapportant que des cigales. » Cela est vrai ; serait-il juste jiĂ©an- moins de ne pas lui tenir compte de ses gĂ©nĂ©reuses 284 VICTOR HUGO avant 1830 tcnlalivos? N'est-ce donc rien, Ă  une Ă©poque comme la nĂŽtre, alors que la vapeur et l'Ă©lectricitĂ© Ă©tendent leurs applications jusqu'Ă  la littĂ©rature et que tous, marchands et poĂštes, ne songent qu'Ă  arriver le plus rapidement possible et rĂ©pĂštent Ă  l'envi les uns des autres ce mot, devenu le mot du siĂšcle Le temps est de l'argent, Time is money ; » — n'est-ce donc rien que de s'enfermer pendant vingt ans dans son cabinet de travail et de consumer ses jours et ses nuits dans l'Ă©laboration d'une Ɠuvre unique, sans autre espoir que d'obtenir de son pays un peu d'es- time et peut-ĂȘtre un peu de gloire ? Alexandre Soumet n'a jamais Ă©crit un seul vers qui ne respirĂąt le culte du beau et l'amour du bien il s'est quelquefois perdu dans les nuages, il n'a jamais sali les ailes de sa muse ; il n'a pu soutenir sans Ă©blouissement la vue du soleil, il a essayĂ© du moins de contempler ses rayons, et si, dans sa grande chambre de la rue Saint-Florentin , il avait sur sa table des plumes d'aigle, il avait peut-ĂȘtre le droit de leur dire, aprĂšs un autre poĂšte plus grand que lui^ mais moins pur V'ous avez errĂ© dans les nues, Vous avez plaaĂ© dans les cieux *. Ce galant homme avait une vertu bien grande chez un poĂšte, — et bien rare 11 aimait tous les beaux vers, a pu dire de lui M. Vitet, ceux des autres aussi bien que les siens. Un grand succĂšs Ă©tait une fĂȘle * Victor Hugo. Z^'-s- Coiiti'inplations A u poĂšt^ qui m'enraie vne phone l'aif/le. VICTOR llUiiO AVANT I S.'JO >8o pour lui, quelle que fĂ»t la main qui dĂ»t cueillir la palme ; il Ă©coutait avec bonheur, il admirait avec attendrissement les Ɠuvres de ses Ă©mules ; il faisait plus encore, il aimait ses successeurs ; il exaltait leurs jeunes essais, les animait du regard, de la voix, et Ă  force d'enthousiasme les remplissait de courage et d'espoir ^ » Ainsi avait-il fait avec Victor Hugo, dont il Ă©tait l'aĂźnĂ© de quatorze ans. Mais bientĂŽt le disciple allait devenir un maĂźtre Ă  son tour. Soumet assista au dĂ©clin de sa propre renommĂ©e, en mĂȘme temps qu'il Ă©tait tĂ©moin des triomphes Ă©clatants du poĂšte des Feuilles V automne. Plus le nom de Victor Hugo grandissait, plus l'ombre et le silence descen- daient sur le sien Majoresque cadunt altis de montilnis iimlK'ce. Et cependant il ne laissa pas un seul instant la jalousie pĂ©nĂ©trer en son Ăąme ; jusqu'Ă  son dernier jour, il resta l'admirateur et l'ami de celui dont la gloire avait effacĂ© la sienne. Au mois de janvier 1811, Ă©tant tombĂ© gravement malade Ă  la Rochelle, chez sa fille, Mℱ d'Altenheym, il n'hĂ©sita pas, malgrĂ© l'avis formel de son mĂ©decin, Ă  faire le voy,ge de Paris pour venir dĂ©poser son vote Ă  l'AcadĂ©mie en faveur de l'auteur des Odes et Ballades ^. C'est la * Discours de ri'Cf'ptian Ă  l'Acadibnie française, jjrononcĂ© le 20 mars ISU!. 2 Victor Hugo fut Ă©lu le 7 janvier 1841, en remplacement de NĂ©pomucĂšne Lemercier, par 17 voix contre lo, accordĂ©es Ăč M. Ancelot. Les 17 voix don- nĂ©es Ă  Victor Hugo Ă©taient celles de Soumet, Lamartine, Chateaubriand. Charles Nodier, Royer-Collard, Villemain, Lacretelle, Philippe de SĂ©gur, Pongerville, Mignet, Thiers. Cousin. Lebrun. Dupin. Mole, Salvaudy et... 286 YICTOll HUGO AYANT 1830 seule vengeance qu'il ait tirĂ©e du poĂšte qui, aprĂšs avoir inscrit son nom Ă  la premiĂšre page de son pre- mier livre, l'en avait retirĂ©. Comment M. Vic'or Hugo n'a-t-il pas compris que c'Ă©tait pour lui un devoir, au moment oĂč il publiait l'Ă©dition dĂ©finitive de ses oeuvres, de rĂ©tablir en tĂȘte de ses Odes sa dĂ©dicace d'autrefois A M. Alexandre Soumet ? 11 a un autre devoir Ă  remplir vis-Ă -vis du chantre de la Divine Ă©popĂ©e. Il annonce qu'il fera figurer dans ses ƒuvres coynplĂštes le livre intitulĂ© Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie. Lorsqu'il le rĂ©imprimera, quil en efface cette page oĂč il fait jouer Ă  Alexandre Soumet, Ă  l'occasion du dĂźner chez M'i^ Duchesnois, un rĂŽle contre lequel protestent la dignitĂ© do son caractĂšre, la puretĂ© de sa viC;, sa p'Ă©tĂ©, si tolĂ©rante et si douce, mais si profonde et si vive. Viennet. — Les 15 voix obtenues par Ancelot Ă©laicut celles de Casimir Delavigne, Jouy, Dupaty, Jay, Brifaut, Campenon, Droz, Etienne, Tissot, de FĂ©letz. Flourens, Baour-Lormian, LacuĂ©e de Cessac, Roger et Scribe. CHAPITRE IX Han d'Islande. — La Muse française. — M. Victor Hugo ET Alfred de Vigny. Han d'Islande. — Le Mercure du A7Xe siĂšcle et LĂ©on ThiessĂ©. Charles Nodier et la Quotidienne. — PolĂ©mique entre l'auteur et les Ă©diteurs de IJan d'Islande. Le Miroir et le Drapeau blanc. De l'art de faire plusieurs Ă©ditioas avec uue seule, de ses ori- gines et de ses progrĂšs. Qualorze Ă©ditions en un mois! - Nouvelle pension accordĂ©e au poĂšte par le roi Louis XVIII. — La Muse française. — M. Victor Hugo Ă©diteur de Voltaire. — Eloa et le Paradis perdu. Alfred de Vigny et Milton, — Uue lettre inĂ©dite d'Alfred de Vigny. Satan et Roland. — Adolphe de Saint- Valry et Chateaubriand. On vient de mettre en vente, chez Persan, librair?, rue de l'Arbre-Sec, n" 22, un roman intitulĂ© Han d'Islande, ei quatre volumes in-18. On attribue ce roman Ă  M. Victor Hugo auteur d'un recueil d'Odes. Ces lignes, que nous trouvons clans le Constitu- tionnel du lo fĂ©vrier 1823, fixent, d'une maniĂšre prĂ©- cise, la dale de la publication de Han d'Islande. Le Journal des DĂ©bats du \2 fĂ©vrier contient une liote identique Ă  celle du Constitutionnel. Victor Hugo, Ă©crivant aux rĂ©dacteurs du Miroir, Ă  la date du 24 ^88 VICTOR IILGO AVANT 1830 mai 1823, rappelle que son livre a Ă©tĂ© publiĂ© dans la premiĂšre quinzaine de fĂ©vrier S. Sainte-Beuve a donc commis une lĂ©gĂšre inexactitude, lorsqu'il a dit queHan V Islande avait paru au mo\^ janvier 1823^. L'illustre critique se trompe encore, et l'erreur ici est un peu plus grave, quand il affirme que Han dislande a Ă©tĂ© commencĂ© dĂšs 1 820 '». Hugo a commencĂ© d'Ă©crire son roman au mois de mat i une lettre Ă©crite par lui Ă  l'un de ses amis, et rapportĂ©e au tome II de Victor Hugo racontĂ©, ne laisse subsister Ă  cet Ă©gard aucune incertitude *. A peine entrepris, son travail fut interrompu par la mort de sa mĂšre. Il ne s y remit qu'assez longtemps aprĂšs, et le termina dans les derniers mois de 1822. Il avait vingt ans. A vingt ans, on peut faire de beaux vers ; il ne se peut guĂšre que l'on fasse un bon roman. Pour prĂ©- coce qu'il soit, le gĂ©nie ne peut supplĂ©er Ă  l'expĂ©- rience de la vie et Ă  la connaissance des hommes. Aussi s'en faut-il de beaucoup que le premier roman de Tictor Hugo soit Ă  la hauteur de ses premiĂšres poĂ©sies. Ce qui frappe tout d'abord dans Han d' Islande ^ c'est l'absence d'originalitĂ©. L'auteur lui-mĂȘme nous apprend, dans une lettre contemporaine de la compo- sition de son livre, qu'il s'est proposĂ© d'imiter Walter * Le Miroir des spectacles, des lettres, des mƓurs et des arts, hindi iO mai 18>3. 2 Portraits contemporains, t. !»‹. p. 40G. 3 Ibid., t. I", p. 400. 4 Victor Eugo racontĂ©, atc, t. II. p. 40. ViOTUK JILGO AVAM 1830 28'J Scott ; u i\ßûn roman, dit-il, Ă©tait un diaino dont les scĂšnes Ă©taient des tableaux, dans lesquels la des- cription supplĂ©ait aux dĂ©corations et aux costumes. Du reste, tous les personnages se peignaient par eux- mĂȘmes ; c'Ă©tait une idĂ©e que les compositions de Walter Scott in'' avaient inspirĂ©e ^ » Il ne se borne point Ă  imiter Walter Scott. Lu autre romancier anglais, Maturin , l'auteur alors cĂ©lĂšbre de Bertram, de Mehnoth et de Montorio, avait mis Ă  la mode le genre frĂ©nĂ©tique. Charles Nodier, — qui Ă©tait un romantique de la veille, tandis que Victor Hugo ne fut, en rĂ©alitĂ©, nous le montrerons, qu'un romantique du lendemain, — avait fait paraĂźtre, en 1820, Lord Ruthwen ou les Vampires. Victor Hugo imite le rĂ©vĂ©rend Maturin et le bon Nodier ; seule- ment, ainsi que cela arrive presque toujours, l'Ă©lĂšve est allĂ© plus loin que ses maĂźtres. Il a fait de son hĂ©ros un anthropophage Han d'Islande se nourrit de chair humaine et boit dans le crĂąne de ses victimes Veau des mers et le sang des hommes, et c'est sans doute Ă  cette Ɠuvre Ă©trange que pensait Henri Heine, lorsqu'il Ă©crivait Tout, chez M. Victor Hugo, est barbarie baroque, dissonance criante et horrible dif- formitĂ©*! » L'idĂ©e premiĂšre de l'ouvrage a-t-eile du moins quelque chose de neuf? Le lecteur en pourra juger par cette courte mais fidĂšle analyse. Victime d'un complot ourdi par un chevalier fĂ©lon, 1 \ictov Huyo racontĂ©, etc.. t. II. ^ LntĂšce, p. ĂźiĂź. 17 290 VICTOR UUGO AVANT 1830 le vertueux Schumacker, grand chancelier de Dane- mark et de NorwĂšge, est enfermĂ© dans une tour, oĂč sa fille Éthel est captive avec lui. Ordener, fils du vice-roi de NorwĂšge, est amoureux d'Elhel, et il forme le projet de la dĂ©livrer, ainsi que Schumacker ; mais, pour cela, il lui faut aller Ă  la recherche et Ă  la conquĂȘte du coffret de fer oĂč sont dĂ©posĂ©es les preuves de l'innocence du chancelier. Ce coffret est gardĂ© par deux monstres, Han d'Islande et l'Ours blanc qui lui obĂ©it comme un chien Ă  son maĂźtre. GuidĂ© par Benignus Spiagudry, une sorte de Sancho Pança maigre, qui remplace les proverbes par des citations pĂ©dantes, Ordener finit par rencontrer Han d'Islande dans la grotte de Walderhog, qui devient le théùtre d'un combat terrible. Ordener n'est pas vaincu, mais il ne peut cependant conquĂ©rir la cas- sette, et, aprĂšs avoir bravĂ© de nouveaux dangers, tra- versĂ© de nouvelles aventures, il va pĂ©rir enfin, quand le coffret de fer se retrouve par enchantement le chevalier fĂ©lon pĂ©rit par la main du bourreau, qui se trouve ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment son frĂšre ; le chancelier Schumacker est rendu Ă  la libertĂ©, et Ordener devient l'Ă©poux d'Éthel. Au fond, qu'est-ce que ce roman, sinon un roman de chevalerie, un de ces romans de la Table-Ronde, dans lesquels le hĂ©ros allait, au travers des plus effroyables dangers, arracher Ă  quelque gĂ©nie terrible le talisman qui devait lui ouvrir les portes du chĂąteau fort oĂč gĂ©missait sa dame ? On le voit, l'idĂ©e premiĂšre de Han cV Islande est VICTOR UUGO AVANT 1830 211 empruntĂ©e aux rimeurs du treiziĂšme siĂšcle, comme Ă©taient empruntĂ©es au rĂ©vĂ©rend Maturin les horreurs et les monstruositĂ©s accumulĂ©es Ă  plaisir par l'au- teur ; comme Ă©tait empruntĂ© Ă  Walter Scott le pro- cĂ©dĂ© nouveau de composition si habilement mis en Ɠuvre par le grand Ecossais, cette transformation du roman en une sorte de drame, oĂč la narration des faits et l'analyse des sentiments, Ă  l'aide desquelles les anciens romanciers faisaient connaĂźtre leurs per- sonnages, sont remplacĂ©es par une suite de scĂšnes dialoguĂ©es, oi^i les personnages se peignent par eux- mĂȘmes. Han d'Islande prĂ©sente cependant un vĂ©ritable intĂ©rĂȘt, si on y cherche, sous les difformitĂ©s du roman, ce que l'auteur y a mis de sa jeunesse, la peinture des agitations de son cƓur, Ă  l'Ă©poque oĂč, sĂ©parĂ© de celle qu'il aimait, il se demandait comment faire parvenir jusqu'Ă  elle le cri de son dĂ©sespoir, de son courage et de son amour. Il ne pouvait lui parler, il ne pouvait lui Ă©crire ; puisqu'il ne peut briser l'obs- tacle, il le tournera. Il insĂ©rera dans le Conservateur littĂ©raire une lettre en vers, Ă  laquelle il donnera pour titre le Jeune banni, Raymond Ă  Emma *. Il fera imprimer Han d'Islande, c'est-Ă -dire encore un message d'amour ; seulement, cette fois, le mes- sage a quatre volumes ! Il y a lĂ  quelques pages qui ne sont plus du romancier, mais de l'homme mĂȘme, sincĂšres, Ă©mues, vivantes ; et il semble par instants 1 Voyez chapitre Vif,, p. 249. i92 VICTOR HUGO AVANT '183U que si le jeaiie Ă©crivain multiplie les scĂšnes atroces, les peintures hideuses, les dĂ©tails horribles, ce soit pour faire perdre de vue au lecteur ces pages intimes, ces touchantes confidences, qui ne sont point Ă©crites pour lui et qui sont destinĂ©es Ă  n'ĂȘtre comprises que d'une seule jeune fille. A un autre point de vue, Han cV Islande mĂ©rite encore que l'on s'y arrĂȘte. On y trouve, en effet, la premiĂšre Ă©bauche de quelques-uns des personnages et de quelques-unes des situations, auxquels le poĂšte donnera plus tard, dans Notre-Dame de Paris, un relief plus saisissant, une forme plus Ă©clatante. Entre Banignus Spiagudry, l'Ă©cuyer d'Ordener, qui a le visage hĂąve, le corps maigre, long et lĂ©gĂšrement voĂ»tĂ© », et Pierre Gringoire, grand, maigre et blĂȘme », la ressemblance est frappante, au physique et aussi au moral. L'un et l'autre sont facilement accessibles Ă  la peur, et, Ă  la moindre apparence de danger, tremblent de tous leurs membres. Tous deux ont une Ă©rudition singuliĂšre et se plaisent Ă  en faire Ă©talage. — Savez-vous que c'est une chose bien impertinente que d'Ă©valuer un savant tel que moi quatre mĂ©chants Ă©cus ? Il est vrai que le fameux PhĂšdre Ă©tait esclave, et qu'Ésope, si nous en croyons le docte Planude, fut vendu dans une foire comme une bĂȘte ou comme une chose. Et qui ne serait pas fier d'avoir un rapport quelconque avec le grand Ésope * ? » Est-ce rhonnĂȘte Spiagudry qui parle de la 1 II an d'Islande, chap. xxii. VICTOR HUGO AVAIVT 1830 293 sorte ? Sans doute, Ă  moins pourtant que ce ne soil V honnĂȘte Gringoire. Le lieutenant d'Ahlefeld, cet ennuyeux bellĂątre, remarquable par la ricbesse Ă©lĂ©gante et l'excessive recherche de ses vĂȘtements », recevra de l'avance- ment M. Yictor Hugo en fera un jour le capitaine PhƓbus. Au chapitre vn de Han d'Islande, le gouverneur de Drontheim, enfoncĂ© dans un large fauteuil, ordonne, pour se distraire, Ă  l'un de ses secrĂ©taires, de lui rendre compte des placets adressĂ©s au gouverne- ment. Il y a dans ces pages le germe de l'un des plus beaux chapitres de Notre-Dame de Paris, celui oĂč le roi Louis le OnziĂšme se fait donner lecture, par son barbier, maĂźtre Olivier le Daim, du mĂ©moire des dĂ©penses royales *. L'esquisse imparfaite de 1823 est devenue en 1831 un tableau achevĂ©. Mais les critiques de 1823 ne pouvaient juger que l'Ɠuvre qu'ils avaient sous leurs yeux ; ils ne la mĂ©- nagĂšrent guĂšre, les critiques libĂ©raux surtout, et au premier rang M. LĂ©on ThiessĂ©, qui, dans le Mercure du dix-neuvieme siĂšcle, se montra impitoyable pour le livre et pour l'auteur. L'auteur, disait-il au dĂ©but de sou article, ne se nomme point nombre de gens croient nĂ©anmoins le connaĂźtre. On prĂ©tend qu'il se livre Ă  des travaux plus difficiles et d'un ordre plus Ă©levĂ© c'est, dit-on, un poĂšte, et mĂȘme un poĂšte lyrique. 11 st, assurent quelques personnes, une des colonnes de la sociĂ©tĂ© des Bonnes-Lettres on l'accueille dans certains 1 fjiv. X. rbnp. v. 29 i VICTOR HUGO ayant 1830 salons ; de grands seigneurs le protĂšgent ; le TrĂ©sor le pen- sionne. Un Ă©crivain si bien entretenu ne devait pas rester inactif ; il a senti cette obligation, et c'est sans doute pour la remplir qu'il a publiĂ© Han dislande. L'article se terminait ainsi Les mĂ©taphysiciens prĂ©tendent que le gĂ©nie est voisin de la dĂ©mence. S'il en est ainsi, on peut dire que l'auteur de Han d'Islande n'est pas trĂšs Ă©loignĂ© du gĂ©nie... L'explication la plus favorable que l'on puisse offrir sur l'origine de ses inspi- rations, c'est de dire qu'il a subi les tourments d'un long cauchemar, pendant lequel il a rĂȘvĂ© les quatre volumes de Han d'Islande. Ce roman est le fruit d'un songe pĂ©nible et prolongĂ©. Au reste, les auteurs sont quelquefois sujets Ă  ce genre d'in- disposition. Je ne citerai pour exemple que M. Victor Hugo, qui paraĂźt en ĂȘtre plus travaillĂ© qu'un autre, puisqu'il a cru devoir lui consacrer une ode entiĂšre. On trouve dans cette ode quelques vers qui peuvent s'appliquer au roman de Han d'Islande Il remplit le sommeil de vagues Ă©pouvantes. Et laisse Ă  l'Ăąme un long ennui *. A la lecture de cet article, l'Ă©motion fut vive parmi les amis de Victor Hugo ; et l'un d'eux, Adolphe de Saint-Valry, adressa Ă  LĂ©on ThiessĂ© une lettre, dans laquelle il prenait la dĂ©fense du poĂšte. J'ai sous les yeux la rĂ©ponse de l'Ă©crivain du Mercure, dont je reproduirai seulement les derniĂšres lignes Vous parlez souvent, monsieur, de l'amitiĂ© qui vous unit Ă  * Le Mercure du XIX" siĂšcle, p. 513, 525. Les principaux rĂ©dacteurs du Mercure Ă©taient MM. Tissot, Jay, SĂ©nancour, LĂ©on ThiessĂ©, FĂ©lix Bodin, Thiers, Berville, Lemontey, Casimir Uelavign*', Bert. B-ichon, Dulaure, Emmanuel Dupaty, etc. VICTOR HUGO AVANT 1830 295 l'auteur de Han d'Islande. J'ai aussi des amis ; j'en ai mĂȘme dans votre parti ; mais j'ai conçu des devoirs de l'amitiĂ© une idĂ©e trĂšs diffĂ©rente de la vĂŽtre. Si j'avais l'honneur de con- naĂźtre intimement M. Victor Hugo, mon amitiĂ© se serait d'abord exercĂ©e sur un talent qui s'Ă©gare ; je me serais appliquĂ© Ă  protĂ©ger sa rĂ©putation contre lui-mĂȘme ; je l'eusse empĂȘchĂ© de composer et de pubKer Eaii d'Islande; et si mes efforts eussent Ă©tĂ© vains, je me fusse gardĂ© de rĂ©pondre aux justes critiques qu'il aurait mĂ©ritĂ©es, et je me serais persuadĂ© rendre, par cette rĂ©serve, service Ă  un talent qui, pour produire d'excellents fruits, n'a besoin que d'une direction sage et d'un ami sĂ©vĂšre '. II Violemment attaquĂ© par la presse libĂ©rale et bona- partiste, critiquĂ© avec une vivacitĂ© = spirituelle par M. Victor Vignon, petit-fils de RĂ©tif de la Bretonne, qui publia, sous le titre de OG, une parodie de Ban cVhlande ^, l'auteur eut pour lui les journaux ultra- royalistes. Charles Nodier, qui ne le connaissait pas encore, consacra Ă  son livre, dans la Quotidietine, un long article, rempli de bonne grĂące et de la louange la plus aimable. On reconnaĂźt dans Han d'Islande, Ă©crivait Nodier, beaucoup d'Ă©rudition, beaucoup d'esprit, mĂȘme celui qui naĂźt du bon- heur et qu'on appelle la gaietĂ©, mĂȘme celui qui vient de l'expĂ©rience et que l'auteur n'a pas eu le temps de devoir Ă  l'habitude du monde et Ă  l'observation. On y trouve enfin un * Lettre inĂ©dite, en date du 2G juin 182 . 2 OG a paru sans nom d'auteur. Paris, 1824. Hubert Locard et Davi, Ă©di- teurs. 29G VICTOR HUGO AVANT 1830 style vif, pittoresque, plein de nerf, et, ce qu'il y a de plus Ă©tonnant, cette dĂ©licatesse de tact et cette finesse de senti- ment qui sont des acquisitions de la vie, et qui contrastent ici de la maniĂšre la plus surprenante avec les jeux barbares d'une imagination malade. Cependant, ce ne sont pas toutes ces qualitĂ©s qui feront la vogue d'Han d'Islande et qui force- ront rinflexible et savant Mmos de la librairie Ă  reconnaĂźtre le dĂ©bit authentique et lĂ©gitime de douze mille exemplaires de ce roman que tout le monde voudra lire. Ce seront ses dĂ©fauts 1. MalgrĂ© tout son esprit, Charles Nodier n'Ă©tait pas prophĂšte, et lorsqu'il parlait d'une vente de douze mille exemplaires, il Ă©tait singuliĂšrement loin de compte. Han Vis lande avait Ă©tĂ© tirĂ© Ă  douze cents exemplaires. Une seconde Ă©dition, il est vrai, fut annoncĂ©e au mois de mai 1823; mais le pubUc apprit presque en mĂȘme temps que la premiĂšre n'Ă©tait pas encore Ă©puisĂ©e. Auteur et Ă©diteurs Ă©changĂšrent Ă  cette occasion des lettres enfouies dans les journaux du temps et qui nous ont paru mĂ©riter d'ĂȘtre tirĂ©es de la poussiĂšre, oi^i elles dorment depuis plus d'un demi-siĂšcle. C'est le Miroir, feuille libĂ©rale, qui ouvrit le feu, dans son numĂ©ro du 17 mai 1823, en publiant la lettre suivante A M. le RĂ©dacteur du Miroir. ^Monsieur, Nous venons de lire avec Ă©tonnement, dans un journal du dimanche 11 de ce mois, que le \uh\\c attendait avec mpa- * Qmfidicnne. 12 mars 182{. VICTOR HUGO AVANT 1830 297 ticnce clepiiĂč plus cVim mois la seconde Ă©dition du roman inti- tulĂ© Han d'Islande. Sans nous permettre la moindre rĂ©flexion sur la mise en vente d'une seconde Ă©dition, lorsque la pre- miĂšre est loin d'ĂȘtre Ă©coulĂ©e, nous nous bornerons ici Ă  prĂ©- venir les lecteurs impatients de lire cet ouvrage justement recherchĂ©, qu'il en reste encore plus de 500 exemplaires dans notre magasin. AgrĂ©ez, etc. Les Éditeurs de Han d'Islande. A'ictor Hngo choisit, pour publier sa rĂ©ponse, le journal de xMarlainville, le Drapeau bla^ic, qui arbo- rait Ă  sa premiĂšre page dix-huit fleurs de lis et qui avait pour Ă©pigraphe VIVE LE ROI L,. QUAND MÊME Gentllly, 19 mai 1823. A M. le RĂ©dacteur du Miroir. Monsieur, C'est dans mon obscure retraite, aux portes de Paris oĂč pourtant le bruit de la ville arrive peu jusqu'Ă  moi, qu'on me remet celui de vos derniers numĂ©ros qui pubhe une lettre signĂ©e les Ă©diteurs de Han d'Islande. Je suis vraiment charmĂ© d'apprendre qu'il existe des Ă©diteurs anonymes de Han dislande, lesquels possĂšdent dans leur magasin inconnu plus de 500 exemplaires de cet ouvrage. Comme je suis au nombre des lecteurs impatients de lire quelqu'un des exemplaires extraits de cette singuliĂšre boutique, et qu'il pourrait me prendre fantaisie d'exercer certains droits de propriĂ©tĂ© sur cette Ă©dition plus justement recherchĂ©e encore par moi que par le public, j'aurais Ă©tĂ© enchantĂ© que messieurs mes mystĂ©- rieux Ă©diteurs eussent bien voulu joindre Ă  leur dĂ©claration de ci7iq cents exemplaires leur nom et leur adresse. Jusqu'ici je ne me suis connu d'autres Ă©diteurs que MM. Persan et 17. 298 VICTOR HUGO AVANT 1830 Heurtaux, ex-libraires, lesquels demeuraient rue de l'Arbre- Sec, n° 22, et ont fait banqueroute, il y a environ deux mois... AprĂšs avoir dĂ©clarĂ© qu'il ne restait plus chez les Ă©diteurs que vingt-cinq exemplaires de son roman et une cinquantaine chez les brocheurs, Victor Hugo terminait ainsi Du reste, la seconde Ă©dition de H an d'Islande, qui va paraĂźtre chez MM. Lecointe et Durey, quai des Augustins, no 49, en est, Ă  proprement parler, la premiĂšre ; car le Ha7i d'Islande de la rue de l'Arbre-Sec Ă©tait tellement dĂ©figurĂ© de fautes typographiques, qu'il Ă©tait mĂ©connaissable pour VƓiV mĂȘme de son pĂšre. La nouvelle Ă©dition, revue avec soin, est la seule que j'avoue. L'Auteur de Han d'Isla?ide *. La rĂ©plique des Ă©diteurs parut dans le Miroir du 24 mai Monsieur, Ayant lu dans un journal qu'une seconde Ă©dition de Han d'Islande se prĂ©parait, nous pensĂąmes qu'en qualitĂ© d'Ă©diteurs de la premiĂšre, nous devions prĂ©venir le public qu'il en restait plus de 500 exemplaires, et nous le fĂźmes avec tous les Ă©gards que l'auteur pouvait dĂ©sirer; mais M. Victor Hugo dont cette simple dĂ©claration a blessĂ© l'amour-propre, a cru probablement pouvoir anĂ©antir ces 500 exemplaires en assu- rant qu'ils n'existaient pas, et par lĂ  rassurer son nouveau libraire, que notre dĂ©claration pouvait alarmer... M. Victor Hugo se plaint des fautes qui dĂ©figurent la pre- miĂšre Ă©dition de son ouvrage ; nous rĂ©pondrons que c'est sous ses yeux que cette Ă©dition a Ă©tĂ© faite ; qu'il a lui-mĂȘme cor- * Le Drapeau blanc, 21 mai 1823. VICTOR HUGO *^ AVANT 1830 299 rigĂ© les Ă©preuves, et que lui seul enfin donnait les bons Ă  tirer. Le mĂ©tier d'un libraire est de vendre les livres et non de les corriger. M. Victor Hugo veut faire parler de lui ; ce dĂ©sir est tout naturel chez un jeune auteur ; mais nous ne voyons pas ce que sa gloire littĂ©raire gagnera par les calomnies qu'il a rĂ©pandues sur des gens que leur position fĂącheuse devait lui faire mĂ©nager. Si M. V. Hugo qui, dĂšs le mois de mars der- nier, voulait avoir une seconde Ă©dition de son Han, dĂ©sirait tant obtenir les honneurs d'une Ă©dition nouvelle, il n'avait qu'Ă  faire pour son roman ce qu'il a fait pour son recueil d'Odes. Par marchĂ© passĂ© entre ledit sieur et nous, le 13 dĂ©cembre 1822, M. Hugo nous autorise Ă  faire, de compte Ă  demi avec lui, la rĂ©impression de son recueil d'Odes rĂ©impression dont nous n'avons encore vendu que 200 exemplaires, et dont les frais sont par consĂ©quent loin d'ĂȘtre couvertsj. Nous allons citer la clause la plus remarquable de ce marchĂ© ce Les sieurs Persan et G» auront le droit de faire aux titres de la rĂ©im- pression tous les changements qu'ils jugeront favorables aux intĂ©rĂȘts communs ,‱ c'est-Ă -dire qu'ils pourront annoncer, au moyen d'un changement convenable dans les titres, une seco7ide, troisiĂšme, quatriĂšme Ă©dition ET CAETERA. Les frais de remaniement terme d'imprimerie auxquels ces change- ments donneront lieu seront aux frais comynuns des parties contractantes. » On voit par cette clause que nous avons la facultĂ©, M. Victor Hugo et nous, de gratifier le pubhc chaque mois, mĂȘme chaque semaine, d'une Ă©dition nouvelle, qui n'au- rait de neuf que les titres des Odes de M. V. Hugo. Une transaction semblable pour Han d'Islande aurait satisfait M. V. Hugo, car avec les 500 exemplaires qui restent, on aurait pris facilement l'engagement de faire arriver ce cĂ©lĂšbre ouvrage Ă  sa sixiĂšme ou douziĂšme Ă©dition... Persan et Ce, demeurant toujours rue de l'Arbre-See, no 22. ;JU0 VICTOR HUGO AVANT 1830 Le dĂ©bat fut clos par une longue lettre de Victor Hugo, datĂ©e du 24 mai 1823, et signĂ©e, comme la premiĂšre l'auteur de Ha\ d'Islande. Voici comment il s'expliquait au sujet de la rĂ©impression de ses Odes et de la clause qui permettait de tirer plusieurs Ă©di- tions d'une seule Puisque les sieurs Persan et Ce ont mĂȘlĂ© Ă  cette misĂ©rable querelle les Odes d'un certain Victor Hugo qu'en effet je connais assez, je dois leur rappeler, au nom de Victor Hugo, que la clause sotte et ridicule qu'ils rapportent n'a Ă©tĂ© insĂ©rĂ©e qu'Ă  leur demande trĂšs expresse ; qu'il a fallu Ă  Victor Hugo une certaine dose d'humilitĂ© pour l'admettre ; qu'ils ont invo- quĂ©, pour l'y dĂ©cider, un usage universel en librairie, et qu'enfin c'est en effjt comme un droit qu j cette facultĂ© morti- fiante leur a Ă©tĂ© accordĂ©e por Victor Hugo ^ Est-ce en souvenir de cette discussion avec le Miroir, que M. Victor Hugo a Ă©crit dans les MisĂ©rables En 1817, le Nain Jaune se transformait en Miroir^ »? Deux erreurs en une seule ligne. Le Miroir, deslinĂ© Ă  reflĂ©ter l'opinion libĂ©rale, et dont les principaux rĂ©dacteurs Ă©taient MM. Jouy, Arnault, Emmanuel Dupaty, Gosse et Cauchois-Lemaire, n'a point Ă©tĂ© créé en 1817, pas plus que le Nain Jaune nsL terminĂ© son existence Ă  cette Ă©poque. Le dernier numĂ©ro du Nain Jaune, le 379, est du 15 juillet 1815 ; le pre- mier numĂ©ro du Miroir est du 15 fĂ©vrier 1821. — Quoi qu'il en soit, de la querelle enlre M. Victor Hugo et ses Ă©diteurs, au sujet de Han d'Islande, un 1 Le Mirnir, 2G mai 1S23. 2 Lfis MiftprnMpr 1829, n'en avait plus que six au mois de mars 1830 ! M. Victor Hugo qui ne croit pas aux miracles, devrait bien nous donner la clef de celui-lĂ . ITI Si les Ă©diteurs de Han cVIslande payĂšrent assez mal M. Victor Hugo et lui causĂšrent maint ennui, il trouva une compensation Ă  ces petits dĂ©boires dans les nouvelles bontĂ©s du roi Ă  son Ă©gard. DĂ©jĂ , nous l'avons vu S Louis XVHI lui avait octroyĂ©, au mois de septembre 1822, une pension de 1000 francs sur sa cassette particuliĂšre. H lui en accorda une seconde sur les fonds littĂ©raires du ministĂšre de l'intĂ©rieur, au mois de fĂ©vrier 1823, dans les jours qui suivirent la publication de Han fVhlande. Cette pension nou- velle Ă©tait de 2000 francs. Par la mĂȘme ordonnance royale, une pension d'Ă©gale somme Ă©tait donnĂ©e Ă  Lamartine. On lit, dans une lettre de ce dernier, Ă©crite le 15 fĂ©vrier 1823 Ă  son ami Aymon de Virieu Je viens de vendre 14 000 francs comptant mon deuxiĂšme volume de MĂ©ditations, livrable et payable cet Ă©tĂ©. Cela me mettra au niveau et au delĂ  de mes besoins prĂ©sents. En sus, * Voy. oi-dessns rhap. VII. p. 256. VICTOR JlUGO AVANT 1830 303 le roi m'a donnĂ© une pension de 2000 francs ceci entre nous; plus, mes appointements courront encore, je crois, cette annĂ©e. Ainsi, si tout cela aborde, nous serons de force Ă  finir Saint-Point pendant que tu finiras PapetiĂšresi. Victor Hugo n'avait point, comme Lamartine, de chĂąteau Ă  finir ; mais estimant qu'avec 3000 francs de rente il Ă©tait assez riche pour avoir un apparte- ment Ă  lui, il quitta, au mois de mars 1823^ la maison de son beau-pĂšre, et il vint s'Ă©tablir rue de Yaugi- rard, n" 90. Sainte-Beuve demeurait alors avec sa mĂšre dans la mĂȘme rue, au n° 94. Le poĂšte et le cri- tique ne devaient d'ailleurs se connaĂźtre que plus tard leur premiĂšre rencontre, destinĂ©e Ă  exercer sur leur vie une si grande influence, n'aura lieu qu'au mois de janvier 1827 -. AprĂšs la publication de Ban V Islande, Victor Hugo revint Ă  la poĂ©sie avec une ardeur nouvelle. Au cours de l'annĂ©e 1823, il ne composa pas moins de vingt- deux odes. C'est aussi de cette Ă©poque que datent ses deux premiĂšres ballades le Sylphe et la GranfV- MĂšre Dors-tu?... rĂ©veille-toi, mĂšre de notre mĂšre ! Assise Ă  son foyer, la muse lui dicta alors quel- ques-uns de ses plus doux chants, ces belles piĂšces oĂč l'Ăąme du poĂšte rĂ©pand aux pieds du Seigneur les effusions de son cƓur, les parfums de son amour * Correspondance de Lamartine, t. III, p. 216. 2 Portraits contemporains, t. I*"". p. 468. Appendice de l'Ă©dition de 1860. 'MM VICTOR HUGO AVANT 1830 Voici la vĂ©ritĂ© qu'au monde j^ rĂ©vĂšle, Da ciel dans mon nĂ©ant je me suis souvenu ; Louez Dieu ! la brebis vient quand l'agneau l'appelle ; J'appelais le Seig'neur, le Seigneur est venu *. Il Ă©crivait ces vers, au mois d'aoĂ»t 1823, auprĂšs du berceau de son premier-nĂ©. Deux mois plus tard, un ange an radieux visage emportait l'enfant dans ses bras. Ce pauvre Victor ! Ă©criveit Emile Daschamps Ă  Adolphe de Sainl-Valr}^ le 12 octobre 4823 ; com- bien je suis triste de son chagrin ! Son enfant Ă©tait bien faible, mais enfin il vivait ! » — Victor Hugo a consacrĂ© le souvenir de cette grande douleur, — il en devait, hĂ©las ! Ă©prouver de plus amĂšres, — dans une ode touchante A Pombre d'un enfant. 0 ! dans ce monde auguste oĂč rien n'est Ă©phĂ©mĂšre, Dans ces flots de bonheur que ne trouble aucun fiel, Enfant ! loin du sourire et des pleurs de ta mĂšre, N'es-tu pas orphelin au ciel 2? Dans la lettre d'Emile Deschamps que nous venons de citer, nous lisons ce qui suit Vous savez que dĂ©cidĂ©ment nous ne mettrons pas dans la Revue les vers de Latouche ^ C'est une chose convenue avec Victor Nous aurons des vers charmants de Del- 1 Actions de grĂąces. {Odes et Ballade-,, liv. V. ode xiv. 2 Oies et Ballades, liv. V, odcxvi. 3 La Revue dont parle Emile Desrhamps, la Muse française, ne renferme, en effet, aucune piĂš^e de M. de Ldtou'^he, TĂ©diteur d'AndrĂ© Chenier, et Sainte-Beuve s'est tromp3, lorsqu'il a dit, dans ses Causeries du Lunii, t. III, p. 374 M. de Latou'^be avait commencĂ© par des espĂšces de bal- lades imitĂ©es de l'anglais, de l'allemand, par des descriptions de printemps, de paysages, qui parai aient dans les journaux littĂ©raires d'alors, dans la Miisp frnnnrnse, . . i> VICTOR HUGO AVANT 1830 305 phine, en dĂ©cembre. » La Revue dont il est ici ques- tion, avait Ă©tĂ© créée, quelques mois auparavant, par les amis de Victor Hugo, et il en Ă©tait un des princi- paux collaborateurs. Voici en quels termes, dans son autobiographie, il s'exprime Ă  ce sujet MM. Soumet, Guiraud et Deschamps eurent l'idĂ©e de fonder une revue et demandĂšrent Ă  M. Victor Hugo de se mettre avec eux. Il rĂ©sistait, ayant des travaux Ă  ter- miner ; mais le bailleur de fonds fit de sa collabora- tion une condition absolue, et il cĂ©da par amitiĂ©. Ainsi naquit la Revue française *. » Et, dans les lignes qui suivent, il nomme encore par deux fois la Revue française. La Revue française, dont les fondateurs Ă©taient MM. Guizot, le duc de Broglie et Charles de RĂ©musat, a paru du mois de janvier 1828 au mois de septembre 1830. M. Victor Hugo n'y a jamais Ă©crit. La Revue, créée en 1823, avec son concours, par MM. Soumet et Guiraud, Emile Deschamps et Adolphe de Saint- Valry, avait pour titre la Muse française. Que M. A'ictor Hugo ait oubliĂ© jusqu'au nom d'un recueil oĂč il a Ă©crit pendant une annĂ©e et sur lequel Sainte-Beuve, dans la biographie du poĂšte, a cru nĂ©cessaire de s'Ă©tendre longuement, c'est lĂ  une inadvertance d'au- tant plus Ă©tonnante que la mĂ©moire de M. Victor Hugo est Ă  coup sĂ»r la plus extraordinaire qui soit. Lui- mĂȘme, Ă  cet Ă©gard, n"a voulu nous laisser aucun doute. H dĂ©clare, en effet, dans la prĂ©face de ses lettres sur le Rhin^ qu'elles ont Ă©tĂ© Ă©crites sans * Motor Hiif/o nironfi'-. otc, t. II. p. 83. 306 A'ICTOR HUGO AVANT 1830 livres, et que les faits historiques ou les textes littĂ©- raires qu'elles contiennent sont citĂ©s de mĂ©moire ». Il affirme ne leur avoir fait subir aucune retouche. Or ces lettres, Ă©crites ainsi au hasard de la plume, non point dans le silence du cabinet, au milieu d'une riche bibliothĂšque, mais le soir d'un jour de marche, Ă  l'angle d'une table d'auberge, au bruit du souper qui s'apprĂȘte S ces lettres Ă©numĂšrent patiemment les faits les plus microscopiques, sans rien ometti^e et sans prĂ©variquer ; elles retracent les infiniment petits de l'histoire, les dĂ©tails les plus inconnus des Ă©poques les plus obscures. On y trouve, Ă  chaque instant, des pages telles que celle-ci, par exemple Quatre de ces chĂąteaux ont Ă©tĂ© bĂątis au onziĂšme siĂšcle Ehrenfels, par l'archevĂȘque Siegfried ; Stahleck, par les comtes Palatin ; Sayn, par FrĂ©dĂ©ric, premier comte de Sayn, vainqueur des Maures d'Espagne ; Hammerstein, par Othon, comte de VĂ©tĂ©ravie. Deux ont Ă©tĂ© construits au douziĂšme siĂšcle Gutenfels, par les comtes de Nuringen ; Rolandseck, par l'archevĂȘque Arnould II, en 1149 ; deux au treiziĂšme Furstemberg, par les Palatins, et Rheinfels, en 1219, par Thierry III, comte de Katzenellenbogen ; quatre au quator- ziĂšme Vogtsberg, en 1340, par un Falkenstein ; Fursteneck, en 1348, par l'archevĂȘque Henri III ; le Chat, en 1383, par le comte de Katzenellenbogen ; et la Souris, dix ans aprĂšs, par un Falkenstein. Un seulement date du seiziĂšme siĂšcle Philipsburg, bĂąti, de 1568 Ă  1571, par le landgrave Philippe le Jeune... - » * Le voyageur a marchĂ© toute la journĂ©e... Le soir venu, il entre dans une auberge, et pendant que le souper s'apprĂȘte, il demande une plume, de l'encre et du papier, il s'accoude Ă  l'angle d'une table, et il Ă©crit. '> {Le Rhin. prĂ©face, p. 12. 2 Lp Rhin, t. II. p. 200. VICTOR HUGO AVANT 1830 307 Si quelque lecteur malappris s'avisait de penser que cette page et cent autres pareilles ont pu diffici- lement ĂȘtre Ă©crites sans livres, dans une chambre d'hĂŽtel ; si, cherchant Ă  l'auteur du Rhin une que- relle d'Allemand, il demandait Ă  voir les originaux eux-mĂȘmes, cette requĂȘte indiscrĂšte tournerait bien vite Ă  sa confusion. La forme et le fond de ces lettres, dit M. Victor Hugo, sont restĂ©s ce qu'ils Ă©taient. » Et il ajoute On pourrait au besoin mon- trer aux curieux toutes les piĂšces de ce journal d'un voyageur authentiquement timbrĂ©es et datĂ©es par la poste *. » Oui, toutes, mĂȘme la lettre vingt-cinquiĂšme oĂč j'ai comptĂ© soixante-deux dates, et quelles dates ! escortĂ©es de quatre cent soixante noms propres, et quels noms propres ! Tandis qu'il suffisait, pour arrĂȘter Boileau, de quatre ou -cinq noms hĂ©rissĂ©s do consonnes Zutphen, Wageninghen, Hardewic, Knotzembourg^, M. Victor Hugo cite de mĂ©moire, sans broncher, quatre cent soixante noms aux syllabes bizarres^ et nous sommes bien forcĂ©s de croire, — puisque le timbre de la poste est lĂ , — qu'il n'en a pas ajoutĂ© un seul sur ses Ă©preuves... ajwes la lettre. Mais alors comment se fait-il qu'avec une mĂ©moire si prodigieuse il ait oubliĂ© le nom de la Muse fran- çaise, qu'il ait confondu cette Revue avec une autre d'un caractĂšre tout diffĂ©rent, et qu'il ait laissĂ© sub- * Le Rhin, prĂ©face, p. 20 ^ FpĂźtre IV, Au roi. 308 VICTOR HUGO AVANT 1830 sister cette erreur dans toutes les Ă©ditions de ses MĂ©moires publiĂ©es depuis vingt ans ? N'ayant point les mĂȘmes raisons que l'illustre poĂšte pour laisser dans l'ombre une Revue honorĂ©e de sa collaboration et Ă  la direction de laquelle il a mĂȘme pris une part active, nous nous y arrĂȘterons quelques instants. IV La Muse française, qui commença en juillet 1823 pour finir en juin 1824, paraissait une fois par mois. Elle avait pour Ă©pigraphe ces vers de Virgile Jam redit et Virgo. ....... .Tarn nova progenies Ccelo demittitur alto. Chaque livraison Ă©tait divisĂ©e en trois parties, rĂ©ser- vĂ©es la premiĂšre Ă  la poĂ©sie, la seconde Ă  la cri- tique littĂ©raire, la troisiĂšme Ă  des articles sur les mƓurs et les caractĂšres du jour. Titre oblige la Muse française accordait aux poĂštes la plus large hospitalitĂ©. Voici les noms de ceux dont elle publia des vers Victor Hugo, Alfred de Vigny, Soumet, Guiraud, Jules de RessĂ©guier, Emile Deschamps, Adolphe do Saint-Valry, Charles Nodier, Pichald, Jules LefĂšvre, Ulric Guttinguer, Ancelot, GhĂȘnedollĂ©, Raour-Lormian, Brifaut, L. Belrnontet, Victor Chauvet, de Villebois, Nestor de Lamarque, Adolphe Michel — M"^es Des- VICTOR HUGO AVANT 1830 309 Jbordes-Yalmore, DufrĂ©no}^ Verdier , GĂ©rĂ©-BarbĂ© , Amable Tastu, Sophie Gay et Delphine Gay. La critique n'est point d'ordinaire le fait des poĂštes, mais il en allait autrement Ă  la Muse, oii les critiques s'appelaient Victor Hugro, Charles Nodier, Soumet, Emile Deschamps, Alfred de Vigny, Gaspard de Pons, Adolphe de Saint-Valry, Guiraud, Holmondurand. Ce dernier nom cachait M. Durangel, dĂ©jĂ  couronnĂ© plu- sieurs fois par l'AcadĂ©mie des Jeux-Floraux et dont nous avons eu prĂ©cĂ©demment occasion de parler avec quelques dĂ©tails \ Les esquisses de mƓurs qui occupent la derniĂšre partie de chaque livraison sont dues Ă  Emile Des- champs, Jules de RessĂ©guier et Adolphe de Saint- Valry. Emile Deschamps signait le Jeune Moraliste. Il a, trois ans plus tard, rĂ©uni ses articles en un volume, sous ce titre le Jeune Moraliste du dix-neuviĂšme siĂšcle. La collection de la Muse française forme deux volumes in-octavo -, qui fourniraient matiĂšre Ă  plus d'un extrait intĂ©ressant. On y trouverait notamment tout un Alfred de Vigny inĂ©dit, prose et vers. Outre Dolorida ^, Alfred de Vigny a donnĂ©, Ă  la Muse, deux fragments d'un poĂšme de Suzanne^, dont le premier seulement a Ă©tĂ© rĂ©imprimĂ© dans ses ƒuvres * Voy. ci-dessus, chapitre iV, 2 Les volumes de la 3Iuse française ne sont guĂšre moins rares que ceux du Conservateur littĂ©raire. Nous en devons Ă©galement la communication Ă  M. LĂ©on de la SicotiĂšre. 3 4 livraison, t. I, p. 231. ‱V 10" livraison, t. IL p. 212. 310 VlCTUll JlUGO AVANT 1830 complĂštes. Neuf stances, mi\i\x\Ă©e^ le Chant de Suzanne au bain, n'ont pas Ă©tĂ© recueillies par le poĂšte, non plus que ses vers sur la Mort de Bijron, insĂ©rĂ©s dans" la douziĂšme livraison, avec ce sous-titre Fragment d'un poĂšme qui va ĂȘtre publiĂ©. Voici la lin de ce remar- quable morceau PoĂšte conquĂ©rant, adieu pour cette vie ! Je regarde ta mort et je te porte envie ; Car tu meurs Ă  cet Ăąge oĂč le cƓur, jeune encor, De ses illusions conserve le trĂ©sor. Tel, aux yeux du marin, le soleil des tropiques Se plonge tout ardent sous les flots pacifiques, Et, sans pĂąlir, descend Ă  son nouveau sĂ©jour Aussi fort qu'il Ă©tait dans le milieu du jour. Des deux morceaux de prose qu'Alfred de Vigny a fait paraĂźtre dans la Muse française, le premier, — consacrĂ© Ă  un petit recueil de vers intitulĂ© Amour. — A Elle, dont l'auteur, le comte Gaspard de Pons, avait garde l'anonyme % — respire une douloureuse tristesse, une sombre mĂ©lancolie, dĂ©jĂ  voisine de cette noire dĂ©sespĂ©rance qui Ă©clatera plus tard dans Stello et dans Servitude et grandeur militaires ; le second est un compte rendu des ƒuvres posthumes de M. le baron deSorsum. Au chapitre I^^ du livre III des MisĂ©rables, M. Victor Hugo, dressant Ă  sa façon le bilan de VannĂ©e 1817, nous dit C'Ă©tait l'annĂ©e oĂč M. BruguiĂšre de Sorsum Ă©tait cĂ©lĂšbre. » Eh ! mon Dieu ! nul n'est * Ces vers du comte Gaspard de Pons ont Ă©tĂ© rĂ©imprimĂ©s, en 1860, dans ses Adieux joĂ©tiques, t. I, p. 12 et suivantes. VICTOK IIL'GO AVANT 1830 311 tenu d'ĂȘtre cĂ©lĂšbre, et M. BruguiĂšre de Sorsum ne se piquait point de l'ĂȘtre. Homme du monde et homme d'esprit, il ne demandait aux lettres que d'occuper et de charmer ses loisirs. L'AcadĂ©mie française avait accordĂ©, en 1807, une mention Ă  sa piĂšce sur les Voyages. AprĂšs avoir donnĂ©, en 1821, une traduction en vers du poĂšme de Robert Southey, Roderick^ le dernier roi des Goths, il traduisit quelques-uns des chefs-d'Ɠuvre de Shakespeare, conformĂ©ment au texte original, en vers blancs, en vers rimes et en prose. Cette tentative a inspirĂ© Ă  Alfred de Vigny une page remarquable et qui ne serait pas pour dĂ©parer ses Ɠuvres *. Mais c'est surtout Victor Hugo qui doit ici nous occuper. Deux de ses Odes ont paru dans la Muse française VOde ci mon "pĂšre et la Bande noire ^. Au mois de septembre 1823, date de la publication de la premiĂšre de ces deux piĂšces, un rapprochement s'Ă©tait opĂ©rĂ© entre le gĂ©nĂ©ral Hugo et ses fils. Les vers du poĂšte Ă©taient suivis d'une longue note rappe- lant les Ă©tats de services de son pĂšre... depuis 1805 seulement, de façon Ă  ne point rĂ©veiller les souvenirs du temps oĂč il arborait le prĂ©nom de Brutus. La Bande noire est restĂ©e l'une des plus belles odes de Victor Hugo, la plus belle peut-ĂȘtre. 11 a d'ailleurs corrigĂ© trĂšs heureusemenll'une des derniĂšres strophes. Parlant des dĂ©molisseurs rĂ©volutionnaires, il disait dans la Muse française 1 7* livraison, t. II, p. 0J. 2 La Muse française, t, I'»', p. 141 ; t. II. p. 43. 31 i VICTOR HUGO AVANT 1830 Qu'ils viennent maintenant, que leur foule s'Ă©lance, Qu'ils se rassemblent tous ces soldats aguerris 1 VoilĂ  des ennemis dignes de leur vaillance ! Des ruines et des dĂ©bris. Qu'ils entrent sans effroi sous ces portes ouvertes ; Qu'ils assiĂšgent ces tours dĂ©sertes ; Pour eux il n'est point de dangers ; Les hĂ©ros qui veillaient sur ces hautes murailles, Les ombres qui jadis ont gagnĂ© des batailles, Les prendraient pour des Ă©trangers ! Lorsqu'il publia sa piĂšce dans le second volume de ses Odes % il refit ainsi les derniers vers Qu'ils assiĂšgent ces tours dĂ©sertes ; Un tel triomphe est sans dangers. Mais qu'ils n'Ă©veillent pas les preux de ces murailles ; Ces ombres qui jadis ont gagnĂ© des batailles Les prendraient pour des Ă©trangers ! Les articles en prose de Victor Hugo dans la Muse française sont au nombre de cinq. En voici les titres Quentin Durivard, par sir Walter Scott ; — Essai sur VindiffĂ©rence en matiĂšre de religion, par M. l'abbĂ© F. de la Mennais, tomes III et IV ; — Sur Voltaire, fragment ; — Sur Georges Gordon, lord Byron ; — Eloa ou la SƓur des Anges, mystĂšre, par le comte Alfred de Vignj-. A l'exception du dernier, ces articles ont Ă©tĂ© repro- duits dans LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es ; mais l'auteur leur a fait subir d'assez nombreux change- 1 Nouvelles Odes.^av Victop-M. Hugo, 1824. VICTOK UUGO AVAiNT 1830 313 ments portant ici sur le style, lĂ  sur les idĂ©es elles- mĂȘmes ; nous en signalerons quelques-uns. Dans les pages sur Quentin Dunvard, aprĂšs cette phrase Nous aimons d'ailleurs Ă  retrouver nos ancĂȘtres avec leurs prĂ©jugĂ©s, souvent si nobles et si salutaires, comme avec leurs beaux panaches et leurs bonnes cuirasses, » Victor Hugo ajoutait ceci Cet homme Bonaparte connaissait bien peu le gĂ©nie populaire, qui essayait de rajeunir le Louvre et de recrĂ©pir la monarchie de Gharlemagne. Walter Scott comprend mieux sa mission de poĂšte que ce gĂ©ant aveugle n'a compris celle de fondateur '. » NapolĂ©on aveugle! M. Victor Hugo, devenu en 1834 bonapar- tiste ardent, s'empresse d'effacer ce blasphĂšme. D'un trait de plume il biffe tout le passage. Il supprime Ă©galement celui-ci Comme Français, nous ne remercierons pas sir WaUer Scolt de l'incursion qu'il vient de faire dans notre histoire ; nous serions plutĂŽt tentĂ© de la reprocher Ă  cet Ecossais. Certes, celui qui, entre tous nos rois, nos Charlemagne, nos Phihppe Auguste, nos saint Louis, nos Louis XII, nos Fran- çois 1er, nos Henri IV et nos Louis XIV, a Ă©tĂ© choisir pour son hĂ©ros Louis XI, ne peut ĂȘtre qu'un Ă©tranger. VoiiĂ  bien une inspiration de la muse anglaise -. 0 poĂšte ! le jour oĂč, voulant placer dans un de vos romans 2 l'un de nos rois, vous avez Ă©tĂ© choisir prĂ©cisĂ©- ment Louis XI ; le jour surtout oĂč, dans l'un de vos 1 La Musc française, t. h»", \. 31, 2 Ibid.» t. I", p. 38. 3 Notre-Dame de Paris. 18 31i VlCTOll UUGU AVANT 1830 drames \ vous avez introduit François pr pour en faire un coureur de tavernes ; oĂč vous avez traĂźnĂ© dans le taudis de Maguelone le rival de Charles-Quint ; oĂč vous avez fait souffleter par un bouffon l'ami du Primatice et de LĂ©onard de Vinci, oĂč vous avez bar- bouillĂ© de boue Ce François Premier, dont Pavie Trouva l'armure sans dĂ©faut ^ ; ce jour-lĂ , o poĂšte ! n avez-vous donc pas compris que de vous aussi l'on pourrait dire Certes, celui qui insulte ainsi un hĂ©ros qui a combattu deux grands jours Ă  Marignan, celui-lĂ  n'obĂ©it pas Ă  une inspira- tion française ^!» C'est une page bien française, au contraire, que celle qui termine l'Ă©tude sur Quentin Dunva?'d, et dans laquelle \e jeuyie Jacobite de 1823 s'incline avec Ă©mo- tion devant ces deux choses sacrĂ©es, la vieillesse et le malheur Puisque nous avons reprochĂ© Ă  sir Waller Scott le choix de * Le Roi s'amuse. 2 V. Hugo, ode sur le Sacre de Charles X. 3 Le Roi s'amuse, reprĂ©sentĂ© le 22 novembre 1832 ; interdit le lendemain. — Depuis que ces lignes ont paru dans le Correspondant, le Théùtre-Français a donnĂ©, le 22 novembre 1882, la seconde du Roi s'amuse. Les spectateurs Ă©taient venus avec le ferme propos d'applaudir ; mais le courage leur a man- quĂ©, en prĂ©sence de cette piĂšce antifrançaise. L'ennui, d'ailleurs, ne leur en eĂ»t point laissĂ© la force. L'un des plus fervents admirateurs du MaĂźtre, M. Francisque Sarcey, a dĂ» le confesser dans son feuilleton dramatique. Personne, dit-il, ne peut lutter contre cette vĂ©ritĂ© qui s'impose Ă  tous les esprits on s'ennuie tout bas ; on enrage de s'ennuyer ; on ne se Tavoue pas Ă  soi-mĂȘme; mais on s'ennuie. C'est une dĂ©route, c est un eftbndrement.. . La reprĂ©sentation a Ă©tĂ© exĂ©crable. 11 n'y a pas deux mots pour la qualifier elle a Ă©tĂ© exĂ©crable. -> Le Tonps^, 27 novembre 1882. VICTOR HUGO AVANT 1830 313 son personnage royal, nous ne terminerons point cet article sans le remercier de sa touchante et ingĂ©nieuse prĂ©face. Son vieux marquis provoque Ă  chaque instant le sourire et les larmes. Loin de nous la pensĂ©e de rĂ©veiller ici le moindre souvenir de parti ! S'il est, comme on l'assure, des Français qui osent rire de quelques vieillards français comme eux, les- quels ont vĂ©cu dans l'exil et meurent dans la pauvretĂ©, qu'ils lisent la prĂ©face de Quentin Durivard, elle les rĂ©conciliera avec les infortunes de l'honneur. Nous regrettons seulement que ce service leur soit rendu par un Ă©tranger. Pour nous, nous avons toujours pensĂ© qu'il peut y avoir au monde quelque chose de plus ridicule que la vieillesse et le malheur *. M. Victor Hugo a supprimĂ©, en 1831, cette page touchante. A la Muse française, comme au Conservateur littĂ©- raire, Chateaubriand Ă©tait l'objet d'une religieuse admiration. Il Ă©tait le dieu du temple, ou plutĂŽt de la petite chapelle moyen Ăąge, oĂč les jeunes lĂ©vites de l'École romantique cĂ©lĂ©braient devant quelques fidĂšles choisis les rites de la poĂ©sie nouvelle. Victor Hugo excellait entre tous Ă  manier l'encensoir devant l'au- teur du GĂ©nie du Christianisme. Dans l'Ă©tude sur Walter Scott, il plaçait les Martyrs au premier rang des Ă©popĂ©es. Bien que l'auteur de cet admirable poĂšme, disait-il, ne l'ait point assujetti au joug mĂ©- trique, ceux-lĂ  seuls lui refuseront la palme Ă©pique, qui voudraient en dĂ©corer leur aride Henriade, cette gazette en vers, oĂč Voltaire a Ă©vitĂ© soigneusement la poĂ©sie, comme on Ă©vite un ami avec qui l'on veut se brouiller -. » 1 La Muse française, t. I*', p. 45. 2 Ihid., t. I»»-, p. .{' . 316 VICTOR HUGO avant 1830 Un peu plus tard, clans son article sur La Mennais, il parlait de l'enlhousiasme avide qu'a Ă©veillĂ© dans notre siĂšcle le GĂ©nie du Christianisme », — de l'im- pulsion donnĂ©e aux esprits par les admirables Ă©crits de M. de Chateaubriand » ; et il Ă©crivait M. de Chateaubriand, dont le gĂ©nie flatte toutes les imagi- Tiations lors mĂȘme qu'il ne touche pas tous les cƓurs^, a laissĂ© tomber sur les Juifs quelques-unes de ces pages merveilleuses qui, passant de mĂ©moire en mĂ©- moire, n'auraient pas besoin du secours de l'impri- merie pour arriver Ă  la postĂ©ritĂ© la plus reculĂ©e \ Dans l'article sur Georges Gordon, lord Byron, com- parant Chateaubriand Ă  Byron, il n'hĂ©sitait pas Ă  dĂ©clarer le premier supĂ©rieur au second, autant par sa propre Ă©lĂ©vation que par la hauteur de sa morale '». Tous ces passages en l'honneur de Chateaubriand, M. Victor Hugo les a effacĂ©s dans ce livre de LittĂ©ra- ture et Philosophie mĂȘlĂ©es, oĂč pourtant, s'il faut l'en croire, il a eu soin de rĂ©imprimer ses articles d'au- trefois, sans y rien changer ». En mĂȘme temps qu'il biffait les Ă©loges qu'il avait accordĂ©s au chantre des Martyrs, il attĂ©nuait les critiques que, dans son Fragment sur Voltaire, il avait adressĂ©e-s Ă  l'auteur de V Essai sur les mƓurs. Sa Benriade, Ă©crivait-il en 1823, est encore bien infĂ©- rieure, comme composition littĂ©raire, Ă  son infĂąme Pucelle, ce qui ne signifie certes pas que ce repous- sant ouvrage soit supĂ©rieur, mĂŽme dans son genre 1 La Muse française. 2 Ibid.. t. n. p. 334. VICTOR HUGO AVANT 1830 317 honteux *. » Repoussant! InfĂąme! M. Victor Hugo rature philosophiquement, en 1834, ces deux Ă©pithĂštes attentatoires Ă  l'honneur de M. de Voltaire. Ce Fragment sur Voltaire Ă©tait accompagnĂ©, dans la Muse française, de la note suivante Ce fragment est tirĂ© d'une Notice sur la vie et les Ă©crits de Voltaire, qui prĂ©cĂšde un Choix de lettres, de cet Ă©crivain cĂ©lĂšbre, publiĂ© par A. Boulland et Ce. Ce choix de lettres fait partie d'une collection imprimĂ©e par Firmin Didot, sur papier fin, publiĂ©e en deux formats, in-12 etin-18 grand raisin. Elle sera ornĂ©e des portraits des divers auteurs. L'Ă©diteur n'Ă©pargnera rien pour que cette collection, parti- culiĂšrement destinĂ©e Ă  la jeunesse, soit Ă©galement digne des bibliothĂšques de tous les amateurs de bons et beaux livres. Elle sera, par son extrĂȘme Ă©lĂ©gance, susceptible d'ĂȘtre donnĂ©e en Ă©trennes. — Chaque choix de lettres sera prĂ©cĂ©dĂ© d'une notice biographique et raisonnĂ©e sur l'auteur auquel elles seront empruntĂ©es. Le choix de lettres et la rĂ©daction des Notices sont confiĂ©s Ă  M. Victor Hugo 2. Des cinq Études publiĂ©es par Victor Hugo dans la Muse française, la plus remarquable est celle qu'il a consacrĂ©e Ă  Eloa ; et l'on s'Ă©tonne de ne pas retrouver dans ses Ɠuvres ces pages tour Ă  tour Ă©loquentes ou gracieuses, cette critique d'un poĂšte par un autre poĂšte, oĂč brillent les plus rares et les plus char- mantes qualitĂ©s. Pourquoi ne les a-t-il pas admises dans LittĂ©rature et Philosophie inĂȘlĂ©es ? Serait-ce parce qu'en 1834, la gloire d'Alfred de Vigny parais- 1 La Muse française, t. I"»". p. 431. 2 lbirJ..\. Ăź". p. 427. 18, 318 VICTOR HUGO AVANT 1830 sait Ă  quelques-uns moins Ă©clatante que la sienne, mais plus haute et plus pure ; parce qu'elle semblait Ă  tous devoir grandir encore, nul ne pouvant prĂ©voir alors que l'auteur Ă !Eloa et de MoĂŻse, de Cinq-Mars et de Stello, allait, au lendemain mĂȘme de Chatterton et de Grandeur et Servitude militaires, en pleine sĂšve et en plein triomphe, rentrer, avant midi, dans sa tour d'ivoire * ; parce que, dans l'entourage mĂȘme de M. Victor Hugo, ses plus fidĂšles disciples murmu- raient tout bas ce que ThĂ©ophile Gautier devait un jour Ă©crire » Eloa est le plus beau poĂšme, le plus parfait peut-ĂȘtre de la langue française ^ ? » Quoi qu'il en soit des motifs qui l'ont dĂ©cidĂ© Ă  ne pas reproduire son article sur Eloa, M. Victor Hugo n'a pu se rĂ©signer Ă  le perdre tout entier. Il en a donc extrait certains passages, oĂč le nom d'Alfred de Vigny ne se trouvait pas, et il les a insĂ©rĂ©s dans un chapitre de LittĂ©rature et Philosophie ĂźnĂȘlĂ©es, auquel il a donnĂ© pour titre IdĂ©es au hasard. Jusque-lĂ  tout allait bien ; mais que faire de la page suivante toute constellĂ©e d'antithĂšses, mais oĂč brillait aussi, Ă©clatant de blancheur, le nom d'Eloa ? Ces rĂ©flexions nous amĂšnent naturellement Ă  l'auteur d'Eloa. Si jamais composition littĂ©raire a profondĂ©ment portĂ© l'empreinte ineffaçable de la mĂ©ditation et de l'inspiration, c'est ce poĂšme. Une idĂ©e morale, qui touche Ă  la fois aux deux natures de l'homme ; une leçon terrible donnĂ©e en vers * Et Vigny plus secret, Comme en sa tour d'ivoire, avant midi, rentrait. Sainte-Beuve. Ips PensĂ©es d'aoĂ»t. 2 Moniteur du 28 septembre 1863. VICTOR HUGO AVANT 1830 319 enchanteurs ; une des plus hautes vĂ©ritĂ©s de la religion et de la philosophie, dĂ©veloppĂ©e dans une des plus belles fictions de la poĂ©sie ; l'Ă©chelle entiĂšre de la crĂ©ation parcourue depuis le deg-rĂ© le plus Ă©levĂ© jusqu'au degrĂ© le plus bas ; une action qui commence par JĂ©sus et se termine par Satan ; la sƓur des anges entraĂźnĂ©e par la curiositĂ©, la compassion et l'impru- dence, jusqu'au Prince des rĂ©prouvĂ©s voilĂ  ce que prĂ©sente Eloa, drame simple et immense, dont tous les ressorts sont des sentiments ; tableau magique qui fait graduellement suc- cĂ©der Ă  toutes les teintes de lumiĂšre toutes les nuances de tĂ©nĂšbres ; poĂšme singulier qui charme et qui effraye * ! Gomment faire ? Sacrifier cette page et tant de belles antithĂšses ? C'Ă©tait dur ! Signaler Ă  l'admiration du lecteur l'auteur d'Eloa ? Jamais ! C'est alors que M. Victor Hugo eut une idĂ©e qui porte manifestement, elle aussi, l'empreinte de la rnĂ©ditation et de Vinspi- ration. 11 se rappela qu'un certain poĂšte anglais, nommĂ© Milton, lequel jouait mĂȘme un rĂŽle dans son drame de Cromwell, avait publiĂ©, vers l'an 1667, un poĂšme, qui avait quelques rapports avec celui d'Alfred de Vigny. Cela trouvĂ©, le reste allait de soi il n'y avait qu'Ă  mettre Milton^ lĂ  oĂč il y avait Alfred de Vigny ; Ă  mettre le Paradis perdu, lĂ  oĂč il y avait Eloa. Ainsi fut fait ^. Mais on ne s'avise jamais de tout! M. Victor Hugo ne s'est pas aperçu qu'en se servant de ce petit subterfuge pour ne pas rappeler Eloa, il grandissait singuliĂšrement ce poĂšme, et qu'en voulant abolir jusqu'au nom d'Alfred de Vigny, * La Muse française, t. II, p. 279. 2 LittĂ©rature et Philosophie mĂȘlĂ©es, p. 2n .*i20 VICTOR IJUGO AVANT 4830 il faisait rejaillir sur ce nom effacĂ© quelque chose de FĂ©clat du nom mĂȘme de Milton ! y Le soin mis par Victor Hugo Ă  laisser dans l'ombre Eloa est d'autant moins excusable que c'est prĂ©cisĂ©- ment Ă  lui qu'Alfred de Tigny, au moment oĂč il s'Ă©tait cru appelĂ© Ă  prendre part Ă  l'expĂ©dition d'Espagne, avait confiĂ© la mission de faire imprimer son poĂšme et de le prĂ©senter au public. C'Ă©tait sur lui qu'il se reposait, s'il tombait sur quelque champ de bataille, pour protĂ©ger sa mĂ©moire. La lettre qu'il lui Ă©crivit Ă  cette occasion est intĂ©ressante Ă  plus d'un titre, et mĂ©rite d'ĂȘtre mise en entier sous les yeux du lecteur. Alfred de Vigny avait quittĂ© la garde royale au mois de mars 1823, pour passer, avec le grade de capi- taine, au 55^ de ligne, alors en garnison Ă  Strasbourg. Au mois de juillet de la mĂȘme annĂ©e, le 55 de ligne fut envoyĂ© Ă  Bordeaux. C'est de cette ville que l'officier-poĂšte Ă©crivait Ă  son ami, Ă  la date du 3 octobre J'ai reçu, mon cher Victor, et avec plus que du plaisir, votre aimable lettre. J'ai tardĂ© Ă  vous rĂ©pondre, parce que l'ordre que nous venons de recevoir de partir pour l'Espagne m'a donnĂ© quelque occupation *. A prĂ©sent que je sais que j'ai 1 Le o5e de ligne fut envoyĂ© Ă  Pau, mais il ne franchit pas la frontiĂšre. Alfred de Vigny fut rondamnĂ© Ă  assister Ă  l'expĂ©dition larme au bras. Ne pouvant combattre, il composa, dans les PyrĂ©nĂ©es, ses trois beaux poĂšmes DoJorifin. Ip Dphiqp. Le Cnr. et Ă©crivit Je. 1^1». 3 EpĂźtre Ă  Jules de UessĂ©rjuier. 350 \ ICTOJi JlUGO AVAiXT 1830 traient avec ceux de l'Ă©cole de la Restauration, oĂč Parseval-Grandmaison, l'auteur du poĂšme Ă e Philippe- Auguste^ tendait la main Ă  l'auteur du poĂšme dEloa. Le plus jeune des deux frĂšres Deschamps, Antony, le futur traducteur de Dante, nous a laissĂ©, dans son livre des DerniĂšres paroles, une peinture touchante du salon paternel. C'Ă©tait lĂ  mon bon temps, c'Ă©tait mon Ăąge d'or, OĂč, pour se faire aimer, Pichat vivait encor, Cygne du paradis, qui traversa le monde, Sans s'abattre un moment sur cette fange immonde. Soumet, Alfred, Victor, Parseval, vous enfin, Qui dans ces jours heureux vous teniez par la main, Rappelez- vous comment, au fauteuil de mon pĂšre Vous veniez, le matin, sur les pas de mon frĂšre, Du feu de poĂ©sie Ă©chauffer ses vieux ans Et sous les fleurs de mai cacher ses cheveux blancs. Les plus jeunes vantaient Byron et Lamartine Et frĂ©missaient d'amour Ă  leur muse divine ; Les autres, avant eux, amis de la maison. Calmaient cette chaleur par leur froide raison. Et savaient, chaque jour, tirer de leur mĂ©moire Sur Voltaire et Lekain quelque nouvelle histoire, Et, le cƓur tout Ă©mu d'un innocent plaisir, Avec les jeunes gens se sentaient rajeunir ^. PassionnĂ© pour le beau sous toutes ses formes, Emile Deschamps traduisait Horace en mĂȘme temps que Shakespeare et le Romancero ; il passait sans effort de l'ode Ă  Quintus au poĂšme de Rodrigue et Ă  la scĂšne des sorciĂšres de Macbeth. Prosateur et poĂšte, 1 DerniĂšres paroles, xix. VICTOR HUGO AVANT i830 .Sol il redisait les Plaintes de la jeune Emma, et il don- nait, dans chaque livraison de la Muse française, de piquantes Ă©tudes de mƓurs qu'il signait Le jeune moraliste. Gomment donc s'est-il fait que cet homme d'un si vrai talent, au lieu de le concentrer en une Ɠuvre puissante et forte, l'ait perdu et dĂ©pensĂ© en menue monnaie, en petites piĂšces de salon et d'album ? L'explication se peut donner d'un mot Emile Des- champs avait trop d'esprit, et ceci a tuĂ© cela l'esprit a tuĂ© la poĂ©sie. Quand ils ont tant d'esprit, les poĂštes vivent peu. Adolphe de Saint-Valry % qui partageait avec Emile Deschamps la direction de la Muse française, Ă©tait, Ă  cette Ă©poque, l'ami le plus intime de Victor Hugo n'avaient-ils pas mĂȘme passion pour la poĂ©sie, mĂȘmes croyances religieuses et monarchiques ? Il a marquĂ© son rang, comme romancier, par une Ɠuvre Ă©minente, Madame de Mably. Ses A^ers sont purs, Ă©lĂ©gants, nobles et faciles ils coulent d'une source Ă©levĂ©e. Il avait fait paraĂźtre, en 1825 et en 1826, deux poĂšmes, la Chapelle de Notre-Dame du ChĂȘne et les Ruines de Monifort-VAmaury ; mais, aprĂšs la rĂ©volution de 1830, il renonça Ă  publier de nouveaux recueils, sans pour cela renoncer Ă  la poĂ©sie. A plusieurs reprises, il adressa Ă  M. Victor Hugo des vers Ă©loquents, pleins des souvenirs de leur commun passĂ©, pleins aussi de l'espoir que le poĂšte des Odes et Ballades n'Ă©tait pas perdu sans retour pour les grandes et saintes causes i NĂ© en 1796, mort en 1S07. Jo^ VICTOR HUGO AVANT 1830 qu'avait chantĂ©es sa jeunesse. A l'envoi d'une de ces piĂšces, M. Yictor Hugo rĂ©pondit, le 17 juin 1841 Cher poĂšte, vous voulez bien me prĂ©dire qu'en vieillissant je reviendrai aux illusions de ma jeunesse ; cela s'appelle bien un peu, je crois, retomber en enfance ; mais vous me le pro- phĂ©tisez en vers si charmants, si tendres et si beaux, que je suis tout heureux de la prophĂ©tie. Cependant je vous crois plus poĂšte que prophĂšte, et je ne vous en aime que mieux. Votre vieux camarade, Victor. Non, certes, Adolphe de Saint-Yalry n'Ă©tait pas prophĂšte ; mais M. Hugo l'Ă©tait-il davantage, lui qui Ă©crivait ces lignes au lendemain de son discours de rĂ©ception Ă  l'AcadĂ©mie française, dont la pĂ©roraison est consacrĂ©e Ă  cĂ©lĂ©brer, en termes magnifiques, le dĂ©fenseur de Louis XYI, ce noble et vĂ©nĂ©rable Malesherbes, pour lequel il a toujours eu une piĂ©tĂ© particuliĂšre * ! » PrĂ©voj^ait-il alors qu'un jour vien- drait oĂč il se prosternerait, Ă©perdu d'enthousiasme et d'amour, devant les hommes qui ont assassinĂ© Louis XVI et Malesherbes, oĂč il admirerait Danton, oĂč il glorifierait Robespierre, oĂč il diviniserait Marat ? A partir de 1850, les liens qui unissaient, depuis trente ans, le chantre de Louis A VII et son vieux camai^ade, se relĂąchent, puis se brisent complĂštement, sans pourtant que l'amitiĂ© meure tout Ă  fait, chez l'un d'eux du moins, M. de Saint-Valry, ^qui terminait, en 1862, le rĂ©cit d'un Ă©pisode de leur jeunesse par ces paroles Ă©mues * V. Hugo, Discours le ri'ception Ă  l'AcarJĂ©/nle f'rançcns''. i juin IS'il. VICTOR HUGO AVANT 1830 353 HĂ©las ! ce temps-lĂ  est bien loin, bien loin, et il nous semble nĂ©anmoins, tant la vie est courte, que c'Ă©tait hier. Un amas d'Ă©vĂ©nements prodigieux ont roulĂ© depuis comme des flots amers sur nos tĂȘtes blanchies par les annĂ©es ; l'Ă©loigne- ment, des rapports plus rares, les dissentiments politiques s'aggravant sans cesse, des tiers malveillants, de bons con- seils trop mĂ©connus, ont peut-ĂȘtre refroidi peu Ă  peu, de part et d'autre, une vieille et sincĂšre affection ; mais ces amitiĂ©s du premier Ăąge ont des racines si fortes et si profondes, que rien ne saurait les dĂ©truire entiĂšrement, et qu'il s'exhale encore de leur ruine un reste de parfum qu'on respire avec une douce tristesse jusque sur le seuil de la tombe *. Mais voilĂ  que l'espace va me faire dĂ©faut et que je n'ai plus que quelques lignes Ă  accorder Ă  Delphine Gay, Ulric Guttinguer et GhĂȘnedollĂ©;, tous les trois rĂ©dacteurs de la Muse et membres du CĂ©nacle. Delphine Gay- Ă©tait, en 1824, dans toute la fraĂź- cheur et tout l'Ă©clat de sa rayonnante beautĂ©. Elle n'avait pas encore reçu le surnom de Muse de la patrie, et elle se contentait, en attendant;, d'ĂȘtre appelĂ©e par les poĂštes du CĂ©nacle la Muse française. L'un d'eux, le plus exquis, le plus pur, le plus che- valeresque, avait, sans le vouloir, touchĂ© son cƓur ; et Mie Sophie Gay avait fait ce beau rĂȘve d'unir le chantre de Madeleine au chantre d'Eloa '. HĂ©las ! il Ă©tait Ă©crit que Delphine Ă©pouserait, au lieu du plus 1 Un voyage sentimental, par A. de Saint-VaĂźry. Voy. ci-dessus, ch. VIII, p. 2G0. 2 NĂ©e Ă  Aix-Ia-ChapelIc en 1804, morte en 1855. 3 Voy., dans les Nouveaux Lundis de Sainte-Beuve t, VI, p. 41G et suiv., les lettres de Mℱ^ Sophie Gay Ă  Mℱe Desbordes-Valmorc;, relatives Ă  ce curieux Ă©pisode. 20. 354 VICTOR HUGO AVANT 1830 Ă©thĂ©rĂ© des poĂštes, le plus prosaĂŻque dos hommes d'affaires, au lieu d'Alfred de Vigny, M. Emile de Girardin. Si elle n'a pas terminĂ© son poĂšme de Made- leine; si elle a versĂ© de la poĂ©sie dans la prose, du char de la reine Mab dans le fourgon du journalisme, c^est la faute du jnari *. Ulric Guttinguer, nĂ© Ă  Rouen en 1785, et plus ĂągĂ© que la plupart des rĂ©dacteurs de la Muse française, Ă©tait un homme du monde Ă  qui sa belle prestance, ses maniĂšres distinguĂ©es et sa grande fortune assu- raient, parmi les membres du CĂ©nacle, un rĂ©el pres- tige. Emile Deschamps, qui traduisait alors Horace, se plaisait Ă  lui appliquer ces vers de son poĂšte favori Di tibi formam, Di tibi divitias dederunt, artemque fruendi. Sainte-Beuve l'a peint dans VoluptĂ©, sous le nom de l'Ami de Noi^mandie ; Victor Hugo lui a dĂ©diĂ© l'une de ses odes, V Homme heureux; Alfred de Musset lui a adressĂ© quelques-uns de ses plus beaux vers Ulric, nul Ɠil des mers n'a mesurĂ© l'abĂźme... Oh ! la belle destinĂ©e, — c'est un mot du grand poĂšte italien Leopardi, — oh ! la belle destinĂ©e, de ne pouvoir plus mourir, sinon avec un immortel ! » 1 C'est la faute du mari M^e Emile de Girardin fit jouer, sous ce titre, au Théùtre-Français, en 1851, un proverbe en un acte et en vers. — L'OdĂ©on avait reprĂ©sentĂ©, le 9 fĂ©vrier 1843, une comĂ©die de M. LĂ©on Guillard, inti- tulĂ©e Delphine ou a faute au mari. VICTOR HUGO AVANT 1830 355 Normand comme Ulric Guttinguer, — il Ă©tait nĂ© Ă  Vire, le 4 novembre 1769, — GhĂȘnedollĂ© * avait fait partie, au commencement du siĂšcle, de ce premier cĂ©nacle, dont Chateaubriand Ă©tait le chef et oĂč figu- raient, avec lui, Joubert et Fontanes ^. Étant venu Ă  Paris au mois de juillet 1823, au moment de la fon- dation de la Muse française^ il avait Ă©tĂ© heureux d'unir sa collaboration Ă  celle des nouveaux poĂštes, comme lui disciples et amis de Chateaubriand. Je trouve, dans la quatriĂšme livraison de la Muse, Ă  cĂŽtĂ© de la Dolorida d'Alfred de Vigny, une ode de GhĂȘnedollĂ© sur le Supplice des suicides , imitĂ©e de Dante. Alexandre Soumet lui Ă©crivait, Ă  l'occasion de cette piĂšce, le 20 septembre 1823 Mon cher maĂźtre et ami, je viens moi-mĂȘme du bureau de notre journal ; je n'ai voulu m'en rapporter qu'Ă  moi-mĂȘme pour corriger les Ă©preuves de vos beaux vers. Nous avons hĂ©sitĂ© longtemps entre les stances du Troubadour et le mor- ceau du Dante, comme on hĂ©site entre une statue d'HĂ©bĂ© et celle d'un Hercule. La force l'a emportĂ© sur la grĂące, et votre admirable imitation est dĂ©jĂ  imprimĂ©e. J'ai sollicitĂ© la laveur de paraĂźtre dans le mĂȘme numĂ©ro que vous, afin de me mettre sous votre sauvegarde comme autrefois. Je rends compte des SoirĂ©es de Saint-PĂ©tersbourg ; je parle des peines de l'Enfer, et le morceau du Dante viendra joindre l'exemple au prĂ©cepte... C'est ainsi, dit Sainte-Beuve, aprĂšs avoir citĂ© cette lettre dans sa belle Ă©tude sur GhĂȘnedollĂ©, c'est ainsi qu'on se parlait tous les jours^, Ă  toutes les 1 NĂ© en 17G9, mort en 1833. 2 Chateaubriand et son groupe littĂ©raire sous l'Empire, par Sainte-Beuve. 356 VICTOR ]IUGO AVANT 1830 heures, dans ce monde-lĂ  c'Ă©tait les plus grandes rudesses. » On peut sourire assurĂ©ment, et Sainte- Beuve ne s'en est pas fait faute, des travers de ce petit monde poĂ©tique, caressant et parfumĂ©, tout confit en douceurs, oĂč les poĂštes de la Muse s'appe- laient entre eux Alfred, Victor^ Adolphe, Jules, Gas- pard, Emile ou Delphine. Mais cette camaraderie innocente ne valait-elle pas mieux, aprĂšs tout, que les jalousies et les haines qui bientĂŽt attristeront la poĂ©sie et les lettres? Cet Ăąge d'or de la littĂ©rature romantique n'Ă©tait-il pas prĂ©fĂ©rable cent fois Ă  cet Ăąge de fer de la littĂ©rature industrielle, contre lequel il appartiendra Ă  Sainte-Beuve lui-mĂȘme de rĂ©agir un jour avec Ă©clat *? En dĂ©pit de ses dĂ©fauts, le groupe de la Muse fran- çaise a exercĂ© une influence heureuse sur la poĂ©sie et sur l'art. Son vĂ©ritable caractĂšre, celui qui lui est propre, c'est la tendance Ă  l'Ă©lĂ©vation. ÉlĂ©gant et noble, gracieux et pur, ce groupe d'Ă©lite mĂ©rite qu'on l'appelle de ce nom que Dante nous fournit, la hella Scuola. Dans les premiers jours d'aoĂ»t 1830, Charles X, le duc d'AngoulĂȘme, la duchesse sa femme, la duchesse de Berry, le duc de Bordeaux, sa sƓur, escortĂ©s de leur garde fidĂšle , se dirigeaient vers Cherbourg. Tandis que ces princes^ dont les ancĂȘtres avaient fait la France, s'acheminaient vers l'exil, l'auteur des Odes 1 Voy., dans les Portraits contemporains t. !', p. 427, l'article intitulĂ© ; Quelques vĂ©riiĂ©s svr la situation en littĂ©rature, !' juillet IS43. VICTOR HUGO AVANT 1830 357 et Ballades, de la mĂȘme plume qui avait Ă©crit les odes sur la Naissance du duc de Bordeaux et sur le Sacre de Charles X, Ă©crivait des strophes enthou- siastes en l'honneur des hĂ©ros de Juillet FrĂšres ! et vous aussi vous avez vos journĂ©es M... Cependant le cortĂšge royal, poursuivant son triste itinĂ©raire, traversait le val de Yire et passait non loin de la maison de GhĂȘnedollĂ© il Ă©tait sur la route, entourĂ© de tous les siens, tenant Ă  la main des branches de lis qu'ils offrirent au vieux roi, prĂȘt Ă  quitter, pour ne les plus revoir, les rivages de la patrie pieuse et touchante inspiration ! Adieux de la poĂ©sie Ă  la royautĂ© ! Traduction vraiment française du vers de Virgile Manibus date lilia plenis ! GhĂȘnedollĂ©, ce jour-lĂ , le gĂ©nĂ©reux poĂšte, a noble- ment payĂ© au petit-fils de Louis XIV la dette de la Muse française. * Les Citants du crĂ©puscule. CHAPITRE XI Les Nouvelles Odes. — Le Sacre de Charles X. PrĂ©face des Nouvelles Odes, Racine et Boileaii. M. Ternaux et l'abbĂ© Delille. Variantes, — Du rĂŽle des initiales dans la rĂ©pu- blique des Lettres. Un article d'Hoffman. MĂ©moires de Phila- rĂšte Chasles. Un plagiat d outre-tombe. RĂ©ponse de M. Victor Hugo Ă  Hoffman. — La LĂ©gion d'honneur en 1825. Lettres inĂ©- dites. Augustin SouliĂ©. — Le Sacre de Charles X. Comment M. Victor Hugo a vu, Ă  Reims, le 29 mai 1823, M. de Lamar- tine qui Ă©tait Lyon. Un passage de Malebranche. — Une au- dience aux Tuileries. La culotte courte de M. Brifaut. —Voyage en Suisse. Le bon Ă©diteur Urbain Canel. Visite Ă  Saint-Point. Julia de Lamartine et LĂ©opoldine Hugo. Album de trois voya- geurs Ă  la vallĂ©e de Chamonix. I\L X. Doudan. Ce cyclope de Victor Hugo! — Guerre aux dĂ©molisseurs ! Dans les quelques lignes consacrĂ©es par M. Victor Hugo Ă  la Muse française, il ne s'est pas fait faute de reprocher Ă  ses collaborateurs leur timiditĂ©, de tourner en ridicule leur polĂ©mique douceĂątre et trop peu agres- sive. Les questions, au lieu d'ĂȘtre abordĂ©es de front, Ă©taient prises de biais, et l'on n'arrivait Ă  aucune con- clusion dĂ©finitive. » Ah ! s'il eĂ»t Ă©tĂ© le maĂźtre ! ce n'est pas lui qui se serait contentĂ© d'une opposition de salon ; il aurait fait une guerre Ă  outrance *. Comme * Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II, p. 83. VICTOR HUGO AVANT 1830 359 le bon Canaris sur les vaisseaux des Turcs, il aurait, sur les tragĂ©dies des classiques, arborĂ© riticendie^f — M. Victor Hugo oublie qu'en 1824 il n'Ă©tait pas aussi farouche que cela Gresset se trompe, il n'est pas si coupable. 1824, c'est l'annĂ©e oĂč parut le second volume des Odes ; il Ă©tait accompagnĂ© d'une prĂ©face dans laquelle l'auteur exposait ses principes et ses thĂ©ories littĂ©- raires en toute libertĂ© et sans avoir Ă  tenir compte des mĂ©nagements et des scrupules de collaborateurs trop timorĂ©s. Or rien ne ressemble moins Ă  une dĂ©cla- ration de guerre que ce manifeste, oi^i Victor Hugo se montre Ă  nous sous les traits, non d'un romantique intransigeant, mais d'un modĂ©rĂ© et d'un conciliateur. H adresse aux deux partis en lutte des paroles de paix ; il rĂ©pudie toutes les violences ; il Ă©carte ce qui divise, pour rechercher ce qui rapproche. \\ semble que par moments on l'entende s'Ă©crier comme cet honnĂȘte Sosie Messieurs, ami de tout le monde. Il y a maintenant, Ă©crit-il, deux partis dans la littĂ©rature comme dans l'État... Les deux camps semblent plus impa- tients de combattre que de traiter... Quelques voix impor- tantes nĂ©anmoins se sont Ă©levĂ©es, depuis quelque temps, parmi les clameurs des deux armĂ©es. Des conciliateurs se sont prĂ©- sentĂ©s avec de sages paroles entre les deux fronts d'attaque. Ils seront peut-ĂȘtre les premiers immolĂ©s, mais qu'importe ! 1 Les Orientales, t. II. 360 VICTOR HUGO AVA^T 1830 C'est dans leurs rangs que l'auteur de ce livre veut ĂȘtre placĂ©, dĂ»t-il y ĂȘtre confondu ^.. Pour lui, il ignore profondĂ©ment ce que c'est que le genre classique et le genre romantique. Sans doute, il admire Shakespeare et Galderon, mais il n'admire pas moins Racine et Boileau. Voici en quels termes il parle de ce dernier Nul ne pousse plus loin que l'auteur de ce livre l'estime pour cet excellent esprit. Boileau partage avec notre Racine le mĂ©rite unique d'avoir fixĂ© la langue française, ce qui suffirait pour prouver que lui aussi avait un gĂ©nie crĂ©ateur, » Un seul reproche peut ĂȘtre adressĂ© aux admirables poĂštes du grand siĂšcle Français et chrĂ©tiens, ils ont eu le tort de ne chanter que les dieux de l'Olympe, de ne cĂ©lĂ©brer que les hĂ©ros de la GrĂšce et de Rome. Cette faute, en apparence purement littĂ©raire, a eu, dans l'ordre politique et social, des consĂ©quences funestes que l'auteur des Nouvelles Odes fait ressortir avec force dans une page Ă©loquente Si la littĂ©rature du grand siĂšcle de Louis le Grand eĂ»t invoquĂ© le christianisme, au lieu d'adorer des dieux paĂŻens, si ses poĂštes eussent Ă©tĂ© ce qu'Ă©taient ceux des temps primitifs, des prĂȘtres chantant les grandes choses de leur religion et de leur patrie, le triomphe des doctrines sophistiques du dernier siĂšcle eĂ»t Ă©tĂ© beaucoup plus difficile, peut-ĂȘtre mĂȘme impos- sible. Aux premiĂšres attaques des novateurs, la religion et la morale se fussent rĂ©fugiĂ©es dans le sanctuaire des lettres, sous la garde de tant de grands hommes. Le goĂ»t national, accou- tumĂ© Ă  ne point sĂ©parer les idĂ©es de religion et de poĂ©sie, 1 PrĂ©face des Nouvelles Odes, p. 7, VICTOU HUGO AVANT 1830 301 eĂ»t rĂ©pudiĂ© tout essai de poĂ©sie irrĂ©ligieuse, et flĂ©tri celte monstruositĂ©, non moins comme un sacrilĂšge littĂ©raire que comme un sacrilĂšge social. Qui peut calculer ce qui fĂ»t arrivĂ© de la pliilosophie, si la cause de Dieu, dĂ©fendue en vain par la vertu, eĂ»t Ă©tĂ© aussi plaidĂ©e par le gĂ©nie ?... Mais la France n'eut pas ce bonheur ; ses poĂštes nationaux Ă©taient presque tous des poĂštes paĂŻens ; et notre littĂ©rature Ă©tait plutĂŽt l'ex- pression d'une sociĂ©tĂ© idolĂątre et dĂ©mocratique que d'une sociĂ©tĂ© monarchique et chrĂ©tienne ; aussi les philosophes par- vinrent-ils, en moins d'un siĂšcle, Ă  chasser des cƓurs une religion qui n'Ă©tait pas dans les esprits i. Pour rĂ©parer le mal fait par les sophistes, il importe de ne pas retomber dans la faute commise au dix- septiĂšme siĂšcle, il faut que les ouvrages des poĂštes nouveaux, vrais pour le fond, soient Ă©galement vrais dans la forme la poĂ©sie vit moins de fiction que de vĂ©ritĂ©. Le poĂšte, aujourd'hui, disait Victor Hugo, en terminant, doit marcher devant les peuples, comme une lumiĂšre, et leur montrer le chemin... Il ne sera jamais l'Ă©cho d'aucune parole, si ce n'est de celle de Dieu. Il se rappellera toujours ce que ses prĂ©dĂ©cesseurs ont trop oubliĂ©, que lui aussi il a une religion et une patrie. Ses chants cĂ©lĂ©breront sans cesse les gloires et les infortunes de son pays, les austĂ©ritĂ©s et les ravisse- ments de son culte... Telle est la mission du gĂ©nie ; ses Ă©lus sont ces sentinelles laissĂ©es par le Seigneur sur les tours de JĂ©rusalem, et qui ne se tairont ni jour ni nuit. » Certes, c'Ă©tait lĂ  un noble programme ; mais ce pro- gramme Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celui de la Muse française, 1 PrĂ©face des Nouvelles Odes, p. 2i. 21 362 VICTOR iiuGO ayant 1830 tel que l'avait exposĂ©, peu de temps auparavant, Alexandre Guiraud, dans un article oĂč il parlait au nom de tous ses collaborateurs et qui. Ă©tait intitulĂ© Nos doctrines \ Gomme ses amis de la Muse, et aprĂšs eux, Victor Hugo se bornait Ă  revendiquer pour notre littĂ©rature le droit d'ĂȘtre française et chrĂ©tienne; pour le poĂšte le droit de puiser ses inspirations dans son Ăąme et dans son cƓur, dans nos traditions et dans nos croyances. En ce qui touche la forme mĂȘme des vers, la versification proprement dite, l'auteur des Nouvelles Odes n'Ă©tait pas plus rĂ©volutionnaire. S'il est utile et parfois nĂ©cessaire, Ă©crivait-il, de rajeunir quelques tournures usĂ©es, de renouveler quelques vieilles expressions, et peut-ĂȘtre d'essayer encore d'embellir notre versification par la plĂ©nitude du mĂštre et la puretĂ© de la rime, on ne saurait trop rĂ©- pĂ©ter que lĂ  doit s'arrĂȘter l'esprit de perfectionne- ment. Toute innovation contraire Ă  la nature de notre prosodie et au gĂ©nie de notre langue doit ĂȘtre signalĂ©e comme un attentat aux premiers principes du goĂ»t.» Ni la brisure du rythme, ni la cĂ©sure mobile, ni l'enjambement , n'Ă©taient encore inscrits sur son programme. Depuis, il s'est vantĂ© d'avoir dĂ©moli la prosodie, cette Bastille des vers, et d'avoir mis l'hĂ©- mistiche en libertĂ© Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces, N'Ă©taient que des toutous auprĂšs de mes audaces 2... 1 La Muse française, janvier 1824. 2 Les Contemplations, t. I, p. 33. VICTOR HUGO AVANT 1830 060 Ses audaces, en ce temps-lĂ , n'allaient mĂŽme pas jusqu'Ă  rejeter complĂštement le joug de la pĂ©riphrase, et il Ă©tait sur ce point moins hardi que quelques-uns de ses confrĂšres de la Muse. Tandis que Jules de RessĂ©guier Ă©crivait simplement Tes grĂąces sous ton schall te trahissent encore S Victor Hugo, qui avait achetĂ© Ă  sa jeune femme, avec le produit de la premiĂšre Ă©dition des Odes et poĂ©sies diverses, un beau schall Ternaux, ne se dĂ©ci- dait Ă  l'introduire dans ses vers qu'aprĂšs l'avoir soi- gneusement enveloppĂ© dans les plis de cette pĂ©ri- phrase Couvre-toi du tissu, trĂ©sor de Cachemire... n Ternaux eĂ»t approuvĂ©, Delille eĂ»t applaudi. II Les Nouvelles Odes ^, dont la prĂ©face nous a retenus quelques instants, furent publiĂ©es chez Ladvocat, non au mois de fĂ©vrier 1824, comme l'a dit Sainte-Beuve*, mais dans les derniers jours de mars ^. 1 Le Schall, par Jules de RessĂ©guier, 2 Odes et Ballades la Promenade, 3 Nouvelles Odes, par M. Victor Hugo ; avec cette Ă©pigraphe A'os canimus surdis. Chez Ladvocat, libraire. Un vol. grand in-S», ornĂ© d'une gravure. Prix 4 fr. * Portraits contemporains, t. I, p. 40G. s Journal des DĂ©bats, 24 mars 1824. ;jGi VICTOR HUGO AVANT 1830 Dans redit ion dĂ©finitive de 1828, M. Victor Hugo a distribuĂ© ses odes suivant un classement mĂ©thodique oĂč il n'est tenu nul compte de leur date de publica- tion. Afin de permettre au lecteur de rĂ©tablir la phy- sionomie du volume de 1824, nous donnerons la liste des piĂšces qui le composaient, en les rangeant dans l'ordre mĂȘme de leur composition, ainsi que nous l'avons fait pour le volume de 1822 AnnĂ©e 1823 A mes vers ; VEistolre ; la Bande noire ; le Repas libre ; le Sylphe ; la GrancVMhre ; Mon Enfance ; Epitaphe ; A. G... Y.; le Paysage; Encore Ă  toi; Son Nom ; le Dernier Chant; V AntĂ©- christ ; VAme ; la LibertĂ©; A mon pĂšre; le PoĂšte ; Actions de grĂąces ; A mes Amis; A V Ombre d'un en- fant ; la Guerre cV Espagne ; A VArc de triomphe de r Étoile ; la Mort de J/^i^ de Sombreull. AnnĂ©e 1824 Ballade; le Chant de r ArĂšne ; le Chant du Cirque ; le Chant du Tournoi. La premiĂšre de ces piĂšces, A mes Vers, a pour titre, dans l'Ă©dition de 1828 A mes Odes. Celle qui Ă©tait intitulĂ©e, en 1824, Ballade, a maintenant pour titre Une fĂ©e Que ce soit UrgĂšle ou Morgane, J'aime, en un rĂȘve sans efTroi, Qu'une fĂ©e, au corps diaphane, Ainsi qu'une fleur qui se fane, Vienne pencher son front sur moi. La Bande noire Ă©tait dĂ©diĂ©e Ă  l'auteur du Voyage pittoresque et romantique dans rancienne France, Ă  Charles Nodier. Cette dĂ©dicace a disparu. Disparue VICTOR AVANT 1830 ;]>.' aussi la note qui procĂ©dait cette ode et qui Ă©tait ainsi conçue On reprochera peut-ĂȘtre au titre de cette ode sa trivialitĂ© ‱ mais la Bande noire Ă©tait une des institutions laissĂ©es par la rĂ©volution ; et, en parlant des choses de cette rĂ©volution, la trivialitĂ© est souvent un dĂ©faut inĂ©vitable. Victor Hugo a corrigĂ©, dans les Ă©ditions suivantes, la plupart des piĂšces de son volume de 1824, refaisant bon nombre de vers, remaniant bon nombre de stro- phes. La place nous manquerait ici pour reproduire ces variantes, et nous devons nous borner Ă  en signa- ler quelques-unes. La sixiĂšme stance de la GranfVMĂšre se lisait ainsi dans l'Ă©dition do 1824 Ou montre-nous ta bible, aux figures dorĂ©es ; Les saints, vĂȘtus de blanc, protecteurs des hameaux. Les vierges, de rayons dans leur joie entourĂ©es. Et ces feuillets oĂč luit, en lettres ignorĂ©es, Le langage inconnu qui dit Ă  Dieu nos maux. Elle a Ă©tĂ© entiĂšrement refaite dans l'Ă©dition de 1828 Ou montre-nous ta bible et les belles images, Le ciel d'or, les saints bleus, les saintes Ă  genoux. L'enfant JĂ©sus, la crĂšche, et le bƓuf et les mages ; Fais-nous bre du doigt, dans le milieu des pages, Un peu de ce latin qui parle Ă  Dieu de nous. Dans l'ode intitulĂ©e Mon Enfance^ la strophe sixiĂšme olait d'abord ainsi conçue 366 VICTOR HUGO AVANT 1830 Et j'accusais mon Ăąge, et je disais 0 gloire ! Quand donc serai -je aussi connu de la victoire ? Mon sang dormira-t-il, dans mes veines perdu ? Faut-il qu'en un combat, cĂ©lĂ©brĂ© par l'Jnstoire, Il ne soit jamais rĂ©pandu ? » Elle a reçu, en 1828, les modifications suivantes Et j'accusais mon Ăąge — Ah ! dans une ombre obscure. Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils. Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure, Coulerait Ă  flots si vermeils ! La strophe deuxiĂšme de l'ode sur la LibertĂ© n'a pas Ă©tĂ© remaniĂ©e moins heureusement Non, sur nos tristes bords, ĂŽ belle voyageuse ! SƓur auguste des rois, fille sainte de Dieu, LibertĂ© 1 guide pur de la gloire orageuse. Non, je ne t'ai point dit adieu ! Mes hymnes dĂ©vouĂ©s ne vont point sur l'arĂšne. TraĂźnant dans la lutte une chaĂźne, Mais du manteau d'azur vĂȘtus. Mon luth n'est point de ceux dont les voix importunes Ne savent pas pleurer toutes les infortunes Et bĂ©nir toutes les vertus. Tel Ă©tait le texte de 1824. Voici le texte de 1828 LibertĂ© ! pur flambeau de la gloire orageuse, Non, je ne t'ai point dit adieu! Car mon luth est de ceux dont les voix importunes Pleurent toutes les infortunes, BĂ©nissent toutes les vertus. Mes hymnes dĂ©vouĂ©s ne traĂźnent point la chaĂźne Du vil gladiateur, mais ils vont dans l'arĂšne, Du linceul des martvrs vĂȘtus. VICTOR HUGO AVANT 1830 367 Le Journal des DĂ©bats rendit compte des Nouvelles Odes dans son numĂ©ro du 14 juin 1824. L'article Ă©tait signĂ© Z. M. Victor Hugo a dit au tome I"' des MisĂ©- rables, dans son chapitre sur VannĂ©e 1817 M. de FĂ©letz signait A. et M. Hofmann signait Z. » C'Ă©tait un usage acceptĂ©, sauf de trĂšs rares exceptions, par les journalistes de l'Empire et de la Restauration, do no jamais mettre leur nom au bas de leurs articles poli- tiques, et de se contenter pour leurs articles littĂ©" raires d'un signe conventionnel ; les initiales jouaient, par suite, un rĂŽle considĂ©rable dans la rĂ©publique des lettres. Les articles de l'abbĂ© de FĂ©letz Ă©taient signĂ©s A., bien que leur auteur, depuis longtemps, n'en fĂ»t plus Ă  l'A, B, G de la critique, oĂč il Ă©tait passĂ© maĂźtre. Ceux de M. Hoffman et non pas Hoffmann, ainsi que l'Ă©crit M. Hugo, comme s'il s'agissait du cĂ©lĂšbre con- teur allemand Ă©taient signĂ©s, en 1817, de l'initiale de son nom, Ă  laquelle il substitua plus tard la lettre Z. Un autre rĂ©dacteur des DĂ©bats, Dussault, signait Y, tandis que Gastil-Blaze, dans le mĂȘme journal, signait XXX ses articles de critique musicale. L'alphabet fran- çais y avait passĂ© tout entier. Un aimable Ă©rudit, M. Boissonnade, fut obligĂ© de recourir Ă  l'alphabet grecj il choisit modestement la derniĂšre lettre et signa Q,. Hoffman, a dit quelque part Sainte-Beuve, avait bien des qualitĂ©s du vrai critique conscience, indĂ©- pendance des idĂ©es, un avis Ă  lui. Esprit exact, sincĂšre et scrupuleux, il possĂ©dait l'art d'une ironie fine... Il Ă©tait l'ennemi des engouements et de tous les char- 368 VICTOR HUGO AYANT 1830 latanismes*. » Son article sur les Nouvelles Odes est des plus spirituels, et, Ă  cĂŽtĂ© de justes Ă©loges, il ren- ferme des traits qui eurent le don d'Ă©mouvoir Hugo. Le poĂšte se garda pourtant de tomber dans la faute de l'ancien archevĂȘque de Malines, M. de Pradt, qui, piquĂ© au vif par un article d'Hoffman, avait, un jour, gravi les quatre Ă©tages du critique et lui avait adressĂ© une homĂ©lie d'une vivacitĂ© singuliĂšre, qui se terminait par ces mots a Vous m'avez traitĂ© comme un prestolet, un procureur ou un journaliste. » HofĂź- man, qui Ă©tait un homme de théùtre et avait fait jouer, avec le plus vif succĂšs, le Roman cVune heure et les Ben de z-v DUS bourgeois^ mit en scĂšne dans les DĂ©bats le ci-devant aumĂŽnier du dieu Mars, et traduisit le plus gaiement du monde les injures, les gesticula- tions et les anathĂšmes du fougueux abbĂ© ; la visite de l'archevĂȘque chez le journaliste, racontĂ©e par ce der- nier, amusa pendant huit jours tout Paris ^. Victor Hugo, au lieu d'aller trouver le critique, lui adressa une lettre qui parut, le 26 juillet 1824, dans le Journal des DĂ©bats. Celte lettre, qui a les dimen- sionsd'une brochure, est un des documents les plus 1 Causeries du Lundi, t. I, p. 362. 2 Au tome I*"^ de ses MĂ©moires, p. 279 et suiv., M. PhilarĂšte Chasles s'est appropriĂ© sans \ergogne ces pages d'Hoffman. Il reproduit, sans y changer une syllabe, le rĂ©cit de la visite de TarchevĂȘque de Malines au critique des DĂ©bats, prĂ©sente cette visite comme lui ayant Ă©tĂ© faite Ă  lui-mĂȘme et donne ce rĂ©cit comme son Ɠuvre personnelle. Cet homme d'esprit se disait sans doute que jamais personne n'irait dĂ©terrer ce cadavre enfoui dans les DĂ©bats du 3 aoĂ»t 1817; ou bien peut-ĂȘtre se proposait-il tout simplement de jus- tifier, par ce larcin posthume, les sĂ©vĂ©ritĂ©s de l'AcadĂ©mie française qui, en dĂ©pit de son rare talent, s'Ă©tait obstinĂ©ment refusĂ©e Ă  l'admettre dans ses rangs. YlCTOn HUGO AVANT 1830 3G9 importants clc Thistoirc du romaiilisme, et on ne s'explique pas qu'elle n'ait point trouvĂ© place dans l'Ă©dition des ƒuvres complĂštes du poĂšte. Nous ne pouvons en donner ici que de courts extraits. AprĂšs avoir rendu hommage au caractĂšre et au gĂ©nie de Chateaubriand, ce grand homme qui, non content d'avoir, dans le GĂ©nie du Christianisme, tracĂ© les prĂ©ceptes de la poĂ©sie nouvelle, en a don^iĂ© dans ses Martyrs le plus magnifique exemple ; gĂ©nĂ©reux Ă©crivain qu'ont tour Ă  tour trouvĂ© fidĂšle, en leur temps de pĂ©ril, la religion, la monarchie et la. libertĂ©, les trois grandes nĂ©cessitĂ©s d'un grand peuple, » Victor Hugo continue en ces termes Vous avez choisi, monsieur, pour rendre votre dĂ©monstration plus sensible, quelques expressions qui vous paraissent carac- tĂ©riser essentiellement le genre romantique, et c'est Ă  moi que vous avez fait l'honneur de les emprunter. Ayant depuis assez longtemps ces Nouvelles Odes entre les mains, je dois supposer que vous n'avez pas pris vos exemples au hasard, et que les locutions que vous citez sont celles qui vous ont paru reprĂ©- senter plus fidĂšlement les dĂ©fauts particuhers Ă  l'Ă©cole nou- velle. Or, monsieur, si ces locutions, qui vous semblent spĂ©cia- lement romantiques, ont par hasard une foule de types et d'Ă©quivalents chez les auteurs classiques, ne faudra-t-il pas en conclure que la diffĂ©rence que vous avez voulu Ă©tablir par des exemples entre les deux genres n'est pas moins illusoire que celle que vous avez indiquĂ©e par des raisonnements aussi spiri- tuels qu'erronĂ©s ? C'est ce que nous allons examiner. Selon vous, les anciens et les grands Ă©crivains modernes ont toujours parlĂ© aux sens pour mieux Ă©mouvoir l'esprit. Ils ne nous ont pas montrĂ© des rohes de vapeur... » Je vous arrĂȘte ici, monsieur Horace nous reprĂ©sente Apollon 21. ,370 VICTOR HUGO AVANT 1830 Nube candentes humeros amictus. Or, quand on est revĂȘtu d'un nuage, ne porte-t-on pas une wbe de vapeur ? — Ils n'ont pas, continuez-vous, donnĂ© Ă  un dieu le mystĂšre pour vĂȘtement. » Je ne vous dirai pas que cette expression est littĂ©ralement empruntĂ©e Ă  la Bible. La Bible n'est-elle pas un peu romantique ? Mais je vous deman- derai en quoi cette locution vous semble vicieuse. C'est, me direz-vous, parce qu'une idĂ©e abstraite, le fnystĂšre, y est immĂ©diatement associĂ©e Ă  une image physique, le vĂȘtement. ÂŁh bien ! monsieur, ce genre d'alliance de mots, qui vous paraĂźt si exclusivement romantique, se retrouve Ă  chaque ins- tant chez les anciens et les grands Ă©crivains modernes. » Virgile, dans sa belle peinture de V Antre des Cyclopes, nous reprĂ©sente les compagnons de Vulcain occupĂ©s Ă  mĂȘler, pour forger la foudre, trois rayons de pluie et le BRUIT, trois rayons de flamme et la PEUR. VoilĂ  certainement une singu- liĂšre fusion de rĂ©alitĂ©s et d'abstractions, et ce n'est certaine- ment pas du Baal romantique que les cyclopes de Virgile tiennent le secret de cette composition, oĂč il n'entre pas moins d'Ă©lĂ©ments mĂ©taphysiques que d'Ă©lĂ©ments chimiques. Horace nous montre Ă©galement Pallas apprĂȘtant tout Ă  la fois son casque, son Ă©gide, son char et currusqiie et PiABIEM parĂąt. Ode xv, liv. I. Ailleurs, il charge les vents de PORTER dans la mer de CrĂšte {Creticum mMre ses CRAiyTES et sa TRISTESSE {TRISTITLUI et METUS. Ici, il engage ses amis Ă  chasser leurs SOUCIS par le vin, vino pellite CUPiAS, et de cette ro?nantique alliance de mots est nĂ© le vieux proverbe, noyer ses CHAGRINS dans la bouteille. Plus loin, c'est VĂ©nus plaçant sous des jougs d'airain juga ahenea des ESPRITS inĂ©gaux [impures animos ; ou les COLÈRES {tristes IRiE frappant l'airain avec plus de fureur que ne le frappent les corybantcs. Les exemples de ces sortes d'alliance de mots se prĂ©senteront en foule chez les classiques, monsieur. Toutefois, resserrĂ© par l'espace, je ne veux plus citer que quelques exem- ples dĂ©cisifs. Vous affirmez que les classiques, soigneux de ne VICTOR HUGO AYANT 1830 371 jamais lier les abstractions aux rĂ©alitĂ©s, n'auraient pas donnĂ© Ă  un dieu le mystĂšre pour vĂȘtement ; mais, monsieur, ils ont donnĂ© la JUSTICE et la VÉRITÉ pour fondement Ă  son trĂŽne Rousseau, ode xi, livre I, et par consĂ©quent ils ont appuyĂ© une rĂ©alitĂ©, le t?vne, sur deux abstractions, la justice et la vĂ©ritĂ©. Autres exemples Horace a dit, ode xxix, liv. III VIRTUTE me involvo mea je m'enveloppe de ma VERTU. Jean-Baptiste a dit liv. IV, ode x Pour souverain mĂ©rite on ne demande aux hommes Qu'un vice complaisant de GRACE revĂȘtu. Or, monsieur, quand Horace fait de la VERTU une enveloppe, et Rousseau, des GRACES un vĂȘteinent, n'emploie-t-on pas prĂ©cisĂ©ment la mĂȘme figure, en appliquant la mĂȘme expres- sion au MYSTÈRE, qui est une abstraction comme les mots grĂące et vertu ? Voici la fin de cette habile et spirituelle dĂ©fense Il faut conclure, monsieur, et voici ma conclusion Vous convenez positivement qu'il n'existe, entre les genres classique et romantique, de diffĂ©rence que dans le style, et vous Ă©tablis- sez cette diffĂ©rence par des exemples qui vous paraissent carac- tĂ©ristiques. J'ai eu l'honneur de vous prouver que les locutions dans lesquelles vous dĂ©couvrez tout le romantisme ont Ă©tĂ© au moins aussijrĂ©quemment employĂ©es par les classiques anciens et modernes que par les Ă©crivains contemporains ; or, comme dans ces locutions rĂ©sidait spĂ©cialement votre distinction entre les deux genres, cette distinction tombe d'elle-mĂȘme ; et il suit de lĂ , toujours d'aprĂšs votre systĂšme, qu'il n'existe aucune diffĂ©rence rĂ©elle entre les deux genres, puisque la seule que vous reconnaissez, celle du style, s'est complĂštement Ă©vanouie. Permettez-moi de vous remercier de ce rĂ©sultat. Cette lettre est longue, monsieur ; je pourrais dire, avec un 372 VICTOR HUGO AVANT 1830 fameux Ă©crivain Je n'ai pas eu le temps d'ĂȘtf^e court. PressĂ© par le temps et par l'espace, obligĂ© le plus souvent de citer de mĂ©moire, je vous laisse Ă  juger du degrĂ© d'Ă©vidence que j'aurais produit si j'avais eu votre Ă©rudition profonde et votre ingĂ©nieux talent. SĂ»r de votre loyautĂ©, c'est Ă  vous que je m'adresse pour obtenir l'insertion de cette rĂ©ponse dans le Journal des DĂ©bats. Venez vous-mĂȘme m'ouvrir la porte de l'arĂšne oĂč je me prĂ©sente pour vous combattre, avec plus de confiance en vous qu'en moi-mĂȘme. MĂ©ritez de ma part encore cette recon- naissance, et faites que mes paroles aient du moins la mĂȘme publicitĂ© que les vĂŽtres, puisqu'elles ne peuvent avoir la mĂȘme autoritĂ©. YiCTOR-M. Hugo ^ III AprĂšs avoir fait paraĂźtre, en 1824, Ilan cVlslande et le second volume de ses Odes, Victor Hugo ne publia, l'annĂ©e suivante, ni roman nouveau ni poĂ©sies nou- velles. Cette annĂ©e 1825 fut cependant marquĂ©e pour lui par quelques Ă©vĂ©nements dignes d'ĂȘtre notĂ©s. On lit dans le Moniteur du 29 avril 1825 Le roi vient de nommer MM. Alphonse de Lamartine et Victor Hugo chevaliers de la LĂ©gion d'honneur. En mĂȘme temps, le roi Charles X l'invitait Ă  son sacre, qui devait avoir lieu le 29 mai. Lorsque cette invitation lui parvint, il Ă©tait Ă  Blois, chez son pĂšre, et c'est de lĂ  qu'il Ă©crivait Ă  l'un de ses amis, M. Au- gustin SouliĂ©, rĂ©dacteur de la Quotidienne ^ 1 Journal des DĂ©bats, 26 juillet 1824. - Jean-Baptiste-Augiistin Soulip. nĂ© Ă  Castres en 1780, mort Ă  Paris en VICTOR UUGO AYANT 1830 373 Blois, 27 avril 1825. Savez-vous, mon bon SouliĂ©, que les grĂąces royales pleuvent sur moi ? Le roi me nomme chevalier de la LĂ©gion d'honneur et me fait l'insigne faveur de m'inviter Ă  son sacre. \'ous allez vous rĂ©jouir, vous qui m'aimez, et je vous assure que le plaisir que cette nouvelle vous donnera augmente beaucoup ma propre satisfaction. Ce qui accroĂźt beaucoup le prix de cette croix Ă  mes yeux, c'est que je l'obtiens avec Lamartine, par ordonnance spĂ©ciale qui ne nomme que nous deux... Je dois ajouter que M. de la Rochefoucauld * a Ă©tĂ© charmant dans cette circons- tance pour Lamartine et moi. Il est impossible de s'efiacer plus complĂštement pour laisser au roi toute la reconnaissance, de mettre plus de grĂące et de dĂ©licatesse dans ses rapports avec nous. C'est Ă  lui que nous devons nos croix et c'est lui qui nous remercie. Je vais donc vous revoir, cher ami, et il me faut cette espĂ©- rance pour apporter quelque adoucissement au cliagrin de quitter mon AdĂšle pour la premiĂšre fois. Victor. Le 7 mai suivant, il Ă©crivait Ă  un autre de ses amis. Adolphe de Saint-Valry Blois, 7 mai 1825. Oui, mon ami, de cette ville historique et pittoresque, je tournerai bien souvent mes regards vers Paris et Montfort ^, 1845. Il avait pris part, le 12 mars 1814, au mouvement royaliste de Bor- deaux, et il avait fondĂ© dans cette ville trois journaux le MĂ©morial borde- lais, la Ruche d'Aquitaine et la Ruche politique. FixĂ© Ă  Paris, Ă  partir de 1820, il devint un des principaux rĂ©dacteurs de la Quotidienne et fut nommĂ© conservateur Ă  la bibliothĂšque de l'Arsenal. Il a publiĂ© des traductions en vers de plusieurs poĂštes anglais, Gray, Robert, Charlotte Smith et James Montgomery, et donnĂ© une excellente Ă©dition des PoĂ©sies de Charles d'Or- lĂ©ans. 1 I-e vicomte SosthĂšnes de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargĂ© du dĂ©partement des Beaux-Arts. 2 Montfort-rAmaury, oĂč Victor Hugo avait reçu, en 1821. l'hospitalitĂ© d> Mae de Sainl-Valrv. 374 VICTOR HUGO AYANT 1830 et le chĂąteau de Blois ne me fera point oublier Saint-Laurent. J'ai passĂ© lĂ , en aoĂ»t 1821, des moments bien doux, et votre excellente mĂšre m'y a fait presque oublier pendant huit jours l'admirable mĂšre que je venais de perdre. Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez. Je suis charmĂ© que le bon Jules LefĂšvre vous doive la vente de son Clocher de Saint-Marc. C'est un homme d'unvrai talent, et ilne imanque Ă  son caractĂšre qu'un succĂšs. Rien de tout cela ne vous manque Ă  vous, mon cher ami, et vous avez tort de dĂ©sespĂ©rer de vous-mĂȘme ; il faut que votre poĂšme 1 se vende, et il se vendra. Entre le talent et le public, le traitĂ© est bientĂŽt fait. On me dit ici que l'on dit lĂ -bas que j'ai fait abjuration de mes hĂ©rĂ©sies littĂ©raires, comme notre grand poĂšte Soumet. DĂ©mentez le fait bien haut, partout oĂč vous serez, vous me rendrez service. J'ai visitĂ© hier Chambord. Vous ne pouvez vous figurer comme c'est singuliĂšrement beau. Toutes les magies, toutes les poĂ©sies, toutes les folies mĂȘme sont reprĂ©sentĂ©es dans l'admirable bizarrerie de ce palais de fĂ©es et de chevaliers. J'ai gravĂ© mon nom sur le faĂźte de la plus haute tourelle ; j'ai emportĂ© un peu de pierre et de mousse de ce sommet, et un morceau du chĂąssis de la croisĂ©e sur laquelle François 1er a inscrit les deux vers Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie ! Ces deux reliques me sont prĂ©cieuses. Adieu ! mon ami, vous savez que le roi m'invite Ă  son sacre. Je serai Ă  Paris vers le 20, et je vous embrasserai. L'amitiĂ© d'un homme comme vous est douce et inapprĂ©- ciable. Victor. 1 La chapelle de Notre-Dame du ChĂȘne. VICTOR HUGO AVANT 1830 375 Adolphe de Saint-Valry avait des premiers composĂ© des vers sur le sacre. Victor Hugo lui Ă©crivit Ă  cette occasion Je suis bien impatient de connaĂźtre des vers de vous sur le sacre. J'aime autant le poĂšte que le sujet. Lamartine, qui est Ă  Paris depuis trois jours pour huit, m'est venu A-oir deux fois, m'a dit en avoir fait aussi pour cette Ă©poque, et m'a demandĂ© si j'en ferais. Je ne le crois pas ; mais je l'ignore Spiritus flat ubivult *. » Victor Hugo aimait le sujet ; nul doute dĂšs lors qu'il ne chantĂąt le sacre de Charles X, comme il avait chantĂ© le baptĂȘme du duc de Bordeaux. Il fit le voyage de Reims en compagnie de Charles Nodier, chargĂ© d'Ă©crire le discours prĂ©liminaire Ă  la relation des cĂ©rĂ©monies ; de M. de Cailloux, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des musĂ©es, et d'un jeune peintre, M. Alaux, qui fut depuis directeur de l'École de France Ă  Rome. Le 29 mai, revĂȘtu du costume officiel, habit Ă  la française, Ă©pĂ©e en verrouil, manchettes et jabots de dentelles, il pĂ©nĂ©tra dans la vieille basilique, toute tapissĂ©e de velours et de soie, il s'agenouilla sur ces dalles qu^ avaient vu Jeanne d'Arc Ă  genoux, et du fond de son cƓur, cette priĂšre monta Ă  ses lĂšvres 0 Dieu ! garde Ă  jamais ce roi qu'un peuple adore ! Romps de ses ennemis les flĂšches et les dards, Qu'ils viennent du couchant, qu'ils viennent de l'aurore, Sur des coursiers ou sur des chars ! Charles, comme au Sina, t'a pu voir face Ă  face ! Du moins qu'un long bonheur efface * Lettre de Victor Hugo Ă  Adolphe de Saint-Valry. Paris, 13 avril 1825. ;j76 VICTOR HUGO AYANT 1830 Ses bien longues adversitĂ©s ! Qu'ici-bas des Ă©lus il ait l'habit de fĂȘte ! PrĂȘte Ă  son front royal deux rayons de ta tĂšte Mets deux anges Ă  ses cĂŽtĂ©s i ! IV M. de Lamartine aussi Ă©tait venu au sacre, » dit M. Victor Hugo dans ses MĂ©moires - ; et un peu plus loin A Reims, M. de Lamartine rappela Ă  Victor Hugo la promesse qu'il lui avait faite d'aller le voira Saint-Point. M. Nodier Ă©tait prĂ©sent, Lamartine l'invita aussi ^. » — Ainsi, M. Victor Hugo a vu Lamartine Ă  Reims au sacre de Charles X. Ses souvenirs Ă  cet Ă©gard sont prĂ©cis et formels. Malheureusement la Correspondance de Lamartine est lĂ , non moins prĂ©- cise et non moins formelle, et il en rĂ©sulte que le poĂšte des MĂ©ditations n'a pas mis les pieds Ă  Reims en 1825. H Ă©crit de MĂącon au comte de Virieii, le 7 avril Je suis forcĂ© de partir Ă  l'improviste pour Paris... J'y res- terai dix jours et pas plus. Ecris-moi chez Mme de Vaux, rue PĂ©rou, no 16, prĂšs la place Saint-Sulpice. C'est lĂ  que je vais dĂ©barquer, Ă©tant trop souffrant pour le bruit de notre quartier et l'abandon d'une auberge... Je vais vendre aussi un petit fragment intitulĂ© le Chant du sacre ou la Veille des armes. C'est mon poĂšme de Fontenoy. Mais je ne le fais ni pour 1 V. Hugo, le Sacre de Charles X. Reims, mai-juin 182o. 2 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II, p. 103. 3 Oih cit., t. II, p. 107, VICTOR HUGO AYANT 1830 377 gloire ni pour argent, par pure conscience royalisLe, et pour tĂ©moigner une juste reconnaissance Ă  qui de droit... Nous partons dĂ©cidĂ©ment pour Aix le h^^ juin. Venez-y donc, c'est un site divin. Voguons encore sur le lac i ! Le Chant du sacre Ă©tait donc composĂ© dĂšs le com- mencement d'avril. Le poĂšte s'Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă  devancer ainsi les fĂȘtes de Reims, sachant qu'il ne pommait y assister, et qu'Ă  l'heure oĂč elles se cĂ©lĂ©breraient, il serait en route pour les eaux d'Aix, oĂč l'envoyaient les mĂ©decins. Le 7 mai, il Ă©crit Ă  M. de Virieu Je ne puis te promettre une visite dont j'aurais plus besoin que toi ma femme veut me garder et me soigner au moins un petit mois. Je prends le petit-lait, les bains, etc., pour couper ma fiĂšvre qui paraĂźt y cĂ©der un peu. Le 29 'mai, nous allons Ă  Aix pour six semaines avec. Mme de Barol, etc., et nous nous verrons au retour 2. Quelques jours aprĂšs, de MĂącon, oĂč il est auprĂšs de sa mĂšre malade, il informe son ami qu'il le verra en passant Ă  Lyon, le 30 ou le 3 Ăź mai ou le j^^' juin ^. Au commencement de juin, il est installĂ© Ă  Aix, et c'est de lĂ  qu'il adresse Ă  son fidĂšle correspondant cette nouvelle lettre Nous sommes malheureux cette annĂ©e en rencontre tu vas au nord et moi au midi... Quant tMS>acre, tu sais, sans doute, qu'il se vend Ă  20,000, et peut-ĂȘtre ira-t-il Ă  30,000 exem- plaires. Mon libraire me mande 5,000 dans une journĂ©e ! Ils i Corresjiondance de Luiiiarilne, t. III. p. 33-2. ^rbid., t. III, p. 311. 3 Ibid., p. 3i2. 378 VICTOR nuGO avant 1830 gagneront 50,000 francs avec ce rogaton dont j'ai eu 100 louis et la honte ! Sais-tu le t&page qu'il fait contre son auteur ? Le duc d'OrlĂ©ans est allĂ© se plaindre au roi, co' fiocclu, des insultes que je lui adressais. Le roi a ordonnĂ© la suppression du pas- sage. Les libraires, comme des coquins, l'ont refusĂ©e. J'ai Ă©tĂ© instruit trop tard^ et je me suis empressĂ© d'Ă©crire d'arrĂȘter, de changer, de tout faire pour contenter le roi. Le roi m'a fait Ă©crire de Reims son mĂ©contentement par M. Doudeauville. J'ai rĂ©pondu de mon mieux. Les journaux libĂ©raux ont Ă©crit. J'ai rĂ©pondu pour disculper seulement le roi que ces coquins avaient l'air d'accuser de mon fait trĂšs isolĂ©. Enfm tu triom- pheras Ă  bon droit, une sanglante satire ne m'eĂ»t pas fait plus d'amis ; mais, malgrĂ© cela, je ris, exceptĂ© delĂ  peine du Me voilĂ  ici, venant du lac. 0 lac, ĂŽ pays, ĂŽ vignes feston- nĂ©es, noyers, Ă©rables, prairies, dĂ©licieuses montagnes, neiges, ciel, lumiĂšre et ombre ! Il y a de quoi s'exclamer jusqu'Ă  la fin de la page. C'est toujours tout neuf, comme ce que Dieu a fait. Mais toi, je te plains PlombiĂšres est du pittoresque pour les bourgeois de Paris *. VoilĂ  donc une fois de plus les souvenirs personnels de M. Victor Hugo dĂ©montrĂ©s inexacts. Est-ce donc Ă  dire que nous entendions mettre en doute la bonne foi du poĂšte ? En aucune façon. Il croit Ă©videmment que c'^est arrivĂ©; il croit qu'il a vu Ă  Bems, le 29 mai 1825, Lamartine, qui Ă©tait ce jour-lĂ  sur la route de MĂącon Ă  Lyon. Qui eĂ»t jamais plus que lui l'imagi- nation forte et vigoureuse ? » Et Malebranche ne nous apprend-il pas que les esprits ainsi douĂ©s s'ima- ginent les choses tout autrement qu'elles ne sont, et en imaginent mĂȘme qui 7ie sont point ^ ? » Tout ce 1 Correspondance de Lamartine, t. III, p. 344. 2 Malebranche, de la Recherche de la vĂ©ritĂ©, 1. 11^. 3e partie, ch. I. VICTOR nUGO AVANT 1830 379 chapitre de Malebranche sur les dĂ©fauts et aussi sur la puissance de ceux qui ont l'imagination forte » s'applique d'une façon merveilleuse Ă  Victor Hugo, Ă  sa vie et Ă  ses Ɠuvres Ces esprits sont excessifs en toute rencontre ; ils relĂšvent les choses basses, ils agrandissent les petites... Rien ne leur paraĂźt tel qu'il est. Ils admirent tout *. Ils n'imitent jamais la na- ture ; tout est affectĂ©, tout est forcĂ©, tout est guindĂ©. Ce ne sont que figures et qu'hyperboles ^. » VoilĂ  les dĂ©fauts. Voici maintenant les qualitĂ©s Ceux qui imaginent fortement les choses, les expri- ment avec beaucoup de force... Ils ont l'avantage de plaire, de toucher et de persuader, Ă  cause qu'ils forment des images trĂšs vives et trĂšs sensibles de leurs pensĂ©es... Ils ne se servent que d'expressions et de termes qui ne rĂ©veillent que les notions confuses des sens, lesquelles sont toujours trĂšs fortes et trĂšs tou- chantes ^ » Victor Hugo quitta Reims dans les premiers jours de juin, aprĂšs avoir composĂ©, Ă  l'ombre mĂȘme de la cathĂ©drale, son Ode sur le sacre. A peine avait-elle paru, que Charles X rĂ©compensait l'auteur de la façon la plus dĂ©licate il confĂ©rait au gĂ©nĂ©ral Hugo le titre * Quant Ă  moi, qui parle ici, j'admire tout, comme une brute. » Victor Hugo, ^Villiam Shakespeare, {i. 371. 2 Malebranche, Ibid. 3 Ibid., id. .*i80 VICTOR HUGO AYANT 1830 de lieutenant gĂ©nĂ©ral de ses armĂ©es \ Le 24 juin, le poĂšte eut l'honneur de prĂ©senter ses vers au roi ^. Il avait sollicitĂ© lui-mĂȘme cette audience, et fut avisĂ© seulement la veille au soir qu'elle lui Ă©tait accordĂ©e. Si sa joie fut grande, son embarras ne le fut guĂšre moins. Il n'ignorait point en effet que, pour se prĂ©- senter au chĂąteau, la culotte courte Ă©tait de rigueur, et il n'en avait pas. Oi^i en prendre une ? Il eut la bonne idĂ©e de courir chez un de ses anciens collabo- rateurs de la Muse française, M. Charles Brifaut, homme de cour par excellence et possesseur des plus belles culottes du monde. Il lui exposa sa situation. L'auteur de Ninus //prĂȘta bien vite au futur auteur do Croimvell l'objet de ses convoitises, et c'est ainsi que le grand poĂšte fit son entrĂ©e aux Tuileries, dans la culotte de M. Brifaut. — Les temps sont bien changĂ©s M. Hugo n'a plus aujourd'hui pour amis que des sans-culottes ^. Quoi qu'il en soit, quelques jours plus tard, on lisait dans le Moniteur Nous avons annoncĂ© que le roi avait accueilli avec bontĂ© M. Victor Hugo, auteur d'une Ode sur le sacre. M. le vicomte SosthĂšnes de la Rochefoucauld, chargĂ© du dĂ©partement des Beaux- Arts, vient d'informer ce jeune poĂšte que Sa MajestĂ©, voulant tĂ©moigner la satisfaction que lui a causĂ©e la lecture de cette ode, avait ordonnĂ© qu'elle fĂ»t rĂ©imprimĂ©e avec tout le luxe typographique par les presses de l'Imprimerie royale ^. 1 Moniteur du o juin 1825. 2 Moniteur du 25 juin 1825, 3 Nous empruntons le rĂ©cit de ce petit Ă©pisode au remarquable et curieuv volume de M. Louis Favre Etienne- Denis Pasqnier; Souvenirs de son der- nier secrĂ©taire. ^ Moniteur du 30 juin 1825. V VICTOR HUGO AVANT 1830 ;]81 Victor Hugo et Charles Nodier avaient formĂ© Ă  Reims le projet clĂŻm vojage en Suisse, ils le rĂ©ali- sĂšrent au mois d'aoĂ»t 1825. Le bon Ă©diteur Urbain GĂ nel avançait les fonds en Ă©change d'une promesse de manuscrit. Nodier, qui avait publiĂ©, en 1821, un si charmant livre sous ce titre Promenade de Dieppe aux montagnes d'Ecosse, devait Ă©crire une Promenade de Paris aux montagnes de Suisse, Ă  laquelle Victor Hugo apportait un contingent de quatre odes et de deux ou trois feuilles de prose. Les deux amis reçurent un Ă -compte chacun de 1730 francs et louĂšrent aus- sitĂŽt deux berlines. Mie yictor Hugo et sa petite fille LĂ©opoldine, ĂągĂ©e de dix mois, M^^e Charles Nodier et sa fille Marie, Ă©taient du voyage, ainsi qu'un peintre, M. GuĂ©, chargĂ© d'illustrer le livre \ On sortit de Paris par la barriĂšre de Fontainebleau, et, Ă  quelques jours de lĂ , la joyeuse caravane arrivait Ă  Saint-Point, chez Lamartine. Nous quittons notre solitude de Saint-Point avec regrets, Ă©crivait ce dernier Ă  M^^ EugĂšne de Genoude le 18 aoĂ»t 1825. Nous venons d'y recevoir nombreuse compagnie M. et M^e Hugo, Charles Nodier, sa femme et sa fille, et un peintre qu'ils ont avec eux, et quelques Anglais. Nous sommes dĂ©solĂ©s que vous n'ayez pas pu trouver, EugĂšne et vous, une quinzaine Ă  nous donner depuis deux ans vous y auriez laissĂ© pour nous des souvenirs bien plus chers encore -. » 1 Charles Nodier, Ă©pisodes et souvenirs de sa vie, par Mℱe Menucssicr- Nodier, p. 268. 2 Cori^espondrnice de Lamarfine, t, IIJ, p, 3.'3G, 382 VICTOR HUGO AVANT 1830 Trente ans plus tard, Lamartine, Ă©voquant les sou- venirs heureux de sa ^ie passĂ©e, retraçait avec com- plaisance les dĂ©tails de cette visite de Victor Hugo et de Charles Nodier Ă  Saint-Point Je passais un congĂ© diplomatique dans mes montagnes natales. Je vis descendre par les rudes sentiers, en face de ma fenĂȘtre, Ă  travers les chĂątaigniers, une caravane de voya- geurs, hommes, femmes et enfants, les uns Ă  pied, les autres sur des tnules au pied rĂ©flĂ©chi, comme dit le poĂšte. BientĂŽt la caravane eut atteint le pied sablonneux des montagnes, gavĂ© le ruisseau, traversĂ© les prĂ©s et regi'a\4 le mamelon du chĂąteau. C'Ă©tait Victor Hugo et Charles Xodier, suivis de leurs char- mantes jeunes femmes et de leurs enfants. Ils venaient me demander ThospitalitĂ© de quelques jours en allant en Suisse. Charles Nodier Ă©tait Tami-nĂ© de toute gloire. Aimer le grand, c'Ă©tait son Ă©tat. Il ne se sentait de niveau qu avec les sommets. Son indolence l'empĂȘchait de produire lui-mĂȘme des Ɠuvi'es achevĂ©es, mais il Ă©tait capable de tout ce qu'il admirait. Il se contentait de jouer avec son gĂ©nie et avec sa sensibilitĂ©, comme un enfant avec FĂ©crin de sa mĂšre. Il perdait les pierres prĂ©cieuses dans le sable. Cette incurie de sa richesse le rendait le Diderot, mais le Diderot sans charlatanisme et sans dĂ©clamation de notre Ă©poque. Nous nous aimions pour notre cƓur et non pour nos talents. C'Ă©tait un de ces hommes du coin du feu, un gĂ©nie famiher, un confident de toutes les Ăąmes, dont la perte ne paraĂźt pas faire un si grand vide que les grandes renommĂ©es. Mais ce vide se creuse toujours davantage. Il est dans le cƓur. Pendant que les femmes et les enfants jouaient dans le ver- ger, nous goĂ»tĂąmes, Hugo, Nodier et moi, l'ombre des bois, le frisson du vent, la fraĂźcheur des sources, le silence de la vallĂ©e, le balbutiement des vers futurs qui dormaient et qui chantaient en rĂȘvant en nous comme les enfants des deux jeunes mĂšres sur leurs genoux. ' VICTOR HUGO AVANT 1830 383 La caravane poĂ©tique reprit sa route vers les Alpes. Je la vis disparaĂźtre derriĂšre la montagne ^.. En 1834, aprĂšs une lecture des MĂ©moires crOuire- Tombe Ă  l'Abbaye -aux-Bois, dans ce salon de M^e RĂ©- camier, oĂč Chateaubriand, cachĂ© dans un fauteuil au coin de la cheminĂ©e, avait au-dessus de sa tĂȘte le portrait de M^e de StaĂ«l et le brillant tableau de GĂ©rard, Corinne au cap MisĂšne, Sainte-Beuve Ă©crivait StaĂ«l! Chateaubriand Ăź les voilĂ  devant nous, l'une aussi prĂ©sente, l'autre aussi dĂ©voilĂ© qu'ils peuvent l'ĂȘtre, unis tous les deux sous l'amitiĂ© vigilante d'un mĂȘme cƓur... Cour de Ferrare, jardins des MĂ©dicis, forĂȘt de pins de Ravenne oĂč fut Byron, tous lieux oĂč se sont groupĂ©s des gĂ©nies, des affections et des gloires, tous Édens mortels que la jeune postĂ©ritĂ© exagĂšre toujours un peu et qu'elle adore, faut-il tant vous envier ! et n'enviera-t-on pas un jour ceci - ? » Parmi ces lieux oĂč se sont groupĂ©s des gĂ©nies^ des affections et des gloires, ceux qui gardent encore le culte des lettres se plairont toujours Ă  saluer ce coteau lumineux de Saint-Point oĂč^ par une belle matinĂ©e d'Ă©tĂ©, — au lendemain du sacre de Charles X, Ă  l'heure oĂč la France, prospĂšre, libre et forte, donnait le spectacle a du plus beau comme du plus hardi mouvement intellectuel qu'aucun de nos siĂšcles eĂ»t encore vu ', » — Lamartine, Hugo et Nodier s'entre- tenaient des choses de la poĂ©sie et de l'art, Ă  l'ombre 1 Souvenirs et Portraits, par A. de Lamartine, t. III, p. 42. 2 Reviie des Deux Mondes, 15 avril 1834. 3 Lamartine, Des DestinĂ©es de la poĂ©sie. 38i VICTOR HUGO AVANT 1830 des grands arbres, en face des horizons du Jura cl dos Alpes, tandis que les enfants jouaient Ă  leurs cĂŽtĂ©s dans rherbe, et que les mĂšres parlaient entre elles des fĂ©licitĂ©s prĂ©sentes et des espĂ©rances de l'avenir. L'avenir, en effet, ne s'annonçait-il pas plein de radieuses promesses pour elles et pour leurs enfants, surtout pour ces deux petites filles qui jouaient dans le verger, » et qui avaient trouvĂ© dans leur berceau les noms des deux plus grands poĂštes de notre siĂšcle Julia de Lamartine et LĂ©opoldine Hugo ! — L'une qui mourra Ă  douze ans, en Orient, Ă  mille lieues de la ierrĂš natale ; l'autre qui mourra Ă  dix-neuf ans, Ainsi qu OphĂ©lia par le fleuve entraĂźnĂ©e 1 La Providence misĂ©ricordieuse nous voile l'avenir. Aucune ombre ne vintternir la joie desheurespassĂ©es par nos voyageurs Ă  Saint-Point. Reprenant leur route vers les Alpes, ils traversĂšrent Lyon, puis GenĂšve, et arrivĂšrent Ă  Ghamonix. Ils ne dĂ©passĂšrent pas le mont Blanc, sur les flancs duquel ils auraient pu inscrire, avec une lĂ©gĂšre variante, le vers tracĂ© par Regnard et ses compagnons sur le haut de la montagne Metevara Hic tandem stetimus nobis iibi deliiit... AURUM. Les 3,500 francs d'Urbain Ganel Ă©taient dĂ©pensĂ©s ou bien prĂšs de l'ĂȘtre, et il fallait songer au retour. Quelques jours plus tard, Nodier rentrait Ă  l'Arsenal et Victor Hugo, rue de Vaugirard. Le voyage Ă©tait ter- minĂ©, mais non le livre, qui ne le fut jamais, si nous VICTOR ulitO avant 1830 385 en devons croire le TĂ©moin de la vie de Victor Hugo, lequel ajoute M. Victor Hugo seul fit sa part ; M. Nodier attendit pour commencer la sienne que les dessins fussent prĂȘts ; la gravure prit des mois, et donna le temps Ă  l'Ă©diteur de faire faillite, ce qui dispensa M. Nodier de s'exĂ©cuter \ » Je trouve pour- tant, dans la Revue de Paris d'aoĂ»t 1829, une note qui n'est point tout Ă  fait d'accord avec l'assertion du TĂ©moin. Voici le texte de cette note Au mois d'aoĂ»t 1825, M. Victor Hugo fit, de compagnie avec M. Charles Nodier, un voyage de plaisir Ă  la cĂ©lĂšbre vallĂ©e de Chamonix. Chemin faisant, les deux amis jetĂšrent, chacun de leur cĂŽtĂ©^ sur leur album de voyage, les impres- sions qu'Ă©veillait en eux la riche nature des Alpes. Cela fit un livre que j\l. Taylor, qui avait dĂ©jĂ  visitĂ© les mĂȘmes lieux, se plut Ă  enrichir de huit dessins, et dont la pubhcation, promise d'annĂ©e en annĂ©e, va enfin avoir lieu sous le titre Ă \Alhum de trois voyageurs Ă  la vallĂ©e de Ctiamonix. V Album de trois voyageurs, ornĂ© de huit gravures, faites en Angle- terre, sur les dessins de M. Taylor, sera publiĂ© avec le plus grand luxe par les libraires Le^^vasseur et Canel 2. Suivait, dans la Revue de Paris, un fragment du rĂ©cit de Victor Hugo, racontant son voyage de Sal- lenches Ă  Servoz. La Revue des Deux Mondes de 1831 a publiĂ© la fin des notes du poĂšte ; elles conduisent le lecteur de Servoz Ă  Chamonix. Ces notes de voyage, insĂ©rĂ©es par l'auteur au tome II de ses MĂ©moires ^, seraient peut-ĂȘtre mieux Ă  leur 1 Yictor Hugo racontĂ©, etc., t. II, p. 153. 2 Revue de Paris, t. V, p. 289. 3 Yictor Hufjo racontĂ©, etc., t, II, p. 122-144. Q9 386 VICTOR HUGO AVANT 1830 place en tĂȘte de son livre sur le Rhin. Lors des pre- miĂšres reprĂ©sentations des Burgraves , M. Doudan Ă©crivait Quoi ! ce cyclope de Victor Hugo a tirĂ© une tragĂ©die de son absurde livre sur le Rhin ? Il de- vrait bien laisser ces bords du Rhin Ă  GƓthe et Ă  Schiller, et ne pas charbonner ses extravagances sur la porte des vieux chĂąteaux abandonnĂ©s. » Absurde est bientĂŽt dit ; n'en dĂ©plaise Ă  M. Doudan, le Rhin renferme des descriptions d'un relief Ă©tonnant, des pages oĂč les sites grandioses, les vieilles cathĂ©drales et les burgs dĂ©mantelĂ©s se reflĂštent comme dans les eaux mĂȘmes du grand fleuve. Quant Ă  cet autre. mot de M. Doudan, ce cyclope de Victor Hugo^ il est plus heureux et vaut d'ĂȘtre retenu. Il peint bien la puis- sance et l'indomptable vigueur du poĂšte, forgeant ses vers, qui ont l'Ă©clat et la force de l'airain, comme les compagnons de Yulcain forgeaient, dans l'antre de Lemnos, le bouclier de Minerve et les foudres de Jupiter. Gomme eux, il sait assouplir le bronze et façonner le fer, et, comme eux aussi, il sait unir en- semble trois raj^ons de grĂȘle entrelacĂ©s, trois rayons de nuages pluvieux, et trois d'un feu brillant et de vents Ă  l'aile rapide TrĂšs imbris torti radios, trĂšs nubis aquossc Addiderant, rutili trĂšs ignis, et alitis Austri *. Ne pourrait-on pas ajouter que depuis longtemps 1 EnĂ©ide, liv. VIII. Victoi' Hugo a publiĂ©, dans le Conservateur littĂ©raire, t. I, p.'_327, une traduction en vers de cet Ă©pisode. Voy. ci-dessus, chap. V, p. 1G8. VICTOR HUGO AVANT 1830 387 Victor Hugo, comme Brontes, Stcrope et Pyracmon \ n'a qu'un Ɠil au milieu du front il saisit admira- blement les traits, les contours et les couleurs des choses qui se voient; les choses de l'Ăąme lui Ă©chappent. Outre le rĂ©cit de son Voyage Ă  la vallĂ©e de Cha- monix, Yictor Hugo composa, en 1825, un grand nombre d'odes et de ballades ; il reprit le conte Ă©bau- chĂ© de Bucf-Jargal, le remania et le rĂ©crivit presque en entier ; mais ce roman, ces odes et ces ballades ne devaient paraĂźtre qu'en 1826. Leur auteur ne se rappela au public, en 1825, que par un Ă©crit de quel- ques pages seulement, intitulĂ© Guerre aux dĂ©molis- seurs ^. Dans cet Ă©crit, il appelle la nouvelle France au secours de l'ancienne Tous les genres de pro- fanation, de dĂ©gradation et de ruine menacent Ă  la fois le peu qui nous reste de ces admirables monu- ments du moyen Ăąge, oĂč s'est imprimĂ©e la vieille gloire nationale, auxquels s'attachent Ă  la fois la mĂ©- moire des rois et la tradition du peuple. » H parle en ces termes du chĂąteau de Ghambord et de la souscription qui avait conservĂ© ce chef-d'Ɠuvre Ă  la France Nous avons visitĂ© Ghambord, cet Alhambra de la France. H chancelle dĂ©jĂ , minĂ© par les eaux du ciel qui ont filtrĂ© Ă  travers la pierre tendre de ses toits dĂ©garnis de plomb. Nous le dĂ©clarons avec douleur, si l'on n'y songe promptement, avant peu d'annĂ©es, la souscription, souscription qui, certes. 1 Ferrum exercebant \asto Cyclopes in antro, Brontesque, Steropesque et nudus membra Pyraomon. 2 Octobre 1825. ;J88 VICTOR HUGO avant 1830 mĂ©ritait crĂȘlre nalioiiale, qui a rendu le chef-d'Ɠuvre du Primalice au pays, aura Ă©tĂ© inutile ; et bien peu de chose restera debout de cet Ă©difice, beau comme un palais de fĂ©es, grand comme un palais de rois. » Dans cette campagne contre les dĂ©rnoUsseurSy Victor Hugo venait aprĂšs Charles Nodier, qui, dĂšs 1820, dans son Voyage pittoresque et romantique dans Vancienne France^ avait dĂ©fendu avec Ă©clat la cause de notre architecture nationale. C'est une remarque que nous avons eu dĂ©jĂ  l'occasion de faire dans aucune ques- tion, sur aucun terrain, A^ictor Hugo n'est un initia- teur. Si grand qu'il soit, il lui manque cette grandeur suprĂȘme d'avoir Ă©tĂ© un gĂ©nĂ©rateur d'idĂ©es, un chef de doctrines, un crĂ©ateur d'Ăąmes. H lui reste, et cela certes suffit Ă  sa gloire, d'avoir souvent, Ă  dĂ©faut des premiers coups, portĂ© les coups dĂ©cisifs, d'avoir im- primĂ© sa marque sur les idĂ©es d'autrui avec une telle puissance, avec un gĂ©nie d'exĂ©cution si prodigieux, que ces idĂ©es demeureront frappĂ©es Ă  son effigie. Les terres qu'il n'a pas dĂ©couvertes porteront son nom Vespuce est immortel comme Christophe Colomb. CHAPITRE XII Bug-Jargal. — Odes et Ballades. — L'Ode A LA Colonne. Les deux Bug-Jargal. Le conte et le roman. Le capitaine d'Au- veruey et la RĂ©publique. Bug-Jargal et Notre-Dame-cle-Paris . — Odes et Ballades. — IModĂšle de supplique. — Deux articles du Globe. — PremiĂšres relations de M. Victor Hugo et de Sainte-Beuve. Le numĂ©ro 90 et le numĂ©ro 94 de la rue de Vau- girard. —L'annĂ©e oĂč l'auteur des Feuilles d'automne a eu Ăąge d'homme. — Ecrit en /8S!7... ou en 1866. Comment M. Hugo a eu pour prĂ©curseur M. Viennet. — VOde Ă  la Colonne de la place VendĂŽme. Le baron de Vincent et le comte Appony. M. Hyde de Neuville. — CliapiLre dĂ©tachĂ© de VHistoire des Variations de M. Victor Hugo. Hommages du poĂšte au roi Louis-Philippe, Ă  la reine Victoria, au czar Nicolas et Ă  Sa MajestĂ©... le Roi de Prusse. Bug-Jargal a paru au mois de janvier 1826. On lit en tĂȘte de l'Ă©dition de 1832 En^l818, Tauleur de ce livre avait seize ans ; il paria qu'il Ă©crirait un volume en quinze jours. Il fit Bug-Jargal... Ce livre a donc Ă©tĂ© Ă©crit deux ans avant Ban cflslande. Et, quoique sept ans plus tard, en 1825, l'auteur l'ait remaniĂ© et rĂ©crit en grande partie, il n'en est pas 99 ;it0 VICTOR HUGO AVANT 1830 moins, et par le fond- et par beaucoup de dĂ©tails, le premier ouvrage de l'auteur. » Dans le Conservateur littĂ©raire, oĂč il^ fut d'abord insĂ©rĂ© * et oĂč il occupe seulement 47 pages, Bug- Jargal est donnĂ© comme extrait d'un ouvrage inĂ©dit intitulĂ© Contes sous la tente. » L'auteur suppose que^, pendant les guerres de la RĂ©volution, plusieurs offi- ciers conviennent entre eux, pour abrĂ©ger la lon- gueur des nuits du bivouac, de raconter chacun Ă  leur tour quelques-unes de leurs aventures. Sous sa premiĂšre forme, le rĂ©cit de M. Victor Hugo, dont le fond est empruntĂ© Ă  la rĂ©volte des esclaves de Saint- Domingue en 1791, et qui a pour hĂ©ros le nĂšgre Bug- Jargal, est simple, vif, naturel ; point de longueurs, point d'inutiles descriptions, point de phrases. Un peu moins de sentiments chevaleresques chez Bug, un peu moins de sensibilitĂ© chez le narrateur, le capi- taine Delmar, et Prosper MĂ©rimĂ©e aurait pu signer ce conte, Ă©crit par M. Victor Hugo Ă  seize ans. En faisant de ce conte un roman, en donnant Ă  sa Nouvelle les proportions d'un volume, il l'a gĂątĂ©e. H y a introduit deux personnages nouveaux, le nain Habibrah et Marie, la fiancĂ©e du capitaine, — lequel a Ă©changĂ© son nom de Delmar contre celui de LĂ©opold d'Auverney. Marie traverse le roman sans y jouer aucun rĂŽle, sans ajouter en rien Ă  l'intĂ©rĂȘt ; elle ne sert qu'Ă  rendre plus invraisemblable encore la gran- deur d'Ăąme de Bug, qui ressent pour elle une passion Tome II, pp. 22, 63, 09, 150 et 103. VICTOR HUGO AVAM 1830 391 ardente, et qui sacrifie tout, sa passion et sa vie, pour servir les amours de son rival'. Habibrah est un monstre, frĂšre de Han d'Islande, et plus hideux encore. Il n'intervient guĂšre que pour permettre Ă  l'auteur de dĂ©crire, avec un luxe de dĂ©tails inouĂŻ, toutes les variĂ©tĂ©s de supplices, tous les modes d'Ă©gorgements et de tortures. On se souvient que Bug-Jargal n'est qu'un rĂ©cit fait au bivouac par un officier. Dans le Conservateur littĂ©raire, avec ses allures rapides et dĂ©gagĂ©es, ce rĂ©cit se pouvait admettre. II n'en va pas de mĂȘme, sous sa forme actuelle^ alors que le narrateur rap- porte tout au long les dĂ©libĂ©rations des colons Ă  l'hĂŽtel du gouverneur, M. de Blanchelande ; lors- qu'il redit les discours des orateurs et jusqu'aux inter- ruptions qui les ont accompagnĂ©s ; quand il repro- duit, Ă  chaque instant^ sans les abrĂ©ger jamais, des dialogues qui feraient paraĂźtre courts ceux mĂȘmes de Walter Scott,, et qu'il rĂ©cite de mĂ©moire d'intermi- nables piĂšces officielles, aprĂšs avoir pris, il est vrai, la prĂ©caution de dĂ©clarer qu'il les a retenues mot pour mot. Je n'hĂ©site donc pas, pour ma part, Ă  prĂ©fĂ©rer le premier Bug-Jargal au second, l'Ă©bauche au tableau. M. Victor Hugo en a usĂ© d'ailleurs avec cette Ɠuvre de jeunesse comme avec Han cVIslande l'une des scĂšnes les plus dramatiques de Notre-Dame de Paris est empruntĂ©e Ă  Bug-Jargal. Le nain Habibrah, prĂ©cipitĂ© du haut d'un rocher, dans sa lutte avec le capitaine, est retenu au-dessus ;39i2 VICTOR HUGO avant 1830 de l'abĂźme par la racine d'un vieil arbre. L'archidiacre Claude Frollo, prĂ©cipitĂ© par Quasimodo du haut des tours de Notre-Dame, est arrĂȘtĂ© dans sa chute par une gouttiĂšre. Les rapports des deux scĂšnes entre elles sont frappants et l'analogie se poursuit jusque dans les dĂ©tails. BUG-JARGAL Chap. Liv. Mille dĂ©mons ! s'Ă©cria le nain en rugissant il Ă©tait tombĂ© dans l'abĂźme. NOTRE-DAME DE PARIS Liv. XI, chap. ii. Le prĂȘtre cria — Dam- nation ! et tomba. Une racine du vieil arbre sortait d'entre les fentes du granit, un peu au-dessous du bord. Le nain la rencontra dans sa chute, sa jupe cha- marrĂ©e s'embarrassa dans les nƓuds de la souche, et, saisissant ce dernier appui, il s'y cramponna avec une Ă©nergie extraordinaire. laquelle il se trouvait l'ar- rĂȘta dans sa chute. 11 s'y accrocha avec des mains dĂ©sespĂ©rĂ©es. Habibrah, suspendu sur l'iiorrible goutĂŻre , essaya d'abord de remonter sur la plate-forme ; mais ses petits bras ne pouvaient atteindre jusqu'Ă  l'arĂȘte de l'escarpe- ment, et ses ongles s'usaient L'abĂźme Ă©tait au-dessous de lui... L'archidiacre se tor- dit sur la gouttiĂšre avec des efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour re- monter ; mais ses mains n'avaient pas de prise sur le granit... ses ongles sai- VICTOR HUGO AYANT 1830 393 en elĂŻbrts impuissants pour entamer la surface visqueuse du roc qui surplombait clans le tĂ©nĂ©breux abĂźme. genoux mur. la pierre, ses s'Ă©corchaient au Habibrah me criait, en Ă©cumant de fureur — Viens donc ! viens ! et il ramas- sait, pour en finir, le reste de sa vigueur surnaturelle.. . Il avait consumĂ© toute sa force dans ce dernier effort. L'archidiacre, Ă©cumanVde rage et d'Ă©pouvante, ramas- sa tout ce qui lui restait de force pour un dernier effort. La racine, si longtemps tourmentĂ©e, se brisa sous son poids. Cette commotion fĂźt ployer brusquementlebec de plomb sur lequel il s'appuyait. Ses doigts engourdis et roides furent enfĂźn contraints de me lĂącher. Le misĂ©rable nain s'engloutit dans l'Ă©cume de la sombre cascade. N'ayant plus que ses mains roidies et dĂ©faillantes qui tenaient Ă  quelque chose, l'infortunĂ© ferma les yeux et lĂącha la gouttiĂšre. Il tomba. Le rĂ©cit du Conservateur littĂ©raire se terminait Ă  la mort de Bug-Jargal. En 1826, M. Victor Hugo a tenu Ă  y ajouter un Ă©pilogue dans lequel, sons couleur de raconter la mort du capitaine d'Auverney, il donne un libre cours Ă  sa haine contre la RĂ©publique, Ă  son mĂ©pris pour les hommes de la Convention. Il dit au- jourd'hui Jamais rien de plus haut n'est apparu sur l'horizon dos hommes. Il y a l'Himalaya et il y a 394 VICTOR HUGO AVAÎJT 1830 la Convention. La Convention est peut-ĂȘtre le point culminant de l'histoire*. » Il disait, en 1826 Les reprĂ©sentants du peuple en mission, ces espĂšces d'am- bassadeurs Ă  bonnets rouges, que la Montagne dĂ©pu- tait dans les camps pour les dĂ©grader et les dĂ©cimer, dĂ©lateurs attitrĂ©s, chargĂ©s par des bourreaux d'es- pionner la gloire... L'idole sanglante de ces temps-lĂ  aimait les victimes illustres ; et les sacrificateurs de la place de la RĂ©volution Ă©taient joyeux quand ils pouvaient, d'un mĂȘme coup, faire tomber une tĂȘte et une couronne, ne fĂ»t-elle que d'Ă©pines, comme celle de Louis XYI, de fleurs comme celle des jeunes filles de Verdun, ou de lauriers, comme celle de Gustine et d'AndrĂ© ChĂ©nier^. » II AprĂšs avoir ouvert l'annĂ©e 1826 par la pubHcation de Bug-Jargal, Victor Hugo la termina par la publi- cation du troisiĂšme volume de ses poĂ©sies, qui parut au mois d'octobre, sous le titre d'Odes et Ballades. Ce volume se composait de treize odes et de dix ballades, dont nous donnons ici la liste, en rangeant ces piĂšces dans l'ordre mĂȘme de leur composition, ainsi que nous l'avons fait prĂ©cĂ©demment pour les Odes et PoĂ©sies diverses^ et pour les Nouvelles Odes 1 Quatre-vimjt-ireize, par Victor Hugo, deuxiĂšme partie, livre III, ch. i, la Convention. 2 Uiuj-JargaĂź, p. 200. VICTOR HUGO AVANT 1830 395 AnnĂ©e 1824 A M. de Chateaubriand y la FĂ©e et la PĂ©ri, les FunĂ©railles de Louis XVllI. AnnĂ©e 1825 A une jeune fille, un Chant de fĂȘte de NĂ©ron, le GĂ©ant, A Trilhy, Hymne oriental, le Voyage, le Sacre de Charles X, les Deux Iles, les Deux Ar- chers, Au colonel G. -A. Gustaffson, la MĂȘlĂ©e, VAveu du chĂątelain, la FiancĂ©e du timbalier, Promenade, Aux Ruiyies de Monifort-VAmaury, A M. Alphonse de Lamartine, A un Passant, A*^*^ le Portrait d'une enfant, la Ronde du Sabbat, VHy7nne oriental ne figure plus depuis longtemps dans les Ă©ditions des Odes et Ballades. L'auteur a transportĂ© cette piĂšce dans les Orientales, oi\ elle a pour titre la Ville prise. La ballade qui Ă©tait intitulĂ©e, dans l'Ă©dition de 1826, VAveu du chĂątelain, est celle qui a maintenant pour titre Ecoute-moi, Madeleine. Le Portrait d'une enfant est peut-ĂȘtre la piĂšce la plus charmante de ce troisiĂšme volume Oui, ce front, ce sourire et cette fraĂźche joue, C'est bien l'enfant qui pleure et joue. Et qu'un esprit du ciel dĂ©fend. De ses doux traits, ravis Ă  la sainte phalange, C'est bien le dĂ©licat mĂ©lange ; PoĂšte, j'y crois voir un ange. PĂšre, j'y trouve mon enfant. Cette enfant, c'Ă©tait la petite LĂ©opoldine, celle pour qui M. Victor Hugo composera bientĂŽt la I-^riĂšre pour tous 396 VICTOR llUCfO AVAi\T 1830 Ma fille, va prier! vois, la nuit est venue '... La piĂšce des Odes et Ballades porte cette dĂ©dicace A M^^^ de M. Ces initiales cachaient le nom de W^^ Julie Duvidal de Montferrier, qui avait fait le portrait de la fille du poĂšte. W^" de Montferrier est devenue depuis Mie la comtesse Abel Hugo. Gomme les volumes de 1822 et 1824, le volume de 1826 Ă©tait ardemment royaliste. Dans les Deux lies, le poĂšte qui devait Ă©crire , quelques annĂ©es plus tard, NapolĂ©on, soleil dont je suis le IMemnon, faisait entendre contre Bonaparte un cri de haine et de malĂ©diction Qu'Ă  son nom, du Volga, du Tibre, de la Seine, Des murs de l'Alhambra, des fossĂ©s de Vincenne, De Jaffa, du Kremlin, qu'il brĂ»la sans remords, Des plaines du carnage et des champs de victoire, Tonne, comme un Ă©cho de sa fatale gloire, La malĂ©diction des morts 1 Vo&Q au colonel Gustaffson^, celles sur les FunĂ©railles de Louis XVIIT et sur le Sacre de Charles X, venant aprĂšs les odes sur la VendĂ©e^ Qui- heroUy la Mort du duc de Berry, la Naissance et le BaptĂȘme du duc de Bordeaux, la Guerre d'Espagne^ faisaient de Yictor Hugo, bien plus encore que de 1 Les Feuilles d'automne. 2 C'Ă©tait le nom qu'avaitpris le roi de SuĂšde, GustaTC IV, dĂ©trĂŽnĂ© en 1800. Gustave IV est mort Ă  Saint-Gall Suisse, en 1837. VICTOR nUGO AVANT 1830 397 Lamartine, le poĂšte-laurĂ©at de la Restauration. Aussi rien n'Ă©tait-il plus lĂ©gilime, aprĂšs la publication de son troisiĂšme volume, que sa demande d'une troisiĂšme pension. Voici la lettre qu'Ă  cette occasion, et Ă  la fin de l'annĂ©e 1826, il adressa Ă  M. le vicomte de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargĂ© du dĂ©partement des beaux-arts Monsieur le vicomte, Par dĂ©cision du mois de septembre 1822, S. M. Louis XVIII, sur la proposition de M. le marquis de Lauriston, alors ministre de la maison du roi, et sur la recommandation spĂ©ciale de S. A. R. Madame, duchesse de Berry, transmise au mi- nistre par Mme la marĂ©chale, duchesse de Reggio, daigna m'accorder une pension de 1,000 francs. Le ministre et M. le vicomte de Senonnes, alors secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la maison du roi, en me transmettant la nouvelle de cet honorable bienfait du roi, me donnĂšrent l'assurance verbale que cette pension, que plusieurs circonstances n'avaient point permis de crĂ©er plus forte, ne serait que provisoire, et qu'ils ne tarderaient pas Ă  en solliciter l'augmentation auprĂšs de Sa MajestĂ©. Quatre ans se sont Ă©coulĂ©s depuis cette Ă©poque ; et si ma pension est restĂ©e ce qu'elle Ă©tait, j'ai eu du moins la joie de voir la bontĂ© du roi augmenter les pensions de plusieurs hommes de lettres de mes amis, pensions obtenues en mĂȘme temps que la mienne ou mĂȘme depuis, et dont quelques-unes, maintenant, la dĂ©passent dĂ©plus du double. Ma pension seule Ă©tant restĂ©e stationnaire, je pense, mon- sieur le vicomte, n'ĂȘtre pas sans quelques droits Ă  une augmentation. Si j'avais quelques titres Ă  l'Ă©poque oĂč je l'obtins, ces titres no sont rien auprĂšs de ceux que je pourrais rĂ©unir aujourd'hui, et qui eux-mĂȘmes, je suis loin de me le dissimuler, sont encore bien peu de chose ; mais, sans me 23 398 VICTOR HUGO AVANT 4830 faire illusion sur leur insuffisance, j'espĂšre surtout, monsieur le vicomte, dans la flatteuse bienveillance dont vous m'avez donnĂ© tant de preuves, et qui, chez vous, s'allie Ă  une sollici- tude si Ă©clairĂ©e pour les lettres. Je dĂ©pose avec confiance ma demande entre vos mains, en vous priant de vouloir bien la mettre sous les yeux de ce roi qui veut faire des beaux-arts le fleuron le plus Ă©clatant de sa couronne. Quel que soit le rĂ©sultat de la demande que j'ai l'honneur de vous soumettre, vous savez, monsieur le vicomte, que rien n'Ă©gale la reconnaissance et le respectueux dĂ©vouement avec lequel j'ai l'honneur d'ĂȘtre Votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur, Victor Hugo. Rue de Vaugirard, 90. Quatre ans se sont Ă©coulĂ©s depuis cette Ă©poque [iS22, et ma pension de 1,000 francs es^ restĂ©e ce qu'elle Ă©tait... — Ma pension de 1,000 francs est restĂ©e stationnaire. » HĂ© ! sans doute, la pension de 1822 sur la cassette particuliĂšre du roi Ă©tait restĂ©e stationnaire ; mais, en 1823, Ă©tait venue s'y ajouter une pension de 2,000 francs sur les fonds littĂ©raires du ministĂšre de TintĂ©rieur \ Dans sa lettre, M. Victor Hugo garde sur cette seconde pension un silence prudent et que je me borne Ă  signaler. Soulignons aussi, sans d'ailleurs y insister, cet autre passage Si ma pension est restĂ©e ce quelle Ă©tait, j'ai eu du moins la'joie de voir la bontĂ© durai augmenter les pen- sions de plusieurs hommes de lettres de mes amis, pen- sions obtenues en ynĂšme temps que la mienne ou mĂȘme * Voy. ci-dessus, cLap. IX, p. o02. VICTOR ItUGO AVANT 1830 399 depuis, et dont quelques-unes, maintenant, la dĂ©passent de plus du double. » M. Victor Hugo mettait du gĂ©nie jusque dans ses suppliques. Ses ballades de 1826 Ă©taient des chefs- d'Ɠuvre, — et ses placets aussi. III Le volume Aq^ Odes et Ballades fut l'objet, dans le Globe de janvier 1827, de deux articles dont il convient que nous disions quelques mots, car ces articles sont une date dans l'histoire de la critique au dix-neuviĂšme siĂšcle. L'auteur y faisait la part des beautĂ©s et celle des dĂ©fauts avec une Ă©quitĂ© parfaite, avec une sĂ»retĂ© de goĂ»t singuliĂšrement remarquable. Il ne s'en tenait pas lĂ , et comme s'il eĂ»t Ă©tĂ© douĂ© du don de seconde vue le vrai critique est quelquefois, lui aussi, un prophĂšte, vates, il signalait chez le poĂšte, encore au matin de sa vie et Ă  l'aurore de son talent, les dĂ©- fauts qui ne devaient devenir apparents pour tous que dans les Ɠuvres de M. Victor Hugo Ă  son dĂ©clin En poĂ©sie comme ailleurs, disait-il, rien de si pĂ©rilleux que la force ; si on la laisse faire, elle abuse de tout ; par elle, ce" qui n'Ă©tait qu'original et neuf est bien prĂšs de devenir bizarre ; un contraste brillant dĂ©gĂ©nĂšre en antithĂšse prĂ©cieuse. L'au- teur vise Ă  la grĂące et Ă  la simplicitĂ©, et il va jusqu'Ă  la mignardise et Ă  la simplesse ; il ne cherche que l'hĂ©roĂŻque, et il rencontre le gigantesque ; s'il tente jamais le gigantesque, 400 VICTOR HUGO AVANT 1830 il n'Ă©vitera pas le puĂ©ril. M. Hugo pourrait nous en fournir des preuves i... Et plus loin Si dans l'abus de dĂ©crire — il n'Ă©chappe jamais Ă  ce dĂ©faut — l'auteur porte parfois de la combinaison et du calcul, le plus ordinairement, nĂ©anmoins, la faute n'appartient qu'Ă  son imagination. Cette imagination est si rapide, en effet, qu'elle se meut sur chaque point Ă  la fois et qu'elle met la main Ă  tout ; elle devient analytique Ă  force d'ĂȘtre alerte et perçante. Ce que Delille et ses disciples faisaient Ă  froid et par systĂšme, M. Hugo le fait surtout par inadvertance et illusion ; c'est une sorte de simpUcitĂ© enfantine qui se laisse prendre par les yeux... Jamais il ne rencontrera une tour dont il ne compte les angles, les faces et les pointes. Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. De lĂ  un Ă©clat brillante qui blesse ; nulle gradation de couleur, nulle science des lointains le pli d'un manteau tient autant de place que la plus noble pensĂ©e. Le critique terminait ainsi son second article Que M. Hugo se garde surtout de l'excĂšs de sa force; qu'Ă  l'heure de la mĂ©ditation, il sache attendre Ă  loisir ses propres rĂȘves, les laissant venir Ă  lui et s'y abandonnant plutĂŽt que de s'y prĂ©cipiter ; qu'Ă  l'heure de produire, il se reporte sans cesse aux impressions naĂŻves qu'il veut rendre, les contemple longuement avant de les retracer, et plus d'une fois s'inter- rompe en les retraçant pour les contempler encore ; que, n'Ă©puisant pas Ă  chaque trait ses couleurs, il approche par degrĂ©s de son idĂ©al, et consente, s'il le faut, Ă  rester au-dessous plutĂŽt que de le dĂ©passer, ce qui est la pire maniĂšre de ne pas l'atteindre... 1 Le Globe du 9 janvier 1827. VICTOR HUGO AVANT 1830 401 Racine lui-mĂȘme, j'oserai l'affirmer, Racine dans les chƓurs d'Esthcr et d\ithalie, n'a pas fait passer tout ce que son Ăąme avait conçu de mĂ©lodie cĂ©leste et d'onction sacrĂ©e. Et quelle aisance pourtant dans ces admirables chƓurs, quelle quiĂ©tude, quelle sĂ©rĂ©nitĂ© de gĂ©nie ! C'est qu'il a senti combien, devant l'impuissance humaine, il valait mieux encore se rĂ©signer que se dĂ©battre ; lĂ  oĂč il a dĂ©sespĂ©rĂ© d'ĂȘtre excellent, il a mieux aimĂ© rester un peu faible, en voilant sa faibtesse d'une molle et noble douceur, que de s'Ă©puiser en vains efforts pour retomber de plus haut. C'Ă©tait la seule maniĂšre d'ĂȘtre parfait en poĂ©sie, autant qu'il est donnĂ© Ă  l'humanitĂ© de le devenir. Ces' deux articles, oĂč se montrait dĂ©jĂ  tout entier le talent de l'Ă©crivain appelĂ© Ă  devenir bientĂŽt le pre- mier critique de notre temps, avaient pour auteur M. Sainte-Beuve, qui depuis a beaucoup Ă©crit sur M. Victor Hugo, mais jamais avec autant de justesse et d'indĂ©pendance ^ Dans cette premiĂšre rencontre, comme il avait dit avec fermetĂ© les dĂ©fauts, il saluait avec sympathie les qualitĂ©s Ă©clatantes du jeune poĂšte, de celui qu'il appelait le La Mennais de la poĂ©sie. Il disait, par exemple, des stances A une jeune fille Il n'y a que vingt vers, mais ils sont parfaits de naturel et de mĂ©lodie on dirait le doux et mĂ©lanco- lique regard par lequel l'homme qui a souffert rĂ©pond aux caresses d'un enfant. Quand on a fait ces vingt vers, on doit comprendre qu'il est un moyen de lais- ser voir la pensĂ©e sans s'Ă©puiser Ă  la peindre. » — Qu'on imagine Ă  plaisir, Ă©crivait-il encore, tout ce qu'il y a de plus pur dans l'amour, de plus chaste dans l'hymen, de plus sacrĂ© dans l'union des Ăąmes 1 Voy. ces articles au tome I>" des Nouveaux Lundis. 402 VICTOR HUGO AVANT 1830 SOUS l'Ɠil de Dieu ; qu'on rĂȘve, en un mot, la voluptĂ© ravie au ciel sur l'aile de la priĂšre, et l'on n'aura rien imaginĂ© que ne rĂ©alise et n'efface encore M. Hugo dans les piĂšces dĂ©licieuses intitulĂ©es Encore Ă  toi et Son nom ; les citer seulement, c'est presque en ternir dĂ©jĂ  la pudique dĂ©licatesse. » Sainte-Beuve ne connaissait pas encore Victor Hugo, lorsqu'il Ă©crivait ces articles, et c'est de leur publica- tion que datent, entre le critique et le poĂšte, ces rap- ports intimes, cette vive amitiĂ©, consacrĂ©e par le re- cueil des Consolations, cĂ©lĂ©brĂ©e par les Feuilles d^au- tomne, et qui, si elle a eu l'Ă©clat des plus beaux vers, en a eu aussi la fragilitĂ©. Au tome II de ses MĂ©moires, M. Victor Hugo ra- conte Ă  sa façon l'origine de sa liaison avec celui qui allait ĂȘtre son critique en titre, le hĂ©raut d'armes qui criera place autour de lui, l'Ă©cuyer qui marchera devant son char*. Il y avait alors, dit-il, un journal auquel le nom de ses rĂ©- dacteurs, MM. Guizot, Dubois, JoulTroy, Cousin, etc., donnait une certaine importance, surtout dans les salons le Glohe universitaire et gourmĂ© avait pour les novateurs une sorte de bienveillance protectrice. Il s'interposait entre les combattants, enseignant le progrĂšs Ă  droite et la modĂ©ration Ă  gauche. M. Dubois fit un article plus chaleureux que Fauteur ne l'avait attendu, et presque enthousiaste de l'ode intitulĂ©e les Deux lies. M. Victor Hugo ne fermait jamais sa porte, mĂȘme pendant ses repas. Un matin, il dĂ©jeunait, quand la domestique an- 1 Voy., dans les Portraits contemporaiyis, t. I, p. 417, l'article de Sainte- Beuve sur les Feuilles d'automne. VICTOR HUGO AVANT 1830 403 nonça M. Sainte-Beuve. Elle introduisit un jeune homme qui se prĂ©senta comme voisin et comme rĂ©dacteur d'un journal ami ; il demeurait rue Notre-Dame-des-Champs, et il Ă©crivait dans le Globe. Le Globe ne s'en tiendrait pas, dit-il, Ă  un seul article sur Cromwell ; c'Ă©tait lui-mĂȘme qui ferait les autres. Il avait demandĂ© Ă  s'en charger, redoutant un retour de M. Dubois, qui n'Ă©tait pas tous les jours d'une humeur si ad- mirative et qui redeviendrait bien vite professeur. L'entrevue fut fort agrĂ©able, et l'on se promit de se revoir, ce qui Ă©tait d'au- tant plus facile que M. Victor Hugo allait se rapprocher encore de son critique et loger lui-mĂȘme rue Notre-Dame-des-Champs' . Que M. Victor Hugo ait transformĂ© en rĂ©dacteurs du Globe MM. Guizot et Cousin, qui n'ont jamais Ă©crit dans ce journal, la faute est vĂ©nielle. Ce qui est plus grave, c'est le peu de souci qu'il a pris de rapporter fidĂšlement les circonstances dans lesquelles Sainte- Beuve et lui firent connaissance. L'auteur des Cause- ries du lundi a rĂ©tabli la vĂ©ritĂ© sur ce point dans une note de la derniĂšre Ă©dition de ses Portraits contempo- rains Ce ne fut point Ă  l'occasion du Crormvell que j'allai pour la premiĂšre fois chez Victor Hugo en janvier 1827 ; le Cromwell n'avait point encore paru ^, et l'auteur devait seulement en faire prochainement lecture, en partie, dans le salon de son beau-pĂšre. Je n'y allais pas non plus pour m'offrir d'en parler, ni pour faire des avances ; j'Ă©tais trop critique, mĂȘme dans ma jeunesse, pour aller d'emblĂ©e me jeter Ă  la tĂȘte des auteurs dont je pouvais avoir Ă  parler. Mais voici ce qui se passa J'avais Ă©tĂ© chargĂ© par M. Dubois de rendre compte, dans le Globe, du recueil des Odes et Ballades ; je l'avais fait avec des * Victor Hurjo racontĂ©, etc., t, II, p. 154. 2 II fut publiĂ© seulement eu dĂ©cembre 1827. 404 VICTOR HUGO AYANT 1830 rĂ©serves, mais dans un assez vif sentiment de sympathie et de haute estime. Victor Hugo Ă©tant allĂ© voir M. Dubois lui 'de- manda mon nom et mon adresse pour me remercier. Or, prĂ©- cisĂ©ment, je demeurais porte Ă  porte et, sans le savoir, prĂšs de Victor Hugo, non pas encore rue Notre-Dame-des-Champs, mais bien rue de Vaugirard. Hugo y occupait un modeste ap- partement au second, no 90, et moi j'y habitais, avec ma mĂšre, au n° 94. Hugo Ă©tant venu chez moi sans me rencontrer et m'ayant laissĂ© sa carte, j'allai lui rendre sa visite le lende- main vers midi, et je le trouvai Ă  dĂ©jeuner. La conversation, dĂšs les premiers mots, roula en plein sur la poĂ©sie... Quelques mois ÂŁCprĂšs, nous aUions, lui et moi, habiter rue Notre-Dame- des-Champs, oĂč, par un nouvel et heureux hasard, je me trouvai encore son proche voisin, lui au n» 11, et moi au 19 ». IV L'annĂ©e 1827 est, aux yeux de M. Victor Hugo, une annĂ©e mĂ©morable entre toutes, non sans doute parce qu'elle a Ă©tĂ© marquĂ©e pour lui par sa liaison avec Sainte-Beuve, — non pas mĂȘme parce qu'elle a vu paraĂźtre Cromivell et sa prĂ©face, — mais parce que c'est l'annĂ©e oĂč il a publiĂ© VOde Ă  la colonne de la place VendĂŽme. Dans cette ode, M. Victor Hugo n'Ă©crit plus Buona- parte ni mĂȘme Bonaparte, il Ă©crit NapolĂ©on ; — et alors de triompher et de dire — Vous voyez bien qu'en 1827, je n'Ă©tais plus royaliste ! Tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai Ă©crit avant cette Ă©poque, je vous l'abandonne, car je n'Ă©tais qu'un enfant, et l'homme 1 Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. I, p. 468, Ă©dition de 1869. VICTOR HUGO AVANT 1830 405 ne saurait rĂ©pondre des opinions de l'enfant. C'est en 1827 seulement que/cti eu Ăąge cV homme, et dĂšs cette Ă©poque, je me suis dĂ©barrassĂ© des puĂ©rilitĂ©^de mon enfance ; j'ai embrassĂ©, pour y rester inviolablement fidĂšle, les opinions que je professe aujourd'hui * ! Mahomet s'Ă©tant Ă©chappĂ© de la Mecque et s'Ă©tant rĂ©fugiĂ© Ă  Yatreb, qui reçut de lĂ  le nom de MĂ©dine, Medinet al-Nabi, l'annĂ©e oĂč se produisit cet Ă©vĂ©nement fut appelĂ©e VHĂ©gire ou la fuite et devint pour les sectateurs du ProphĂšte le point de dĂ©part d'une Ăšre nouvelle. Convient-il de voir dans l'annĂ©e 1827 une autre HĂ©gire, non moins fameuse que la premiĂšre et destinĂ©e Ă  rappeler le jour oĂč, dĂ©sertant les vieilles superstitions monarchiques et sacerdotales, comme le fondateur de l'islamisme avait dĂ©sertĂ© la Mecque, M. Victor Hugo a fait comme Mahomet et est allĂ© Ă  la Montagne ? Si vif est le dĂ©sir du poĂšte de rattacher Ă  cette annĂ©e 1827 sa conversion aux idĂ©es rĂ©volutionnaires, qu'il le conduit Ă  employer des moyens tels que celui- ci dans les Chansons des rues et des bois, publiĂ©es en 1866, il glisse une piĂšce, oĂč la Restauration et le roi Charles X sont grossiĂšrement insultĂ©s, et dont voici quelques extraits Le passĂ© rĂšgne, il nous menace ; Le trĂŽne est son premier sujet, Apre, il remet sa dent tenace Sur l'esprit humain qu'il rongeait. 1 Actes et Paroles, par Victor Hugo, t. I, p. 292. 23. 406 VICTOR nUGO AVANT 4830 Les nations sont des cloaques, Les consciences des Ă©gouts ; L'un vendrait la France aux Cosaques, ‱ L'autre vendrait l'Ăąme aux hiboux. Le prince est bonhomme ; la rue Est pourtant sanglante. — Bravo ! Dit Dracon. — La royautĂ© grue Monte sur le roi soliveau. Gela continue ainsi pendant soixante vers, en tĂȘte desquels se lisent ces mots Ă©crit en 1827. Non, ces vers n'ont pas Ă©tĂ© Ă©crits en 1827, — parce qu'Ă  cette Ă©poque, M. Victor Hugo n'Ă©crivait pas de ce style ; parce que cette façon d'accoler deux substantifs, pour faire du second l'adjectif du premier, — la royautĂ© grue, le roi soliveau, — ne se rencontre pas une seule fois dans ses Ɠuvres avant 1852 et qu'elle constitue, au contraire, depuis cette Ă©poque, un des signes par- ticuliers de sa nouvelle maniĂšre *. M. Victor Hugo n'a pas Ă©crit ces vers en 1827 pour une autre raison. A la fin de 1826, dans une lettre que nous citions tout Ă  l'heure, il disait Ă  l'un des ministres de Charles X Si j'avais quelque titre, il y a quatre ans, Ă  une pension du roi, ces titres ne sont rien auprĂšs de ceux * C'est surtout dans les Contemplatiims{\%'^Ç> que M. Viotor Hugo se com- plaĂźt Ă  acroler ensemble des substantifs qui n'ont d'autre lien que leur juxtapo- sition Varhre Ă©tornitĂ©, la branche destin, le crible cimetiĂšre, le f/relot monde, la biche illusion, la fosse silence, le fossoyeur oubli, la bouche tombeau. M. Victor Hugo sait-il qu'il a eu pour prĂ©curseur dans cette voie le plus ar- riĂ©rĂ© des classiques, cet excellent M. Viennet, qui, dĂšs 1843, dans son EpĂźtre Ă . Alexandre Buval sur l'ingratitude, parlant de certains dĂ©putĂ©s, cĂ©lĂšbres hier, aujourd'hui oubliĂ©s, s'Ă©criait Le gouffre Moniteur garde seul leur mĂ©moire? VICTOR HUGO AVANT 1830 407 que je pourrais rĂ©unir aujourd'hui. » En 1829, dans une autre lettre que nous aurons lieu de reproduire bientĂŽt, il disait Ă  un autre ministre Le roi ne doit attendre de Victor Hugo que des preuves de fidĂ©litĂ©, de loyautĂ© et de dĂ©vouement. » Et ce serait entre ces deux lettres qu'il aurait Ă©crit les vers publiĂ©s en 1866 ! Ce prince auquel il prodiguait ses protestations de fidĂ©litĂ©, il l'aurait insultĂ© dans l'ombre I Pour l'honneur de M. Hugo, nous n'en croyons rien. ResieVOde Ă  la Colonne^ qui, elle, est bien de 1827. Voyons si elle tĂ©moigne d'un changement vĂ©ritable dans les opinions et dans les principes politiques de l'auteur. On sait Ă  quelle occasion fut composĂ©e cette Ode, l'une des plus belles du poĂšte. En 1814, lors de la conclusion du traitĂ© de Paris, l'Autriche avait exigĂ© que les sujets français, pourvus par NapolĂ©on de titres impliquant un droit fĂ©odal sur une ville ou une province de l'empire autrichien, ces- sassent de porter ces titres. Le roi Louis XVIII avait obtenu que cette stipulation ne fĂ»t pas rendue pu- blique, et grĂące Ă  l'habiletĂ© de son gouvernement, grĂące aussi Ă  la bonne volontĂ© de l'ambassadeur d'Autriche Ă  Paris, le baron de Vincent *, les diffi- cultĂ©s qu'elle Ă©tait de nature Ă  soulever avaient dormi pendant douze ans. Au commencement de 1827, * Le baron de Vincent Ă©tait cĂ©libataire et ne tenait pas une grande mai- son... On raconte que les jours oĂč il donnait Ă  dĂźner, il se tenait sans affectation prĂšs de la porte de son salon, ce qui dispensait d'annoncer et de nommer les convives. » Histoire de la Restauration^ par M. Louis de Viel- Castel, t. XVI, p. 156. 408 VICTOR HUGO AVANT 1830 M. de Vincent fut remplacĂ© par le comte Appony, et le cabinet de Vienne enjoignit au nouvel ambassadeur de rĂ©veiller la question et de la trancher enfin par un Ă©clat public. Le marĂ©chal Oudinot, duc de Reggio, et le marĂ©chal Soult, duc de Dalmatie, s'Ă©tant prĂ©- sentĂ©s Ă  l'une de ses soirĂ©es, furent annoncĂ©s seule- ment sous leurs noms de famille. Ils se retirĂšrent aussitĂŽt. L'incident, rendu public par les journaux, produisit une Ă©motion considĂ©rable. Il fut portĂ© Ă  la tribune de la Chambre des dĂ©putĂ©s dans la sĂ©ance du 31 janvier, et le Journal des DĂ©bats publia, dans son numĂ©ro du 9 fĂ©vrier, des vers de Victor Hugo sous ce titre Ode Ă  la colonne de la place VendĂŽme. L'ode, dit M. Victor Hugo, dans ses MĂ©moires, oĂč il consacre Ă  cet Ă©pisode de sa vie littĂ©raire et poli- tique tout un chapitre, l'ode publiĂ©e immĂ©diateinent * par les DĂ©bats, en premier Paris ^, et rĂ©pĂ©tĂ©e par plu- sieurs journaux, produisit un effet profond... Atta- quer l'Autriche, c'Ă©tait attaquer les Bourbons, qu'elle avait ramenĂ©s en France ; glorifier les marĂ©chaux, c'Ă©tait glorifier l'empire. L'ode fit aux royalistes purs l'effet d'une dĂ©sertion, ce fut le dĂ©but de la rupture... » Ainsi, d'aprĂšs M. Victor Hugo, prendre parti pour les marĂ©chaux contre l'ambassadeur d'Autriche, c'Ă©tait attaquer les Bourbons. Gela est si peu vrai, que les journaux et les orateurs royalistes s'Ă©taient, dĂšs le 1 Ceci n'est pas tout Ă  fait exact. L'ode ne parut que dix jours aprĂšs la soirĂ©e du comte Appony. 2 Autre inexactitude VOde Ă  la colonne de la place VendĂŽme fut pu- bliĂ©e par le Journal des DĂ©bats en troisiĂšme et quatriĂšme page, aprĂšs les Faits divers. VICTOR nUGO AVANT 1830 409 premier jour et bien avant M. Hugo, Ă©nergiquement Ă©levĂ©s contre le procĂ©dĂ© du comte Appony. DĂšs le 31 janvier, M. Hyde de Neuville, qui Ă©tait pourtant un royaliste pur, avait portĂ© l'incident Ă  la tribune, dĂ©- clarant que si l'ambassadeur d'Autriche avait osĂ© inviter de braves marĂ©chaux pour les faire dĂ©bapti- ser par un valet, il avait manquĂ© au roi et Ă  la France *. » Le Journal des DĂ©bats, qui, Ă  cette date de janvier-fĂ©vrier 1827, Ă©tait encore ardemment roya- liste, demandait si on laisserait impunĂ©ment les valets d'une cour Ă©trangĂšre dĂ©pouiller les guerriers illustres qui tenaient leurs titres de Dieu, du roi et de leur Ă©pĂ©e ». Les salons du faubourg Saint-Germain, les pairs de France, les principaux personnages de la cour, toute la sociĂ©tĂ© royaliste enfin, prit parti pour les marĂ©chaux. L'ambassadeur d'Autriche ayant donnĂ© un grand bal dans les premiers jours de fĂ©vrier, pas un seul costume militaire, pas un costume de cour n'y figurĂšrent ^, et le lendemain le Journal des DĂ©- bats Ă©crivait Les pairs de France s'engagent Ă  ne plus entrer dans un salon oĂč TarmĂ©e vient d'ĂȘtre insultĂ©e dans ses plus glorieuses illustrations... Tous les officiers souscrivent avec empressement Ă  cette lĂ©gitime et innocente coalition. Le mĂȘme engagement est pris par tout ce qui compose la maison militaire du roi ; par tout ce qui vit trop prĂšs du trĂŽne, pour 1 Histoire du gouvernement parlementaire en France, par I\l. Duvergier de Hauranne, t. IX, p. 136. 2 Duvergier de Hauranne, t. IX, p. 137. — De Viel-Castel, t. XVI, p. 158. — Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, t. VU, p. 534. 410 VICTOR HUGO AVANT 1830 ne pas apprendre Ă  respecter l'honneur national *. » Le roi lui-mĂȘme pensait Ă  cet Ă©gard comme les offi- ciers de sa maison militaire. HĂątons-nous de dire, lisons-nous encore dans les DĂ©bats, que nous croyons ĂȘtre sĂ»rs qu'Ă  dĂ©faut de l'intĂ©rĂȘt du ministĂšre, une attention plus auguste est Ă©veillĂ©e sur ce dĂ©bat, une protection plus haute assurĂ©e Ă  notre honneur mĂ©- connu. La France se sentirait blessĂ©e dans tous les coups portĂ©s au trĂŽne de ses rois. Nos rois sont depuis mille ans en possession de prouver au monde que s'attaquer Ă  notre gloire, c'est vouloir, comme disait un d'eux, leur dĂ©chirer le pourpoint^. » En prenant la dĂ©fense des marĂ©chaux, Victor Hugo ne faisait donc qu'entrer dans les vues du roi lui- mĂȘme, que suivre l'exemple donnĂ© par les journaux et par les salons royalistes purs. \\ insiste cependant. — En. glorifiant les marĂ©chaux, dit-il, je glorifiais l'empire ! Donc, je me sĂ©parais des Bourbons ! — Lamartine, l'ennemi invĂ©tĂ©rĂ© du rĂ©gime impĂ©rial, avait-il donc cessĂ© d'ĂȘtre roj^aliste le jour oĂč, dans le Chant du sacre, il avait cĂ©lĂ©brĂ©, en vers magni- fiques, ces mĂȘmes marĂ©chaux, et Reggio et Tarente et Bellune C'est le second Bajard ! C'est Victor ! C'est Bellune ! Plus brave que son nom, plus grand que sa fortune ! Est-ce que ces marĂ©chaux, d'ailleurs, n'Ă©taient pas au premier rang parmi les serviteurs du roi ? Le duc 1 Journal des DĂ©bats, 9> fĂ©vrier 1827. 2 Ibid., 31 janvier 1827. VICTOR nUGO AVANT 1830 411 de Reggio n'Ă©tait-il pas, prĂ©cisĂ©ment, parmi les chefs de l'ancienne armĂ©e, le plus en faveur Ă  la cour * ? La duchesse, sa femme, n'Ă©tait-elle pas la dame d'hon- neur de MADAME ? — Et M. Victor Hugo ne l'igno- rait point, puisque c'Ă©tait elle qui avait Ă©tĂ© chargĂ©e, par la veuve du duc de Berry, de transmettre au mi- nistre de la maison du roi la demande d'une pension pour l'auteur de VOde sur la naissance du duc de Bor- deaux ? Est-ce que Macdonald, duc de Tarente, n'Ă©tait pas grand chancelier de la LĂ©gion d'honneur ; et, tout rĂ©cemment encore, l'un de ses enfants n'avait-il pas Ă©tĂ© tenu sur les fonts baptismaux par le roi et par la dauphine ? Est-ce que Victor, duc de Bellune, n'avait pas reçu du roi le commandement du camp de Reims, Ă©tabli Ă  l'occasion du sacre? Est-ce que tous les trois n'Ă©taient pas chargĂ©s, avec le marĂ©chal duc de Raguse, de commander en chef, Ă  tour de rĂŽle, la garde royale de service aux Tuileries ? Est-ce que les marĂ©chaux choisis par Charles X pour portera son sacre l'Ă©pĂ©e de connĂ©table, le sceptre et la main de justice, Moncey, duc de GonĂ©gliano, Soult, duc do Dalmalie, Mortier, duc de TrĂ©vise, n'Ă©taient pas pourvus tous les trois de titres auxquels Ă©taient attachĂ©s des fiefs situĂ©s dans l'empire d'Autriche ? Victor Hugo pouvait donc cĂ©lĂ©brer leur gloire sans ĂȘtre infidĂšle Ă  ses convictions royalistes. Dans ses vers Ă  la Colonne, il est restĂ© le poĂšte du RĂ©tablisse- ment de la statue de Henri IV 1 M. de np. eit., t. XVI, p. 156. 412 VICTOR HUGO AVANT 1830 Au bronze de Henri mon orgueil te marie. J'aime Ă  vous voir tous deux, honneur de la patrie, Immortels, dominant nos troubles passagers, Sortir, signes jumeaux d'amour et de colĂšre, Lui, de l'Ă©pargae populaire. Toi, des arsenaux Ă©trangers ! Et plus loin Les Bourbons ont toujours adoptĂ© des victoires. Nos rois t'ont dĂ©fendu d'un ennemi tremblant, 0 trophĂ©e ! Ă  leurs pieds tes palmes se dĂ©posent ; . Et si tes quatre aigles reposent. C'est Ă  l'ombre du drapeau blanc. Ailleurs, enfin, il Ă©voque les souvenirs de la Ven- dĂ©e, et il termine en disant Français ! vous n'avez plus l'aigle qui de son aire Sur tous les fronts trop hauts portait votre tonnerre. Mais il vous reste encore l'oriflamme et les lys ! Le bronze hnmortel de Henri, les Bourbons, le dra- peau blanc, Voriflamme et les lys! tout cela, il le faut reconnaĂźtre, n'est pas prĂ©cisĂ©ment pour justifier les paroles de M. Victor Hugo, proclamant, au mois de mai 1850, du haut de la tribune de l'AssemblĂ©e lĂ©gis- lative, que ses opinions d'alors, — il siĂ©geait Ă  ce moment sur les bancs les plus QlevĂ©s de la Montagne, — remontaient Ă  VannĂ©e 1827 Je vous livre, disait-il, depuis l'annĂ©e 1827, Ă©poque oĂč j'ai eu l'Ăąge d'homme, je vous livre tout ce que j'ai Ă©crit, partout oĂč j'ai Ă©crit, tout ce que j'ai dit, partout oĂč j'ai parlĂ©, je vous livre tout, sans rien retenir, sans rien rĂ©server, et je vous porte Ă  tous, du haut de cette tribune, le dĂ©fi de trouver dans VICTOR HUGO AVANT 1830 413 tout cela une page, une ligne, un mot, qui, sur quelque ques- tion que ce soit, me mette en contradiction avec ce que je dis et avec ce que je suis aujourd'hui *. Nous n'Ă©crivons point ici VHistoire des Variations de M. Victor Hugo. Notre seul but, — et nous ne nous en Ă©carterons pas, — est d'Ă©tudier la vie et les Ɠuvres du poĂšte avant 1830. Mais puisque nous avons Ă©tĂ© amenĂ© Ă  citer les fiĂšres paroles que l'on vient de lire, qu'il nous soit permis, avant de terminer ce cha- pitre, d'indiquer au lecteur deux documents qu'il ne trouvera point dans les ƒuvres complĂštes de M. Hugo, et qui appartiennent Ă  une Ă©poque oii il avait depuis longtemps Ăąge d'homme. A la suite de la mort du duc d'OrlĂ©ans, au mois de juillet 1842, M. Victor Hugo, qui avait Ă©tĂ© Ă©lu, le 28 juin prĂ©cĂ©dent, directeur de l'AcadĂ©mie française, fut chargĂ© par ses confrĂšres de rĂ©diger une adresse au roi Louis-Philippe. Le 21 juillet, le roi, entourĂ© des princes ses fils, reçut dans la salle du TrĂŽne, en mĂȘme temps que les membres des grands corps de l'État, ceux de l'Institut. M. Victor Hugo, — qui n'Ă©tait pas encore pair de France, — donna lecture de l'adresse qu'il avait composĂ©e et qui Ă©tait ainsi conçue SmE, L'Institut de France dĂ©pose au pied du trĂŽne l'expression de sa profonde douleur. Votre royal fils est mort. C'est une perte pour la France et pour l'Europe ; c'est un vide parmi les intelligences. La nation i Moniteur du 24 mai 1850. — Actes et Paroles, par Victor Hugo, t. I, p. 292. 414 VICTOR HUGO AVANT 1830 pleure le prince ; l'armĂ©e pleure le soldat ; l'Institut regrette le penseur. Le duc d'OrlĂ©ans avait compris, en effet, que dans le siĂšcle laborieux et mĂ©morable oĂč nous sommes, ĂȘtre l'hĂ©ritier du trĂŽne de France, ce n'est pas seulement occuper une haute position, c'est aussi exercer une grande fonction. Ce que le roi fait pour le prĂ©sent, le prince royal doit le faire pour l'ave- nir ; tandis que le pĂšre, chargĂ© des destinĂ©es actuelles de la patrie, auguste et infatigable gardien de la nationalitĂ© et de la civihsation, fait tĂȘte aux Ă©vĂ©nements, le fils, prince des gĂ©nĂ©rations nouvelles et roi des gĂ©nĂ©rations futures, doit ouvrir son Ăąme aux idĂ©es. L'action est le partage du roi, l'Ă©tude est le partage du prince royal. En attendant l'heure de rĂ©gner, il faut qu'il mĂ©dite sans cesse l'histoire de ses aĂŻeux, la tradition de son pĂšre, les besoins nouveaux de son pays. C'est ce que le duc d'OrlĂ©ans avait admirablement senti. Ame haute, calme, sereine, ferme et douce, noble inteUigence au niveau de tous les talents, fils de Henri IV par le sang, par la bravoure, par l'amĂ©nitĂ© cordiale et charmante de sa personne, fils de la RĂ©volution par le respect de tout droit et l'amour de toute libertĂ© ; entraĂźnĂ© vers la gloire militaire par l'instinct de sa race, ramenĂ© vers les travaux de la paix par les besoins de son esprit ; capable et avide de grandes choses ; populaire au dedans, national au dehors, rien ne lui a manquĂ© exceptĂ© le temps ; et l'on peut dire que tous les germes d'un grand roi se manifestaient dĂ©jĂ  dans ce prince, mort si jeune, hĂ©las ! qui aimait les arts comme François 1er, les lettres comme Louis XIV, la patrie comme vous-mĂȘme. Sire, votre sang est le sang mĂȘme du pays ; votre famille et la France ont le mĂȘme cƓur. Ce qui frappe l'une blesse l'autre. C'est avec une inexprimable sympathie que le peuple français fixe en ce moment ses regards sur votre famille, sur vous, Sire, qui vivrez longtemps encore, car Dieu et la France ont besoin de vous ; sur cette reine, mĂšre auguste et Ă©prouvĂ©e entre toutes les mĂšres ; sur cette princesse, enfin, si française par son cƓur et par son adoption, qui a donnĂ© Ă  la patrie VICTOR HUGO AVANT 1830 415 deux Français, Ă  la dynastie deux princes, Ă  Favenir deux espĂ©rances. Que du moins cette affliction universelle soit pour Votre MajestĂ© une sorte de consolation ! Sire, c'est aussi lĂ  une acclamation ! La mort fatale du prince eĂ»t pu Ă©branler le trĂŽne, ce deuil public et national consolide la dynastie. La France qui vous consacrait, il y a douze ans, par l'unanimitĂ© de son adhĂ©sion, vous consacre aujourd'hui une seconde fois par l'unanimitĂ© de sa douleur *. Le 27 fĂ©vrier 1845, Sainte-Beuve venait prendre sĂ©ance Ă  l'AcadĂ©mie française, en remplacement de Casimir Delavigne. ChargĂ© de lui rĂ©pondre, M. Victor Hugo prononça un discours dans lequel, pour le dire en passant, se trouvait un nouvel Ă©loge du roi Louis- Philippe, et, Ă  quelques jours de lĂ , il s'empressait de faire hommage de sa harangue... au roi de Prusse ! Voici la lettre qu'il Ă©crivit Ă  cette occasion au baron Alexandre de Humboldt, chambellan de S. M. FrĂ©dĂ©- ric-Guillaume IV 20 mars 1845. Vous avez bien voulu, monsieur le baron et illustre confrĂšre, me promettre que vous accepteriez de ma main Notre-Dame de Paris et ĂȘtre assez bon pour vous charger de Foffrir, en mon nom, Ă  votre auguste roi, pour lequel vous connaissez ma sympathie et mon admiration. Je joins k Notre-Dame de Paris mon discours si sĂ©rieux Ă  l'AcadĂ©mie. Je serais heureux que vous eussiez quelque plaisir Ă  accueillir cette marque de ma haute et profonde considĂ©ration. Victor Hugo. ‱ AprĂšs avoir dit et Ă©crit ces choses, — sous la mo- narchie,-— le pair de France du 15 avril 1845, quand 1 Moniteur du 22 juillet 1842, 416 VICTOR nuGO avant 1830 la rĂ©publique est venue, s'est fait rĂ©publicain. Soit. Dans cette Ă©tude consacrĂ©e au poĂšte, je m'abstiens de porter un jugement sur l'homme politique. Mais que M. Victor Hugo ait, en 1829, protestĂ© de sa fidĂ©litĂ©, de sa loyautĂ© et de son dĂ©vouement au roi Charles X ; qu'il ait dit, en 1842, au roi Louis-Philippe Sire^ Dieu et la France ont besoin de qu'il ait, en 1845, dĂ©posĂ© l'hommage de sa sympathie et de son admiration aux pieds du roi de Prusse ; qu'il ait bĂ©ni Vavenement de la reine Victoria au trĂŽne d'Angle- terre * et cĂ©lĂ©brĂ© le czar Nicolas, le noble et pieux empereur ^ ; — qu'il ait ensuite jetĂ© l'insulte Ă  tous les rois, qu'aprĂšs les avoir traitĂ©s de monstres^ de bandits, de tigres et de vampires, il les ait comparĂ©s Ă  des poux sur une souquenille immonde ; — et que main- tenant il nous veuille contraindre Ă  saluer l'unitĂ© de sa vie, la fixitĂ© de ses opinions, la fermetĂ© immuable de ses principes, cela, — qu'il nous permette de le lui dire, — cela CEST RAIDE '! i Le Rhin, t III, p. 288. 2 Ibid., t. III, p. 331. 3 Ce n'est pas un royaliste, c'est un rĂ©publicain qui a portĂ© sur M. Victor Hugo, homme politique, le jugement qu'on va lire M. Victor Hugo, en moins de vingt ans, a dĂ©roulĂ© sous nos yeux toute la sĂ©rie des apostasies politiques dont ce siĂšcle mobile et sans foi nous donne le spectacle ; parlĂ© hier dynastie, aujourd'hui rĂ©publique; prĂȘchĂ© l'ordre; hurlĂ© l'anarchie ; en- dossĂ© l'habit brodĂ© de pair de France et la blouse dĂ©mocratique ; promis son cƓur et sa foi Ă  tous les rĂ©gimes et reniĂ© les uns et les autres ; appelĂ© pro- grĂšs les variations d'un esprit que le nouveau captive ; cherchĂ© Ă  se faire un mĂ©rite d'une ambition poursuivant le pouvoir Ă  travers toutes les trans- formations gouvernementales ; commencĂ© la vie en courtisan; fini sa car- riĂšre on dĂ©magogue ; posĂ© en Dieu et en sans-culotte ; vĂ©cu contradictoire, outrecuidant, sceptique, pompeux, vide, sonore, finalement pĂ©nible Ă  contem- pler dans ses convulsions, qui ne sont peut-ĂȘtre encore qu'un effet littĂ©raire. » P ortraits politiques au XIX" siĂšcle, par Hippolyte Castille, 1857. CHAPITRE XII ĂŻ Gromwell. Uu dĂźuer au Rocher de Cancale. ĂŻalma soufflĂ© par M. Victor Hugo, — Un diner Ă  la Conciergerie. Comment Talma Ă©tait romantique. — La prĂ©face de Cromwell. Guillaume de Sclilegel, Mme de StaĂ«l, IManzoni et Stendhal. — Merle et les ac- teurs anglais Ă  la Porte-Saiut-Martin en 1822. Shakespeare aide de camp du duc de Wellington ! Les acteurs anglais Ă  l'OdĂ©on en 1827. Charles Kemble et miss Smithson. — Le drame de Cromwell. Imitations de Corneille, de Shakespeare, de Reguard^ de MoliĂšre, de Beaumarchais et de NĂ©pomucĂšne Remercier. — Qu'en 1827 Torquemada s'appelait Cromwell. I Le chapitre qui, dans Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, suit immĂ©diatement celui oĂč il est parlĂ© de VOde Ă  la Colonne, a pour titre Cromwell et dĂ©bute ainsi M. Taylor Ă©tait alors commissaire royal Ă  la ComĂ©die- Française. Il demanda Ă  M. Victor Hugo pourquoi il n'Ă©crivait pas pour le théùtre. — J'y pense, dit M. Victor Hugo. J'ai mĂȘme commencĂ© un drame sur Cromwell. — Eh bien, fmissez-le et donnez-le-moi. Un Cromwell fait par vous ne peut ĂȘtre jouĂ© que par Talma. Pour engager l'affaire, il rĂ©unit le poĂšte et le tragĂ©dien dans un dĂźner au Rocher de Cancale. 418 VICTOR HUGO AVANT 1830 Le dĂźner Ă©tait nombreux, mais MM. Victor Hugo et Talma, placĂ©s l'un Ă  cĂŽtĂ© de l'autre, pm'ent causer Ă  leur aise. Talma avait alors soixante-cinq ans ; il Ă©tait fatiguĂ© et malade ; il mourut quelques mois aprĂšs *. M. Victor Hugo place sa rencontre avec Talma Ă  l'Ă©poque de la publication de VOcle Ă  la Colonne, qui est du mois de fĂ©vrier 1827. En faisant mourir l'il- lustre tragĂ©dien quelques mois aprĂšs, il le fait mourir deux fois. Talma, en effet, Ă©tait dĂ©jĂ  mort l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, le 19 octobre 1826. Mais ne nous arrĂȘ- tons pas Ă  ce petit dĂ©tail et assistons Ă  la scĂšne entre le grand acteur et le grand poĂšte, telle que ce dernier nous la retrace. Talma, qui a trouvĂ© son chemin de Damas au Rocher de Ca?Ăźca/e, est converti au roman- tisme, et il confesse sa foi nouvelle avec l'ardeur d'un nĂ©ophyte — L'acteur n'est rien sans le rĂŽle, s'Ă©crie-t-il, et je n'ai jamais eu un vrai rĂŽle. Je n'ai jamais eu de piĂšce comme il m'en aurait fallu... Un personnage qui eĂ»t la variĂ©tĂ© et le mouvement de la vie, qui ne fĂ»t pas tout d'une piĂšce, qui fĂ»t tragique et familier, un roi qui fĂ»t un homme. Tenez, m'avez- vous vu dans Charles VI ? J'ai fait de l'effet en disant Da pain ! Je veux du pain ! C'est que le roi n'Ă©tait plus lĂ  dans une souffrance royale, il Ă©tait dans une souffrance .humaine. C'Ă©tait tragique et c'Ă©tait vrai ; c'Ă©tait la souverainetĂ© et c'Ă©tait la misĂšre ; c'Ă©tait un roi et c'Ă©tait un mendiant. La vĂ©ritĂ© ! voilĂ  ce que j'ai cherchĂ© toute ma vie. Mais que vou- lez-vous ? Je demande Shakespeare, on me donne Ducis^. Lorsque nous entendons Talma dĂ©biter cette tirade, 1 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II, p. 158. 'ilbid., t. II, p. 100. VICTOR UUGO AVANT 1830 419 toute retentissante du cliquetis des antithĂšses, nous sommes tentĂ©s de nous demander si le tragĂ©dien n'a pas ici un souffleur, — et quel souffleur ? M. Hugo lui-mĂȘme ! Mais Ă©coutons la suite — Personne, continue Talma, personne ne sait ce que j'au- rais Ă©tĂ© si j'avais trouvĂ© l'auteur que je cherchais. Je mourrai sans avoir jouĂ© une seule fois. Vous, monsieur Hugo, qui ĂȘtes jeune et hardi, vous devriez me faire un rĂŽle. Taylor m'a dit que vous faisiez un Cromwell. J'ai toujours eu envie de jouer Cromwell... Qu'est-ce que c'est que votre piĂšce ? Ça ne doit pas ressembler aux piĂšces des autres. — Ce que vous rĂȘvez de jouer, dit M. Victor Hugo, c'est justement ce que je rĂȘve d'Ă©crire. Et il exposa au tragĂ©dien quelques-unes des idĂ©es dont il allait faire la PrĂ©face de Cromwell le drame substituĂ© Ă  la tragĂ©die, l' au personnage, le rĂ©el au convenu, la piĂšce libre d'aller de l'hĂ©roĂŻque au positif; le style ayant toutes les allures, Ă©piques, lyriques, satiriques, graves, bouffonnes ; la suppression de la ti?mde et du vers Ă  effet ^ Sur les instances de Talma et des autres convives, Victor Hugo rĂ©cite deux scĂšnes de son Cro?nioell, celle oĂč Milton adjure le Protecteur de renoncer Ă  se faire roi et celle oĂč Cromwell interroge Davenant sur son voyage . Cette fois, ajoute M. Victor Hugo, on Ă©tait loin de la tra- gĂ©die ! A chaque dĂ©tail local, Ă  chaque touche de rĂ©alitĂ© franche, Talma applaudissait — A la bonne heure, c'est cela ! c'est ainsi qu'on parle ! Et la scĂšne finie, il tendit la main Ă  l'auteur en lui disant — DĂ©pĂȘchez-vous de finir votre drame, j'ai hĂąte de le jouer. * Victor Hugo raconU, etc., t. II, p. 160. 420 VICTOR nuGO ayant 1830 Quelque temps aprĂšs, Talma Ă©tait mort. M. Victor Hugo n'ayant plus d'acteur ne se pressa plus, et put donner Ă  son drame des dĂ©veloppements que n'aurait pas comportĂ©s la re- prĂ©sentation 1. Ne se pourrait-il pas que la mĂ©moire de M. Victor Hugo ait Ă©tĂ©, ici encore, involontairement infidĂšle ? M^e de StaĂ«l disait de Talma Il peut ĂȘtre citĂ© comme un modĂšle de hardiesse et de mesure, de na- turel et de dignitĂ©. 11 possĂšde tous les secrets des arts divers ; ses attitudes rappellent les belles statues de l'antiquitĂ© ; son vĂȘtement, sans qu'il y pense, est drapĂ© dans tous ses mouvements, comme s'il avait eu le temps de l'arranger dans le plus parfait repos. L'expression de son visage, celle de son regard, doivent ĂȘtre l'Ă©tude de tous les peintres. Quelquefois il arrive les yeux Ă  demi ouverts, et toiit Ă  coup le sentiment en fait jaillir des rayons de lumiĂšre qui semblent Ă©clairer toute la scĂšne. Le son de sa voix Ă©branle dĂšs qu'il parle, avant que le sens mĂȘme des paroles qu'il prononce ait excitĂ© l'Ă©motion... D'autres ont besoin de temps pour Ă©mouvoir, et font bien d'en prendre ; mais il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie, qui, dĂšs les premiers accents, rĂ©- veille toute la sympathie du cƓur -.» Et l'homme dont M^ de StaĂ«l parlait avec un tel enthousiasme, Talma, aurait dit Je mourrai mm avoir jouĂ© une seule fois! — Je n'ai jajnais eu un vrai rĂŽle, aurait-il dit encore, lui qui, dans les rĂŽles d'OEdipe et d'Oreste, d'Achille 1 Yictor Hugo racontĂ©, etc., t. Il, p. 16J. 2 De l'Allemagne, I'* partie, ch. xxvii. VICTOR HUGO AVANT 1830 421 et de Ginna, de Joad et de Manlius, de Macbeth, d'Othello et d'Hamlet, s'Ă©tait Ă©levĂ© jusqu'au sublime ! Tout cela, il le faut avouer, n'est guĂšre vraisemblable. J'ai peine Ă  croire aussi que Talma ait parlĂ© avec dĂ©dain de son vieil ami Ducis, pour le talent duquel il professait, au contraire, une grande estime On peut trouver, dit Mℱe de StaĂ«l, beaucoup de dĂ©fauts dans les piĂšces de Shakespeare adaptĂ©es par Ducis Ă  notre théùtre ; mais il serait bien injuste de n'y pas reconnaitre des beautĂ©s du premier ordre. Ducis a son gĂ©nie dans son cƓur, et c'est lĂ  qu'il est bien. Talma joue ses piĂšces en ami du beau talent du noble vieillard *. » — Quant Ă  la conversion de Talma au romantisme, elle cadre difficilement avec les tĂ©moi- gnages des contemporains et des amis du grand acteur. Le financier Ouvrard, Ă©troitement liĂ© avec lui depuis plus de trente ans et qui recevait frĂ©quem- ment ses visites dans la prison oĂč il passa cinq annĂ©es, afin d'ĂȘtre dispensĂ© de payer Ă  son associĂ© Seguin une somme de 5 millions, raconte ce qui suit, au tome fil de ses MĂ©moires Au mois de septembre 1826, Talma se trouvant Ă  la Con- ciergerie avec plusieurs personnes, Ă  la fin du dĂźner la conver- sation tomba sur le théùtre. — Que pensez-vous du romantique ? demanda l'un des convives Ă  Talma. — J'aime Je romantique, rĂ©pondit-il vivement, mais surtout celui de Racine. Nos auteurs vivants ne vont pas si loin que ce maĂźtre dans le genre. Racine ! Racine ^ !... 1 De r Allemagne, U' partie, ch. xxvn. 2 0 . Oxirard. t. III, p. 3o2. Paris, 1827. 24 422 VICTOR HUGO AVANT 1830 11 est un point du moins sur lequel il semble que M. Victor Hugo n'ait pu se tromper, c'est lorsqu'il nous dit que son drame de Cromwell avait Ă©tĂ© com- mencĂ© par lui en vue de la scĂšne, qu'il en destinait le rĂŽle principal Ă  Talma, et que c'est seulement aprĂšs la mort de ce dernier que, n'ayant plus cVacteur, il s'Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă  donner Ă  sa piĂšce des dĂ©veloppements que n'aurait pas comportĂ©s la reprĂ©sentation. Eh bien! mĂȘme sur ce point, je suis condamnĂ© Ă  contredire M. Victor Hugo. J'ai sous les yeux une lettre qu'il Ă©crivait Ă  son ami Adolphe de Saint-Valry, le 11 oc- tobre 1826, avant la mort de Talma, et j'y trouve ce passage relatif Ă  Cromwell Quant Ă  moi, mon ami, je travaille Ă  force Ă  ce que vous savez. J'ai fait deux actes de quinze cents vers chacun depuis votre dĂ©part. Je vis dans une retraite profonde, n'ayant d'en- tretien qu'avec les personnages imaginaires que je ressuscite pour mon plaisir. Je voudrais bien que ce fĂ»t aussi pour le vĂŽtre. Deux actes de quinze cents vers chacun, cela fait trois mille vers, si BarĂšme n'est pas trompeur ; — presque le double &' Andromaque et de PhĂšdre rĂ©u- nies. Les cinq actes Ă 'Andromaque n'ont que seize cent quarante-huit vers, et les cinq actes de PhĂšdre cinquante-quatre. Si Victor Hugo, du vivant mĂȘme de Talma, donnait Ă  son drame des dĂ©veloppe- ments aussi dĂ©mesurĂ©s, si dĂšs ce moment il donnait Ă  chaque acte de sa piĂšce les proportions d'une piĂšce entiĂšre, il est de foute Ă©vidence qu'il ne l'Ă©crivait pas vue du théùire et pour ĂȘtre jouĂ©e par Talma. Et VICTOR HUGO AVANT 1830 423 alors que reste-t-il de la scĂšne entre le tragĂ©dien et le poĂšte ? Le dĂźner au Rocher de Cancale n'est-il pas pour faire le pendant du souper chez W^^ Duches- nois * ? II Cromwell parut au mois de dĂ©cembre 1827, accom- pagnĂ© d'une longue prĂ©face qui nous montre Victor Hugo en pleine possession de son talent de prosateur. Verve, Ă©clat, nettetĂ©, vigueur, les plus rares et les plus brillantes qualitĂ©s de style se rencontrent dans ce morceau, restĂ© l'un des chefs-d'Ɠuvre de l'auteur, et qui, attaquĂ© avec violence par les tenants du clas- sicisme, fut accueilli avec enthousiasme par les adeptes de l'Ă©cole romantique. La prĂ©face de Cromwell, a dit ThĂ©ophile Gautier, rayonnait Ă  nos yeux comme les Tables de la loi sur le SinaĂŻ;, et ses arguments nous semblaient sans rĂ©plique^. » Aujourd'hui que la poussiĂšre du combat est tombĂ©e et que les questions soulevĂ©es par la cĂ©lĂšbre prĂ©face de 1827 ne sont plus de celles qui passionnent les esprits, nous pouvons les soumettre Ă  un examen calme et impartial. Le manifeste de Victor Hugo dĂ©biite par des consi- dĂ©rations gĂ©nĂ©rales sur la poĂ©sie et sur l'art. D'aprĂšs lui, aux trois Ăąges successifs de la sociĂ©tĂ©, * Voy. ci-dessus, chap. VIII, p, 267. 2 Histoire du romantisme, par ThĂ©ophile Gautier, p. 5. 424 VICTOR UUGO AVANT 1830 — les temps primitifs, les temps antiques et les temps modernes, — correspondent trois Ă©tats diffĂ©rents de la poĂ©sie. Aux temps primitifs, quand l'homme s'Ă©veilla dans un monde qui venait de naĂźtre, sa premiĂšre parole fut un hymne. L'ode fut toute sa poĂ©sie. Ce poĂšme, cette ode des temps primitifs, c'est la GenĂšse. Au second Ăąge de la civilisation, aux temps an- tiques, lorsque la tribu devint nation, lorsque l'his- toire commença, la poĂ©sie chanta les siĂšcles, les peuples, les empires. L'ode fait place Ă  l'Ă©popĂ©e ; Ă  la GenĂšse succĂšde VIliade. Avec le christianisme, une autre Ăšre commence pour le monde et pour la poĂ©sie. La religion chrĂ©- tienne, qui est complĂšte, parce qu'elle est vraie, .en- seigne Ă  rhomme qu'il a deux vies Ă  \ vre ; l'une passagĂšre, l'autre immortelle ; Tune de la terre, l'autre du ciel. Elle lui montre qu'il est double- comme sa destinĂ©e, qu'il y a en lui un animal et une intelli- gence, une Ăąme et un corps ; en un mot qu'il est le point d'intersection, l'anneau commun des deux chaĂźnes d'ĂȘtres qui embrassent la crĂ©ation, de la sĂ©rie des ĂȘtres matĂ©riels et do la sĂ©rie des ĂȘtres incorporels ; la premiĂšre, partant de la pierre pour arriver Ă  l'homme ; la seconde, partant de l'homme pour finir Ă  Dieu ^ ». La muse purement Ă©pique des anciens n'avait Ă©tudiĂ© la nature que sous une seule face, rejetant sans pitiĂ© de l'art tout ce qui, * PrĂ©face de Cromvell, p. 8. VICTOR HUGO AVANT 1830 423 dans le monde soumis Ă  son imitation, ne se rappor- tait pas Ă  un certain type du beau. Le christianisme amĂšne la poĂ©sie Ă  la vĂ©ritĂ©. Comme lui, la muse mo- derne accepte et fond dans une unitĂ© suprĂȘme ces deux natures de l'homme si disparates et si unies, l'Ăąme et les sens, l'esprit et la chair, l'immortel et le pĂ©rissable. Elle ne dĂ©double pas l'homme et le prend tout entier ; elle ne dĂ©double pas non plus la crĂ©ation au sein de laquelle le laid existe Ă  cĂŽtĂ© du beau, le difforme prĂšs du gracieux, le grotesque au revers du sublime. Estimant, qu'il ne lui appartient pas de rec- tifier Dieu, elle essaye, dans l'humble mesure de ses forces, de faire comme lui, et elle mĂȘle, elle aussi, dans ses Ɠuvres l'ombre Ă  la lumiĂšre, le grotesque au sublime, en d'autres termes le corps Ă  l'Ăąme, la bĂȘte Ă  l'esprit ; car le point de dĂ©part de la religion est toujours le point de dĂ©part de la poĂ©sie. Tout cela se tient * ». L'introduction dans la poĂ©sie d'un type nouveau, le grotesque, voilĂ , d'aprĂšs M. Victor Hugo, le trait caractĂ©ristique et profond qui distingue l'art moderne de l'art antique ; lĂ  et non ailleurs se trouve la diffĂ©- rence fondamentale qui sĂ©pare la littĂ©rature roman- tique de la littĂ©rature classique -. De ce principe dĂ©coulent de nombreuses et impor- tantes consĂ©quences. Ce type nouveau, le grotesque, donne en effet nais- sance Ă  une forme nouvelle, la comĂ©die. Mais de 1 PrĂ©face de 7ro»nceZZ, p. 11. 2 Ibid., p. 12. 24. 426 VICTOR HUGO AVANT 1830 mĂȘme qu'il serait impossible, sans mutiler l'homme, de mettre l'Ăąme d'un cĂŽtĂ© et le corps de l'autre^, de mĂŽme le but suprĂȘme de l'art ne peut ĂȘtre atteint qu'Ă  la condition de ne pas circonscrire le beau et le sublime dans la tragĂ©die, le laid et le grotesque dans la comĂ©die. L'Ă©quilibre ne s'Ă©tablit que si ces prin- cipes rivaux, le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragĂ©die et la comĂ©die, se fondent en- semble, sous un mĂȘme souffle, dans une mĂȘme Ɠuvre, qui est le drame. Le drame est le caractĂšre propre de la troisiĂšme Ă©poque de poĂ©sie, de la littĂ©- rature moderne il peint, tels qu'ils sont et sous tous leurs aspects, l'homme, la vie, la crĂ©ation; il unit les qualitĂ©s les plus opposĂ©es, il est tout Ă  la fois plein de profondeur et plein de relief, philosophique et pittoresque. . -1 S. - yicĂŻoii iiiGO 1830 437 AprĂšs une socondo reprĂ©sentation 2 aoĂ»t 1822, non moins orageuse que In premiĂšre, le théùtre de la Porte-Saint-Martin fut obligĂ© de renoncer Ă  sa tenta- tive. C'est le moment que Stendhal choisit pour entrer en lice et pour publier sa premiĂšre brochure sur Racine et Shakespeare. Le théùtre de FOdĂ©on entreprit, au mois de sep- tembre 1827, de renouveler l'Ă©preuve qui avait si mal rĂ©ussi Ă  la Porte Saint-Martin. Il donna ThospilalitĂ© Ă  une troupe de comĂ©diens anglais dont les premiers sujets n'Ă©taient rien moins que Charles Kemble et miss Smithson. Othello, cette fois, fut accueilli avec des transports d'enthousiasme, ainsi que RomĂ©o et Juliette et Hamlet. Miss Smithson Ă©tait particuliĂšre- ment admirable dans le rĂŽle d'OphĂ©lia \ La partie Ă©tait gagnĂ©e ; le public se prononçait pour Shakes- peare Victor Hugo choisit ce moment pour Ă©crire sa PrĂ©face, qui porte en etfet la date d'octobre 1827. Chose remarquable ! ce novateur a toujours marchĂ© derriĂšre le succĂšs. Si le retentissement de son mani- feste a Ă©tĂ© si considĂ©rable, c'est prĂ©cisĂ©ment parce que ce manifeste venait Ă  son heure ; c'est parce que l'auteur avait mis son admirable talent d'Ă©crivain au service d'idĂ©es acceptĂ©es dĂ©jĂ  par presque toute la jeunesse lettrĂ©e et applaudies chaque soir au théùtre. M. Victor Hugo, dans la prĂ©face de Cromwell, a eu i Histoire de l'OdĂ©on, par Paul Porel et Georges Monval, t. II, p. 98. — M. Charles Magnin publia dans le Globe, du 18 septembre 1827 au 10 juillet 1828, sur les reprĂ©sentations des acteurs anglais, une suite d'articles excel- lents, recueillis par leur auteur, en 1843, au tome II de ses Causeries et mi>- ditations historiques et littĂ©raires. 438 VICTOR HUGO AVANT 1830 l'honneur de sonner la victoire ; mais d'autres avant lui, Stendhal en tĂȘte, avaient somiĂ© la charge. IV Alors que la prĂ©face de Cromwell Ă©tait applaudie comme une scĂšne iVBamlet ou du Jtoi Lear, jouĂ©e par Gh, Kemble ou par Macready, le drame lui-mĂȘme n'obtenait guĂšre qu'un succĂšs d'estime. Les cinq actes de Cromwell n'ont pas moins de six mille cinq cents vers ! On connaĂźt le mot de Michaud sur un poĂšme Ă©pique, le Philippe-Auguste de Parse- val-Grandmaison, je crois, qui avait douze chants de mille vers chacun Douze mille vers ! Bon Dieu ! mais, pour les lire, il faudrait six mille hommes ! » Dieu me garde de comparer les vers de M. Victor Hugo Ă  ceux de M. Parseval-Grandmaison ; mais la vĂ©ritĂ© est qu'on ne lit pas beaucoup plus Cromwell que Philippe-Auguste. AprĂšs avoir, dans sa PrĂ©face, jetĂ© feu et flamme contre les unitĂ©s de temps et de lieu, M. Victor Hugo les observe toutes les deux dans sa piĂšce, ou peu s'en faut. Elle commence le 25 juin 1657, Ă  trois heures du matin, et finit le 26 Ă  midi voilĂ  pour l'unitĂ© de temps. Elle ne sort pas de Londres, et trois actes consĂ©cutifs, le second, le troisiĂšme et le quatriĂšme se passent Ă  White-Hall voilĂ  pour TunitĂ© de lieu. Quant Ă  l'unitĂ© d'action, l'auteur s'y conforme si rigoureusement, que son drame rĂ©alise l'idĂ©al de ce VICTOR HUGO AVANT 1830 439 qu'Aristote appelle le drame simple. La piĂšce tout entiĂšre se rĂ©duit Ă  une seule idĂ©e, Ă  une seule situation. Gromwcll se fera-t-il proclamer roi ? Et cette situation unique ne se dĂ©noue mĂȘme pas au cin- quiĂšme acte, puisque le dernier mot de la piĂšce est celui-ci Cromwell. Quand donc serai-je roi ? C'est le privilĂšge des romanciers, dit Walter Scott au premier chapitre de Kenilivorth, de placer le dĂ©but de leur histoire dans une auberge. M. Victor Hugo, qui avait tirĂ© un drame de ce roman de Walter Scott, ainsi que nous le verrons bientĂŽt, place le dĂ©but de son Cromivell dans une taverne, la taverne des Trois grues, PrĂšs de la halle au vin, Ă  l'angle des deux rues. Royalistes et rĂ©publicains, cavaliers et tĂȘtes-rondes y sont rĂ©unis pour aviser ensemble aux moyens de se dĂ©barrasser du Protecteur, alors Ă  l'apogĂ©e de sa puissance. Ils conspirent avec un tel fracas, que le fils de Cromwell, attirĂ© par le bruit, entre dans l'auberge, se proclame royaliste et boit A la santĂ© du roi Charles! Cependant le complot est formĂ©. Les puritains ont dĂ©cidĂ© qu'ils assassineraient Cromwell ; les cavaliers feignent d'entrer dans leur dessein, mais, pour se conformer aux ordres du roi, ils se rĂ©servent de faire prendre un narcodque au Protecteur, de l'enlever et de l'amener vivant au fils de Charles 1er. 440 VlCTOll IILGO AVANT 1830 Lord Rochester s'introduira auprĂšs de Cromwell, en qualitĂ© de chapelain, et lui versera le narcotique. Rochester se fait admettre sans peine Ă  White- Hall et s'acquitte d'abord Ă  merveille de son rĂŽle de chapelain ; mais s'Ă©tant avisĂ© de tomber amoureux de lady Francis, la plus jeune des filles du Protec- teur ce qui Ă©tait d'autant plus mal de sa part qu'il n'avait pas encore dix ans, puisqu'il Ă©tait nĂ© en 1648, et que le drame se passe en 1657 S il glisse dans la main de lady Francis un papier sur lequel il a Ă©crit certain madrigal, qu'il promĂšne depuis le commencement delĂ  piĂšce et dont il inflige la lecture Ă  tous les gens qu'il rencontre. Le malheur veut qu'il se soit trompĂ© de poche et qu'au lieu de contenir son madrigal, le maudit papier soit un avis adressĂ© par Rochester Ă  lord Ormond pour l'informer que tout va bien, que le poste de White-Hall est achetĂ© et que, le soir mĂȘme, Ă  minuit sonnant, il remettra entre ses mains Gronnvell endormi. Lady Francis donne le billet Ă  son pĂšre, qui fait boire au faux chapelain le narcotique prĂ©parĂ©, se dĂ©guise en soldat, se met en faction Ă  la poterne, laisse entrer les cavaliers et les prend comme dans une souriciĂšre. Le complot roya- liste ainsi dĂ©jouĂ©, il ne lui reste plus qu'Ă  s'asseoir, dans la grande salle de Westminster, sur le trĂŽne oĂč le Parlement l'invite Ă  prendre place. Milton lui crie, comme le devin Ă  Jules CĂ©sar Crains les ides de mars ! 1 Rochester John Wilinot, comte de a laissĂ© des satires et des poĂ©sies lĂ©gĂšres qui ne manquent ni de grĂ f^o ni d'esprit. NĂ© en'lOiS. i mourut en 1G80. VIC'l'OH IIL'GO 1830 AH Cromwell repousse la couronne que Toraieur du Parlement lui prĂ©sente, et pendant que les conjurĂ©s puritains jettent leurs poignards, il descend du trĂŽne en murmurant Quand donc serai-je roi ? Telle est Vact'wn qui occupe, sans les remplir, les cinq actes de CromweUj actes dĂ©mesurĂ©ment longs et singuliĂšrement vides, en dĂ©pit des emprunts que l'auteur a faits Ă  Corneille et Ă  Shakespeare, Ă  MoliĂšre et Ă  Regnard, Ă  Beaumarchais et Ă  Lemercier. Au troisiĂšme acte, Cromwell discute avec ses conseillers la question de savoir s'il doit ou non prendre la couronne. C'est, la situation d'Auguste dĂ©libĂ©rant avec Maxime et Cinna sur le mĂŽme sujet *. Rien ne montre mieux que la comparaison entre ces deux scĂšnes, quelle distance sĂ©pare M. Victor Hugo, malgrĂ© son incontestable gĂ©nie, de celui que U.^^ de SĂ©vignĂ© appelait noire vieil ami Corneille. — Au cinquiĂšme acte de Croimvelly les scĂšnes dans lesquelles l'auteur essaye de peindre le mouvement et les agitations de la foule sont imitĂ©es des scĂšnes de Jules CĂ©sar qui ont pour théùtre les rues et pour acteurs les citoyens de Rome ^. M. Victor Hugo y reste aussi loin de Shakespeare qu'il Ă©tait restĂ© loin de Corneille, dans la scĂšne imitĂ©e de Cinna. FidĂšle, cette fois, Ă  sa thĂ©orie, qui veut que, dans le drame, le grotesque ait sa place Ă  cĂŽtĂ© du sublime, la comĂ©die Ă  cĂŽtĂ© de la tragĂ©die, aprĂšs avoir demandĂ© des inspirations Ă  Corneille et Ă  Shakespeare, il en 1 Cinna, acte II, scĂšne i. 2 Jules CĂ©sar, acte I, scĂšnes i et u. 44^ VICTOR HUGO AVANT 4830 demande Ă  Regnard. Au moment oĂč lord Rochester se hasarde Ă  parler d'amour Ă  la fille de Gromwell, il prĂ©lude par cet apartĂ© D'abord, tournons la place avant de l'attaquer, Une fille est un fort, j'ai pu le remarquer. Les clins d'yeux qu'on lui fait, la mise recherchĂ©e, Les petits soins, les mots galants, sont la tranchĂ©e Qui s'avance en zigzag ; la dĂ©claration, C'est l'assaut ; le quatrain — capitulation * ! Et maintenant Ă©coutons Grispin, dans les Folies amoureuses Il faut d'abord savoir si, dans la forteresse. Nous nous introduirons par force ou par adresse...; Quand on veut, voyez-vous, qu'un siĂšge rĂ©ussisse. Il faut premiĂšrement s'emparer du dehors, ConnaĂźtre les endroits, les faibles et les forts. Quand on est bien instruit de tout ce qui se passe, On ouvre la tranchĂ©e, on canonne la place. On renverse un rempart, on fait brĂšche aussitĂŽt, On avance en bon ordre et l'on donne l'assaut... C'est de mĂȘme Ă  peu prĂšs quand on prend une fille 2. Dans la mĂȘme scĂšne, M, Victor Hugo passe de Regnard Ă  MoliĂšre, et, aprĂšs avoir mis Ă  contribution les Folies amoureuses, met Ă  profit V Ecole des Femmes. Pour sĂ©duire lady Francis, mylord Rochester recourt aux mĂȘmes moyens, se sert des mĂȘmes mots que la vieille femme emploie auprĂšs d'AgnĂšs pour la dĂ©cider Ă  recevoir Horace. Et lady Francis, qui tient sans 1 Cromwell, acte III, scĂšne vu, 2 Les Folies amoureuses, acte I, scĂšne vn. VICTOR HUGO AVANT 1830 443 doute Ă  montrer qu'elle aussi connaĂźt son MoliĂšre, fait les mĂȘmes rĂ©ponses qu'AgnĂšs, et presque dans les mĂȘmes termes. Vous vous rappelez l'entrĂ©e de Figaro au premier acte du Barbier de SĂ©ville Figaro^ une guitare sur le doSy attachĂ©e en bandouliĂšre avec un large ruban / il chantonne gaieĂźnent, un papier et un crayon Ă  la main. — // chante, puis il met un genou en terre et Ă©crit en chantant. — Au premier acte de Cromwell, lord Rochester ne fait pas autrement son entrĂ©e Lord Rochester entre gaiement^ un crayon et un papier Ă  la main. — // se met Ă  Ă©crire sur son genou et il chante. Dans sa rage d'imitation, l'auteur de Cromwell va jusqu'Ă  emprunter Ă  NĂ©pomucĂšne Lemercier le pro- cĂ©dĂ© dont celui-ci s'Ă©tait servi, dans la Panhypocri- siade, pour rendre le mouvement d'une foule sur le passage de François P^ ; VOIX DANS LA FOULE Rangez-vous ! place I place ! — HolĂ , ciel ! — Je rends l'Ăąme ! Au voleur !... — Insolent ! respectez une femme !... — On m'Ă©toufĂźe ! — Poussons ! enfonçons ! — Je le voi ! Vivat ! — Je suis rompu, mais j'ai bien vu le roi *. M. Victor Hugo rend, par les mĂȘmes moyens, le mouvement de la foule sur le passage de Cromwell VOIX DANS LA FOULE Dieu me protĂšge ! J'Ă©touffe ! — Attention ! Voici que le cortĂšge * La Panhypocrisiade, ou le Spectacle infernal du seiziĂšme siĂšcle, comĂ©die Ă©pique, par N. Lemercier. 4819. 444 viCTOU niiO avant 1830 DĂ©bouche dans la place. — Eiifm. — Ah !. . . . . . Qu'il fait chaud ! — Qu'on est mal ! — La foule encore aug- — On m'Ă©crase ! [mente. — Ah ! le voilĂ  ! — C'est lui ! — Voyons ! — Lui-mĂȘme ! — [Ah ! — Oh Ăź Gela n'a pas empĂȘchĂ© M. Victor Hugo, aprĂšs avoir ainsi pillĂ© ce pauvre NĂ©pomucĂšne Lemercier, de deve- nir son successeur Ă  l'AcadĂ©mie Ah ! doit-on hĂ©riter de ceux qu'on assassine? Est-ce donc Ă  dire que CromiveU soit une Ɠuvre sans mĂ©rite ? Nous sommes bien loin de le penser. Si l'intĂ©rĂȘt dramatique est faible ou plutĂŽt Ă  peu prĂšs nul, Ă©touffĂ© qu'il est, d'ailleurs, par la multiplicitĂ© des dĂ©tails, la longueur dĂ©mesurĂ©e des scĂšnes, l'abus incessant des tirades ; si Fauteur est entiĂšrement dĂ©- pourvu du gĂ©nie de l'invention, il possĂšde en revanche le gĂ©nie du style ; sa piĂšce est moins un drame qu'une Ă©tude pleine de vers Ă©nergiques, simples et na- turels, d'une grande et ferme allure. Dans une note, M. Victor Hugo s'Ă©lĂšve contre les beaux vers au théùtre Ce sont les beaux vers, dit-il, qui tuent les belles piĂšces ; » soit ; mais s'ils tuent les belles piĂšces, ils font vivre les mauvaises, — et c'est juste- ment lĂ  ce qui empĂȘchera celles de M. Victor Hugo de pĂ©rir. Je terminerai par une derniĂšre remarque ces obser- vations, trop longues peut-ĂȘtre, sur CromiveU. Nous avons vu, dans un prĂ©cĂ©dent chapitre, que l'auteur de Torquemada faisait dater les opinions qu'il VICTOF. IILGO A\A.\T I80O 445 professe aujourd'hui de raiinĂ©e 1827, Ă©poque ou il a eu Ăąge dlioinme i. Cromivell Ă©tant do la fin de 1827, il y a donc intĂ©rĂȘt Ă  recliercher si, lorsqu'il Ă©crivait ce drame, qui avait pour hĂ©ros un rĂ©gicide, M. Victor Hugo avait cessĂ© d'ĂȘtre royaliste. Bien loin qu'il en soit ainsi, son drame n'est qu'une longue satire contre la rĂ©publique. Il reprĂ©sente les puritains comme des pĂ©dants, des bouffons et des hypocrites. De Gromwell, leur chef, il fait un personnage gro- tesque, un rĂȘveur bavard, un bouffon cruel. Le Cromivell de M. Hugo a, presque Ă  chaque scĂšne, Ă©crivait dans le Globe M. Charles de RĂ©musat, un apartĂ© pour ses remords. Et quels remords ! ceux d'un rĂ©gicide !... M. Hugo paraĂźt s'ĂȘtre trop souvenu de ses propres opinions. Il a vu le rĂ©gicide en roya- liste. » Ce rĂ©publicain dont Bossuet avait parlĂ© du haut de la chaire chrĂ©tienne, devant le cercueil de la veuve de Charles W, avec une si admirable modĂ©- ration, M. Victor Hugo lui prĂȘte, dans son drame, toutes les hypocrisies et tous les ridicules ; il le montre dissertant gravement sur le point de savoir s'il faut briller ceux qui disent siboleth au lieu de schiboleth, ou si, au contraire, il n'est pas prĂ©fĂ©rable de les pendre. Gromwell, mĂ©ditant. La question est grave et veut ĂȘtre mĂ»rie. Prononcer siboleth, c'est une idolĂątrie. Crime digne de mort, dont sourit BelzĂ©buth. Mais tout supplice doit avoir un double but, 1 Voyez ci-dessus, chapitre XII, p. 4U3. i46 VICTOR HUGO AVANT 1830 Que pour le patient rhumanitĂ© rĂ©clame. En chĂątiant son corps, il faut sauver son Ăąme. Or quel est le meilleur de la corde ou du feu Pour rĂ©concilier un pĂ©cheur avec Dieu? Le feu le purifie Daniel s'Ă©pura dans le brĂ»lant triangle. Mais la potence a bien son avantage aussi ; La croix fut un gibet * ! On le voit, l'idĂ©e de mettre en scĂšne un homme qui envoie les hĂ©rĂ©tiques au bĂ»cher, pour sauver leurs Ăąmes, ne date pas d'hier chez M. Victor Hugo ; elle remonte Ă  1827. Seulement, cet homme alors ne s'ap- pelait pas ToRQUEMADA, il s'appelait Gromwell. * Acte ni. scĂšne ii. CHAPITRE XIV Amy Robsart. — M. Victor Hugo et Sainte-Beuve. Mort du gĂ©nĂ©ral Hugo. Son portrait. — Balzac et le ChĂąteau de Kenihcorth. Emilia et M^ie Mars. — Amy Robsart, drame, et le Menin du Dauphin, comĂ©die. — De l'art de ne pas ĂȘtre sifflĂ©. — Edition dĂ©finitive des Odes et Ballades. Jeux de rime renouvelĂ©s d'un chanoine et d'un pĂšre carme. — Sainte-Beuve et M. Victor Hugo en. 1828 et en 1829. Une lettre de faire part. Le baron Victor Hugo. Sunt lacrymse rerum. La VeillĂ©e. Les Consolations . En revenant du convoi de Gabrielle Dorval. — Election de Sainte-Beuve Ă  l'AcadĂ©mie. SĂ©ance du 27 fĂ©vrier 1845. Le puits de la savane Alachua. — Un Ă©lĂšve de David et le javelot de Tatius. I Le drame de Cromwell Ă©tait prĂ©cĂ©dĂ© de cette dĂ©di- cace A MON PÈRE Que le livide lui soit dĂ©diĂ© Comme Vauteur lui est dĂ©vouĂ©. V. H. Le livre avait paru depuis quelques semaines seu- lement, lorsque le gĂ©nĂ©ral Hugo mourut subitement, frappĂ© d'une apoplexie foudroyante, dans la nuit du 28 au 29 janvier 1828. 0 habitait rue Plumet, » lisons-nous au tome II de Victor Hugo racontĂ© par un ijK vie roi', HUGO . 1830 tĂ©moin de sa vie K La rue Plumet, situĂ©e au faubourg Saint-Germain, entre la rue de Babylone et la rue de SĂšvres, joue un grand rĂŽle dans le roman des MisĂ©- rables. Le livre Ille de la IV partie a pour titre la Maison de la me Plumet. Pour ĂȘtre tout Ă  fait exact, et sans attacher d'ailleurs Ă  cette petite rectification plus d'importance qu'il ne convient. Je dois dire que le gĂ©nĂ©ral Hugo habitait, non la rue Plumet, mais le n° 9 de la rue de Monsieur ^. — M. Paul Foucher, beau-frĂšre du poĂšte, a dit du gĂ©nĂ©ral Hugo, dans son livre les Coulisses du passĂ© Le gĂ©nĂ©ral aimait Ă  rire et ne haĂŻssait pas le propos leste. C'Ă©tait un homme excellent ; — au physique, replet et colorĂ©, et qui rappelait tout Ă  fait d'encolure Abel Hugo, son fils aĂźnĂ©, mort comme lui d'apoplexie ^ » Ses obsĂšques eurent lieu, le 31 janvier, Ă  l'Ă©glise des Missions-ÉtrangĂšres *. A peine avait-il conduit son pĂšre Ă  sa derniĂšre demeure, que les hasards, sou- vent cruels de la vie littĂ©raire, condamnaient M. Victor Hugo Ă  surveiller sur un théùtre les rĂ©pĂ©titions d'un drame en cinq actes et en prose dont il Ă©tait l'auteur. Balzac Ă©crivait un jour Ă  sa sƓur, U^^ Laure Sur- ville Je t'engage Ă  lire Kenilivorth, le dernier roman de Walter Scott ; c'est la plus belle chose du monde ^. » Victor Hugo, qui partageait sans doute l'enthousiasme de Balzac, avait entrepris, de concert 1 Page 173. ^Moniteur du 31 jan^ier 1S2S. 3 Les Coulisses du passĂ©, p. 367. 4 Moniteur, loc. cit. 5 Correspondance de H. de Balzac, t. I, p. 44. YICTOll lUGO AVANT 1830 i\\ avec son ami Soumet, crcxtraire une piĂšce de ce roman. Il se chargea d'Ă©crire les trois premiers actes, et Soumet les deux derniers. Toujours le premier prĂȘt, il lut ses trois actes Ă  son collaborateur ; mais des difficultĂ©s s'Ă©tant Ă©levĂ©es entre eux, chacun reprit son manuscrit et termina sa piĂšce Ă  sa façon. Soumet porta la sienne au Théùtre-Français, oĂč elle fut jouĂ©e, le i^^' septembre 1827, sous le titre cVEniilia. Emilia, c'Ă©tait Amy Robsart, l'hĂ©roĂŻne du ChĂąteau de Kenil- icorth. Gomme Walter Scott, Soumet lui avait bien donnĂ© le nom Ă ' Amy ; mais aux rĂ©pĂ©titions, lorsque M^^*" Mars Ă©tait arrivĂ©e Ă  cette phrase J'Ă©tais Amy elle disait Emy, suivant la prononciation anglaise, j'Ă©tais Amy quand il m'aimait, » un Ă©clat de rire gĂ©nĂ©ral avait fait renoncer Ă  Amy, qui fut remplacĂ©e \i^v Emilia. GrĂące au talent de W^^ Mars et Ă  l'intĂ©rĂȘt du sujet, la piĂšce de Soumet rĂ©ussit. Deux autres théùtres reprĂ©sentĂšrent des piĂšces tirĂ©es du roman de Walter Scott. Tandis qu'Ă  la Porte- Saint-Martin, on jouait un gros mĂ©lodrame intitulĂ©, comme le roman lui-mĂȘme, le ChĂąteau de Kenilworth, rOpĂ©ra-Gomique donnait Lekester, paroles de Scribe et musique d'Auber. Yictor Hugo hĂ©sitait Ă  jouer sa premiĂšre partie au théùtre avec une piĂšce dont le sujet ne lui apparte- nait pas et avait Ă©tĂ© dĂ©jĂ  portĂ© plusieurs fois Ă  la scĂšne. A la lin de 1827, cependant, il se dĂ©cida Ă  tenter l'aventure ; mais dans la crainte d'un Ă©chec, il lit prĂ©senter son drame Ă  l'OdĂ©on par son beau- frĂšre Paul Foucher, ĂągĂ© de dix-sept ans Ă  peine et 450 VICTOR HUGO AVANT 1830 frais Ă©moulu du collĂšge ^ Le directeur du théùtre, Thomas Sauvage, sachant parfaitement quel Ă©tait le vĂ©ritable auteur, reçut la piĂšce et s'empressa de mettre ses meilleurs acteurs Ă  la disposition... du beau-frĂšre du jeune Paul Foucher. Rien ne fut nĂ©gligĂ© pour assurer le succĂšs ; les costumes furent dessinĂ©s par EugĂšne Delacroix, et le 13 fĂ©vrier 1828 l'affiche du second Théùtre-Français annonça AMY ROBSARTy drame en cinq actes et en prose, tirĂ© du CHATEAU DE KENILWORTH, roman de sir Walter Scott. Yoici quelle Ă©tait la distribution des rĂŽles Leicester 3ÎM. Lockroy. Varney Provost. Alasco ThĂ©nard. Sir Robsart Auguste. Flibbertigibbet . . . . Doligny. Sussex Paul. Poster MĂ©nĂ©trier. La reine Elisabeth. . . Mmes Charton. Anna. AnaĂŻs. Jeannette Dorgebray. On lit, dans Victor Hugo racontĂ© par un tĂ©moin de sa vie, que Bocage jouait dans Amy Robsart^. C'est une erreur. La reprĂ©sentation, qui dura prĂšs de cinq heures, fut des plus orageuses. Le lutin en cage avec la 1 Paul Foucher, nĂ© le 21 avril 1810, mort le 24 janvier 1875. Sorti au mois d'aoĂ»t 1827 du collĂšge Henri IV, en mĂȘme temps que son ami Alfred de Musset, il dĂ©buta seulement en 1830 par un drame en quatre actes et en vers intitulĂ© Yseult Rahnbauld. 2 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II. p. 178. VICTOR HUGO AVANT 4830 451 colombe tombĂ©e dans la serre du vautour; — la brebis lancĂ©e dans la fosse aux loups ; — le tigre se donnant tout entier, sang et cervelle, etc., etc. » Ces phrases et bien d'autres provoquĂšrent des rires et des sifflets *. Le bruit alla grandissant d'acte en acte, et la piĂšce se termina au milieu d'un tumulte indescrip- tible. La RĂ©union, journal des spectacles, disait le lende- main L'auteur de ce drame barbaro-amphigouri- romantique a mis une fois de plus le roman du ChĂą- teau de Kenilworth en piĂšce, mais il s'est arrangĂ© de façon Ă  le rendre mĂ©connaissable. » Le Journal des DĂ©bats Ă©crivait de son cĂŽtĂ© On a jouĂ© hier, Ă TOdĂ©on, un drame historique en cinq actes, intitulĂ© Amy Rohsart, sujet empruntĂ© au ChĂąteau de Kenil- worth, de sir Walter Scott, et qui, dĂ©jĂ  traitĂ© sur trois théùtres diffĂ©rents, reparaissait pour la quatriĂšme fois sans autre avan- tage que d'avoir Ă©tĂ© allongĂ© outre mesure et dĂ©parĂ© par une foule de locutions triviales. Les sifflets et les Ă©clats de rire ont fait justice de cette vieille nouveautĂ© 2. MĂȘme note' dans le Moniteur On avait prĂ©dit Ă  ce drame un succĂšs extraordinaire ou une chute complĂšte. Ce n'est point la premiĂšre prĂ©diction qui s'est vĂ©rifiĂ©e. L'opposition s'est manifestĂ©e dĂšs le premier acte ; et Ă  la fin de la reprĂ©sentation, le nom de l'auteur n'a pu ĂȘtre prononcĂ© ou du moins entendu. Ce succĂšs de l'Ă©cole shakes- pearienne n'est pas de nature Ă  enhardir les imitateurs, on peut mĂȘme rendre grĂące Ă  l'auteur qui, sans le savoir, a rendu un service rĂ©el au bon goĂ»t. Au reste, que parlait-on d'origi- * Histoire de l'OdĂ©on, par Paul Porcl et Georges Monval, t. II, p. 104. 2 Journal des DĂ©bais du lo fĂ©vrier 1828. io2 VICTOU UUliO AVANT 1830 nalitĂ©, d'inventions, de hardiesses ? Quel mĂ©rite d'originalitĂ© y a-t-il Ă  prendre un roman, Ă  le couper en actes et en scĂšnes, Ă  s'emparer des parties les plus remarquables du dialogue et Ă  se tromper au point de croire que tout ce qu'un romancier Ă©cossais a pu mettre dans la bouche de ses personnages peut' ĂȘtre entendu sur la scĂšne française ? Quelle hardiesse que celle qui consiste Ă  rĂ©unir l'affectation de l'enflure Ă  la prĂ©tention, Ă  la recherche de la trivialitĂ© ? Est-ce lĂ  le naturel qu'on nous promet, la vĂ©ritĂ© qu'on prĂ©tend avoir trouvĂ©e ? Encore si de ce systĂšme il naissait des impressions vives, des Ă©motions pro- fondes ; mais ce qu'il y a eu de plus profond Ă  cette reprĂ©sen- tation, c'est un ennui de quatre heures, dont la derniĂšre est employĂ©e Ă  contempler des tableaux que commence Ă  dĂ©dai- gner le monde du mĂ©lodrame. Plaignons le talent qui volon- tairement s'Ă©gare de la sorte ; nous aimerions Ă  le reconnaĂźtre, Ă  le suivre, Ă  le seconder dans une autre direction *. Le Figaro est, de tous les journaux, celui qui donne le plus de dĂ©tails sur la soirĂ©e du 13 fĂ©vrier 1828. A quoi devait s'attendre, Ă©crivait-il, un auteur qui venait rĂ©pĂ©ter, mot pour mot, un roman qui est dans la mĂ©moire de tout le monde ? Que pouvait faire un spectateur repoussĂ© par ses souvenirs mĂȘmes, et qui ne se rappelait pas sans regret les moments dĂ©licieux passĂ©s, au coin de son feu, Ă  lire les mal- heurs d'Amy Robsart, les infamies de Varney, les fureurs d'Elisabeth, et tant de dĂ©hcieuses et idĂ©ales descriptions, tant de saillies spirituelles, tant d'aventures pleines d'intĂ©rĂȘt et de charme, qui disparaissaient tout entiĂšres pour la plupart ou qu'on revoyait privĂ©es de leur coloris, de leur charme, Ă  peu prĂšs comme ces plantes exotiques qui perdent toute leur beautĂ© dans les serres de nos amateurs?... Si l'auteur n'a pas eu de succĂšs, qu'il ne s'en prenne qu'Ă  lui-mĂȘme. La piĂšce a Ă©tĂ© montĂ©e avec un soin extrĂȘme... Rien 1 Moniteur du 15 fĂ©vrier 1828. VICTOR HUGO AVANT 1830 453 n'est beau, rien n'est exact comme les costumes. Les acteurs ont fort bien jouĂ© pour la plupart. Nous devons surtout des Ă©loges au jeune Lockroy *, Ă  Provost, acteur plein d'inLelli- gence et d'esprit -, Ă  Doligny, qui est fort bien d'un bout Ă  l'autre ; enfin Ă  Mue AnaĂŻs ^, qui mĂ©ritait, sans nul doute, un destin plus heureux. Mlle CharLon ^, qui avait rempli avec beaucoup d'Ă me et de feu le rĂŽle d'Elisabeth, s'est trouvĂ©e sĂ©rieusement indisposĂ©e Ă  la fin de la piĂšce. Le cinquiĂšme acte, terminĂ© par un coup de théùtre d'un bel effet, avait un peu dĂ©sarmĂ© la rigueur du parterre. Le tumulte a pourtant empĂȘchĂ© Provost de livrer au public le nom de l'auteur. C'est un trĂšs jeune homme qui donne des espĂ©rances. M. Victor fiugo n'est pour rien dans la com- position de cet ouvrage. Ceci soit dit Ă  l'adresse des gens qui Ăše rĂ©unissaient hier pour lui imputer l'Ɠuvre nouvelle ‱">. Le Figaro, qui n'a jamais passĂ© pour naĂŻf, mĂȘme quand il Ă©tait jeune, croyait il vraiment que M. Victor Hugo n'Ă©tait pour rien dans la composition Ă 'Âmy Robsari? Il y Ă©tait, au contraire, pour tout. Paul Foucher n'en avait pas Ă©crit une seule ligne ; nous en fournirons la preuve tout Ă  l'heure. Puisque sa piĂšce Ă©tait tombĂ©e, M. Victor Hugo ne devait pas souffrir que les soup- çons s'Ă©garassent sur un autre nom que ht sien ; il devait avouer hautement son Ɠuvre ; telle Ă©tait la iLockroy Joseph-Philippe Simon, dit, nĂ© Ă  Turiu lo 17 oclobio 1803, avait dĂ©butĂ©, le 11 octobre 18i7, par le rĂŽle de LorĂ©dan, dans les VĂȘpres siciliennes. 2 Provost, nĂ© Ă  Paris en 1798, sociĂ©taire de la ComĂ©die-Française, movt le 24 dĂ©cembre 18G5. 3M'ie AnaĂŻs Aubert, nĂ©e en 1802, sociĂ©taire de la ComĂ©die-Française, mor!c en 1871. * Victime d'un acte de vengeance et dĂ©figurĂ©e par Teau-forte, M''» Charlon disparut rapidement de la scĂšne, vĂ©cut pauvre, oubliĂ©e, et mourut le 27 juillet 1872. {Histoire de l'Oééon, t. II, p. llo. s Figaro du U fĂ©vrier 1x28. 45 i VlCTOlĂź HUGO AVANT 1830 seule conduite qu'il eĂ»t Ă  tenir. Est-ce lĂ  celle qu'il a tenue ? Lorsque la toile se releva, aprĂšs le cinquiĂšme acte, l'un des acteurs, Provost, s'avança sur la scĂšne et annonça que le drame que l'on venait de reprĂ©senter Ă©tait... de M. Paul Foucher. Le tumulte Ă©tait tel, que personne n'entendit le nom. Il importait cependant de faire taire les gens » qui se permettaient d'attribuer Airry RobsaH Ă  l'auteur de Cromwell. Aussi, dĂšs le matin du 14 fĂ©- vrier, les affiches du second Théùtre -Français indi- quaient-elles M. Paul Foucher comme auteur de la piĂšce sifflĂ©e la veille. Le nom de l'auteur, inutile- ment proclamĂ©, disait le Journal des DĂ©bats, serait encore un mystĂšre, si l'affiche de ce jour ne trahissait son incognito. Il s'appelle M. Paul Foucher ^ » Cette fausse indication ne pouvait ĂȘtre le fait du directeur de l'OdĂ©on, lequel avait tout intĂ©rĂȘt Ă  mettre sur ses affiches le nom de VICTOR HUGO ; car, avec ce nom dĂ©jĂ  illustre et qui passionnait alors les esprits, il Ă©tait assurĂ© d'avoir un certain nombre de reprĂ©sentations, bruyantes peut-ĂȘtre, mais fruc- tueuses. Pour qu'il se fĂ»t rĂ©signĂ© Ă  remplacer le nom de l'auteur vĂ©ritable par celui d'un collĂ©gien Ă  peine sorti des bancs, le nom de Victor Hugo par celui de Paul Foucher, il fallait Ă©videmment qu'il y eĂ»t un ordre exprĂšs venu de Victor Hugo lui-mĂȘme. Ce der- nier adressait d'ailleurs Ă  tous les journaux, ce mĂȘme jour, 14 fĂ©vrier, la lettre suivante * Journal des DĂ©bats du fĂ©vrier 1S28. VICTOR HUGO AVANT 1830 455 Paris, le 14 fĂ©vrier 1828. Monsieur le rĂ©dacteur, Puisque la, TĂ©ussiie cVA^ny Robsart, dĂ©but d'un jeune poĂšte, dont les succĂšs me sont plus chers que les miens, a Ă©prouvĂ© une si vive opposition, je m'empresse de dĂ©clarer que je ne suis pas absolument Ă©tranger Ă  cet ouvrage. Il y a dans ce drame quelques mots, quelques fragments de scĂšnes qui sont de moi, et je dois dire que ce sont peut-ĂȘtre ces passages qui ont Ă©tĂ© le plus siffles. Je vous prie, monsieur, de publier cette rĂ©clamation dans votre numĂ©ro de demain et d'agrĂ©er, etc. Victor Hugo. P. S. L'auteur a retirĂ© sa piĂšce *. Comment douter, aprĂšs cette lettre et devant des affir- mations aussi prĂ©cises, que la piĂšce ne fĂ»t effectivement l'Ɠuvre de M. Paul Foucher, et que M. Victor Hugo n'y fĂ»t pour rien ou presque rien quelques mots » seulement et quelques fragments de scĂšnes ? » Et cependant la vĂ©ritĂ© est que ce pauvre Paul Foucher Ă©tait absolument Ă©tranger Ă  cet ouvrage^ dont il n'avait pas Ă©crit un traĂźtre mot, et qui Ă©tait tout entier de Victor Hugo seul. Ce dernier l'a reconnu, un peu tard, il est vrai, dans YĂŻctor Hugo racontĂ© 'par un tĂ©moin de sa vie ^ ; et, de son cĂŽtĂ©, Paul Foucher^ — Ă  qui son illustre beau-frĂšre avait fait jouer, en cette occasion, le rĂŽle de ces menins du Dauphin qui, s'il faut en croire la lĂ©gende, recevaient le fouet quand * Journal des DĂ©bats et Figaro du 15 ; Moniteur du 17 fĂ©vrier 1828. 2 Victor Hugo racontĂ©, etc., t. II, p. 175. io6 YiCTOi! HUGO an' 1830 Monseigneur avait commis quelque sottise, — est revenu sur cet Ă©pisode dans son livre intitulĂ© / Coulisses du passĂ©, et il l'a fait en ces termes Amy Robsart fut accueillie par des tempĂȘtes dans son unique reprĂ©sentation Ă  TOdĂ©on. Oii sait que le vĂ©ritable auteur me fit l'homieur je sortais Ă  peine du collĂšge de m'attribuer ce drame pour lequel EugĂšne Delacroix, grand ami des roman- tiques, avait dessinĂ© de trĂšs beaux costumes... Si j'ai reparlĂ© de cett^ chute cĂ©lĂšbre, ce n'est pas par amour-propre d'auteur, je ne fis que la signer ; c'est pour un simple avis au public. Le manuscrit a Ă©tĂ© Ă©garĂ©, et n'a jamais pu se retrouver ni Ă  rOdĂ©on ni au MinistĂšre. On dit pourtant qu'il est quelque part. Dans ce cas, j'adjure le dĂ©tenteur de se dĂ©clarer. Qui sait ? Il y aurait peut-ĂȘtre quelque intĂ©rĂȘt Ă  remonter l'ouvrage aujourd'hui... L'idĂ©e peut ĂȘtre bonne ou mauvaise ; dans tous les cB,s, pour ma part, elle est complĂštement dĂ©sintĂ©ressĂ©e'^. Suivant M. Paul Toucher, Amy Robsart n'a eu qu'une seule reprĂ©sentation. D'aprĂšs M. Victor Hugo, au contraire, elle en aurait eu plusieurs. Il dit, en effet, dans son autobiographie, Ă  propos de sa lettre aux journaux, — que d'ailleurs il ne reproduit point Ce fut pour la piĂšce une rĂ©clame involontaire. Les jeunes gens, qui ne s'Ă©taient pas dĂ©rangĂ©s pour une piĂšce non avouĂ©e, accoururent alors ; ils applaudirent, les sifflets redoublĂšrent, l'agitation du parterre s'Ă©ten- dit dans le quartier latin le gouvernement intervint et interdit la piĂšce -. » Ces reprĂ©sentations dont on ne nous dit pas le nombre, la jeunesse des Ă©coles qui * Les Coulisses du passĂ©, p. 24o. 2 Victor Hugo racontd, t. Il, [. 178. VIGTOU HUGO AVA.\T 1830 157 prend fou pour Anuj Iiobsari, le quarlior lalin qui s'agite, le gouvernement qui prend peur et qui inter- dit le drame, tout cela est du roman pur. Le gouver- nement n'interdit point la piĂšce ; elle fut retirĂ©e par t auteur lui-mĂȘ7ne, dĂšs le 14 fĂ©vrier, ainsi que l'Ă©tablit la lettre de M. Yictor Hugo, que nous avons citĂ©e tout Ă  l'heure. Elle ne fut jouĂ©e qu'une fois d'ac- cord avec M. Paul Foucher, MM. Porel et Monval, dans leur Histoire de i'OdĂ©on, le constatent piĂšces en mains *. II M. Victor Hugo n'Ă©tait pas pour rester longtemps sur son Ă©chec. Au mois d'aoĂ»t 1828, il publia l'Ă©dition dĂ©finitive des Odes et Ballades. A cette Ă©dition, qui comprenait toutes les piĂšces publiĂ©es dans les trois volumes de 1822, 1824 et 1826^ moins cependant V Hymne oriental^, l'auteur avait ajoutĂ© dix piĂšces nouvelles, sans compter rOde Ă  la Colonne de la place VendĂŽme. Yoici la liste de ces dix piĂšces, avec la date de leur composition Premier soupir [dĂ©cembre 1819. La Demoiselle mai 1827 ; A Madame la comtesse A. -H. et A mon cmd dĂ©cembre 1827. 1 Histoire do VOdĂ©on. t. II. p. 105. 2 Voy. fi-Uessus, rh. XII, [>. o'Jo. 26 458 VICTOR UUGO A\ANT 1830 La C liasse du ^wr^rai;^ janvier 1828; le Pas fVarrnes du roi Jean avril 1828 ; Fin mai 1828 ; Pluie d'Ă©tĂ©, RĂȘves et la LĂ©gende de la No7ine juin 1828. Ainsi complĂ©tĂ©es, les odes Ă©taient au nombre de soixante-douze^, et les ballades, au nombre de quinze. Dans l'Ă©dition de 1828, restĂ©e le modĂšle de toutes les Ă©ditions suivantes, ces soixante-douze odes sont divisĂ©es en cinq livres. Les trois premiers contiennent les odes politiques, partagĂ©es elles-mĂȘmes en trois groupes, allant, le premier de 1818 Ă  1822, le second de 1822 Ă  1824, le troisiĂšme de 1824 Ă  1828. Le quatriĂšme livre est consacrĂ© aux sujets de fan- taisie, et le cinquiĂšme Ă  des traductions d'impressions personnelles. Ce dernier livre, oĂč se trouvent les piĂšces Encore Ă  toi, Son nom, Actions de grĂąces, VOmbre cVun enfant, le Portrait d'une enfant, A une jeune fille, forme un poĂšme dĂ©licieux, le plus achevĂ© qui soit sorti de la plume de M. Victor Hugo. Il a fait depuis de plus beaux vers, plus puissants, plus Ă©clatants et plus sonores ; il n'en a pas Ă©crit de plus doux, de plus frais et de plus purs; il s'est montrĂ© depuis plus grand artiste, jamais il n'a Ă©tĂ© plus poĂšte. Quelques-unes des piĂšces publiĂ©es pour la premiĂšre fois dans cette Ă©dition nous arrĂȘteront un instant. Dans celle qui a pour titre Fin, et qu'il Ă©crivit au mois de mai 1828, pour servir d'Ă©pilogue Ă  ses odes politiques, M. Victor Hugo affirme une fois de plus ses principes royalistes et sa haine de la rĂ©volution. Une des strophes commence ainsi VICTOR HUGO AVANT 1830 459 Des rĂ©volutions j'ouvrais le gouffre immonde. L'ode A Madame la comtesse fut composĂ©e par le poĂšte, Ă  Toccasion du mariage de son frĂšre Abel avec M^e Julie Duvidal de Montferrier Ah ! puisse dĂšs demain se lever sur tes jours Un bonheur qui jamais ne s'Ă©clipse, et toujours Brille plus beau qu'un rĂȘve mĂȘme ! Vers le ciel Ă©toile laisse monter nos vƓux. Dors en paix cette nuit oĂč nous veillons tous deux, Moi qui te chante, et lui qui t'aime ! L'ode A mon ami consacrait l'amitiĂ© ardente, enthousiaste, qui unissait, Ă  la fin de 1827, Victor Hugo et Sainte-Beuve. Viens, disait au chantre de Joseph Delorme le poĂšte des Odes et Ballades, Viens, joins ta main de frĂšre Ă  ma main fraternelle ; PoĂšte, prends ta lyre ; aigle, ouvre ta jeune aile ; Etoile, Ă©toile, lĂšve-toi ! Les deux amis n'habitaient plus la rue de Vaugi- rard * ; ils Ă©taient venus, au printemps de 1827, de- meurer tous les deux rue Notre-Dame-des-Ghamps, Victor Hugo au n'' i\, Sainte-Beuve au n° 19. Leur intimitĂ©, Ă  ce moment, Ă©tait telle, qu'ils se voyaient deux fois le jour. C'Ă©tait l'Ă©poque oĂč Sainte-Beuve Ă©crivait et publiait dans le Globe les articles sur la PoĂ©sie française au seiziĂšme siĂšcle, qui parurent en volume TannĂ©e sui- 1 Voy. ci-dessus, ch. XII, p. 404. 460 VICTOR HUGO AVANT 1830 vante, au mois de juin 1828*. Le jeune et savant critique, touT en subissant sur plus d un point la domination de celui qu'il appelait yiotre grand Victor^, avait exercĂ© sur lui, Ă  son tour, une in- fluence considĂ©rable. Il le fit pĂ©nĂ©trer dans l'inti- mitĂ© des poĂštes de la plĂ©iade et en particulier de Ronsard. Il est remarquable, en effet, que Victor Hugo n'essaya des formes poĂ©tiques nouvelles, ne substitua au vers rĂ©gulier la cĂ©sure mobile et le libre enjambement qu'Ă  partir de 1827, c'est-Ă -dire aprĂšs sa liaison avec Sainte-Beuve. La Chasse du Bur grave, le Pas d'armes du roi Jean, sont de 1828. N'est-il pas per- mis de conjecturer que ces piĂšces, oĂč l'auteur se crĂ©e Ă  plaisir des difficultĂ©s dont il triomphe avec une Ă©ton- nante souplesse, ont Ă©tĂ© Ă©crites aprĂšs une conversa- tion oĂč le critique lui avait montrĂ©, chez les poĂštes dont il faisait son Ă©tude journaliĂšre, de semblables jeux de rime? Dans la Chasse du Burgrave, par exemple, Victor Hugo rĂ©pĂšte la syllabe finale du vers, de façon Ă  produire l'effet d'un Ă©cho Mon page, emplis mon escarcelle, Selle Mon cheval de Calatrava ; Va! Un des poĂštes de la plĂ©iade, Joachim du Bellay, 1 Ces artirles parurent dans le Glche. Ă  partir du 7 juillet 1827 et durant les mois suivants. 2 Pour ĂȘtre aimĂ©s toujours de notre grand Victor... Les Consolations, xix. VICTOR UUGO AVANT 1830 461 avail dil de mĂȘme, en parlant des douleurs que lui causait l'amour Qu'Ă©lais-je avant d'entrer dans ce passage ? Sage. Et maintenant que sens-je en mon courage? Rage. Qu'est-ce qu'aimer et s'en plaindre souvent ? Yent. Etc., etc. En mĂȘme temps que du Bellay, chanoine de Notre- Dame de Paris, Victor Hugo, dans la Chasse du Bur- grave, imitait encore Tauteur du poĂšme de Magde- leine au dĂ©sert de la Sainte-Baume en Provence , le pĂšre Pierre de Saint-Louis^ religieux carme. Dans ce poĂšme, Magdeleine avait avec l'Ă©cho de longues con- versations, dont voici un spĂ©cimen Quels furent donc mes yeux Ă  ceux des regardants ? Ardents. De qui suivait les pas autrefois Madeleine ? D'HĂ©lĂšne. Que me fera l'Ă©poux dans sa cour souveraine ? Reine. Et que donne le monde aux siens le plus souvent Vent. Que dois-je vaincre ici sans jamais relĂącher? La chair. Qui fut cause des maux qui me sont survenus ? VĂ©nus. AprĂšs s'ĂȘtre ainsi continuĂ© longtemps, le dialogue se termine par ces vers Pourrais-je quelque jour aller tout droit Ă  Dieu Adieu. 26. 462 VICTOR HUGO AVANT 1830 Lorsque les jeunes romantiques de 1828 allaient rĂ©pĂ©tant la Chasse du Burgrave et, se pĂąmant d'ad- miration devant ces rimes redoublĂ©es, y voyaient une innovation merveilleuse, qu'auraient-ils pensĂ© si on leur eĂ»t dit que le maĂźtre ici n'Ă©tait lui-mĂȘme qu'un Ă©cho, — l'Ă©cho d'un chanoine et d'un pĂšre Carme ? III Les relations de Victor Hugo et de Sainte-Beuve, en ces derniĂšres annĂ©es de la Restauration, forment un des Ă©pisodes les plus intĂ©ressants de l'histoire du roman- tisme, et il convient d'en dire encore quelques mots. Les deux poĂštes, Ă  cette date de 1828-1829, au len- demain des Odes et Ballades et de Joseph Delorme, Ă  la veille des Consolations et des Feuilles d'automne, n'Ă©taient pas seulement deux amis se voyant chaque jour, Ă©changeant leurs pensĂ©es et leurs vers, se cĂ©lĂ©- brant l'un l'autre avec un enthousiasme lyrique; c'Ă©taient deux frĂšres vivant ensemble au mĂȘme foyer et, s'ils n'avaient pas mĂȘme gĂ©nie, ayant mĂȘme Ăąme et mĂȘme cƓur. Si Ă©troite Ă©tait leur union, qu'aprĂšs deux jours passĂ©s Ă  la campagne loin de son ami, Sainte-Beuve lui Ă©crivait, en mĂȘme temps qu'Ă  M"^" Victor Hugo Vous dont j'embrasse en pleurs et le seuil et Tautel, Êtres chers, objets purs de mon culte immortel. Oh ! dussiez-vous de loin, si mon destin m'entraĂźne, M'oublier, ou de prĂšs m'apercevoir Ă  peine, VICTOR HUGO AVANT 1830 463 Ailleurs, ici, toujours vous serez tout pour moi ; — Couple heureux et brillant, je ne vis plus qu'en toi *. Lorsque l'auteur de Cromivell voulut, en 1829, publier, chez le libraire Charles Cosselin, une Ă©di- tion complĂšte de ses Ɠuvres, ce fut Sainte-Beuve qui se chargea de rĂ©diger le prospectus. Il y a, Ă©crivait- il longtemps aprĂšs, tel prospectus des ƒuvres de Victor Hugo en 1829, chez Gosselin signĂ© AmĂ©dĂ©e Pichot, et oĂč Wordsworth est citĂ© sur Shakespeare, qui est de moi '. » Sainte-Beuve ne s'en tenait pas Ă  ces petits services d'ami ; il s'associait avec une tendresse, avec des effusions de cƓur dont son recueil des Consolations porte la trace Ă  chaque page, Ă  toutes les joies et Ă  tous les deuils de la famille de M. Victor Hugo deve- nue vĂ©ritablement la sienne, comme le prouvent les dĂ©tails qui vont suivre. Le poĂšte des Odes et Ballades avait deux enfants, une fille, LĂ©opoldine, nĂ©e en 1824^, et un fils, Charles- Victor, nĂ© en 1826 *. Un second fils lui naquit, le 21 octobre 1828, et reçut les noms de François- Victor *. J'ai sous les yeux la lettre de faire part de sa naissance, et je la reproduis ici. 1 Les Consolations, xii. ^Premiers lundis, t. III, p. 344. — Nous avons vainement essayĂ© de re- trouver ce prospectus ; il manque Ă  la BibliothĂšque nationale. 3 Morte tragiquement Ă  Villequier Seine-Inlerieure, le 4 septembre 1843. 4 Mort le 13 mars 1861. 5 Mort le 20 dĂ©cembre 1873. La seconde fille du poĂšte, AdĂšle Hugo, nĂ©e aprĂšs 1 830 et filleule de Sainte-Beuve, a seule surAĂ©cu Ă  sa sƓur et Ă  ses deux frĂšres. Elle est, depuis 1872, enfermĂ©e dans une maison de folles. Sunt Lacrymal rerum. 46 i viCTon HUGO avant 1830 M Madame la baronne VICTOR HUGO est heureusement accouchĂ©e d'un garçon. Monsieur le baron VICTOR HUGO a l'honneur de vous en faire part. La mĂšre et l'enfant se portent bien. Paris, 21 octobre 1828. Ce billet nous montre M. Victor Hugo prenant le titre de baron, en attendant qu'il prenne, Ă  partir de 1836, le titre de vicomte. Çà, mon frĂšre, Viens, rentrons Dans notre aire De barons i. Juoi qu'il en soit, dans la nuit du 21 octobre 1828, Sainte-Beuve, Ă  l'occasion de la naissance du fils de son ami, composait la piĂšce suivante LA VEILLÉE A mon ami Y. H. Minuit, 21 octobre. Mon ami, vous voilĂ  pĂšre d'un nouveau-nĂ© C'est un garçon encor le Ciel vous l'a donnĂ© Beau, frais, souriant d'aise Ă  cette vie amĂšre ; A peine il a coĂ»tĂ© quelque plainte Ă  sa mĂšre. Il est nuit ; je vous vois ;... Ă  doux bruit, le sommeil Sur un sein blanc qui dort a pris l'enfant vermeil, Et vous, pĂšre, veillant contre la cheminĂ©e, Recueilli dans vous-mĂȘme et la tĂȘte inclinĂ©e, 1 Odes et Ballades le Pas d'armes du roi Jean. VICTOR UUGO AVANT 1830 465 Vous vous tournez souvent pour revoir, ĂŽ douceur ! Le nouveau-nĂ©, la mĂšre, et le frĂšre et la sƓur, Comme un pasteur joyeux de ses toisons nouvelles, Ou comme un maĂźtre, au soir, qui compte ses javelles. A cette heure si grave, en ce calme profond, Qui sait, hors vous, l'abĂźme oĂč votre cƓur se fond, Ami ? qui sait vos pleurs, vos muettes caresses ; Ces trĂ©sors du gĂ©nie Ă©panchĂ©s en tendresses ; L'aigle plus gĂ©missant que la colombe au nid ; Les torrents ruisselants du rocher de granit, Et comme sous les feux d'un Ă©tĂ© de NorwĂšge, Au penchant des glaciers mille fontes de neige ? Vivez, soyez heureux, et chantez-nous un jour Ces secrets, plus qu'humains, d'un ineffable amour ! Cette amitiĂ© des doux poĂštes Ă©tait devenue plus profonde encore un an plus tard. Sainte-Beuve, dĂ©- diant Ă  Victor Hugo son recueil des Consolations, lui disait Que sont devenus ces amis du mĂŽme Ăąge, ces frĂšres en poĂ©sie, qui croissaient ensemble, unis, encore obscurs, et sem- blaient tous destinĂ©s Ă  la gloire ? Que sont devenus ces jeunes arbres rĂ©unis autrefois dans le mĂȘme enclos ? Ils ont poussĂ©, chacun selon sa nature ; leurs feuillages, d'abord entremĂȘlĂ©s agrĂ©ablement, ont commencĂ© de se nuire et de s'Ă©touffer ; leurs tĂȘtes se sont entre-choquĂ©es dans l'orage ; quelques-un?, sont morts sans soleil ; il a fallu les sĂ©parer, et les voilĂ  main- tenant, bien loin les uns des autres, verts sapins, chĂątaigniers superbes, au front des coteaux, au creux des vallons, ou saules Ă©plorĂ©s au bord des fleuves. La plupart des amitiĂ©s humaines, mĂŽme des meilleures, sont donc vaines et mensongĂšres, ĂŽ mon ami... En Ă©crivant ces lignes attristĂ©es, Sainte-Beuve en- tendait bien que son amitiĂ© pour Victor Hugo Ă©tait 466 VICTOR HUGO AVANT 1830 de celles que la lassitude ne peut atteindre, que les passions mauvaises ne peuvent briser et qui sont plus fortes que la mort. L'amitiĂ© que mon Ăąme implore, ajoutait-il, et en qui elle veut Ă©tablir sa demeure, ne saurait ĂȘtre trop pure et trop pieuse, trop empreinte d'immortalitĂ©, trop mĂȘlĂ©e Ă  l'invisible et Ă  ce qui ne change pas ; vestibule transparent, incorruptible, au seuil du sanctuaire Ă©ternel ; degrĂ© vivant, qui marche et monte avec nous et nous Ă©lĂšve au pied du saint trĂŽne. Tel est, mon ami, le refuge heureux que j'ai trouvĂ© en votre Ăąme. » Comment donc s'est-il fait, ĂŽ poĂšte, que, moins de huit ans aprĂšs, vous ayez Ă©crit ces vers qui scellaient Ă  jamais dans la tombe votre amitiĂ© morte ? Quand, de la jeune amante, en son linceul couchĂ©e, Accompagnant le corps, deux amis d'autrefois, Qui ne nous voyons plus qu'Ă  de momes convois, A cet Ăąge oĂč dĂ©jĂ  toute larme est sĂ©chĂ©e ; Quand, l'office entendu, tous deux silencieux. Suivant du corbillard la lenteur qui nous traĂźne. Nous pĂ»mes, dans le fiacre oĂč six tenaient Ă  peine. L'un devant l'autre, assis, ne pas mĂȘler nos yeux, Et ne pas nous sourire, ou ne pas sentir mĂȘme Une prompte rougeur colorer notre front. Un reste de colĂšre, un battement suprĂȘme D'une amitiĂ© si grande et dont tous parleront ; Quand, par ce. ciel funĂšbre et d'avare lumiĂšre, Le pied sur cette fosse oĂč l'on descend demain, Nous pĂ»mes jusqu'au bout, sans nous saisir la main. Voir tomber de la pelle une terre derniĂšre, VICTOR nUGO AVANT 1830 467 Quand, chacun, tout fini, s'en alla de son bord, Oh! dites! du cercueil de cette jeune femme, Ou du sentiment mort, abĂźmĂ© dans notre Ăąme, Lequel Ă©tait plus mort ? Cette piĂšce est du mois d'avril 1837. PubliĂ©e d'abord sans titre et sans commentaire dans les PensĂ©es d'aoĂ»t septembre 1837, elle a paru, en 1862, dans l'Ă©dition dĂ©finitive des poĂ©sies de Sainte-Beuve, avec ce titre En revenant du convoi de Gabrlelle, et accompagnĂ©e de cette note Gabrlelle Dorval, fille de la cĂ©lĂšbre actrice de ce nom... A son convoi, je me trouvai avec V. H. dans la mĂȘme voiture ^ » Tout Ă©tait si bien fini entre eux que, lorsque Sainte- Beuve se prĂ©senta Ă  l'AcadĂ©mie française, au mois de mars 1844, sa candidature eut pour adversaire celui qui semblait devoir en ĂȘtre, au contraire, l'intro- ducteur et le patron, celui qu'il avait cĂ©lĂ©brĂ© en tant de rencontres, auquel il avait dit . C'est assez, c'est assez jusqu'Ă  l'heure oĂč mon Ăąme, Secouant son limon et rallumant sa flamme A la nuit des tombeaux, Je viendrai, le dernier et l'un des plus indignes. Te rejoindre, au milieu des aigles et des cygnes, 0 toi l'un des plus beaux - ! On lit, dans une note de Sainte-Beuve, Ă©crite par * Les causes de la ruptui'e de M. Victor Hugo et de Sainte-Beuve Ă©tant d'une nature tout intime et n'ayant rien Ă  dĂ©mĂȘler avec la littĂ©rature, nous ne les signalerons point. Le lecteur, qui serait curieux de les connaĂźtre, trouvera des renseignements complets sur ce point dĂ©licat dans les GuĂȘpes d'Alphonse Karr, numĂ©ro d'avril 1843, et dans le livre de M. Pons, Tun des derniers secrĂ©- taires de Sainte-Beuve, intitulĂ© Sainte-Beuve et ses Inconnues. 2 PoĂ©sies de Joseph Delorme A mon ami V. H. 4G8 VICTOR HUGO AVANT 1830 lui quelques jours avant rĂ©leclion Mes fonds, qui Ă©taient trĂšs bons, semblent baisser depuis quelques jours. Le chancelier M. Pasquier, mon i^rand appui, est malade et ne pourra aller voter et influer par sa prĂ©sence. J'ai contre moi HUGO, Thiers, trĂšs peu pour moi Lamartine; si j'arrive, ce sera laborieux; si je manque, ce sera, je le crains, dĂ©finitif; il me faudra prendre quelque grand parti de travail et de plan de vie \ » Sainte-Beuve fut Ă©lu, le 14 mars 1844' par 21 voix contre 15 donnĂ©es Ă  M. Yatout et au comte Alfred de Vigny. M. Sainte-Beuve sĂ©chait sur pied, Ă©crivait M. Dou- dan le lendemain du vote, et il eĂ»t fallu ĂȘtre bien mĂ©chant pour ne pas lui donner sa voix. Ces mĂ©chants se sont rencontrĂ©s en assez grand nombre, quoique heureusement en minoritĂ© ^. » M. YictorHugo, qui avait votĂ© contre Sainte-Beuve, fut condamnĂ©^ comme directeur de l'AcadĂ©mie, Ă  lui souhaiter la bienvenue, dans la sĂ©ance du 27 fĂ©- vrier 1845. Les choses se passĂšrent avec une courtoisie parfaite, et le directeur ne mĂ©nagea pas au rĂ©cipien- daire les Ă©loges accoutumĂ©s. Il parla avec une gravitĂ© Ă©loquente, ne laissant apparaĂźtre, Ă  la surface de son discours, unie et calme comme un beau lac, qu'une Ăąme apaisĂ©e et un cƓur serein. Mais j'imagine que Chateaubriand , qui assistait Ă  la sĂ©ance, n'aura pu entendre ce discours sans se rappeler les paroles qu'il avait placĂ©es autrefois dans la bouche de Chactas * La Vie de Sointe-Bewe, par Jules Troubat. p. 36. 2 Lettres Je X. Doudan, t. II, p. 44. VICTOR UUGO AVANT 1830 460 Le cƓur le plus serein en apparence ressemble au puits naturel de la savane Alachua la surface en paraĂźt calme et pure ; mais quand vous regardez au fond du bassin, vous apercevez un large crocodile que le puits nourrit dans ses eaux K » VoilĂ  beaucoup de notes et de digressions. Le lec- teur me pardonnera, sans doute, s'il veut bien se souvenir que je l'ai averti au dĂ©but de cette Ă©tude, — un lecteur bien averti en vaut deux, — et s'il est disposĂ©, comme moi, Ă  dire avec l'abbĂ© Delille Le dĂ©tour me rit plus que le cliemiu lui-mĂȘme. Aussi bien, je me suis surtout proposĂ©, dans ce travail, de rĂ©unir des documents prĂ©cis, des infor- mations exactes pour servir Ă  l'histoire du roman- tisme. Un des Ă©lĂšves les plus obscurs de David, nommĂ© LavoipiĂšre, sollicitant du prince Louis-NapolĂ©on, en juillet 1852, une place de conservateur des musĂ©es, faisait ainsi valoir le plus mĂ©morable de ses titres Je fus aussi chargĂ© par David de lui Ă©baucher le javelot de Tatius, dans le tableau des Sabines. » Je ne prĂ©tends pas, je l'avoue, Ă  une autre gloire que celle de ce brave LavoipiĂšre, et il me suffira . d'avoir Ă©bauchĂ© le javelot de Tatius pour celui des successeurs de Sainte-Beuve qui^ avec un talent Ă  la hauteur du sujet, fera un jour le tableau de la PoĂ©sie française au dix-neuviĂšme siĂšcle. 1 Chateaubriaud, AUda. CHAPITRE XV Les Orientales. — Le Dernier Jour d'un CondamnĂ©. — Le CĂ©nacle de 1829. — Marion de Lorme et Hernani. Les premiĂšres Ă©ditions des Orientales. — Le Dernier Jour cVun CondamnĂ©. 1829 et 1832. Sainte-Beuve et la tĂȘte de mort dĂ© Madame X. L'Ane mort et la femme guillotinĂ©e. — Le cĂ©nacle de 1829. Sainte-Beuve, Alfred de Vigny, Fontaney, Alexandre Dumas, Charles Nodier, Alfred de Musset, Ernest Fouinet, GĂ©rard de Nerval, EugĂšne et Achille DevĂ©ria, Louis Boulanger, David d'Angers. La Camaraderie. — Une lecture de Lamar- tine. - Marion de Lorme et ZaĂŻre. Le salon de M. Victor Hugo en 1829 et en 1882. — M. de Martignac. Le sept aoĂ»t mil huit cent vingt-neuf. Un article de la Revue de Paris. — Hernani ou l'Honneur castillan. Bulletins des premiĂšres reprĂ©sentations. Charles Magnin. Lettres inĂ©dites de Sainte-Beuve. — Parodies. — Les Feuilles d'Automne. l^otre-Dame de Paris. — M. Victor Hugo en juillet 1830. Paris, 21 dĂ©cembre 1828. Pour une fois que vous me grondez sur cent que je le mĂ©rite, vous ĂȘtes mal tombĂ©, mon cher ami. Votre paresseux ami n'a pas Ă©tĂ© paresseux ce mois-ci, et s'il ne vous a pas Ă©crit, ce n'est pas parce qu'il ne faisait rien, c'est parce qu'il faisait trop. Si je ne rĂ©ponds pas aussi vite qu'il le faudrait Ă  vos bonnes et aimables lettres, c'est parce que je travaille jour et nuit ; VICTOR HUGO AVANT 1830 471 et au lieu d'une lettre, vous aurez, le mois prochain, un volume de prose et un volume de vers. Adieu, ne m'en veuillez plus. Lamartine vient de m'adresser une ode charmante, et je ne lui ai pas encore rĂ©pondu. C'est que, en vĂ©ritĂ©, le temps et les plumes me font dĂ©faut, mais non la vieille et bonne amitiĂ© que j'ai pour vous et les vĂŽtres. Victor *. Le volume de prose et le volume de vers dont Victor Hugo, Ă  cette date de dĂ©cembre 1828, annonçait la prochaine publication, Ă©taient le Dernier jour cVun conda7nnĂ© et les Orientales. Les Orientales parurent les premiĂšres, au mois de janvier 1829. Encore bien qu'elles n'aient point eu quatorze Ă©ditions en un mois, comme il a plu Ă  l'au- teur de l'affirmer ^, leur succĂšs n'en fut pas moms des plus vifs. A peine, lisons-nous dans V Annuaire historique de Lesur /Jowr 1829, Ă  peine avait-on mis au jour les Orientales de M. Victor Hugo, qu'il a fallu les tirer trois fois en quelques mois, Ă  plusieurs milliers d'exemplaires '. » La seconde Ă©dition est du mois de fĂ©vrier. 1^29 ; et la troisiĂšme du mois d'avril *. Nulle part, le poĂšte n'a dĂ©ployĂ© plus de souplesse, n'a maniĂ© le rythme avec plus d'habiletĂ© et fait faire Ă  la langue de plus difficiles Ă©volutions. Nulle part, sur- tout, il n'a prodiguĂ© des couleurs plus chaudes et plus Ă©clatantes. Un rayon du soleil d'Orient Ă©claire et 1 Lettre de Victor Hugo Ă  M. Adolphe de Saint-Valry. 2 Les Orientales, Ă©ditions Charpentier 1840, Fui-ne et 0> 1841. Voy. ci- dessus, ch. IX, p. 301. S Annuaire kistorique unioeriel pour iS29, par Lesur, p. 235. 4 Bibliographie de la FfdMe, annĂ©e 1829. ijl2 VICTOR HUGO AVANT 1830 brĂ»le ces pages, qui ne pĂąlissent pas Ă  cĂŽtĂ© des toiles de Decamps et d'EugĂšne Delacroix. On est Ă©bloui, mais on n'est pas Ă©mu ; et lorsqu'on ferme le livre, on se surprend Ă  se demander si les vers par lesquels s'ouvre le volume ne pourraient pas lui servir d'Ă©pi- graphe La voyez-vous passer, la nuĂ©e au flanc noir, TantĂŽt pĂąle, tantĂŽt rouge et splendide Ă  voir, Morne comme un Ă©tĂ© stĂ©rile ? On croit voir Ă  la fois, sur le vent de la nuit, Fuir toute la fumĂ©e ardente et tout le bruit De l'embrasement d'une ville. Dans ces strophes, merveilleuses de forme , on cherche en vain un sentiment qui aille au cƓur, une pensĂ©e qui Ă©lĂšve l'intelligence. En lisant les Orientales, on se rappelle involontairement ce que raconte quel- que part le cĂ©lĂšbre voyageur Ă©cossais James Bruce. Il montra un jour un poisson peint Ă  un musulman. Celui-ci, aprĂšs un moment de surprise, lui lit cette question Si ce poisson, au jour du jugement, se lĂšve contre toi et t'accuse en ces termes Tu m'as donnĂ© un corps et point d'Ăąme vivante, que lui rĂ©pondras-tu?» Le poisson de M. Victor Hugo est admirablement peint, mais VĂąjyie vivante oĂč est-elle ? Au sortir de celte poĂ©sie, splendide Ă  voir, mais pa- reille Ă  un Ă©tĂ© stĂ©rile, on est bien prĂšs de regretter ces humbles piĂšces oi^i le vers est faible, oi^i l'image est froide et dĂ©colorĂ©e, mais oĂč -le sentiment est pur et touchant la Pauvre fille, de Soumet ; la Chute des feuilles, de Millevoye ; VAnge et VEnfant, de ^ viCTOH iilctO avant 1830 n.'} Reboul. Fuyant le soleil qui darde sur lui ses rayons Ă©tincelants, le lecteur altĂ©rĂ© va demander Ă  la petite source qui se cache au fond du bois Une goutte d'eau qu'on çeut boire. Au mois de fĂ©vrier 1829, en mĂȘme temps que la seconde Ă©dition dos Orientales, paraissait, sans nom d'auteur, le Dernier jour rVun condamnĂ©. En 1832, alors qu'un trĂšs vif mouvement d'opinion s'Ă©tait produit dans la presse et Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s en faveur do l'abolition de la peine de mort, M. Victor Hugo s'empressa d'Ă©crire une longue prĂ©face, oĂč il dĂ©clarait que son ouvrage n'Ă©tait rien moins que la plaidoirie gĂ©nĂ©rale et permanente pour tous les accusĂ©s prĂ©sents et Ă  venir ; le grand point de droit de l'humanitĂ©, allĂ©guĂ© et plaidĂ© Ă  toute voix devant la sociĂ©tĂ©, qui est la grande cour de cassation ; la question de vie et de mort, dĂ©shabillĂ©e, dĂ©nudĂ©e, dĂ©- pouillĂ©e des entortillages sonores du parquet, bruta- lement mise au jour, et posĂ©e oĂč il faut qu'on la voie, oĂč il faut qu'elle soit, oĂč elle est rĂ©ellement dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais Ă  l'Ă©chafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau *. » Je ne sais si j'ai, tort, mais j'imagine que M. Victor Hugo ne s'est avisĂ© de toutes ces belles choses qu'aprĂšs coup, et que, en 1828, en Ă©crivant son livre, il se proposait uniquement de faire Ɠuvre d'art et de fantaisie. Voici, en effet, les quelques lignes qui 1 PrĂ©face de la o» Ă©dition, mars 1832. 474 VICTOR HUGO AYANT 1830 se trouvent en tĂȘte de toutes les Ă©ditions de son ou- vrage antĂ©rieures Ă  1832 Il y a deux maniĂšres de se rendre coQipte de l'existence de ce livre. Ou il y a eu une liasse de papiers jaunes et inĂ©gaux sur lesquels on a trouvt^ enregistrĂ©es une Ă  une, les derniĂšres pensĂ©es d'un misĂ©rable ; ou il s'est rencontrĂ© un homme, un rĂȘveur occupĂ© Ă  observer la nature au profit de l'art, un philo- sophe, un poĂšte, que sais-je ? dont cette idĂ©e a Ă©tĂ© la fan- taisie, qui l'a prise ou plutĂŽt s'est laissĂ© prendre par elle, et n'a pu s'en dĂ©barrasser qu'en la jetant dans un livre. De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu'il voudra. En composant le Dernier jour cVun condamnĂ©^ Yictor Hugo ne faisait donc point Ɠuvre d'apĂŽtre, maĂŻs Ɠuvre d'artiste, d'un artiste qui, selon sa constante habitude, suivait la mode du jour. Or, Ă  ce moment, la mode Ă©tait aux tĂȘtes de mort, aux squelettes et aux fantĂŽmes. C'Ă©tait le temps oĂč les amoureux se pro- menaient la nuit sous le balcon de leur belle, non une guitare, mais une tĂȘte de mort Ă  la main. Le biographe de Sainte-Beuve, auquel nous empruntons ce trait de mƓurs romantiques, ajoute Sainte- Beuve, environ vers ce temps, reçut la visite d'une jeune et illustre dame ; elle lui remit une tĂȘte de mort prĂ©parĂ©e pour l'Ă©tude. Le crĂąne sciĂ© formait couvercle et s'ouvrait sur charniĂšre. Elle avait mis dedans une mĂšche de ses cheveux Vous remettrez cela Ă  A***, dit-elle *. » Jules Janin, qui flairait le vent, lui aussi, et dont les dĂ©buts sont contemporains du Dernier jour d'un condamnĂ©, ne trouve rien de 1 Sainte-Beuve poĂšte, par A. France, p. 12 VICTOR ULGO AVANT 1830 475 mieux, afin d'en assurer le succĂšS;, que de choisir pour sujet de son premier roman, de son malden speech, l'histoire d'une jeune fille qui meurt Ă  la place de GrĂšve, sous le couteau de la guillotine. Je m'em- presse, du reste, de reconnaĂźtre que Jules Janin n'a jamais prĂ©tendu avoir fait une Ɠuvre humanitaire en Ă©crivant VAne mort et la Femme guillotinĂ©e. Son livre n'Ă©tait mĂȘme, Ă  le bien prendre, qu'une critique de la littĂ©rature de cours d'assises et d'Ă©chafaud. Le spi- rituel Ă©crivain n'Ă©tait la dupe ni de son propre talent ni du gĂ©nie de Victor Hugo, et il jugeait ainsi, dans la Quotidienne, le Dernier jour d'un cotidamnĂ© C'est Ă  en. devenir fou. Ce livre, tout Ă©tincelant d'une atroce et horrible vĂ©ritĂ©, doit mettre Ă  bout le peu d'Ă©motions qui nous restent... Figurez-vous une agonie de trois cents pages ; figurez- vous un homme de style, d'imagination et de courage, un poĂšte habituĂ© Ă  jouter avec les plus grandes difficultĂ©s de la langue et des passions, se plongeant par plaisir dans ces longues tortures , interrogeant le pouls de ce misĂ©rable , comptant les battements de ces artĂšres, prĂȘtant l'oreille Ă  ce cƓur qui se gonfle dans cette poitrine, et ne se retirant de l'Ă©chafaud que lorsque la tĂȘte a roulĂ©. Tout ceci n'est-il pas de l'atroce? et puis ne s'agit-il pas d'un homme de sang? Que si, par hasard, vous avez egsayĂ© un plaidoyer contre la peine de mort, je vous rĂ©pondrai qu'un drame ne prouve rien. De grĂące, vous nous faites trop peur. TrĂȘve Ă  ces tristes efforts ! PrĂ©servez-nous d'une vĂ©ritĂ© si dure. Permettez-nous encore de nous sentir hommes quelquefois, c'est-Ă -dire d'ĂȘtre assez bien organisĂ©s pour ĂȘtre Ă©mus par des beautĂ©s simples et naturelles, intĂ©ressĂ©s par une fable riante et jeune, attendris par des rĂ©cits animĂ©s et vivement passionnĂ©s... Il convient d'ajouter, pour ĂȘtre juste, qu'il y a, 476 VICTOR HUGO AVANT 1830 dans le Dernier jour cVun condamnĂ©, des pages admi- rables, des tableaux d'un art achevĂ©. A cette date de 1829, le talent du prosateur, chez Victor Hugo, est Ă  la hauteur de son talent de poĂšte. Ce double talent atteindra bientĂŽt son apogĂ©e dans deux Ɠuvres, publiĂ©es seulement en 1831, mais qui furent compo- sĂ©es toutes les deux en 1830, les Feuilles cV automne et Noire-Dame de Paris. II Bayle remarque quelque part que chaque Ă©crivain a dans sa vie son Ă©poque lumineuse, son moment plus favorable que les autres et vers lequel ses sou- venirs aiment Ă  se reporter. Ce moment doit ĂȘtre pour M. Victor Hugo l'annĂ©e mĂȘme oĂč nous sommes par- venus, cette annĂ©e 1829, oĂč prennent place la publi- cation des Orientales et du Dernier jour d'un condam- nĂ©, la composition de Marion de Lorme, ^Heriiani, et de quelques-unes des plus belles piĂšces des Feuilles d'automne. AgĂ© de vingt-sept ans, en pleine sĂšve et en pleine gloire, il est le chef incontestĂ© de l'Ă©cole romantique ; il voit se presser autour de lui, dans le CĂ©nacle nouveau qui a succĂ©dĂ© Ă  celui de 1824 *, Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Charles Nodier, Ulric Guttinguer , Adolphe de Saint-Valry , FontanĂ©y ; Alcide de Beauchesne, qui Ă©crira plus tard sur Louis XVII deux volumes, commentaire Ă©loquent 1 Sur le CĂ©nacle de 1824, \oy. ci-dessus, chapitre X. VICTOR nUGO AVANT 1830 177 de l'odo de M. Yiclor Hugo sur le fils du roi-mar- tyr ; Ernest Fouinet, jeune Ă©crivain de savoir et d'imagination », qui avait mis son Ă©rudition au service du poĂšte des Orientales * / Emile et Antony Deschamps, Alfred de Musset, Victor Pavie, Jules de RessĂ©guier , GĂ©rard de Nerval , Alexandre Dumas ; et, Ă  cĂŽtĂ© des poĂštes, les peintres et les sculpteurs, Louis Boulanger, Achille et EugĂšne DevĂ©ria, EugĂšne Delacroix et David d'Angers. David fait son mĂ©daillon et l'envoie, avec quelques autres, Ă  Alfred de Vigny, qui le remercie en ces termes J'ai devant moi mes chĂšres mĂ©dailles. Mes yeux ne cessent de passer de la gloire Ă  la gloire et de l'amitiĂ© Ă  l'amitiĂ©, en allant de l'image de mon cher Victor Ă  votre nom ^. » Achille DevĂ©ria fait son portrait, et Ă  cette lithogra- phie, qui attire la fouie Ă  la vitrine de tous les marchands d'estampes, la Revue de Pains consacre aussitĂŽt un article, dont j'extrais les lignes suivantes C'est peut-ĂȘtre la premiĂšre fois qu'un portrait sur pierre ressemble autant Ă  une peinture, et qu'un seul et mĂȘme crayon a su produire Ă  l'Ɠil l'illusion de tant de nuances diverses. L'ensemble est plein d'agrĂ©ment, d'Ă©clat et saisit tout d'abord. La tĂȘte, haute et puissante, se dĂ©tache en blanc sur un fond noir, et cette blancheur des parties saillantes du front et de la face l'ait ressortir davantage l'ardeur inextin- guible et redoublĂ©e des yeux. A regarder de plus prĂšs, le modelĂ© des joues est d'une exĂ©cution achevĂ©e. Il n'est pas jusqu'Ă  la nuance lustrĂ©e de cette cravate de soie noire qui ne 1 Voy., dans les notes des Orientales, les nombreux fragments de poĂšmes orientaux traduits par Ernest Fouinet. 2 Do,vid d'Angers, par ÎM. Henry Jouin. t. I. p. 190. 27. 478 VTCTOR HUGO AVANT iH'M se distingue du collet noir de l'habit, autant que la blancheur de la joue se sĂ©pare du blanc de ce gilet. La ressemblance est rĂ©elle et frappante ; l'expression de l'Ăąme et du talent de M. Hugo ne l'est pas moins ; il semble qu'un rayon intĂ©- rieur, un pĂąle Ă©clair se brise, se reflĂšte et joue sur les con- tours de ce front immense et de cette noble et grave figure. Il est impossible de ne pas faire reposer un glorieux avenir sur cette tĂȘte de vingt-sept ans. M. DevĂ©ria n'aurait su dĂ©buter, dans sa sĂ©rie de portraits contemporains, par une plus belle Ɠuvre ni par un modĂšle plus digne i. Sainte-Beuve, qui vient de terminer son choix des poĂ©sies de Ronsard, fait hommage au chef de la PlĂ©iade romantique du bel exemplaire in-folio sur lequel avaient Ă©tĂ© pris les extraits, et le lui dĂ©die par cette Ă©pigraphe Au plus grand inventeur lyrique que la poĂ©sie frariçaise ait eu depuis Ronsard, le trĂšs humble commentateur de Ronsard. S. B. Et sur cet exemplaire Ă  grandes marges, Alfred de Vigny, Fontaney, Sainte-Beuve, Ulric Guttinguer, Alexandre Dumas, M°^^ Tastu, d'autres encore, ins- crivent pieusement quelque strophe, quelque marque de souvenir^. * Revue de Paris, 1829, t. VI, p. 272. 2 Je trouve, dans un article de M. Edouard Laboulaye, concernant le catalogue de la bibliothĂšque de M. Charles Giraud Journal des DĂ©bats du 11 mars 1855, ces lignes charmantes Pour moi, si j'Ă©tais poĂšte, je pousserais Ă  l'enchĂšre ou cette Imitation de Corneille, qui porte une dĂ©dicace de la main de l'auteur, ou ce beau Ronsard in-folio, offert Ă  Victor Hugo par Sainte-Beuve. Ce livre qui porte sur ses marges des vers autographes de Victor Hugo, de Dumas, d'Alfred de Vigny, de Sainte-Beuve, d'Ulric Guttinguer, de Mℹ» Amable Tastu. ce livre, sorti des mains de son vĂ©ritable YICTOH HUGO AVANT 1830 479 Pour ses jeunes disciples du GĂ©naclo, Victor Hugo n'est pas seulement le maĂźtre, il est bien prĂšs d'ĂȘtre un dieu. Un des poĂštes du groupe, et non le moindre, assurĂ©ment, lui dit Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie ; Votre souffle en passant pourrait nous renverser *. Aussi, toutes les fois qu'il daigne lire devant eux une ode ou quelque scĂšne d'un drame inĂ©dit, avec quelle ferveur d'admiration, avec quels transports d'enthousiasme chacun de ses vers n'est-il pas accueilli! PĂ©nĂ©trons, Ă  la suite d'un guide aimable et sĂ»r, dans le salon de Charles Nodier, Ă  l'Arsenal, un soir oĂč Victor Hugo y rĂ©cite des vers. Quand Hugo, dit Mme Ancelot, dans ses intĂ©ressants sou- venirs sur les salons de Paris, la tĂȘte inclinĂ©e et le regard sombre et soucieux, disait, de sa voix puissante dans sa monotonie, quelques strophes d'une belle ode sortie nouvel- lement de sa pensĂ©e, pouvait-on employer ces mots d'admi- rable ! superbe ! prodigieux ! qu'on venait d'user devant lui en l'honneur de quelque mĂ©diocritĂ© ! C'Ă©tait impgssible ! Alors il se faisait un silence de quelques instants, puis on se levait, on s'approchait avec une Ă©motion visible, on lui prenait la main, et on levait les yeux au ciel ! La foule Ă©coutait. Un seul mot se faisait entendre, Ă  la grande surprise de ceux qui maĂźtre, errant comme lui, n'est-il pas toute une histoire ? OĂč sont maintenant tous ces beaux rĂȘves d'il y a vingt-cinq ans ? Quel vent a dispersĂ© tous ces fidĂšles qu'unissaient la religion des lettres et l'amour de la poĂ©sie ? OĂč sont envolĂ©es tant d'espĂ©rances et tant d'amitiĂ©s? — Et cependant, si prĂ©cieux que soit ce livre qui me rappellerait ma jeunesse, il en est un qui me serait plus cher encore c'est un Nouveau Testament grec, qui porte un simple nom, mais c'est celui de Racine... » 1 Sainte-Beuve, les Consolations, sonnet Ă  Victor Hugo. 480 VICTOR HUGO ayant 1830 n'Ă©taient pas initiĂ©s, et ce mot retentissant dans tous les coins du salon, c'Ă©tait — CathĂ©drale ! Puis l'orateur retournait Ă  sa place ; un autre se levait et s'Ă©criait — Ogive ! Un troisiĂšme, aprĂšs avoir regardĂ© autour de lui, hasardait — Pyramide d'Egypte ! Alors l'assemblĂ©e applaudissait et se tenait ensuite dans un profond recueillement ; mais il ne faisait que prĂ©cĂ©der, une ex- plosion de voix qui toutes rĂ©pĂ©taient en chƓur les mots sacra- mentels qui venaient d'ĂȘtre prononcĂ©s chacun sĂ©parĂ©ment *. Par cette scĂšne, on peut voir Ă  quel diapason Ă©tait montĂ© l'enthousiasme des adeptes du roman- tisme. Bien plus encore que celui de 1824, le CĂ©nacle de 1829 Ă©tait une Ă©cole d'admiration mutuelle. Un esprit mordant et dur, Henri de Latouche, dans un article de la Revue de Paris ^^ intitulĂ© la Camaraderie littĂ©?'aire, se donna le malin plaisir de relever ce travers de M. Victor Hugo et de ses disciples. Entre tout adepte, disait-il, rencontrĂ© par un autre adepte, il s'Ă©change toujours un regard qui veut dire Frrre, il faut nous louer!... Ces mutuelles compagnies d'as- surances pour la vie des ouvrages ne sont attaquables, nous le rĂ©pĂ©tons, que par leur influence sur l'avenir des lettres. Du reste, elles sont douces et commodes. Si elles nuisent Ă  l'art, elles font peut-ĂȘtre le bonheur de l'artiste. Cette banque de vanitĂ© escompte les mĂ©rites futurs et permet de rĂ©aliser des jouissances 1 Les Salons de Paris. — Foijers Ă©teints, pav Mℱ* Ancelot, p. 123. 2 Ootobr» 1820. VICTOR ITUGO AYANT 1830 181 qui sufOsonl aux exigences du moment. Des poiMes e7icamaradent des musiciens ; des musiciens;, des peintres ; des peintres, des sculpteurs. On se chante sur la plume et sur la guitare ; on se rend en madri- gaux ce qu'on a reçu en vignettes ; on se coule en bronze de part et d'autre ; chacun peut, Ă  l'heure qu'il est, se suspendre Ă  sa cheminĂ©e et se constituer le dieu lare de son foyer. » Pour jiistes et piquantes que fussent ces lignes, il faut bien reconnaĂźtre cependant que quelques-uns de ces camarades n'ont pas laissĂ© de faire dans le monde un chemin assez glorieux. 11 faut reconnaĂźtre surtout que c'Ă©tait une merveilleuse Ă©poque, — et dont nous sommes, hĂ©las ! bien loin, — que celle oĂč David d'Angers, le grand statuaire, pouvait Ă©crire Hier, Lamartine a lu des vers chez Hugo. Il faisait presque nuit; cependant le ciel gardait encore une suffisante clartĂ©. Lamartine s'Ă©tait adossĂ© Ă  la fenĂȘtre. Sa tĂȘte se dĂ©tachait en silhouette sur le ciel qui lui servait de fond. Il semblait une statue de bronze, et parfois on eĂ»t dit qu'il allait prendre place parmi les astres *. » * David d'Xngnrs, par M. Henry Jouin. t. Ăź, p. JOO. — Notes aiUograplios de David. Quelques lignes plus loin, le statuaire ajoute a Quand Lamartine est avec ses amis, il ne s'assied jamais comme les autres. Son corps a la sou- plesse du serpent et prend toujours des attitudes ondoyantes. » 482 VICTOR HUGO AVANT 1830 III A l'Ă©poque oĂč eut lieu, dans le petit salon de la rue Notre-Dame-des-Ghamps, la lecture dont parle David juin 1829, Victor Hugo Ă©crivait Marion de Lorme. CommencĂ©e le 1er juin, la piĂšce Ă©tait terminĂ©e le 24 du mĂȘme mois, aprĂšs vingt-quatre jours de travail, deux de plus que n'en avait mis Voltaire Ă  composer ZaĂŻre. Le poĂšte lut son drame, qui s'appelait alors un Duel sous Richelieu, devant une rĂ©union dont ne faisaient partie, cette fois, ni Lamartine, qui venait de retourner Ă  Saint-Point * ; ni David, qui se dispo- sait Ă  partir pour aller voir GƓthe Ă  Weimar, mais dans laquelle on remarquait Balzac, Alfred de Vigny, le baron Taylor, commissaire royal prĂšs le Théùtre- Français ; Sainte-Beuve, Soumet, Emile et Antony Deschamps, Alexandre Dumas, Charles Magnin, Eu- gĂšne et Achille DevĂ©ria, EugĂšne Delacroix, FrĂ©dĂ©ric SouliĂ©, Armand et Edouard Berlin, Alfred de Musset, Prosper MĂ©rimĂ©e, Villemain, Mi Tastu, etc.^ Aujourd'hui, sans doute, il arrive Ă  M. Victor Hugo de faire des lectures devant ses nouveaux amis. L'un d'eux, et non le moins enthousiaste, M. Gustave Rivet, dans un livre intitulĂ© Victor Hugo chez lui, a pris soin de nous faire connaĂźtre ceux qui se rĂ©unissent, le soir, dans le salon rouge », et composent le * Correspondance de Lamartine, t. IV, p, 242. 2 Yictor Hugo racontĂ©, etc. ,t. II, p. 282. VICTOli HUGO AVANT 1830 483 bataillon sacrĂ© et comme la garde d'honneur du MAITRE *. » Il m'a paru qu'il ne serait pas sans intĂ©- rĂȘt de mettre en regard des noms de ses auditeurs d'autrefois les noms de ses auditeurs d'Ă  prĂ©sent. 1829 1882 H. de Balzac. Alfred de Vigny. Baron Taylor. Sainle-Beuve. Alexandre Soumet. Emile Deschamps. Antony Deschamps. Alexandre Dumas. Charles Magnin. EugĂšne DevĂ©ria. Achille DevĂ©ria. EugĂšne Delacroix. FrĂ©dĂ©ric SouliĂ©. Armand Bertin. Edouard Bertin. Alfred de Musset. Prosper MĂ©rimĂ©e. Yillemain. Mℱe Tastu. E. de Concourt. Auguste Vacquerie. Colonel Langlois. Gustave Bivet. H. de Lacretelle. Emile Deschanel. Antony MĂ©rat. Paul Meurice. Edmond Magnier. Chiffart. RĂ©gamey. DonnĂąt. Ernest Blum. Pierre VĂ©ron. Ildefonse Bousset. ThĂ©odore de Banville. Tony RĂ© Villon. Allain-TargĂ©. Mie Adam. Je laisse au lecteur le soin de se prononcer entre les deux listes, et je m'assure que M. Victor Hugo lui- * Victor Hugo chez lui, p. 1 ' iSI VICTOR nUGO AVANT 1830 mĂȘme doit se sentir plein de tristesse et d'ennui dans son salon rouge », lorsqu'il compare Aux hommes d'autrefois les hommes d'aujourd'hui. Marion de Lorme fut reçue par acclamation au Théùtre-Français ; mais le ministre de l'intĂ©rieur, M. de Martignac, crut devoir interdire la piĂšce, en raison du rĂŽle que l'auteur y faisait jouer Ă  Louis XIII. M. Victor Hugo en appela du ministre au roi. L'au- dience demandĂ©e lui fut accordĂ©e sur-le-champ, a II reçut le lendemain matin, lisons-nous dans son auto- biographie, un mot du duc d'Aumont, l'avertissant que Sa MajestĂ© recevrait, le jour mĂȘme, Ă  midi, en audience particuliĂšre, le baron Victor Hugo. » Il n'avait jamais pris son litre, et c'Ă©tait la premiĂšre fois qu'on le lui donnait V» M. Victor Hugo se trompe lorsqu'il dit qu'il n'avait jamais pris le titre de baron. Nous avons vu, dans notre prĂ©cĂ©dent chapitre, qu'il l'avait pris au moins une fois^. L'audience eut lieu au palais de Saint-Gloud, et se prolongea prĂšs de trois quarts d'heure. C'Ă©tait le 7 aoĂ»t 1829. Le prince fut plein de bonne grĂące et de bienveillance ; le poĂšte, plein de franchise et de res- pect. Il a rendu compte de cette entrevue, une premiĂšre fois, en 1839, dans la piĂšce des Rayom et des Ombres qui a pour titre le Sept aoĂ»t mil huit eent vingt-neuf ; une seconde fois, en 1864, dans le cha- 1 Victor Hwjo racontĂ©, etc., t. II, p. iS7 2 Voy. ci-dessus, p. 464. VICTOR HUGO AVANT 1830 iSo pitre Liv° do son autobiographie *. Ces deux rĂ©cits, l'un en vers, l'autre en prose, tous deux d'une con- venance parfaite, ont cependant le dĂ©faut d'avoir Ă©tĂ© composĂ©s longtemps aprĂšs l'Ă©vĂ©nement. Aussi le lecteur, curieux de connaĂźtre exactement la vĂ©ritĂ© sur Vaudience accordĂ©e par S. M. Charles X Ă  M. Victor Hugo, fera-t-il bien de recourir Ă  la Revue de Paris du mois d'aoĂ»t 1829 -, ofi il trouvera un compte rendu Ă©crit au lendemain mĂȘme de cette audience , et qui, bien que signĂ© par le directeur de la BĂ©vue, le docteur Louis VĂ©ron, est en rĂ©alitĂ© de Sainte-Beuve, ou plutĂŽt de Victor Hugo lui-mĂȘme, Ă  qui Sainte- Beuve, ce jour-lĂ , avait prĂȘtĂ© sa plume. On lit, en effet, dans une Note laissĂ©e par l'auteur des Causeries du Lundi J'ai, en bien des cas, prĂȘtĂ© ma plume Ă  mes amis, en me mettant en leur lieu et place et en faisant ce qu'ils dĂ©siraient de moi. Par exemple le rĂ©cit de l'audience accordĂ©e par le roi Charles X Ă  Yictor Hugo, rĂ©cit insĂ©rĂ© dans la Revue de Paris, est de moi ^ » En quittant Saint-Gloud, l'auteur de Marion de Lorme avait respectueusement dĂ©posĂ© aux mains du monarque \acte redoutable du drame, le Iy^ AprĂšs l'avoir lu, Charles X crut devoir maintenir la dĂ©cision de ses ministres, et il faut reconnaĂźtre qu'elle n'Ă©tait que trop justifiĂ©e par les circonstances du moment. N'Ă©tait-ce pas le temps oi^i le roi Ă©tait, dans la presse, 1 VicJor Hiiijo racontĂ©, etc.. t. Il, p. 281. 2 Revue de Paris, 1829, t. V, p. 127. 3 Premiers lundis, par Sainte-Beuve, t. III, p. 3ii. 486 VICTOR HUGO AVANT 1830 l'objet des plus violents outrages, et oĂč VAlhnm pu- bliait contre lui cet article odieux qui avait pour titre le Mouton enragĂ© * ? Dans le Louis XIII du drame, caricature de celui de l'histoire ^ , dans ce roi qui se laisse gouverner par un prĂȘtre, et qui ne pense qu'Ă  la chasse, l'opposition n'eĂ»t pas manquĂ© de voir une allusion Ă  Charles X. Certes, cette allusion Nom court;Raison sociale;Description;ActivitĂ©s;Domiciliation;Adresse;Code postal;Ville;Pays;TĂ©lĂ©phone;Email;Site web;DĂ©partement;RĂ©gion;Lien vers l'adresse; ;MAGGESE;"";"";;58 RUE DANTON ;93100;MONTREUIL;France;; ;LES VOIES DU CHANT;"";"";;49 RUE CHAPE ;13004;MARSEILLE 4E ARRONDISSEMENT;France;;contact d'Azur; ;LA COMPAGNIE DES POSSIBLES;"Petite entreprise culturelle de territoire, la Compagnie des Possibles accompagne des artistes et des projets qui ont une vision Ă©volutive et singuliĂšre de la musique traditionnelle. Ils ont en commun une dynamique de recherche, d’appropriation et de transmission d’un patrimoine oral et immatĂ©riel, qu’ils utilisent comme langage pour raconter leurs histoires. ";"";;Site du moulin de GuĂ©veneux ;56220;PEILLAC;France;06 32 31 31 04;compagniedespossibles ;LA CRUE;"";"";; ;46360;LAUZES;France;;la-crue- ACPPG;Association pour la Culture Populaire en Pays Gascon;"L'association se fixe pour domaine, le dĂ©partement du Gers et les rĂ©gions voisines, et, pour langues de travail l'Occitan et le Français. Elle a pour but de coordonner et d'impulser 1- l'Ă©tude du patrimoine local dans son sens le plus gĂ©nĂ©ral toute manifestation de la culture populaire et de la vie traditionnelle, la crĂ©ation en gĂ©nĂ©ral et plus particuliĂšrement le chant, la musique, la danse, les contes, la langue gasconne, au niveau le plus local, comme prolongement de ce patrimoine. Elle se propose, en consĂ©quence, de faire oeuvre d'Ă©ducation populaire 2- le travail de recherche et de collectage au niveau de ce patrimoine populaire.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Edition d'ouvrages Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu urbain;29 Chemin de Baron ;32000;Auch;France;05 62 65 61 94;acppg AEPEM ;Association d'Etude, de Promotion et d’Enseignement des Musiques Traditionnelles des Pays de France;"L’AEPEM est une association 1901 ayant pour objet l'Etude, la Promotion et l’Enseignement des Musiques Traditionnelles des Pays de France. Elle a Ă©tĂ© fondĂ©e en 2004 par Jacques Lanfranchi, Jean-Michel PĂ©ru et Philippe Suzanne. Son but premier est de promouvoir l'Ă©tude et la pratique du trĂ©sor oubliĂ© des musiques traditionnelles de France. Elle produit des CD et Livrets de musiciens ou groupes qui, dans l'Ă©tat actuel du marchĂ© de la musique en France, n’auraient que difficilement accĂšs Ă  ces supports. Sa ligne Ă©ditoriale » repose sur ce qu'on pourrait appeler un certain respect de la tradition », expression qui veut signifier, par commoditĂ©, une approche fondĂ©e sur l'amour de cette musique pour ce qu'elle est. D'autre part elle publie systĂ©matiquement en ligne, sous format midi et sous forme de partition interactive, les mĂ©lodies traditionnelles recueillies et publiĂ©es sous forme Ă©crite par les grands collecteurs des XIXe et XXe siĂšcles, sur son site plus de 500 mĂ©lodies Ă  ce jour.";"Production phonographique Collectage et documentation";Milieu urbain;24 rue Villiers de l’Isle Adam ;75020;Paris;France;01 46 36 22 23;aepemasso Agence SirventĂ©s;SCOP SirventĂšs;"Charte de la SCOP SirventĂ©s Nous sommes une coopĂ©rative d’artistes et de techniciens du spectacle vivant. AdministrĂ©s en SCOP, l’ensemble des personnels techniques, administratifs et artistiques sommes associĂ©s et agissons en coresponsabilitĂ©. Le coeur de notre activitĂ© est la crĂ©ation, la production, la diffusion et la transmission d’expressions artistiques en Occitan, essentiellement autour de la musique et du conte. Nous nous nourrissons des traces laissĂ©es par les cultures de l’oralitĂ©, les mĂ©moires contĂ©es, chantĂ©es et les rencontres inter culturelles et transversales. Cette matiĂšre diverse, localisĂ©e, est Ă  la base de l’inspiration pour l’interprĂ©tation et la crĂ©ation des rĂ©pertoires et des projets. Nous portons une action artistique, culturelle et politique dont le ferment est l’attachement aux diversitĂ©s linguistiques et la dĂ©fense des droits culturels des peuples sur un territoire. Nous accompagnons des artistes de pouvoir s’exprimer dans leurs langues et leurs cultures. La cogestion de l’outil de travail, la mutualisation des ressources et des moyens et la transparence de gestion sont les fondements de l’organisation du travail entre les Les dĂ©cisions sont prises sur le principe une personne, une voix », quel que soit le montant du capital. Nous nous situons dans une dĂ©marche de pĂ©rennitĂ© professionnelle, de mise en commun des richesses produites, de redistribution concertĂ©e. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Edition phonographique Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures";Milieu rural;2 RUE DU MUR ;12150;SEVERAC D'AVEYRON ;France;07 86 29 47 81;contact AIRS DU TEMPS LES;Association Les Airs du temps;"Les Airs du Temps est un espace d'expressions autour du chant et de la tradition orale. Les Airs du temps, c'est Le Festival Les Airs du Temps, espace de rencontres, de partage et de convivialitĂ©. ";"";; ;89000;Joigny;France;06 51 77 22 42;; Est; A LA ZIM ! MUZIK;Association A La Zim !;"À la Zim ! Muzik est un collectif d'artistes créé Ă  Nantes en dĂ©but 2014. Le choix d'une logique mutualiste au service de la crĂ©ation artistique et culturelle, au service de la musique et des mots.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu rural;Mairie, 26 rue de Nantes ;44460;Saint-Nicolas-de-Redon;France;06 86 11 28 56;contact de la Loire; ALTAN ART;SARL ALTAN-ART;"Altan Art est l’une des rares agences de production et de diffusion de spectacles, qui se consacre en France Ă  la scĂšne musicale traditionnelle de SibĂ©rie orientale, et particuliĂšrement aux artistes de Bouriatie. Elle reprĂ©sente aussi des artistes de l’aire culturelle mongole Touva, Mongolie et Mongolie intĂ©rieure.";"Diffusion de spectacles vivants Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu urbain;289 AVENUE DU MARECHAL FOCH ;84100;ORANGE;France;06 60 29 75 73;contact d'Azur; AMISTANCA;Association Amistença;"L’association Amistança-Amistanza, association d’amitiĂ© occitano-aragonaise est basĂ©e sur Pau. Elle travaille depuis 2002, dans le champ des musiques actuelles, plus particuliĂšrement dans le domaine des musiques, danses gasconnes et aragonaises. Elle regroupe acteurs culturels professionnels et amateurs.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;5 rue Charles Gouod ;64000;Pau;France;06 45 29 40 37;amistanca AMTA;Association Agence des Musiques des Territoires d'Auvergne ;"L’AMTA appartient Ă  un rĂ©seau national reprĂ©sentĂ© par la FĂ©dĂ©ration des Associations de Musiques et Danses Traditionnelles FAMDT et Ă  un rĂ©seau rĂ©gional constituĂ© par des centres dĂ©partementaux de musiques et danse traditionnelle CDMDT. Elle est Ă©galement un centre de ressources information, site internet, conseils, confĂ©rences
 et met Ă  disposition de ses adhĂ©rents du matĂ©riel et ses fonds documentaires ainsi que des instruments d’études au service de la crĂ©ation artistique. L’agence met ses compĂ©tences au service du public et offre le maximum de facilitĂ©s aux acteurs locaux en soutenant des initiatives en matiĂšre de crĂ©ations musicales. Depuis sa crĂ©ation en 1985, L’AMTA s’est fixĂ©e pour mission de comprendre et de faire connaĂźtre les musiques et les gens du pays ». Elle est soutenue depuis toujours par l’Etat par l’intermĂ©diaire de la DRAC, le Conseil RĂ©gional d’Auvergne et la ville de Riom. Tout au long de ses vingt-six annĂ©es d’existence, l’AMTA a dĂ©veloppĂ© les missions suivantes - la recherche et la collecte - la mise en rĂ©seau - la formation - la diffusion - la communication - la production - la crĂ©ation Les acquis de l’ constituent un socle sur lequel il est possible d’envisager l’avenir.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;1 route d’Ennezat ;63200;Riom;France;04 73 64 60 00;contact AMTP Quercy;Association pour les Musiques de Tradition Populaire en Quercy;"L’Association pour les Musiques de Tradition Populaire en Quercy AMTPQ a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1985 par des musiciens, des danseurs et des dĂ©fenseurs de la culture rĂ©gionale, soucieux de promouvoir les traditions musicales anciennes ou vivantes en Quercy. Elle est composĂ©e de sympathisants et de musiciens professionnels ou amateurs, qui se consacrent Ă  la diffusion de la musique traditionnelle, essentiellement rĂ©gionale, par l’animation dans les villes et villages, dans les Ă©coles, Ă  l’occasion de fĂȘtes. Elle se consacre aussi Ă  la formation de musiciens et danseurs traditionnels, lors de stages et d’ateliers de chants, de danses, de pratique instrumentale. Des groupes folkloriques lotois ayant le souci de prĂ©senter et restituer les danses, chants et musiques collectĂ©es, adhĂšrent Ă©galement Ă  l’AMTP Quercy.";"";;14 rue de Flaury ;46090;Arcambal;France;05 65 22 11 01; AMUSĂ©ON;Compagnie AMUSĂ©ON - Musique de Picardie Nord-Pas de Calais;"AMUSĂ©ON est une compagnie associative professionnelle créée en 1999, basĂ©e dans la Somme. AMUSĂ©ON s’active Ă  faire redĂ©couvrir la musique du Nord / Picardie, dans ses dimensions de patrimoine immatĂ©riel, mais surtout en tant que musique actuelle. La compagnie gĂ©nĂšre Ă©galement une importante activitĂ© associative.";"";;6 rue de Oisemont ;80140;Frettecuisse;France;03 22 25 86 63;amuseon AMZER NEVEZ;Centre culturel;"Le Centre Culturel AMZER NEVEZ mĂšne une activitĂ© de crĂ©ation, de production et de diffusion dans le champ des musiques et chansons bretonnes. Il accueille des artistes au travers de concerts et de rĂ©sidences de crĂ©ation. C’est aussi un lieu repĂšre pour l’accueil des activitĂ©s du mouvement culturel associatif et pour la transmission de la culture bretonne par le biais de stages et de cours hebdomadaires musique, danse, langue bretonne. AMZER NEVEZ permet la rencontre entre artistes en phase de crĂ©ation et publics par le biais de la formation ou par la prĂ©sentation des Ɠuvres créées.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation Autres activitĂ©s";Milieu urbain;2 chemin du Conservatoire ;56270;Ploemeur;France;02 97 86 32 08;contact ARTS ET MUSIQUE EN PROVENCE;Association Arts et Musique en Provence;"Depuis 2003, opĂ©rateur culturel itinĂ©rant, Arts et Musiques en Provence organise tout au long de l’annĂ©e, dans plus de 100 villes, plus de 300 Concerts et ÉvĂ©nements culturels, des Actions Éducatives auprĂšs du jeune public, des Rencontres musicales pour les seniors, des ConfĂ©rences, des Expositions d’instruments de musique du monde, produit des disques et assure l’accompagnement et la diffusion de nombreux artistes professionnels de la rĂ©gion Sud Provence Alpes CĂŽte d’Azur
 pour faire vivre, transmettre et partager toutes les musiques du monde.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;5 rue Jemmapes ;13001;Marseille;France;06 07 64 85 4;contact d'Azur; ASSOCIATION BAHIANAISES;ASSOCIATION BAHIANAISES;"Promouvoir les musiques du monde, les musiques brĂ©siliennes, grĂące Ă  la production et l'accompagnement d'artistes, de projets collectifs favorisant la rencontre entre les professionnels et amateurs, ateliers chorales, pandeiro et danses forro.";"";;36 rue AmpĂšre ;56890;SAINT AVÉ;France;09 80 83 14 74; AUBOI L';Association L'Auboi;"L'Auboi, musiques d'expression languedocienne";"";;Chemin Louis Roux dit Louisou ;34130;Mauguio;France;04 67 29 57 54; AU FIL DES VOIX;Association Aux Fils Des Voix ;"VĂ©ritable plate-forme de crĂ©ation, de diffusion et d’animation culturelle, le festival Au Fil des Voix permet de rendre visible de nouvelles productions discographiques du monde entier.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;49 rue Myrha ;75018;Paris ;France;01 47 53 68 68;administration AZILIZ DANCE;Association Aziliz dance;"Aziliz Dañs est une une structure artistique mise en oeuvre par la chorĂ©graphe et plasticienne CĂ©cile Borne. Cette structure est l' une des association fondatrice de la Grande Boutique, Ă  Langonnet 56 en centre Bretagne. Si le corps reste au centre des investigations, Aziliz Dañs n'hĂ©site pas Ă  inviter dans la danse la musique, les arts plastiques, la vidĂ©o, le masque ... Au delĂ  de la crĂ©ation de spectacle, elle appuie dans sa dĂ©marche la notion de parcours, d'Ă©changes, de transmission, d'interrogation sur l'environnement naturel, social et culturel. Chaque action se pose comme une Ă©tape dans un cheminement artistique en perpĂ©tuelle Ă©volution. Elle s'applique Ă  multiplier les occasions et les conditions de la rencontre, Ă  inventer de nouvelles formes pour mettre en jeu le corps dans toutes ses singularitĂ©s. Cet Ă©lan s'affirme loin de la consommation de masse de l'industrie culturelle , dans une Ă©thique de dĂ©veloppement durable, oĂč le respect de l'humain et de son environnement est placĂ© au centre des actions. Concevoir le corps comme un terrain archĂ©ologique, politique, sensible.";"";;26 rue EugĂšne Kerivel ;29100;Douarnenez;France;;azilizdans BANC JAUNE COLLECTIF;Association le banc jaune ;"Le Collectif du Banc jaune rĂ©unit et produit des projets de spectacle s'intĂ©ressant aux cultures populaires musicales et dansĂ©es.";"";;12 rue de la mariniĂšre ;44000;Nantes ;France;;contact de la Loire; BIG BRAVO SPECTACLES;Entreprise Individuelle Big Bravo Spectacles;"Entrepreneur de Spectacles- productions et tournĂ©es";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants ";Milieu urbain;1, rue d'Argantel ;22190;PlĂ©rin;France;02 96 70 86 99;contact BILAKA;BILAKA;"Bilaka est un collectif d’artistes qui Ɠuvre Ă  l’activation contemporaine des danses et des musiques traditionnelles du Pays Basque. Son travail se dĂ©veloppe autour de deux axes La crĂ©ation de spectacles d’écritures nouvelles Ă  partir du patrimoine immatĂ©riel basque, La crĂ©ation de rendez-vous populaires et de bals traditionnels gĂ©nĂ©rateurs de lien social et d’une pratique vivante de la culture basque.";"";;3 AVENUE JEAN DARRIGRAND ;64100;BAYONNE;France;;xabi BILAKA;Association Bilaka;"";"";;Harri Xuri ;64250;Luhuso - Louhossoa;France;;xabi BOULEGAN A L'OSTAL;Association Boulegan Ă  l'ostal;"Festival de musiques traditionnelles et populaires.";"";;1 rue du MarĂ©chal de Thoiras ;30270;Saint Jean du Gard ;France;06 70 55 15 54;;;Gard;Occitanie; BRAYAUDS LES - CDMDT 63;Association Les Brayauds Centre DĂ©partemental des Musiques et Danses Traditionnelles du Puy de DĂŽme;"Promotion du patrimoine culturel immatĂ©riel musiques, danses, chansons... Ă  travers diffĂ©rents axes formation ponctuelle stages de musique-chant-danse pour professionnels et amateurs et rĂ©guliĂšre Ă©cole de musique associative, interventions en milieu prĂ© et pĂ©ri-scolaire / sensibilisation en milieu scolaire dispositif Tradamuse / diffusion 'Les SoirĂ©es du Gamounet' / Festival 'Les Volcaniques'... / expression prestations artistiques extĂ©rieures assurĂ©es par une vingtaine de groupes / conservation et exploitation du patrimoine montage d'expositions - fonds documentaires avec photothĂšque, sonothĂšque, vidĂ©othĂšque, bibliothĂšque... / mise Ă  disposition de locaux pour diverses occasions centre d'hĂ©bergement, rĂ©sidences d'artistes, rĂ©unions...";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Enseignement et formation";Milieu rural;40 Avenue de la RĂ©publique ;63200;Saint-Bonnet-PrĂ©s-Riom;France;04 73 63 36 75;contact BRETAGNES WORLD SOUNDS;Association Bretagnes World Sounds;"Bretagnes World Sounds est un collectif rĂ©unissant des acteurs des musiques du monde artistes, producteurs, tourneurs, labels, organismes de formation, lieux de diffusion... implantĂ©s en rĂ©gion Bretagne. BWS a pour but de promouvoir les musiques populaires de Bretagne et du monde Ă  travers l’organisation de rencontres professionnelles et d’évĂ©nements, via la participation Ă  des salons professionnels internationaux, via la mise en rĂ©seaux construction de collaborations, coopĂ©ration dĂ©centralisĂ©e,interrĂ©gionale.";"Diffusion de spectacles vivants Accompagnement des artistes et des structures";Milieu rural;Impasse du Colombier ;22110;Rostrenen;France;07 88 41 13 15;coordination CAHUTE PRODUCTION;LA CAHUTE PRODUCTION;"La Cahute est une structure créée en 2011 pour aider et accompagner les artistes en dĂ©veloppement dans une dĂ©marche de crĂ©ation, production et diffusion des spectacles vivants autour des musiques actuelles. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants ";Milieu urbain;198 RUE D ARTOIS ;59000;LILLE;France;03 20 06 02 87;lacahuteproduction CAMOM LE - Compagnie Guillaume Lopez;CAMOM LE;"";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants ";Milieu rural;8 place de Compostelle ;32600;L'ISLE JOURDAIN;France;05 62 64 35 11;contact CARAMBAL;Association Carambal;"Carambal est une association Ă  but non lucratif, fondĂ©e en septembre 2010, ayant pour objectif la promotion de la culture folk française et europĂ©enne Ă  Paris et dans sa rĂ©gion. Cet objectif se traduit notamment par l’organisation de bals folk, nĂ©o-folk et trad en rĂ©gion parisienne, ainsi que par la mise en place de stages de dĂ©couverte et d’approfondissement des danses folk Scottish, Mazurka, BourrĂ©e, 
.";"";;18 rue Balmont ;95100;Argenteuil;France;;contact CDMDT 43;Association CMDT 43;"Le Centre DĂ©partemental des Musiques et Danses Traditionnelles de Haute-Loire a Ă©tĂ© créé en 1992 afin de structurer, dĂ©velopper et promouvoir ces pratiques artistiques sur l’ensemble du dĂ©partement de la Haute-Loire. En devenant le premier CDMDT en Auvergne, l’association a contribuĂ© Ă  la crĂ©ation et au renforcement du rĂ©seau des Musiques traditionnelles en Auvergne constituĂ© d’une structure rĂ©gionale, l’AMTA et des CDMDT Allier, Cantal et Puy de DĂŽme.";"Diffusion de spectacles vivants Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;29 rue Raphael ;43000;Le Puy en Velay;France;04 71 02 92 53; CENTRE CULTUREL VOCE;Association Centre Culturel Voce;"Le projet culturel du CNCM Voce s’ancre dans l’idĂ©e que la crĂ©ation musicale contemporaine, dans ce qu’elle a de plus innovante, n’est pas nĂ©cessairement l’apanage des capitales ou des agglomĂ©rations, et qu’elle peut, voire qu’elle doit, s’ancrer dans un territoire rural pourvu que celui-ci soit riche d’une tradition musicale forte, comme c’est le cas en Balagne et plus largement en Corse. Voce considĂšre que sa dĂ©marche de crĂ©ation a vocation Ă  ĂȘtre transmise, par la production de rĂ©sidences d’artistes, la diffusion de concerts et par des ateliers de formation.";"";;Place de l'Eglise ;20220;Pigna;France;04 95 61 73 13;contact CENTRE MANDAPA;ASSOCIATION CENTRE MANDAPA;"Créé en 1975 Ă  Paris, le Centre Mandapa a pour but de promouvoir les arts traditionnels du spectacle, de toute culture. Il propose une grande variĂ©tĂ© de reprĂ©sentations tout au long de l'annĂ©e concerts acoustiques, rĂ©citals de danses traditionnelles et contemporaines, festival autour du conte tradition orale.";"";;6 RUE WURTZ ;75013;Paris;France;01 45 89 99 90;direction CHANTIER VOCAL;Association Chantier vocal ;"Dynamiser les pratiques artistiques vocales et de les faire partager au plus grand nombre. Les quatre aspects fondateurs de son action sont - la recherche vocale et la crĂ©ation polyphonique ; - la valorisation du patrimoine culturel, notamment la culture gasconne, comme base d'un travail artistique mĂȘlant invention et tradition ; - le rayonnement sur le territoire aquitain, au moyen d'actions culturelles itinĂ©rantes ; - la transmission artistique, qui relie Ă©troitement pratique professionnelle et pratique amateur, culture orale et culture Ă©crite, sensibilisation et diffusion, en direction du jeune public et des populations locales. Le groupe vocal 'la Manufacture Verbale' est la compagnie professionnelle qui conduit les actions artistiques ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle";Milieu rural;4 route de la Couyelle ;33830;Belin Beliet;France;06 71 24 74 70; CITE DE LA MUSIQUE DE MARSEILLE;CitĂ© de la Musique de Marseille;"[ENSEIGNEMENT] En abordant l’apprentissage par la notion de plaisir, la CitĂ© de la Musique crĂ©e les conditions d’une histoire au long cours. Elle donne au musicien, quels que soient son Ăąge et son niveau, l’envie de poursuivre sa route dans ses 8 centres rĂ©partis dans la ville. Cours collectifs, possibilitĂ© de se produire en public au sein d’orchestres et d’ensembles constituĂ©s Ă  la CitĂ©, ouverture Ă  tous les styles
 De l’éveil Ă  la fin du cycle 2, l’enseignement rĂ©pond Ă  une seule et mĂȘme philosophie ici, la musique se ressent, se comprend et se partage. Douze associations sont accueillies dans le cadre de l'enseignement des musiques du monde. [CONCERTS ET SPECTACLES] Des moments rares et Ă©clectiques. Des instants de dĂ©couverte et de partage dans des Ă©crins spĂ©cifiques. La CitĂ© de la Musique accueille, tout au long de l’annĂ©e, plus d’une centaine de concerts 
une programmation Ă©clectique sur ces 3 salles. Sont Ă  l’affiche, des artistes qu’elle soutient mais ouvre aussi ses scĂšnes Ă  d’autres acteurs culturels de Marseille ou de la rĂ©gion. [MEDIATHEQUE]La CitĂ© de la Musique est un lieu de ressources musicales. Sa mĂ©diathĂšque, ouverte aux Ă©lĂšves mais aussi aux autres publics, regroupe livres, disques, films documentaires, revues, partitions
 Un fonds riche et actualisĂ©, accessible en consultation, voire en prĂȘt, qui rĂ©pond aussi bien aux besoins des amateurs que des professionnels. [ACTION CULTURELLE] A l’extĂ©rieur de ses murs, la CitĂ© pilote des projets novateurs. Les opĂ©rations Orchestre Ă  l’Ecole et Orchestre au collĂšge, actions culturelles ambitieuses, donnent Ă  des enfants de quartiers difficiles, Ă  des personnes Ă©loignĂ©es ou en difficultĂ©s l’occasion de dĂ©couvrir et pratiquer la musique. La CitĂ© favorise Ă©galement l’accĂšs des jeunes spectateurs et des publics scolaires Ă  des concerts et rĂ©pĂ©titions publiques. [RÉSIDENCES D'ASSOCIATIONS ET D'ARTISTES] Onze structures sont accueillies de façon permanente dans les locaux de la CitĂ©. Elles bĂ©nĂ©ficient ainsi d’un environnement propice Ă  leur dĂ©veloppement, et irriguent, en Ă©change, ce lieu d’ancrage de leur propre dynamisme. La CitĂ© de la Musique se veut un catalyseur d’énergies crĂ©atrices. Chaque annĂ©e, La CitĂ© de la Musique de Marseille organise des rĂ©sidences d’artistes qui multiplient les Ă©changes avec les publics locaux crĂ©ations, rĂ©pĂ©titions publiques, master-classes, concerts.";"Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Enseignement et formation";Milieu urbain;4 rue Bernard du Bois ;13001;Marseille;France;04 91 39 28 28;marcelodatena d'Azur; CLIQUE PRODUCTION LA;CLIQUE PRODUCTION LA;"La Clique intervient sur le dĂ©veloppement de projets artistiques, le management d’artistes et la gestion de carriĂšre musicale dans les domaines de la production de spectacles, la production phonographique, l'Ă©dition musicale et l'organisation de tournĂ©es. Nous axons notre travail dans des esthĂ©tiques musicales riches et variĂ©es musiques du monde, jazz, blues, classique, musiques actuelles.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Edition phonographique";Milieu urbain;CMCI 2 rue Henri Barbusse ;13001;MARSEILLE;France;09 81 63 30 98;joseph d'Azur; CMTRA;Centre des Musiques Traditionnelles en RhĂŽne-Alpes;"Le Centre des Musiques Traditionnelles RhĂŽne-Alpes est une association rĂ©gionale qui Ɠuvre Ă  la reconnaissance des musiques traditionnelles, des musiques du monde et des patrimoines de l’oralitĂ©. Il anime un rĂ©seau composĂ© d’associations, de chercheurs, d’enseignants et de professionnels de la culture, au service des pratiques artistiques amateurs et professionnelles, de la transmission et de la diffusion du spectacle vivant. PĂŽle de ressources dĂ©diĂ© aux patrimoines de l’oralitĂ©, il mĂšne des projets de recherche, de documentation et de valorisation des richesses culturelles des territoires ruraux et urbains de la rĂ©gion. A partir de dĂ©marches collectives, il agit en faveur du dialogue interculturel et participe Ă  la construction partagĂ©e du bien commun sur les territoires. Recherche Chaque annĂ©e, des projets de recherche ethnomusicologique et de collectage musical donnent lieu Ă  des expositions, des concerts, des ateliers, des crĂ©ations participatives. Valorisation patrimoniale Le CMTRA anime un portail rĂ©gional collaboratif de valorisation des archives sonores et des patrimoines de l’oralitĂ©. Action culturelle Il coordonne des projets participatifs favorisant les dialogues interculturels et la mise en lumiĂšre des cultures minoritaires. Diffusion Le CMTRA organise notamment depuis 20 ans le festival Les Jeudis des Musiques du Monde, vĂ©ritable espace d’expression artistique de la diversitĂ© culturelle. Publications Riche de 24 numĂ©ros, la collection de livres disques Atlas Sonore en RhĂŽne-Alpes offre une photographie sonore des territoires ruraux ou urbains de la rĂ©gion. Prestations DiffĂ©rents services sont proposĂ©s par le CMTRA numĂ©risation d’archives sonores, formations, Ă©tudes, interventions pĂ©dagogiques.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu urbain;46 cours du Docteur Jean Damidot ;69100;Villeurbanne;France;04 78 70 81 75;coordination de Lyon;Auvergne-RhĂŽne-Alpes; COLA PRODUCTION;COLA PRODUCTION;"Organisation du Festival Africa FĂȘte festival de musiques africaines, production de spectacles, rĂ©sidences artistiques, ateliers de mĂ©diation";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions";Milieu urbain;41 rue Jobin ;13003;Marseille;France;04 95 04 96 36 06 16 66 00 97;colaproduction2002 d'Azur; Collectif Ă  l'Envers ;Collectif Ă  l'Envers;"Association d'artistes autour de Erwan Keravec et Ronan Le GouriĂ©rec";"";;5 rue du Port ;44600;SAINT-NAZAIRE;France;06 59 26 02 12; de la Loire; COLLECTIF CA-I;Association Collectif ça-i;"Contribuer Ă  la dynamique culturelle locale, en considĂ©rant l’existant, dans un esprit d’innovation et de pluralisme artistique ; participer Ă  la professionnalisation des artistes locaux dans un logique de permanence artistique,promouvoir et de diffuser, en France et Ă  l’étranger, des crĂ©ations Ă  travers la programmation d’artistes implantĂ©s sur le territoire aquitain dans un souci constant d’échange, d’enrichissement et de diversification, transmettre et sociabiliser les langues et cultures rĂ©gionales par l’organisation, la production et la diffusion d’évĂšnements ou de crĂ©ations artistiques. Ces missions nĂ©cessitent un fort ancrage territorial que les membres du collectif ça-i portent chaque jour comme une simple façon d’exister. Une façon d’ĂȘtre en phase avec leur culture locale, de son histoire et de ses lendemains. »";"";;2 rue Principale ;64230;Poey de Lescar;France;05 59 68 84 67; COLLECTIF KLAM;Association Klam Records;"Le collectif Klam s'attache Ă  promouvoir les musiques populaires d'ici et lĂ , les musiques actuelles dĂ©samplifiĂ©es et les folklore d'aprĂšs demain.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu rural;15 rue Georges Cadoudal ;56400;Pluneret;France;06 95 30 80 08;contact COLLECTIF TO&MA;Association Traditions Orales & Musiques Actuelles;"Le Collectif TO&MA Traditions Orales et Musiques Actuelles se consacre depuis plus de dix ans Ă  la crĂ©ation et Ă  la diffusion de concerts mis en scĂšne, ainsi qu’au dĂ©veloppement d’actions pĂ©dagogiques, autour d’une pratique contemporaine, polyphonique et le plus souvent a capella des chansons traditionnelles françaises.";"";;16 les Tuileries ;89330;St Julien du Sault;France;06 19 98 71 51; COLLECTIF ARTISTICA INTERCULTURAL;"L'association VAI a Ă©tĂ© crĂ©e Ă  Rennes en 2011 avec le but de favoriser le contact entre diffĂ©rentes cultures, principalement par le biais de la production d'Ɠuvres artistiques relevant entre autres du spectacle vivant musique, danse, théùtre. Au-delĂ  de la simple valorisation du mĂ©tissage culturel, notre but est de montrer, que l'art peut ĂȘtre le vecteur crĂ©atif et constitutif des diversitĂ©s et des richesses qui fondent ces diffĂ©rentes cultures.";"";;6 COURS DES ALLIES ;35000;RENNES;France;;;;Ille-et-Vilaine;Bretagne; COMDT;Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse Midi-PyrĂ©nĂ©es;"Le COMDT est un lieu ressource Ɠuvrant principalement Ă  la promotion et Ă  la valorisation de la culture occitane de tradition orale dans les domaines de la musique et de la danse. Ses missions empruntent Ă  toutes les formes de l’action culturelle la diffusion et le soutien Ă  la crĂ©ation artistique programmation d’une saison de concerts, participation aux programmations de structures et festivals en rĂ©gion, accompagnement d’artistes, la formation et la sensibilisation ateliers hebdomadaires et stages ponctuels de musique et de danse, partenariat avec le dĂ©partement de musiques traditionnelles du Conservatoire Ă  Rayonnement RĂ©gional de Toulouse, Ă©ducation artistique et culturelle, la recherche et la valorisation du patrimoine centre de documentation et d’archives sonores et audiovisuelles, atelier de facture instrumentale. A partir de ses missions fondamentales, le COMDT construit Ă©changes et passerelles avec d’autres traditions musicales et avec les musiques anciennes.";"";;5 rue du Pont de Tounis ;31000;Toulouse;France;05 34 51 28 38;contact COMPAGNIE BALAGAN;Association Compagnie Balagan;"ConstituĂ©e en collectif d'artistes professionnels depuis 1999 sous l'impulsion de François Heim. Elle propose la diffusion et crĂ©ation de spectacles dans le domaine des nouvelles musiques traditionnelles. Chaque projet fait appel Ă  des artistes d’horizons artistiques divers, certains sont des compagnons de route depuis le dĂ©but, comme AlexeĂŻ Birioukov ou Bruno Le Tron, d’autres viennent participer aux activitĂ©s de la compagnie de maniĂšre plus ponctuelle. Nos crĂ©ations s'inscrivent dans une dĂ©marche artistique favorisant le dialogue et le partage. Elle produit Ă©galement des albums, Ă©dite des recueils de partitions, ... La compagnie Balagan organise depuis 20 ans des stages consacrĂ©s Ă  l'apprentissage de l'accordĂ©on diatonique, mais pas que. Tous instruments, musique d'ensemble, chant, danse sont aujourd'hui au rdv des stages proposĂ©s toute l'annĂ©e dans ses locaux Ă  Chalap, en CĂ©vennes.";"";Milieu rural;Chalap ;30450;SĂ©nĂ©chas;France;06 84 45 58 27;lacompagniebalagan COMPAGNIE DES MUSIQUES TÊTUS;Compagnie des musiques TĂȘtus;"Compagnie artistique atypique implantĂ©e Ă  Rostrenen, les Musiques TĂȘtues font rayonner le Centre Bretagne depuis 2011 Ă  travers des projets musicaux singuliers qui mettent en avant des compositions originales et collectives, qui prennent leurs sources dans les traditions orales de la Bretagne et du monde, le jazz ou les musiques improvisĂ©es.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Autres activitĂ©s";Milieu rural;Espace associatif ;22110;Rostrenen;France;06 07 52 80 17;delphine COMPAGNIE DOUNIA;Association Dounia;"Production-diffusion spectacles vivants et festival Escale Africaine";"";;11 rue de Lorraine ;35000;Rennes;France;09 81 65 19 86;contact COMPAGNIE DU RIGODON;Association Compagnie du Rigodon;"Cette associaiton a pour but de promouvoir et de diffuser des arts d'expression populaire et plus particuliĂšrement, des musiques et des danses traditionnelles des Alpes du Sud.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Facture instrumentale Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu rural;Le Grison ;05700;La BĂątie-MontsalĂ©on;France;06 87 93 64 64;compagniedurigodon d'Azur; COMPAGNIE LAGUNARTE;ASSOCIATION LAGUNARTE;"La compagnie musicale LagunArte a Ă©tĂ© créée en 2001 par le chanteur et percussionniste Kristof Hiriart. Ses influences musicales sont multiples et assumĂ©es – des sons traditionnels Ă  la musique improvisĂ©e. LagunArte se plaĂźt Ă  observer les hommes et leurs pratiques rituelles quotidiennes. Elle produit des formes musicales variĂ©es allant du solo jeune public Mokofina en 2015, Milia en 2019 au grand ensemble de 12 musiciens Organik Orkeztra, en passant par le duo Bilika, Hermeto?. Aujourd’hui, Ă  presque 20 ans d’existence, LagunArte a créé un nombre important de piĂšces qui forment un ensemble cohĂ©rent, un parcours qui se lit, se regarde et s’écoute.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Edition phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu rural; ;64240;BASTIDE CLAIRENCE LA;France;05 59 70 14 93;contact COMPAGNIE MONTANARO;Association MIMO Mouvement International des Musiques Ouvertes;"DĂ©veloppement de projets par la Cie Baltazar Montanaro dans le domaine des nouvelles musiques de transmission orale, nouvelles musiques traditionnelles, musiques du monde et musiques improvisĂ©es, crĂ©ation.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants ";Milieu rural;Fort Gibron ;83570;Correns;France;04 94 86 15 75;cie-montanaro d'Azur; COMPAGNIE NEPETA;COMPAGNIE NEPETA;"La Compagnie Nepeta a pour noyau dur trois artistes chanteuses et danseuses Solange Panis, Elodie Suarez et Margaux Pasquet. Elle oeuvre dans le domaine du spectacle vivant et en particulier dans le domaines des arts et traditions populaires";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu rural;LE PLESSIOU ;36230;SAINT DENIS DE JOUHET;France;06 .7 3. 80 .7 3. 76;assonepeta de Loire; Compagnie Rassegna;MCE Productions Musique, Conte, Etc Productions;"L'association MCE Productions, fondĂ©e en 1997 Ă  Marseille, produit et accompagne des crĂ©ations et des projets dĂ©veloppant un rapport fort au croisement et Ă  la rencontre, notamment dans le secteur du conte et des musiques traditionnelles et anciennes. Elle s'appuie sur une compagnie musicale associĂ©e, la Compagnie Rassegna, et une salle de spectacles, L'Ă©olienne, situĂ©e au coeur de l'hypercentre marseillais, dans le quartier de Noailles. Elle dĂ©veloppe Ă©galement ses actions hors les murs, dans les bibliothĂšques et musĂ©es des villes de Marseille et Toulon, ou en lien avec d'autres structures et partenaires du territoire. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu urbain;5 Rue Meolan et du PĂšre Blaize ;13001;MARSEILLE;France;04 91 37 86 89;direction d'Azur; Compagnie SystĂšme B;Association SystĂšme B;"La Compagnie SystĂšme B propose des bals du monde et des projets culturels de territoires Ă  forte dimension sociale. Par la cre?ation de spectacles et la transmission, la Compagnie SystĂšme B valorise les patrimoines culturels immate?riels des habitants et territoires sur lesquels elle agit.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;11 rue de Dijon ;44800;Saint Herblain;France;06 95 14 76 85; de la Loire; COOPERZIC;Association Cooperzic;"COOPERZIC est un collectif de musiciens basĂ©s dans l'HĂ©rault passionnĂ©s par les musiques trad du monde reprises sous toutes leurs formes. Que ce soit pour les scĂšnes de musiques actuelles ou bien du bal folk, Ă  travers des compositions ou des arrangements d'airs traditionnels, tous les groupes du collectif rĂ©-adaptent Ă  leur sauce ce gigantesque 'mesclun' de cultures !";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique";Milieu rural;6 rue des Gabels ;34570;Monatrnaud;France;;coroudeberra COPSEC COLLECTIF;Association collectif cop sec;"Fruit de rencontres et d’échanges entre acteurs de la nouvelle crĂ©ation artistique en Occitanie, le collectifs’est imposĂ© comme plate-forme de rĂ©flexion.";"";; ;;;France;;production CORIANDRE;Association Coriandre;"L'association Coriandre, créée autour du groupe, a maintenant une belle autonomie et une dynamique symbiotique s'est installĂ©e. Elle soutient la promotion des musiques et danses traditionnelles , avec des formes tenant compte du temps prĂ©sent. L'Occitan est en toile de fond mais sans exclusive ni sectarisme, tant au niveau culturel que linguistique. Les 15Ăšmes Trad'Hivernales, et le 14Ăšme balĂšti d'Automne, tĂ©moignent d'une activitĂ© dynamique, riche et ancrĂ©e dans la durĂ©e. L'association, c'est aussi des ateliers rĂ©guliers de danses et de chants, et des CafĂ©s Occitans mensuels. Et l'association est aussi la productrice des 5 CD de Coriandre.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants ";Milieu rural;501 Chemin de la Mallevirade ;30250;SommiĂšres;France;06 70 04 80 36;contact CORROU DE BERRA ;Association Corrou de berra ;"Ensemble créé en 1986, 15 CD Ă©ditĂ©s, des centaines de concerts dans toute l'Europe et ailleurs. Le rĂ©pertoire du Corou de Berra est en constante Ă©volution. Il va du chant traditionnel des Alpes du Sud dans sa plus pure expression jusqu'aux crĂ©ations contemporaines les plus inattendues. Musique jamais figĂ©e, interprĂ©tĂ©e avec toute la vivacitĂ© requise, par des chanteurs en pleine possession de leur culture et de leur art. Mixte, trans-gĂ©nĂ©rationnel, poly-musical, transfrontalier, le Corou de Berra rassemble des musiciens porteurs d'une richesse musicale complĂ©mentaire. Un puzzle artistique qui fonctionne a merveille. ";"";;40 avenue Paul granet ;06390;Berre les Alpes ;France;04 93 54 83 70;;;Alpes-Maritimes;Provence-Alpes-CĂŽte d'Azur; CPMDT ;Association Collectif des Artistes Professionnels des Musiques et Danses Traditionnelles;"Le CPMDT est une association qui se veut force de rĂ©flexion, de proposition, et de reprĂ©sentation du secteur professionnel des musiques et danses traditionnelles. Elle rassemble artistes, techniciens, administrateurs, associations, collectifs, compagnies Ɠuvrant dans ce domaine artistique. extrait de l'article 2 des statuts de l'association.";"Production ouvrages Autres activitĂ©s";Milieu urbain;170 galerie de l'Arlequin - App 8506 ;38100;Grenoble;France;06 31 36 54 05;tofsac CRIC-CRAC COMPAGNIE ;Centre de Formation Musicale;"Cette association a pour objet de promouvoir, dans un but large d’éducation populaire, la pratique musicale amateur par la mise en Ɠuvre d’activitĂ©s de formation, de crĂ©ation et de diffusion Ă  destination des publics enfants et adultes, valides et non valides. La formation Les objectifs de l’association sont - L’organisation et la mise en place d’ateliers d’éveil musical, de percussions, et d’apprentissage d’instruments de tradition populaire type cornemuse, vielle Ă  roue, accordĂ©on diatonique, etc
. - L’organisation et la mise en place d’ateliers de jeu d’ensemble et de crĂ©ation musicale. Les ateliers sont collectifs et l’apprentissage doit essentiellement se faire d’oreille. Le solfĂšge ne peut en aucun cas ĂȘtre rendu obligatoire, ni devenir le moyen d’une quelconque sĂ©lection des personnes. L’association soutient et encourage le dĂ©veloppement d’un matĂ©riel pĂ©dagogique spĂ©cifique ensemble de percussions et objets sonores originaux construits Ă  partir des matĂ©riaux les plus divers. Ce matĂ©riel doit pouvoir rĂ©pondre aux exigences pĂ©dagogiques qui rĂ©gissent les ateliers d’éveil musical et de percussions. La crĂ©ation Les objectifs de l’association sont - La mise en Ɠuvre de projets de crĂ©ation musicale les plus divers dans le domaine des musiques de tradition populaire - La mise en Ɠuvre de projets de crĂ©ation musicale qui favorisent la rencontre et le mĂ©tissage des musiques de tradition populaire avec d’autres genres musicaux tels que musique contemporaine, musiques ethniques, chanson, etc
 - La mise en Ɠuvre de projets de crĂ©ation interdisciplinaires qui puissent permettre aux musiques de tradition populaire de se confronter Ă  d’autres disciplines artistiques telles que la danse, les arts plastiques, la littĂ©rature et autres. La diffusion Les objectifs de l’association sont - La conception et l’organisation de manifestations de type concerts, bals et spectacles qui permettent Ă  des musiciens en formation de se produire rĂ©guliĂšrement devant un public. - L’organisation rĂ©guliĂšre de concerts et spectacles ouverts Ă  des musiciens, groupes ou orchestres extĂ©rieurs Ă  l’association. Publics visĂ©s L’association se donne pour objectifs - De gĂ©rer et d’animer un Ă©quipement ouvert au grand public. Cet Ă©quipement est l’outil qui permet de rĂ©aliser de maniĂšre privilĂ©giĂ©e les objectifs dĂ©crits ci-dessus. - D’étendre son action auprĂšs des institutions qui en feront la demande Ă©coles, structures petite enfance, structures pour personnes dĂ©ficientes, organismes opĂ©rant dans le domaine de la formation de formateurs ou de la formation continue, etc
 ";"";; Avenue du Bois ;59650;Villeneuve d'Ascq;France;06 33 14 36 25;contact CRIÉE LA;Association La CriĂ©e;"La CriĂ©e est une agence d’accompagnement artistique et prestations liĂ©es au spectacle vivant. Elle a vu le jour en octobre 2014 et est le fruit d’une collaboration entre Tangi Le Boulanger et Manon Fouquet, professionnels du spectacle depuis une dizaine d’annĂ©es. La CriĂ©e est Ă©galement membre du rĂ©seau Bretagnes World Sounds, et de La Maison des Producteurs. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;35 Rue de Voltaire ;29100;Douarnenez;France;06 89 23 91 55;contact CRMTL;Centre RĂ©gional des Musiques Traditionnelles en Limousin;"Le Centre RĂ©gional des Musiques Traditionnelles en Limousin » a pour but de permettre une meilleure connaissance et appropriation des territoires de la rĂ©gion Limousin au travers des musiques traditionnelles et des cultures qui y sont liĂ©es. L’association entend ainsi contribuer Ă  la dĂ©couverte du patrimoine vivant du Limousin ainsi qu’au dĂ©veloppement des Ă©changes entre les habitants, les associations et les acteurs professionnels investis dans le dĂ©veloppement et la promotion de leur territoire. Pour tendre vers cet objectif gĂ©nĂ©ral, l’association propose des activitĂ©s qui sont rĂ©alisĂ©es dans cinq champs d’actions distincts la valorisation/crĂ©ation/mise en rĂ©seau, l’accompagnement technique et artistique , la co-organisation Ă©vĂ©nementielle, l’éducation artistique et culturelle, l’initiation et la formation et l'animation d'un Centre Ressources.";"Edition phonographique Edition d'ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu rural;4 avenue Jean Vinatier ;19700;Seilhac;France;05 55 27 93 48;crmtl CULTURAS D'OC;CULTURAS D'OC en Lot et Garonne;"L'ACPA Ɠuvre Ă  la promotion et Ă  la valorisation du patrimoine oral occitan en utilisant principalement la musique et la danse traditionnelle. L'association est pĂŽle ressource dĂ©partemental en Lot-et-Garonne et intervient comme, Ă©cole de musique, organisatrice d'Ă©vĂšnements, intervient dans la transmission en danse, crĂ©atrice de spectacle ou d'ouvrages";"Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu urbain;10, rue Ledru Rollin ;47000;Agen;France;06 71 01 08 66;culturasdoc DASTUM;Association loi 1901;"Depuis 1972, Dastum recueillir » en breton, association Ă  but non lucratif, s’est donnĂ© pour mission le collectage, la sauvegarde et la diffusion du patrimoine oral de l’ensemble de la Bretagne historique chansons, musiques, contes, lĂ©gendes, histoires, proverbes, dictons, rĂ©cits, tĂ©moignages...";"Production phonographique Production ouvrages Edition phonographique Edition d'ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;29 bis rue de la DoneliĂšre ;35000;Rennes;France;02 99 30 91 00;dastum DASTUM 44;Association Dastum 44 Centre des Traditions Orales en Loire-Atlantique;"Dastum 44, centre du patrimoine oral de Loire-Atlantique, est une association Ă  but non lucratif, fondĂ©e en 1992. Elle constitue une antenne du rĂ©seau Dastum, implantĂ© dans l'ensemble de la Bretagne historique. Les missions de Dastum 44, comme celles du rĂ©seau Dastum dans son entier, sont la collecte, la sauvegarde et la transmission du patrimoine de tradition orale chanson, musique, conte, rĂ©pertoire enfantin et toutes autres formes d'expression populaire transmises oralement ou Ă  travers une pratique initialement non codifiĂ©e par Ă©crit la danse par exemple. Ce matĂ©riau correspond Ă  ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler le 'patrimoine immatĂ©riel'. 1 Collecter - Dastum 44 mĂšne des activitĂ©s de collecte directe du patrimoine oral, de façon spontanĂ©e ou dans le cadre de partenariats et de conventions avec des collectivitĂ©s territoriales. Dans ce second cas, le travail peut ĂȘtre conduit de maniĂšre ciblĂ©e en fonction de prioritĂ©s gĂ©ographiques ou thĂ©matiques, selon la commande effectuĂ©e. Collecter, c'est aussi pour Dastum 44 rĂ©unir en un mĂȘme lieu les documents enregistrements sonores, archives Ă©crites, photographies, films
 rassemblĂ©s au fil du temps par des collecteurs dispersĂ©s qui ont effectuĂ© ce travail de maniĂšre intuitive ou systĂ©matique, par intĂ©rĂȘt personnel pour cette matiĂšre. 2 Sauvegarder - Le dĂ©pĂŽt Ă  Dastum 44 de ces archives individuelles permet d'assurer leur pĂ©rennitĂ© Ă  travers leur numĂ©risation et de constituer un fonds documentaire le plus exhaustif possible, afin de rendre compte de la façon la plus exacte de la diversitĂ© du patrimoine oral de la Loire-Atlantique. 3 Transmettre - Enfin, il importe que ces archives soient accessibles au public et en particulier aux chanteurs, musiciens, conteurs qui peuvent y puiser leur rĂ©pertoire et ainsi continuer Ă  faire vivre la tradition.";"";;69 rue de Bel-Air ;44000;Nantes;France;02 40 35 31 05;contact de la Loire; DAYMA;Association Dayma;"Evolution de la danse orientale par le mĂ©tissage avec d'autres expressions artistiques et la promotion de cette danse dans le paysage artistique par la production de spectacles vivants";"";;15 passage Ramey ;75018;PARIS ;France;;;;Paris;Île-de-France; DELIRE ET DES NOTES ;Association DĂ©lire et des notes ;"";"Diffusion de spectacles vivants ";Milieu rural;La Rochette ;19270;DONZENAC;France;;deliresetdesnotes DROM - KREIZ BREIZH AKADEMI;Association Drom Kreizh Breizh Akademi;"Promotion et transmission des cultures populaires de tradition orale et des musiques modales les actions de la structure portent sur - la formation professionnelle via le dispositif long 'Kreiz Breizh Akademi' et une offre de stage et master-classe en France et Ă  l'Ă©tranger tout au long de l'annĂ©e - la transmission via un programme d'actions territoriales faisant intervenir des musiciens spĂ©cialistes des musiques modales sur le territoire breton et plus largement - la recherche via la mise en Ɠuvre de colloque bisannuels et la mise en rĂ©seau de pĂ©dagogues, chercheurs, musiciens, luthiers, etc prĂ©occupĂ©s par les musiques modales.";"Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu urbain;60 rue du ChĂąteau ;29210;Brest ;France;09 65 16 71 21; ESTOURNIAS LES;association les Estournias;"’objectif de l’association est de promouvoir et transmettre les musiques, danses et chants traditionnels, ou d’inspiration traditionnelle. Ce courant musical est bien vivant. Aussi, nous nous laissons la possibilitĂ© de nous ouvrir aux crĂ©ations musicales et chorĂ©graphiques. ";"Autres activitĂ©s";Milieu urbain;16 rue des genets ;17138;Saint-Xandre;France;05 46 66 50 61;lesetournias EUROTAMBFI;Association Eurotambfi;"";"";;8 chemin de Chichery ;34120;Pezenas;France;; EXCENTRALE L';L'Excentrale;"Depuis Clermont-Ferrand, les membres de la compagnie 'L'Excentrale', font dialoguer environnements sonores, improvisation, Ă©critures et traditions orales, jouent des musiques neuves volontairement empoussiĂ©rĂ©es, et racontent Ă  leur façon le Massif Central Ă  la fois excentrĂ©, excentrique et central.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;23, rue Saint-GenĂšs ;63000;Clermont-Ferrand;France;06 63 85 94 40; FEM COLLECTIU;Association Fem Collectiu;"NĂ© en 2014 Ă  Marseille, FeM contraction de 'fasem', 'nous faisons' est un collectif d’artistes de projets d'expĂ©rimentation, de crĂ©ation artistique et intellectuelle.?Les notions de culture, d’appartenance, de localitĂ©, de patrimoine, sont ici interrogĂ©s au travers de nouveaux modes d’expressions artistiques poly-formes mĂȘlant arts visuels, musique traditionnelle de crĂ©ation, poĂ©sie, dramaturgie, rĂ©flexion politique. Nous imaginons ainsi une autre maniĂšre de faire », fondatrice d’un engagement artistique Ă  travers le choix de la valorisation d'une dĂ©marche fondĂ©e sur l' expĂ©rimentation ».";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Collectage et documentation";Milieu rural;8 rue DiedĂ© ;13006;MARSEILLE;France;;;;Bouches-du-RhĂŽne;Provence-Alpes-CĂŽte d'Azur; FESTIVAL LES TRAVERSÉES TATIHOU;CONSEIL DEPARTEMENTAL DE LA MANCHE - DELEGATION A LA CULTURE;"festival de musiques traditionnelles et du monde sur l'Ăźle Tatihou, Ă  Saint-Vaast-la-Hougue et dans le Val de Saire Manche. Le festival est une initiative du Conseil dĂ©partemental de la Manche, et s'inscrit dans un panel d'actions culturelles saisons culturelles en milieu rural, soutien et accompagnements des acteurs culturels et des structures d'enseignements artistiques, animation du rĂ©seau des 12 sites et musĂ©es dĂ©partementaux, lecture publique, archives dĂ©partementales...";"";; ;50050;SAINT-LO;France;02 33 05 95 88; FESTIVAL SUMMERLIED;Association Festival de musiques, chants et contes d'Alsace et d'ailleurs;"Soutenir, valoriser, promouvoir et renouveler les musiques, chants et contes en dialecte alsacien et issus des autres langues de France.";"";;4 rue du GĂ©nĂ©ral de Gaulle ;67590;Schweighouse sur Moder;France;03 88 07 29 66;info Est; FGAMDT ;Association FGAMDT;"";"Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;place Joane ;33850;LĂ©ognan;France;;fgadmt FIL PRODUCTION;Association Fil production;" Le Fil Production accompagne ponctuellement ou rĂ©guliĂšrement des projets artistiques. ConcrĂštement, il s'agit de travailler avec les Ă©quipes artistiques sur la production d'un spectacle soit RĂ©daction de dossier de prĂ©sentation Budget prĂ©visionnel et recherches de financement Établir un plan de communication, dĂ©finir voire concevoir des supports Soutien Ă  la diffusion d'un spectacle Gestion de la paie des intermittents du spectacle uniquement pour les compagnies titulaires de leur propre licence d'entrepreneur du spectacle Pour chaque projet, il est nĂ©cessaire que nous en discutions pour dĂ©finir le champ d'intervention - possible ou non – du Fil Production et les modalitĂ©s de mise en Ɠuvre des actions.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Accompagnement des artistes et des structures";Milieu rural;39 Grand Rue ;30350;Ledignan;France;06 27 34 12 58;lefilproduction FISELERIE LA;Association La Fiselerie Festival Fisel;"L'association a pour but la dĂ©fense, la promotion et le dĂ©veloppement culturel en Pays Centre-Ouest Bretagne et notamment ses particularitĂ©s du Pays Fisel.";"";;Impasse du Colombier ;22110;Rostrenen;France;06 51 00 22 95;lafiselerie FOLK DES TERRES FROIDES LE;Association Folk des Terres Froides;"Association pour la promotion des musiques et danses traditionnelles en Nord-IsĂšre organisation d'ateliers rĂ©guliers 26 ateliers d'instruments, de chant et de danse trad animĂ©s par 10 bĂ©nĂ©voles et 2 professionnels, Organisation de stages, de concerts de bals, animation de stages de concerts, de bals par les adhĂ©rents";"";;19 rue Saint-Jean ;38110;La Tour du pin;France;04 74 92 46 46; FRMJC IDF;FĂ©dĂ©ration RĂ©gionale des Maisons des Jeunes et de la Culture en Ile de France;"FĂ©dĂ©rer, dĂ©velopper, animer, former, chercher Voici les missions de la FĂ©dĂ©ration rĂ©gionale des Maisons des Jeunes et de la Culture en Ile-de-France. Les Maisons des Jeunes et de la Culture MJC sont des associations d’Education Populaire qui travaillent Ă  l’émancipation individuelle et collective de tous. Dans cette Ă©poque difficile oĂč l’engagement durable au service de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ne va plus forcĂ©ment de soi, oĂč l’abstention aux Ă©lections atteint des sommets, oĂč les extrĂȘmes progressent de façon inquiĂ©tante, oĂč la confiance dans le modĂšle rĂ©publicain est fortement Ă©branlĂ©e, le travail de la FRMJC?IdF et des MJC s’appuie sur la conviction que l’Homme est transformable et que c’est sur l’émancipation individuelle que repose l’émancipation collective. C’est bien sur cette base que la FRMJC?IdF et les MJC s’inscrivent dans une dĂ©marche Ă©ducative. L’Art, la Culture, le Sport y sont des vecteurs de lien social sur un territoire, se faisant outils de dĂ©mocratie locale au service et Ă  l’initiative des citoyens.";"";;9 rue Philidor ;75020;Paris;France;01 49 72 51 90;contact GALAOR;Association Galaor;"L'association a pour but l'Ă©ducation populaire par la promotion de la danse et de la musique traditionnelle Ă  travers l'organisation d'ateliers, rencontres, stages
";"";;Place des FaÏenciers ;76100;Rouen;France;02 35 08 55 30;contact ;Seine-Maritime;Normandie; GCBPV;GROUPEMENT CULTUREL BRETON DES PAYS DE VILAINE;"La structure a pour missions principales d'assurer la sauvegarde, la transmission et la valorisation du patrimoine culturel. Elle vise aussi Ă  promouvoir de nouvelles formes d'expression et de crĂ©ation Ă  partir de ce patrimoine. Pour ce faire, elle est aujourd'hui organisĂ©e en 3 pĂŽles d'activitĂ©s - Enseignement de la musique traditionnelle l'association gĂšre une Ă©cole de musique itinĂ©rante sur le territoire du Pays de Redon. - Organisation d'Ă©vĂ©nements culturels dont le festival de la Bogue d'Or - Centre-Ressources d'archives sonores et iconographiques / Editions ";"Diffusion de spectacles vivants Edition phonographique Edition d'ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu rural;6, rue Joseph Lamour de Caslou ;35600;REDON;France;02 99 71 45 40;gcbpv Grand Barbichon Prod Le;Association Le Grand Barbichon Prod;"Le Grand Barbichon Prod Le GBB, c’est avant tout une double envie permettre Ă  des artistes de rĂ©aliser leur projet, et amener tous les publics, connaisseurs ou non, Ă  dĂ©couvrir et apprĂ©cier les musiques d'influences traditionnelles. “Traditionnelles” ne veut pas dire anciennes... En vĂ©ritables passionnĂ©s, nous nous inscrivons dans une dynamique de dĂ©couverte et de renouveau de ces musiques en tant que musiques actuelles et nous soutenons les artistes dans le dĂ©veloppement de leurs projets et leurs recherches d’hybridation entre sources anciennes et techniques contemporaines. Créé en 2009, Le Grand Barbichon Prod accompagne les artistes dans toutes les Ă©tapes de leur parcours artistique de la dĂ©finition de leurs projets aux tournĂ©es en passant par la crĂ©ation des concerts, la promotion des groupes, l'enregistrement phonographique et la mise en place d’action culturelle. Le GBB a dĂ©veloppĂ© un catalogue d’une dizaine d’artistes. Nous accompagnons aussi ponctuellement des groupes Ă©mergents, notamment en RĂ©gion Centre. Si la production phonographique et la production de spectacle se dĂ©veloppent considĂ©rablement ces derniĂšres annĂ©es, l’organisation de tournĂ©es et la vente de spectacles reste le cƓur de notre activitĂ©, avec environ 150 dates par an en France et en Europe. Du bal au concert amplifiĂ©, le Grand Barbichon Prod est force de proposition pour imaginer avec des programmateurs/organisateurs des instants artistiques de qualitĂ©. BasĂ©e Ă  Henrichemont Cher, la structure associative est portĂ©e par un bureau bĂ©nĂ©vole, un salariĂ© - SĂ©bastien Berthet, chargĂ© de production avec l’appui ponctuel de deux intermittentes. Nous travaillons avec plus d’une cinquantaine d’artistes. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures";Milieu rural;17 rue Victor Hugo ;18250;HENRICHEMONT;France;33 63 11 19 19 4;contact de Loire; GRANGE ROUGE LA;Association La Grange Rouge;"Au sud-est de la SaĂŽne-et-Loire, Ă  5 kms de Louhans, se trouve une ancienne ferme du 17Ăš siĂšcle rĂ©habilitĂ©e et reconvertie en centre culturel.";"";;142 rue du Vauvret ;71500;LA CHAPELLE NAUDE;France;03 85 75 85 75;poleculturel HART BRUT;SCOP Hart Brut;"Cette association a pour buts - la crĂ©ation, la production et la diffusion de spectacles vivants - des prestations de service technique - des actions pĂ©dagogiques formation, master-class - des conseils artistiques et techniques - l'organisation de rencontres, tables-rondes.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants ";Milieu rural; ;64360;LUCQ DE BEARN;France;06 08 00 86 28;contact HERRI SOINU;Association Herri Soinu;"Herri Soinu s’est fixĂ© comme objet de diffuser la Musique et la Danse dites traditionnelles, de promouvoir une crĂ©ation contemporaine liĂ©e Ă  la musique et Ă  la danse basques et de transmettre ce patrimoine aux jeunes gĂ©nĂ©rations et aux publics les plus Ă©loignĂ©s de la culture basque sur le territoire d’Iparralde. HERRI SOINU, structure professionnelle, organise trois Ă©vĂ©nements phares de la culture basque le festival HARTZARO Ă  Uztaritze, autour du patrimoine carnavalesque et le festival HERRI UZTA sur le territoire de la CommunautĂ© de Communes Errobi, sur le thĂšme du patrimoine et des crĂ©ations en matiĂšre de musique et danse traditionnelles en Pays le festival HARTZA ALTZOAN sur la CommunautĂ© de communes Errobi, entiĂšrement dĂ©diĂ© au jeune public et aux publics spĂ©cifiques. Notre association a Ă©galement engagĂ© en 2011 un projet de reconnaissance des traditions carnavalesques du Labourd par l’inscription de ces traditions au Patrimoine Culturel ImmatĂ©riel de l’UNESCO. Par les associations qui en sont membres, Herri Soinu est un creuset des pratiques amateurs et un partenaire culturel important pour le territoire Errobi. Dans une dynamique de complĂ©mentaritĂ©, elle encourage et soutient les jeunes artistes engagĂ©s dans la voie professionnelle et Ɠuvre au dĂ©veloppement et Ă  la qualification des pratiques amateurs, en rĂ©unissant ces deux acteurs autour de projets de crĂ©ation. Elle engage un important travail de mĂ©diation culturelle par des ateliers et des interventions dans des Ă©tablissements scolaire du territoire impliquant des Ă©lĂšves de tous Ăąges, et par une riche programmation en arts de la rue. Elle Ɠuvre au dĂ©veloppement culturel local en inscrivant son projet associatif et ses actions dans une dĂ©marche associative partenariale essentiellement portĂ©e par des acteurs bĂ©nĂ©voles, sur la commune d’Uztaritze, mais aussi plus largement sur le territoire de la communautĂ© de communes Errobi. GrĂące Ă  son ancrage elle poursuit l’objectif de mise en rĂ©seau des acteurs culturels du territoire autour de la rĂ©alisation de projets partenariaux, permettant aussi bien la mutualisation des moyens que celle des compĂ©tences ou des idĂ©es. HERRI SOINU est Ă©galement reprĂ©sentĂ©e au Conseil d'administration de EKE-ICB, Institut Culturel Basque, via son prĂ©sident membre Ă©lu de cet institut.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle";Milieu rural;Centre Lapurdi ;64480;Uztaritze;France;07 69 43 89 67; HET REUZEKOOR ;Association culturelle et musicale de Flandre maritime;"";"";;rue de Belfort ;59240;Dunkerque;France;03 28 62 01 95;contact JMF LORRAINE;Association RĂ©gionale des Jeunesses Musicales de France de Lorraine;"RĂ©unir les jeunes dĂ©sireux de s'adonner Ă  la culture artistique en gĂ©nĂ©ral et plus particuliĂšrement Ă  la culture musicale, dĂ©velopper le goĂ»t et l'activitĂ© musicale et artistique, participer Ă  l'ouverture culturelle musicale en milieu scolaire et pĂ©ri-scolaire, promouvoir les jeunes artistes, notamment de la rĂ©gion, encourager les jeunes Ă  la pratique musicale, mettre en valeur les spĂ©cificitĂ©s ou particularismes musicaux de la rĂ©gion et ce en Ă©troite collaboration avec l'association JMF";"";;5 rue de l'Erimont ;88230;Fraize;France;03 29 50 35 66; Est; KARU PROD;KARU PROD;"L’association K a R u prod » place au centre de ses prĂ©occupations la question des droits culturels et notamment la valorisation du patrimoine immatĂ©riel. Elle s’est donnĂ© pour objet ‱ de dĂ©velopper des actions en vue de demander une inscription de la rumba catalane ?sur la liste du Patrimoine Culturel ImmatĂ©riel de l’Unesco; ‱ de mettre en comprĂ©hension, de promouvoir et de valoriser les expressions artistiques et ?culturelles dont la rumba catalane; ‱ d’organiser et/ou de participer Ă  toute action favorisant l’objet associatif ci-dessus ?sur le territoire national et international notamment transfrontalier France, Andorre, Espagne.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation";Milieu urbain;28 RUE DE LA LANTERNE ;66000;PERPIGNAN;France;06 11 82 94 68;contact KIWI PROD;SARL KIWI PRODUCTION;"ActivitĂ© de production et organisation de spectacles, de festivals, l’activitĂ© de mĂ©diation culturelle, de cours de musique et tous conseils divers dans le domaine technique.";"";;175 AVENUE RAYMOND NAVES ;31500;TOULOUSE;France;06 31 20 86 44;virginiebdarti LAARPI;LAARPI;"";"";; ;64240;MACAYE;France;06 73 10 40 60; LA GRANDE BOUTIQUE ;Association La Grande Boutique;"Accompagnement de la crĂ©ation / accueil de rĂ©sidence, diffusion de spectacle saison culturelle 'Le Plancher, scĂšne du Kreiz Breizh', actions culturelles, lieu ressource et information, accueil de formations via association DROM, ADs, etc...";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions";Milieu rural;3 Rue des Milad ;56630;Langonnet;France;02 97 23 83 83;contact LA GRANJA;Association La Granja;"Un projet associatif qui Ɠuvre Ă  la sauvegarde et Ă  la valorisation du patrimoine oral collectages, publications, animations.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Edition phonographique Edition d'ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Facture instrumentale Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu rural; ;46240;Soulomes;France;05 65 22 97 32;la-granja LA NOUBA;COMPAGNIE LA NOUBA;"";"";;8 IMPASSE DE L EGALITE ;11200;TOUROUZELLE;France;07 86 34 61 31; LE CHANTIER;LE CHANTIER;"Centre de CrĂ©ation des Nouvelles Musiques Traditionnelles et du Monde - Lieu dĂ©diĂ© Ă  la crĂ©ation, Ă  la diffusion en faveur des musiques Trad' et du monde";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Enseignement et formation";Milieu rural;Fort Gibron ;83570;Correns;France;04 94 59 56 49;le-chantier d'Azur; LE PONT SUPERIEUR;PĂŽle d'enseignement supĂ©rieur spectacle vivant Bretagne Pays de la Loire;"Le Pont SupĂ©rieur – pĂŽle d’enseignement supĂ©rieur spectacle vivant Bretagne-Pays de Loire – est un Ă©tablissement public de coopĂ©ration culturelle qui rĂ©unit l’État/MinistĂšre de la Culture, les rĂ©gions Bretagne et Pays de la Loire, la mĂ©tropole de Brest, les villes de Nantes, Rennes et Angers ainsi que les UniversitĂ©s de Nantes, Rennes 2 et Angers. ";"Enseignement et formation";Milieu urbain;4, bis rue GaĂ«tan Rondeau ;44200;NANTES;France;02 40 89 90 50;; de la Loire; LEVE-TOI ET DANSE;Association LĂšve-toi et danse !;"Ses domaines d'activitĂ©s sont la musique et la danse traditionnelles sous toute ses formes, collective, individuelle, en couple...essentiellement française et europĂ©enne. La finalitĂ© est de promouvoir la pratique de ces danses et de faire dĂ©couvrir cette pratique Ă  ceux qui ignorent tout de la danse traditionnelle. Donc un double objectif de servir les danseurs confirmĂ©s tout en rendant ces danses accessibles Ă  tous. Organisation de bals, soutien de bals organisĂ©s par d'autres partenaires, enseignement de la danse, organisation de stages de danses, soutien aux groupes de musiciens, communication et dĂ©veloppement.";"";;307 rue de la Croix de Figuerolles - rĂ©s HĂ©ra, Bat 8, Appt 64 ;34070;Montpellier;France;06 80 20 21 05;levetoietdanse LOB;L'OREILLE BUISSONNIERE;"L’association L’Oreille BuissonniĂšre LOB, situĂ©e Ă  Rustrel Pays d’Apt-Luberon accompagne depuis 2011 les projets artistiques de la musicienne et compositrice Isabelle Courroy. PionniĂšre des flĂ»tes de bergers des Balkans et d’Anatolie en Occident, elle ouvre de nouvelles voies de crĂ©ation aussi bien sur scĂšne que dans les domaines de la production discographique, de la transmission et de la lutherie.";"";; ;84400;RUSTREL;France;06 69 56 97 27; d'Azur; LOST IN TRADITION;Association Lost in tradition;"Le collectif Lost in Traditions, qui fĂ©dĂšre diffĂ©rentes initiatives et pratiques artistiques, se dĂ©finit comme une plateforme pluridisciplinaire pour la crĂ©ation et la diffusion de projets artistiques. BasĂ© en CorrĂšze, Lost in Traditions soutient simultanĂ©ment ‱ les activitĂ©s de la compagnie de théùtre jeune public Les Nuages Noirs ; ‱ les activitĂ©s de la compagnie Le Zoo ; ‱ les activitĂ©s de La Manufacture qui investit le champ de l’action culturelle ; ‱ et les activitĂ©s des Travailleurs de Nuit qui traitent de l’identitĂ© des territoires et de son renouveau par le prisme de la vidĂ©o, de la photo, des captations sonores et du texte.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants ";Milieu rural;Mairie le Bourg ;19450;Chamboulive;France;06 07 62 23 18; LOURE LA;Association La Loure - Musiques et Traditions Orales de Normandie;"FondĂ©e en 1998, l’association La Loure a repris le flambeau d’initiatives antĂ©rieures pour recueillir et valoriser les chansons, musiques et danses traditionnelles de Normandie. Elle est membre de la FĂ©dĂ©ration des acteurs et Actrices des Musiques et Danses Traditionnelles FAMDT et de la Ligue de l’Enseignement du Calvados. La Loure regroupe une centaine de membres rĂ©partis sur les cinq dĂ©partement normands et ailleurs. Parmi eux, certains sont musiciens, chanteurs, danseurs, conteurs, chercheurs... Tous ont en commun la volontĂ© de faire vivre un patrimoine, sĂ»rement moins connu que dans d’autres rĂ©gions, mais pourtant bien rĂ©el et digne d’intĂ©rĂȘt.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Edition phonographique Edition d'ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu rural;2 rue Saint Martin ;14500;Vire Normandie;France;02 31 68 73 49;laloure MADAME GLOU;Association MADAME GLOU;"La compagnie a Ă©tĂ© bĂątie en 2018, tel un nid pour couver et faire Ă©clore ses crĂ©ations.. Elle crĂ©e en collaboration avec des artistes de tous horizons, et des co-producteurs fidĂšles, et veille sur ses spectacles comme sur des Ɠufs
 en or.";"";;RUE SYLVABELLE ;13006;MARSEILLE;France;06 68 58 52 87; ;Bouches-du-RhĂŽne;Provence-Alpes-CĂŽte d'Azur; MAISON DES CULTURES DU MONDE;MAISON DES CULTURES DU MONDE;"Depuis prĂšs de 40 ans, la Maison des Cultures du Monde contribue activement Ă  enrichir la connaissance des diverses formes du patrimoine culturel immatĂ©riel et de leurs origines, Ă  travers la recherche, la documentation et la programmation d’expressions du monde entier, des publications, colloques et projets en collaboration avec l’universitĂ©, les les artistes et les Elle est aujourd’hui une association reconnue dans le paysage culturel français pour son savoir-faire unique dans tout ce qui a trait Ă  ce patrimoine singulier. C’est Ă  ce titre qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e comme Centre français du patrimoine culturel immatĂ©riel ». ";"";;101 boulevard Raspail ;75006;PARIS;France;01 45 44 72 30;esber MDM IDF;COLLECTIF MUSIQUES ET DANSES DU MONDE EN ILE-DE-FRANCE;" de spectacles vivants Accompagnement des artistes et des structures Autres activitĂ©s";Milieu urbain;4 AVENUE DE LA DIVISION LECLERC ;93300;AUBERVILLIERS;France;;collectifmdm MELANIE PANAGET;LES CRIS DE VENUS;"L’association Les Cris De VĂ©nus Rennes a Ă©tĂ© créée en 2007 pour promouvoir la diffusion des chants du monde. AprĂšs avoir portĂ© le projet vocal Portotrio, l’association s’est dĂ©veloppĂ©e Ă  partir de 2015 pour soutenir d’autres projets professionnels dont l’axe fondamental est la voix, dĂ©clinĂ©e selon plusieurs registres les chants du monde, la crĂ©ation, l’improvisation libre et contemporaine. Ces projets sont Vilaine, LĂșa et MĂ©lanie Panaget Trio. Les Cris De VĂ©nus proposent Ă©galement des stages autour de la voix en faisant appel Ă  divers intervenants professionnels “Technique vocale & polyphonie”, “Chants du monde”, “Chants & percussions de Galice”, “Chants d’Anatolie”, “Chant & body percussions', .... ";"";;16 RUE DOCTEUR YVES LOUVIGNE ;35000;Rennes;France;06 62 80 02 50;lescrisdevenus ;Ille-et-Vilaine;Bretagne; MENESTRERS GASCONS;Association MĂ©nestrers Gascons;"Ecole associative de musique, danse et chant gascons, inscrite au schĂ©ma dĂ©partemental d'enseignement musical et dans le rĂ©seau des Ecoles de Musique de la CommunautĂ© d'AgglomĂ©ration Pau-PyrĂ©nĂ©es; collectage, retransmission organisation de cours rĂ©guliers, de stages et prestations extĂ©rieures, formations Ă  la demande; rencontres de jeunes musiciens Ecole de Musique de Zaragoza-Ecole de Musique MenestrĂšrs; organisation de 2 manifestations culturelles par an BalMesclat rencontres avec des musiciens d'une autre zone culturelle, stage d'initiation danse et bal. 1,2,3.. Rencontre avec un musicien rĂ©fĂ©rent en musique trad avec un parcours croisant d'autres styles musicauxconfĂ©rence musicale, concert et master-class. Manifestation inscrite ds la saison culturelle de la ville de BillĂšre. Animations, bals et concerts par les musiciens et groupes de l'association. Productions d'outils pĂ©dagogiques livret-CDs thĂ©matiques, mĂ©thodes. Productions de CDs musique Ă  danser, en gĂ©nĂ©ral des musiciens et groupes de l'association. Vente des productions tenue de stands et vente en ligne sur notre site. Studio d'enregistrement pour productions propres et extĂ©rieures.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Edition phonographique Edition d'ouvrages Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu urbain;46 Boulevard d'Alsace Lorraine ;64000; Pau;France;05 59 62 11 59;associacion METIS IIMM;Association MĂ©tis;"Cet institut a pour vocation de devenir un pĂŽle d’excellence en matiĂšre d’éducation, de formation et de recherche dans le domaine des musiques de tradition savante. L’objectif de cet Ă©tablissement est de rĂ©unir diffĂ©rentes expressions vocales et musicales au sein d’un mĂȘme Ă©tablissement, de conjuguer pratique, thĂ©orie, recherche et formation, d'enseigner selon les mĂ©thodes issues des Conservatoires Ă  l’étranger et de dĂ©livrer, Ă  moyen terme un diplĂŽme reconnu par l’État français et les autoritĂ©s Ă©trangĂšres. ";"";;645 rue Mayor de Montricher ;13290;Aix-en-Provence ;France;04 42 04 37 73;contact d'Azur; MJC LIMOURS;Association MJC Limours;"Association Maison des Jeunes et de la Culture de Limours ";"";;1 rue Michel Berger ;91470;Limours;France;;mjclimours MJC RIS-ORANGIS - CMT ILE DE France;Association Maison des Jeunes et de la Culture de Ris-Orangis;"Le CMT situe volontairement son action dans une dimension territoriale. Il prend en compte les rĂ©alitĂ©s sociales du territoire RĂ©gional, DĂ©partemental, Intercommunal et Local. Son label CMT qualifie la MJC pour ses missions d’expertise, pour son implication dans le dĂ©veloppement local tout autant qu’il atteste d’une expĂ©rience reconnue dans les domaines de la formation musicale et chorĂ©graphique. Le CMT de Ris-Orangis fait partie des 7 Centres implantĂ©s en RĂ©gion. Sa domiciliation en Essonne offre au dĂ©partement un outil de dĂ©veloppement important. Depuis 1991, la MJC de Ris-Orangis Centre de Musiques et Danses traditionnelles est soutenue par le MinistĂšre de la Culture - Direction RĂ©gionale des Affaires Culturelles, parmi les sept centres en rĂ©gion, comme Centre des Musiques Traditionnelles en Ile de France, avec les missions exposĂ©es ci-aprĂšs 1- La mise en rĂ©seau autour de la vie musicale et chorĂ©graphique du domaine est la vocation premiĂšre du centre Ă  l'Ă©chelle rĂ©gionale 
. Il conduit son action en relation avec les autres centres implantĂ©s sur le territoire national avec lesquels il forme un rĂ©seau permanent d'Ă©change et de complĂ©mentaritĂ© ». 2 - La mise en valeur des patrimoines musicaux en lien privilĂ©giĂ© avec l'oralitĂ© dans le domaine de la formation Ă  susciter, auprĂšs des instances compĂ©tentes, des initiatives de formation initiale et continue, et Ă  inciter celles-ci Ă  mettre en Ɠuvre des actions communes qui tiennent compte des normes dĂ©finies en matiĂšre de formation musicale et chorĂ©graphique par l'autoritĂ© publique, et dans certains cas, enfin Ă  pallier les carences constatĂ©es face Ă  la demande du public ; Dans le domaine de la recherche Ă  coordonner, au sein du rĂ©seau mis en place, les actions appropriĂ©es de collectage, de documentation, de description, d'analyse musicologique et sociologique, et de valorisation des patrimoines musicaux et chorĂ©graphiques traditionnels en rĂ©gion. Le champ de ces recherches pourra couvrir l'ensemble des communautĂ©s dĂ©tentrices de ces modes d'expression, tant dans leurs aspects historiques que contemporains. Dans la mesure du possible, des liens privilĂ©giĂ©s seront tissĂ©s avec les organismes publics de recherche et les universitĂ©s dans ce champ et dans les champs voisins d'Ă©tudes musicales et chorĂ©graphiques ; Dans le domaine de la diffusion Ă  assurer la promotion du spectacle vivant, en organisant lui-mĂȘme une programmation ou en s'associant Ă  des initiatives rĂ©gionales de programmation ou de crĂ©ation musicale et chorĂ©graphique ces programmations intĂ©greront l'Ă©ventail le plus large possible des musiques et danses traditionnelles de France et du monde; Ă  faire connaĂźtre les publications sur tout support rĂ©alisĂ©es Ă  partir des musiques et danses traditionnelles et Ă  contribuer Ă  leur diffusion. 3 -L’établissement de liens Ă©troits avec les autres instances institutionnelles en charge de la vie musicale rĂ©gionale notamment des musiques autres que traditionnelles au sens strict Ă©coles de musique et de danse, Ă©coles de jazz, centres de formation au rock et Ă  la chanson, compagnies de danse, centres de crĂ©ation contemporaine, lieux de programmation... Il adaptera ses initiatives au contexte musical rĂ©gional, soit privĂ© soit public, se donnant pour objectif une rĂ©ponse adĂ©quate aux carences existantes ».";"";;10 place Jacques Brel ;91130;Ris-Orangis;France;01 69 02 13 20;mjcris MOND'PROD;ASSOCIATION MONDPROD;"L’association MOND’PROD a pour objectif de produire et de promouvoir des Ă©vĂ©nements artistiques et culturels Ă  destination d’un public intergĂ©nĂ©rationnel autour des musiques traditionnelles d’Europe et du monde et des musiques actuelles";"";;1 AVENUE DE LA GARE ;77163;MORTCERF;France;;; MPO Bourgogne;Association Maison du Patrimoine Oral de Bourgogne;"Un centre de recherches et d'actions culturelles en milieu rural sur l'oralitĂ©. FĂ©dĂ©ration d'associations, lieu d'exposition, de pratique et de ressources autour des cultures populaires en Bourgogne. Maison Ă  thĂšme de l’EcomusĂ©e du Morvan PNR du Morvan EthnopĂŽle du MinistĂšre de la Culture.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Production ouvrages Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation Autres activitĂ©s";Milieu rural;Place de la bascule ;71550;Anost;France;03 85 82 77 00; MUSICIENS ROUTINIERS PAYS DE L’AIN DE LA SAONE LES;Association Musiciens Routiniers Pays de l'Ain et de la SaĂŽne;"";"";;Montrachy ;01560;Saint-Nizier-Le-Bouchoux;France;04 74 52 94 61; MUSIQUE EN VOYAGE;Association Musique en Voyage;"Association pour la promotion et la diffusion de la musique grecque.";"";;18 rue Ramu ;75020;Paris ;France;01 64 91 17 80;;;;Île-de-France; Musique et Danse en Loire-Atlantique;Association Musique et danse en Loire-Atlantique;"Accompagnement des politiques publiques dĂ©partementales dans le domaine du dĂ©veloppement de la musique et de la danse. Lutte contre les inĂ©galitĂ©s culturelles et accompagnement culturel des territoires.";"";;11 Rue Jules Verne ;44700;ORVAULT;France;02 51 84 38 88;contact de la Loire; MUSIQUES EN BALADE;MUSIQUES EN BALADE;"MUSIQUES EN BALADE est fondĂ©e en rĂ©gion parisienne en 1986. Sa mission consiste alors Ă  ?produire et Ă  diffuser les Ɠuvres du compositeur-interprĂšte Fawzy Al Aiedy. NĂ© vers 1950 Ă  ?Bassorah, en Irak, ce dernier s'est installĂ© Ă  Paris en 1971. GrĂące Ă  une double formation ?musicale oud et chant arabes et hautbois classique, Fawzy a choisi la voie de la crĂ©ation dont le ?fer de lance est la dualitĂ© entre Orient et Occident. Il ?s'intĂ©resse surtout aux musiques mĂ©tisses, ?toutes celles qui rapprochent les hommes, reflĂštent ?une crĂ©ativitĂ©, font vibrer. Il chante la poĂ©sie ?mĂȘlant Ă  sa voix la musique populaire et savante, ?orale et Ă©crite. La multiplicitĂ© de ses crĂ©ations ?donne un visage multiple et des entrĂ©es complĂ©mentaires Ă  la culture du Proche-Orient. Elle ?consolide le pont Orient-Occident.? De 1989 Ă  2009, Musiques en balade bĂ©nĂ©ficie du soutien du Conseil GĂ©nĂ©ral du Val de Marne ??aide au fonctionnement. La compagnie se dĂ©veloppe et Ă©volue vers la promotion d'autres ?musiques du monde. Entre 1995 et 2006, elle promeut ainsi une vingtaine d’artistes provenant ?d'horizons divers. ? En 2009, Musiques en balade s’implante en Alsace et bĂ©nĂ©ficie d’un bureau mis Ă  disposition par ?la Ville de Strasbourg au sein de La Fabrique de Théùtre. Elle recentre son travail, de la ?production Ă  la diffusion, sur la carriĂšre de Fawzy Al-Aiedy et son organisation s'apparente alors ?davantage Ă  une compagnie musicale. ? Ensemble, ils construisent des spectacles pour des publics variĂ©s, organisent des concerts en ?France et Ă  l'international, enregistrent des CD. En outre, Musiques en Balade et Fawzy Al-Aiedy ?dĂ©veloppent des actions artistiques et de sensibilisation en prĂ©ambule des reprĂ©sentations. ? Cette collaboration repose sur l’exigence artistique et les Ă©changes, ce qui permet de sensibiliser ?les publics de tous Ăąges aux musiques du monde. Acteurs de la diversitĂ© culturelle, l’exigence ?artistique et la sensibilisation des publics aux ?musiques du monde fondent la dĂ©marche de ?Musiques en balade.? Musiques en balade est conventionnĂ©e par la Ville de Strasbourg 2014-2016 et 2017-2019, le ?Conseil RĂ©gional Grand Est 2016-2017 et bĂ©nĂ©ficie de l’aide Ă  la structuration du MinistĂšre de la ?Culture et de la Communication – DRAC Grand Est 2015 / 2016-2017? MUSIQUES EN BALADE travaille en rĂ©seau avec les organismes professionnels et est affiliĂ©e au ?Centre National de la Musique, adhĂ©rente au rĂ©seau Zone franche-1er ?rĂ©seau français consacrĂ© aux musiques du monde, au SYNAVI, Ă  GRABUGE rĂ©seau de musiques actuelles en RĂ©gion Grand Est.?";"";;10 rue du Hohwald ;67000;STRASBOURG;France;06 80 42 52 37;bvielle Est; MUSTRADEM;Association MusTraDem Musiques Traditionnelles de Demain;"Mode d'organisation collectif artistique Domaine d'activitĂ© - Production et diffusion spectacle - Producteur phonographique - Éditions ouvrages pĂ©dagogiques, recueils de partitions - Formation artistique - Services annexse Cyberboutique notre catalogue + autres label, service traitement des salaires pour structure culturel RhĂŽnalpines";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Edition phonographique Edition d'ouvrages Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu urbain;5 rue Gallice ;38100;Grenoble;France;04 38 12 09 93;info NAIADE PRODUCTIONS;Association Naiade;"aĂŻade productions accompagne des artistes issus des musiques du monde, de la world music, des musiques traditionnelles mais aussi du rock. A travers ses coopĂ©rations Ă  l'international, NaĂŻade organise des tournĂ©es en France et Ă  l'Ă©tranger et travaille Ă  la production de concerts. Avec un fort ancrage dans les musiques de traditions orales, nous proposons des concerts et des actions culturelles pour tous les publics. Tous ses artistes d' Irlande, de Turquie ou de Bretagne ont comme point commun le partage des cultures du monde.";"";;3 rue de Lorraine ;35000;Rennes;France;02 99 85 44 04;prod Nangma Productions;NANGMA PRODUCTIONS;"Nangma Productions est une structure de production et de diffusion artistique basĂ©e Ă  Valenciennes 59. Créée en 2012, Nangma Productions a pour objectifs principaux la promotion d’artistes rĂ©gionaux et le dĂ©veloppement de rencontres artistiques originales et innovantes autour de son axe artistique majeur la musique. Ce soutien se traduit par un accompagnement des artistes en production et en diffusion de leurs spectacles, mais Ă©galement pour l’édition de leurs supports numĂ©riques, qu’ils soient conçus pour de la promotion ou pour de la vente au grand public. Les projets produits et soutenus par Nangma Productions se situent Ă  la croisĂ©e de la musique, des arts vivants danse, théùtre, conte, de la vidĂ©o et de la crĂ©ation visuelle, et s’inscrivent Ă©galement dans des thĂ©matiques induites par les champs d’exploration des artistes ou leur provenance l’exil, le mĂ©tissage des cultures, contemporanĂ©itĂ© et tradition, et le mixage entre tradition et musiques Ă©lectroniques, musiques actuelles et expĂ©rimentations sonores.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants ";Milieu urbain;51 RUE DU CHAUFFOUR ;59300;VALENCIENNES;France;06 07 96 87 97; NATYA-CIE LYAKAM;Association Natya;"";"";;11 rue de Dijon ;13001;Marseille;France;06 09 98 37 42;contact d'Azur; NOMAD CAFE ;ESPACE CULTUREL MEDITERRANEE;"Le Nomad’ CafĂ© s’est constamment distinguĂ© par le soutien et l’accompagnement des artistes Ă©mergents Ă  travers la crĂ©ation, la diffusion et la production. GrĂące Ă  ce travail de repĂ©rage et de soutien, le Nomad’ CafĂ© Ă  pu accueillir plus de 300 concerts venant de tout les horizons et de tous les territoires, accueillir une centaine de projet en rĂ©sidence et prĂšs de cinquante albums enregistrĂ©s dans son studio d’enregistrement. ParallĂšlement Ă  l’activitĂ© de diffusion, le Nomad’ CafĂ© s’est penchĂ© sur la production d’artistes. Aujourd’hui ce sont trois projets soutenus et accompagnĂ©s Temenik Electric, Mat Hours et la Cie Alatoul dans les tournĂ©es, les enregistrements de disques, les rĂ©sidences,... En 2015, le Nomad’ CafĂ© lance son aventure dans le secteur musical jeune public en initiant, avec le festival Villes des Musiques du Monde, le festival Babel Minots, excroissance du salon professionnel Babel Med Music. Depuis cette date, le Nomad’ CafĂ© n’a cessĂ© de renforcer son activitĂ© autour du jeune public et Babel Minots n’a cessĂ© de croĂźtre de façon exponentiel. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain; ;13003;MARSEILLE;France;04 91 62 49 77;julien d'Azur; NOUVEAU PAVILLON LE;Association Le Nouveau Pavillon;"Le Nouveau Pavillon valorise et soutient la crĂ©ation trad'actuelle europĂ©enne, c'est-Ă -dire les musiques actuelles nourries de musiques populaires, traditionnelles. L'association organise une saison de concerts Ă  Bouguenais sud de l'agglomĂ©ration nantaise, ainsi que le festival Eurofonik, chaque annĂ©e en mars sur cette mĂȘme agglomĂ©ration. Le Nouveau Pavillon dĂ©veloppe Ă©galement des actions culturelles variĂ©es rĂ©sidences de territoire, valorisation des pratiques en amateur, actions Ă  destination des scolaires... L'association soutient les artistes professionnelles, notamment Ă  travers des rĂ©sidences, pouvant faire l'objet d'un accompagnement scĂ©nique spĂ©cifique. Le Nouveau Pavillon dĂ©veloppe enfin un pĂŽle ressources, dont le rĂŽle est de produire des contenus Ă©ditoriaux sur les musiques traditionnelles et leur actualitĂ©. Ces contenus peuvent ĂȘtre Ă©crits, sous format audio ou vidĂ©o, mais Ă©galement s'exprimer Ă  travers des jeux, des confĂ©rences, des modules de formation, etc. Le Nouveau Pavillon est relais territorial de la FĂ©dĂ©ration des Actrices et acteurs des Musiques et Danses Traditionnelles, siĂ©geant au bureau de celle-ci. L'association est Ă©galement au conseil d'administration du PĂŽle de coopĂ©ration des acteurs pour les musiques actuelles en Pays de la Loire. Elle est adhĂ©rente du jeune rĂ©seau European Folk Network.";"Diffusion de spectacles vivants Production ouvrages Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;2 Rue CĂ©lestin Freinet ;44340;Bouguenais;France;02 40 02 35 16;info de la Loire; NÒVIA LA;Association La NĂČvia;"Ce collectif a pour buts la crĂ©ation, la formation, la promotion et la production artistique sous ses formes les plus diverses, ainsi que les prestations techniques qui s'y rapportent.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Edition phonographique Edition d'ouvrages Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;23, rue Saint François RĂ©gis ;43000;LE PUY-EN-VELAY;France;04 71 09 32 29;novia43 Nuevo Mundo;Association Nuevo Mundo;"Nuevo Mundo propose de faire redĂ©couvrir la musique dans ses dimensions acoustique, naturelle et mĂ©lodique. En accompagnant et soutenant des musiciens interprĂštes dans leur cheminement artistique, l'association propose de contribuer au dĂ©veloppement d'univers musicaux poĂ©tiques et acoustiques venant d'AmĂ©rique du Sud.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Accompagnement des artistes et des structures";Milieu rural;Grand rue ;26310;Luc en Dios;France;33 61 91 75 36 5;florence Nuits Atypiques;NUITS ATYPIQUES;"";"";;7 ALLEES DES TILLEULS ;33490;Saint-Macaire;France;05 57 36 49 07;lesnuitsatypiques ORG&COM;Association orgetcom;"'Accompagnement d'artistes, production et diffusion artistiques, dĂ©veloppement de projets pour une rĂ©elle pluralitĂ© et un dialogue des cultures d'ici et d'ailleurs. L’association org&com a Ă©tĂ© créée en 2001 pour rĂ©pondre Ă  des besoins de la vie culturelle et associative occitane dans une dĂ©marche plurielle. En 2003, org&com est sollicitĂ©e pour du soutien Ă  la vie artistique pour accompagner un certain nombre d’artistes, org&com a imaginĂ© le Projet Mesclum, mĂ©lange des genres et rencontres des gens. Depuis 2006, org&com a pris en charge l’organisation du Festival Estivada de Rodez, carrefour interrĂ©gional des cultures d’Oc.'";"";;11 rue Malcousinat ;31000;Toulouse ;France;05 61 47 43 95;info OX'IVENT;Association Ox’Ivent ;"Production des groupes et artistes Barrut Camille en Bal Bois Vert L'Âne Solo / Balelo Raffut Façon Façon MacSinge";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;4 rue du Gua ;34880;LavĂ©rune;France;07 83 51 65 58; PAGANS;PAGANS;"Cette association a pour buts 1. L’édition musicale et la production de matrices sonores ainsi que la distribution d'enregistrements sonores et de disques. 2. La mise en place des projets artistiques et culturels de ses membres en liaison avec son objet. Et notamment le dĂ©veloppement des musiques actuelles en lien avec le patrimoine culturel immatĂ©riel de l'humanitĂ©. 3. La promotion de ses activitĂ©s. 4. La vente de biens ou de services en liaison avec son objet et l'activitĂ© de ses membres. 5. La gestion et l'utilisation d'un lieu de crĂ©ation artistique rĂ©sidences, ateliers, stages, rĂ©pĂ©titions, studio d'enregistrement.";"";;10 RUE DE L ARTISANAT ;64110;JURANCON;France;06 76 60 56 77;administration PAKER PROD;Association Paker Prod;"Du studio Ă  la scĂšne, Paker Prod accompagne ses artistes et dĂ©fend leurs esthĂ©tiques musicales issues pour la plupart des traditions populaires de Bretagne, rĂ©solument modernes et actuelles. Les albums produits sous le label Paker Prod illustrent Ă©galement la richesse du parcours de nos artistes. Ouvert sur le monde, Paker Prod Ɠuvre pour le rayonnement de la Bretagne au travers de sa musique ! ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Production ouvrages Edition d'ouvrages Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;1 rue Keramporiel ;29900;Concarneau;France;06 61 44 67 72;contact PART DES ANCHES LA;Association la Part des Anches;"Maison Artistique";"";;3 AllĂ©e Lanester ;35000;Rennes ;France;06 15 76 74 65; PETRA NEUE;Association Petra Neue;"L’association Petra Neue fait confiance au savoir-faire des ses intervenants pour proposer aux Ă©lĂšves une sensibilisation Ă  la culture bretonne au travers des collectages de chants et de danses bretonnes. ";"Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Enseignement et formation";Milieu rural;rue GĂ©nĂ©ral de gaulle ;56870;Plescop;France;;petraneue POLE ALIEANOR - CESMD;PĂŽle d'Enseignement SupĂ©rieur;"Le pĂŽle AliĂ©nor est l’un des pĂŽles supĂ©rieurs du spectacle vivant en France. Inscrit dans le schĂ©ma europĂ©en Licence – Master – Doctorat » LMD, il propose les formations suivantes Une formation d’artiste interprĂšte menant au DNSPM diplĂŽme national supĂ©rieur professionnel de musicien et Ă  la licence de musicologie de l’UniversitĂ© de Poitiers. Une formation d’artiste pĂ©dagogue menant au DE diplĂŽme d’État de professeur de musique.";"";;10 rue TĂȘte noires ;86000;Poitiers;France;05 49 60 21 79; PONTS D'AVIGNON LES;Association les ponts d'avignon;" LĂ  ! C’est de la Musique » est devenu en 5 ans le Rendez-vous Musical des festivals de théùtre Ă  Avignon. VĂ©ritable vitrine des musiques traditionnelles et du monde, il met en lumiĂšre la vitalitĂ© de ces musiques, leur crĂ©ativitĂ©, leur capacitĂ© Ă  se rĂ©inventer. InstallĂ© en plein cƓur du Festival d’Avignon, ce festival bĂątit des ponts entre les univers du Théùtre et de la Musique.";"Autres activitĂ©s";Milieu urbain;12 rue gĂ©nĂ©ral Grenier ;84000;Avignon;France;06 62 68 45 59;lespontsdavignon d'Azur; PRMA RĂ©union;Association PĂŽle RĂ©gional des Musiques Actuelles de la RĂ©union;"Association créée en 1997 par la RĂ©gion RĂ©union et le MinistĂšre de la Culture pour un travail de dĂ©veloppement musical sur la zone ocĂ©an ocĂ©an Indien selon plusieurs missions patrimoine label Takamba - PhonothĂšque Historique de l'OcĂ©an Indien, ressources et information, aide Ă  la professionnalisation, exportation.";"Production phonographique PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu urbain;53 ChaussĂ©e Royale ;97481;Sain-Paul;France;02 62 90 94 60;contact RĂ©union;La RĂ©union; PRODUCTIONS DU MOUFLON LES;Association les production du Mouflon;"L’association Les Productions du Mouflon est créée en 2009 pour accompagner les projets de Matthieu Prual ; depuis 10 ans, l’association n’a cessĂ© de croĂźtre, notamment avec le quartet NO TONGUES créé en 2016 par les musiciens Matthieu Prual, Ronan Prual, Alan Regardin et Ronan Courty.";"";;70 boulevard Jules Verne ;44000;Nantes ;France;07 86 36 34 19; de la Loire; REPRIZ;Association Centre rĂ©gional des musiques et danses traditionnelles et populaires de Guadeloupe;"Son apparition dans le paysage culturel de la Guadeloupe n’est pas le fruit du hasard, mais l’aboutissement des rĂ©flexions et des pratiques partagĂ©es d’acteurs associatifs et institutionnels de la vie culturelle, RĂ©gion Guadeloupe et Direction des Affaires Culturelles d’Ɠuvrer autrement pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel ImmatĂ©riel PCI de Guadeloupe. Centre de collecte, de recherche et de valorisation du patrimoine musical et dansĂ© de l’archipel guadeloupĂ©en. Il se veut ĂȘtre Ă©galement un centre de formation et de conseil pour les professionnels et personnes encadrant des activitĂ©s pĂ©dagogiques, artistiques et patrimoniales. C'est aussi un centre de ressources et d’information sur tous les acteurs, organismes et manifestations de musiques et danses traditionnelles et populaires en Guadeloupe. C'est Ă©galement un centre travaillant en rĂ©seau et en partenariat avec les associations, Ă©coles, mĂ©diathĂšques, lieux de diffusion et festivals. C'est aussi un centre de promotion dans le monde des musiques, danses et artistes traditionnels et populaires de Guadeloupe, en coopĂ©ration avec des rĂ©seaux français et europĂ©ens, caribĂ©ens et amĂ©ricains.";"";;2 Rue Dubouchage ;97110;Pointe-Ă -Pitre;France;05 90 20 99 18; REZO'NANCES;Association RĂ©zo'nances;"Diffuser, transmettre, promouvoir et faire vivre les musiques et danses traditionnelles en Nivernais";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Enseignement et formation";Milieu rural;13 Chemin aux Loups ;58660;Coulanges-Les-Nevers;France;03 86 58 63 59;rezonances58 RIVATGES;Association Rivatges;"Des actions de formation et de sensibilisation. Cette association a pour but la promotion du hautbois languedocien a travers la musique et la danse traditionnelle des pays d'oc et de MĂ©diterranĂ©e. ses moyens sont des animations de fĂȘtes et l’organisation de manifestations culturelles, le soutien Ă  des groupes, Ă  des musiciens et Ă  tout individu porteur d’un projet participant aux but de l’association actuellement elle fait tourner 2 groupes de bal, un groupe de musique de rue et organise le projet musical Horde de Hautbois populaire et fanfare 40 Ă  80 musiciens amateurs encadrĂ©s par des professionnels, des actions d’édition et de diffusion de documents, de crĂ©ation de liens entre musiciens de tout pays utilisant des hautbois.";"Diffusion de spectacles vivants Edition d'ouvrages";Milieu urbain;230 Chemin de la Pimprenelle ;30000;NĂźmes;France;04 66 75 18 00;contact RODA LA;Association la Roda ;"La Roda est l’un des principaux reprĂ©sentants des musiques populaires brĂ©siliennes en France et en Europe, Ă  travers la production de spectacles et la transmission de pratiques artistiques depuis 2007. Les fondateurs et directeurs artistiques sont Claire Luzi et Cristiano Nascimento Le choro est une musique populaire vivante brĂ©silienne, surtout instrumentale, virtuose et conviviale. Il constitue la matiĂšre premiĂšre de tout notre travail de crĂ©ation ».";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;50 boulevard de Palerne ;13540;Aix en provence ;France;06 61 13 76 98;assolaroda d'Azur; Rugi son;Association Rugi son;"Rugi’Son est un regroupement de porteurs de projets et de techniciens autours des mĂ©tiers de la musique, du son et de l’image.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;11 rue de la Tour de Guise ;37000;Tours;France;68 43 00 98 2; de Loire; SIMYA PRODUCTIONS;Association Simya Productions;"SIMYA PRODUCTIONS est une association loi 1901 basĂ©e Ă  Rennes, en Bretagne. Créée en 2014, son but est d’accompagner la crĂ©ation, la production et la diffusion de spectacle vivant.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants ";Milieu urbain;3 rue de Lorraine ;35000;Rennes;France;02 99 53 43 71;simya Sonambule Le;Office Culturel - VallĂ©e de l'HĂ©rault OCVH;"L’OCVH Office Culturel VallĂ©e HĂ©rault est un outil au service de la population en phase avec le dĂ©veloppement culturel, Ă©conomique et social du territoire. Le Sonambule est un lieu de proximitĂ© au service du public, du territoire et des projets artistiques. L’OCVH a pour volontĂ© d’accompagner les dynamiques et d’ĂȘtre un vecteur de dĂ©veloppement de projets partenariaux sur son territoire d’implantation. Placer l’humain au centre de l’action, favoriser la rencontre, l’échange et les actions de proximitĂ©, crĂ©er des fenĂȘtres musicales dans nos quotidiens, impulser et accompagner des dynamiques artistiques et culturelles, soutenir la diversitĂ© et l’expĂ©rimentation artistique 
. sont les leitmotiv d’une Ă©quipe bien dĂ©cidĂ©e Ă  vous concocter de beaux moments de vie, de partage, et 
 de musique !";"Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures";Milieu rural;2 avenue du Mas Salat ;34150;Gignac;France;04 67 56 10 32;contact SON CONTINU LE;LE SON CONTINU;"LĂ©o PĂštoin ref";"";;134 RUE NATIONALE ;36400;CHATRE LA;France;06 19 42 81 98; de Loire; SOUVENANCE;Association Souvenance;"Association pour la valorisation des arts de l'oralitĂ© en VendĂ©e. Structure administrative du groupe ArbadĂ©torne";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Edition phonographique Collectage et documentation";Milieu rural;10 rue Victor Hugo ;85500;Les Herbiers;France;02 51 63 50 15;josrenaud3 de la Loire; SUDS LES;Association Suds, Ă  ARLES;"NĂ© Ă  l’initiative de passionnĂ©s et de professionnels de la culture mĂ©diterranĂ©enne, SUDS a pour but d’affirmer l’identitĂ© des pays de la MĂ©diterranĂ©e et plus largement des Suds ; de promouvoir, diffuser leurs cultures, dĂ©velopper leur attractivitĂ© et contribuer Ă  leur pleine reconnaissance. À travers son festival de musiques du monde organisĂ© en juillet, aujourd’hui internationalement reconnu, et par ses actions culturelles menĂ©es Ă  l’annĂ©e sur le territoire, SUDS entend favoriser la diversitĂ© culturelle telle que dĂ©finie par l’UNESCO dans la DĂ©claration universelle de 2001 et adoptĂ©e par tous les Ă©tats membres, Ă  savoir un 'patrimoine commun mondial de l’humanitĂ© au bĂ©nĂ©fice des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes et futures'.";"Diffusion de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;66 rue du 4 septembre ;13200;Arles;France;04 90 96 06 27;contact d'Azur; TAM TAM PRODUCTION;Association TAM TAM Production;"Bien ancrĂ©e Ă  Saint-Nazaire en Loire Atlantique, l’association Tam Tam Production accompagne depuis 1999 des projets artistiques Ă©mergents dans le domaine des musiques actuelles, musiques du monde, traditionnelles et jazz. Son activitĂ© principale est l’aide Ă  la production de contenus culturels spectacles vivants, disques, contenus pĂ©dagogiques que l’association fait rayonner sur l’aire rĂ©gionale ou nationale, voire internationale, selon la nature des projets dĂ©veloppĂ©s. Tam Tam Production organise Ă©galement des Ă©vĂ©nements et des interventions pĂ©dagogiques qui enrichissent l’offre culturelle, festive et Ă©ducative sur son territoire.";"";;2 bis avenue Albert Main ;44600;Saint Nazaire ;France;06 63 26 20 00;contact de la Loire; TARTINES PROD;Association Tartine prod;"Tartine Production est une agence de booking et de production Ɠuvrant dans les musiques actuelles d’ici et lĂ  bas. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants ";Milieu rural;1 ZA Kermania ;56700;Kervigniac;France;;info TAXI PANTAI;Association Taxi Pantaii;"L’association Taxi-PantaĂŻ, depuis sa crĂ©ation, a pour volontĂ© de crĂ©er des liens entre la culture occitane et celles d’ailleurs. Elle a Ă©tĂ© créée en 2008, pour soutenir un projet d’échange et de rĂ©alisation artistique entre la Bande Ă  Koustik formation musicale d’influence balkano-occitane et Orion Orkestar orchestre bulgare de musique traditionnelle. L’association a pour but de promouvoir le spectacle vivant et l’accĂšs aux pratiques artistiques pour le plus grand nombre. CrĂ©ations artistiques sous diverses formes musique, conte, théùtre, lectures
, stages de pratiques artistiques destinĂ©s tant aux professionnels du spectacle qu’aux amateurs, et organisation de manifestations ponctuelles, sont autant de moyens d’Ɠuvrer dans ce sens. RĂ©guliĂšrement, l’association collabore avec d’autres structures et compagnies artistiques de la rĂ©gion.";"";;42 Chemin du Vallat de Pommet ;84110;BEDOIN;France;04 90 63 12 71;taxipantai d'Azur; TEMPS FÊTE;Association Temps fĂȘte ;"Festival maritime de Douarnenez dans le FinistĂšre en Bretagne ";"";;26 rue GĂ©nĂ©ral de Gaulle ;29000;Douarnenez ;France;29 89 22 92 9;contact TERRACANTO;TERRACANTO L'OISEAU AUX MILLE VOIX;"Depuis de nombreuses annĂ©es et dans de multiples contextes, la compagnie Terracanto expĂ©rimente des pratiques populaires de transmission des chants de tradition orale au travers de concerts, ateliers, confĂ©rences chantĂ©es, podcasts. Partager les codes et les histoires de ce savoir collectif, de ce langage commun, permet de crĂ©er des liens avec le passĂ© et de vĂ©hiculer des valeurs, des imaginaires et des liens Ă©troits avec notre prĂ©sent, de produire des occasions collectives de rencontres, une re- crĂ©ation de communautĂ©s Ă©phĂ©mĂšres.";"";;MONTEE PUGET BAZILE ;13016;MARSEILLE 16E ARRONDISSEMENT;France;07 81 13 03 61;terracanto d'Azur; TERRAIRE NOU;Association TERRAIRE NOU;"Terraire NĂČu dĂ©veloppe et soutient les pratiques musicales occitanes, et mĂ©diterranĂ©enne, Ă  partir d’instruments de musique traditionnels et de crĂ©ation en argile. Ses moyens d’action sont L'Ă©dition de manuel, CD et DVD, l'animations d'ateliers et de stages de facture instrumentale en terre, la crĂ©ation et la programmation de spectacles, de confĂ©rences,d' exposition, etc
 ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Éducation artistique et action culturelle Facture instrumentale Enseignement et formation";Milieu urbain;3 rue Vouland ;30900;Nimes;France;04 66 75 18 00; TERRE D'EMPREINTES;TERRES D'EMPREINTES;"Association culturelle. Patrimoine musical et empreintes sonores des Pays de Savoie et des Alpes.";"";;12 AV BERTHOLLET ;74000;ANNECY;France;06 52 24 64 12 ;contact TOMME FRAICHE PRODUCTIONS;Tomme FraĂźche Productions;"L'activitĂ© de Tomme FraĂźche Productions est orientĂ©e principalement vers la production et la diffusion de spectacles musicaux, la rĂ©alisation et la production discographique, la pĂ©dagogie musicale.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;2 Chemin des Lauriers ;63100;Clermont-Ferrand;France;06 22 05 48 32;tommefraiche TOURN'SOL PROD;Tour'n'sol prod.;"Tour’n’sol prod. est une sociĂ©tĂ© de production de spectacles et de disques. Créée en 2007 par Ourida Yaker, cette structure qui revendique son cĂŽtĂ© artisanal, au plus proche des artistes, a pour vocation de dĂ©velopper, soutenir de promouvoir des projets musicaux novateurs jazz, actuels ou traditionnels ayant un lien avec le monde arabo-berbĂšre. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Edition phonographique Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;29, rue Etienne Dolet ;94140;Alforville;France;06 03 04 57 62;tnsprod TRAD'ENVIE;Association Trad'envie;"Trad’Envie est une association qui est nĂ©e Ă  Pavie Gers de l'Ă©volution d'un groupe d'Arts et de Traditions Populaires appelĂ© 'Ensemble Populaire de Gascogne'. Dans les annĂ©es 90, l'association a arrĂȘtĂ© son activitĂ© de groupe de danses traditionnelles se produisant en spectacle, pour se lancer dans la crĂ©ation d'un Ă©vĂ©nement 'Le Festival Trad’Envie'. Le Festival Trad’Envie est maintenant une rĂ©fĂ©rence, tant par sa qualitĂ© musicale que par la convivialitĂ© qui y rĂšgne, image de marque de notre dĂ©partement Gers et de notre rĂ©gion Midi-PyrĂ©nĂ©es. L’idĂ©e force de Trad’Envie est la culture populaire dans ses diffĂ©rentes composantes. La motivation principale reste l’envie de dĂ©couvrir les richesses culturelles des Arts Populaires sous l’aspect des musiques, danses et chants traditionnels ; faire se cĂŽtoyer des groupes musicaux aux accents Ă©lectriques, les voir s’écouter les uns les autres, se connaĂźtre, s’apprĂ©cier, jouer ensemble. C'est aussi faire dĂ©couvrir au public local et national, qu'il soit professionnel ou amateur, des musiques traditionnelles venues d’ailleurs, les mettre en contact avec des inconditionnels de bals folks de rĂ©gions plus lointaines, permettre l’échange et l'enrichissement musical. ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Éducation artistique et action culturelle Facture instrumentale Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu rural;Mairie ;32550;Pavie;France;06 81 33 11 52;contact TRADETHIK;Association TradEthik;" TRADETHIK PRODUCTIONS est un collectif de musiciens de musiques et danses traditionnelles. Le projet consiste en une mise en commun de moyens, de compĂ©tences, de savoir-faires, le tout coordonnĂ© par Camille Raibaud. Les objectifs sont multiples aider Ă  la professionnalisation des artistes, consolider leurs parcours professionnels, former une vitrine pour plus de visibilitĂ© auprĂšs du grand public, mettre en commun des contacts, s'entraider... Nous souhaitons aussi diffuser, Ă  notre maniĂšre, des pratiques culturelles porteuses de sens, d'ouverture, de partage, car en dehors de l'esthĂ©tique musicale, c'est aussi un mode de vie qui est vĂ©hiculĂ© par ces pratiques mixtes et inter-gĂ©nĂ©rationnelles";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu rural;8 place de Compostelle ;32600;L'isle Jourdaoin;France;66 39 41 46 0;tradethik TRANSHUM'ARTS;TRANSHUM'ARTS;"";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants ";Milieu urbain;683 ROUTE DE CHARLY ;69390;VERNAISON;France;06 17 63 46 68; de Lyon;Auvergne-RhĂŽne-Alpes; TUTTI IN PIAZZA;Association Tutti In Piazza FĂ©dĂ©ration des associations de quadrille et autres danses populaires corses;"Promotion, diffusion et sauvegarde des danses traditionnelles corses et plus particuliĂšrement du quadrille.";"";;A Pulluneta ;20126; Evisa;France;06 14 26 69 04;tuttiinpiazza UCPS;Association Union pour la Culture Populaire en Sologne;"L'Union pour la Culture Populaire en Sologne UCPS est issue d'une Union d'Associations loi 1901 7 Ă  sa crĂ©ation en 1981, elles sont maintenant 49, rĂ©parties sur les 3 dĂ©partements de Sologne Loiret, Loir & Cher, Cher. Elles ont en commun les mĂȘmes objectifs dĂ©velopper Ă  partir de la vie associative et culturelle des liens plus forts entre les habitants, en crĂ©ant des activitĂ©s pour les gens du Pays et ceux qui souhaitent le dĂ©couvrir ou y sĂ©journer. En s'unissant, elles Ă©largissent leurs Ă©changes, multiplient leurs moyens et participent Ă  une solidaritĂ© plus affirmĂ©e. Les associations bĂ©nĂ©ficient du service de prĂȘt de matĂ©riel et de costumes ; quatorze d'entre elles sont regroupĂ©es pour former le circuit du CinĂ©-Sologne. L'Actu, une feuille de liaison bimestrielle diffuse leurs informations. Elle accueille, si elles le souhaitent, les animations créées par l'UCPS théùtre itinĂ©rant, veillĂ©es, groupe musical, expositions,... et participent, selon leurs possibilitĂ©s et leurs dĂ©sirs, aux grands moments de la vie de l'UCPS Musicalies en Sologne, Berdigne Berdogne, Bagoules, Spectacles...";"";;9 avenue de Toulouse ;41600;Nouan-Le-Fuzelier;France;02 54 88 71 09;accueil de Loire; UGMM - FETE DE LA VIELLE;Association Union des Groupes et MĂ©nĂ©triers du Morvan;"L'Union des Groupes et MĂ©nĂ©triers du Morvan est une association loi 1901 crĂ©e le 4/11/79 et qui a pour mission de dĂ©fendre et diffuser le patrimoine culturel et les traditions orales du Morvan musiques et danses traditionnelles, chants, contes...Information, formation stages de danses, chants, Rencontres de St Agnan.., action en direction de la jeunesse, production et diffusion de produits culturels, diffusion du spectacle vivant FĂȘte de la vielle, Printemps de l' Auxois, bals, animations musicales...";"";;Place de la Bascule ;71550;ANOST;France;03 85 82 72 50;ugmm UPCP-METIVE;Association UPCP MĂ©tive;"L'UPCP MĂ©tive a pour but de dĂ©fendre et de promouvoir la culture poitevine-saintongeaise dans son unitĂ© et sa diversitĂ© entre Loire et Gironde notamment en VendĂ©e, Deux-SĂšvres, Vienne, Charente Maritime et Charente. L'action de l'UPCP MĂ©tive prend en compte les diverses composantes de cette culture la langue poitevine saintongeaise, la musique, la danse, les chants, la littĂ©rature orale, les usages et les costumes, l'environnement, l'histoire, la vie sociale et Ă©conomique. L'UPCP-MĂ©tive prend en compte les autres apports culturels qui constituent Ă©galement le tissu humain de la rĂ©gion. L'UPCP-MĂ©tive met en place les moyens modernes du dĂ©veloppement de la culture rĂ©gionale recherche, formation, crĂ©ation, diffusion, par les spectacles, le livre, le son et l'image, etc... Elle participe Ă  un dĂ©veloppement Ă©conomique respectueux des hommes et de leur culture et de leur environnement. Toute propagande prĂ©sentant un caractĂšre politique, politique, partisan ou confessionnel est interdite au sein de l'association.";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production ouvrages Edition d'ouvrages PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Collectage et documentation Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures Enseignement et formation";Milieu rural;1 rue de la Vau St Jacques ;79200;Parthenay;France;05 49 94 90 70;accueil USINERIE L';Association l'Usinerie ;"L’Usinerie est un bureau de production, installĂ© en CĂŽtes d’Armor, qui accompagne des personnalitĂ©s artistiques aux Ă©critures musicales et sonores singuliĂšres, aux confluents de l’improvisation et des musiques populaires du monde. Leurs univers sont caractĂ©ristiques du bouillonnement crĂ©atif interconnectĂ© et ouvert sur le monde, que connait la Bretagne.";"";;Kerantoupet ;22140;Berhet;France; 06 70 56 73 97;lusinerie VIELLUX;Association Viellux;"Cette association a pour objectif de militer pour la reconnaissance des musiques et danses traditionnelles auprĂšs du plus grand nombre et mener toute autre forme d'activitĂ©s permettant de dĂ©velopper l'objet statutaire de l'association.";"";;17 rue Victor Hugo ;18250;HENRICHEMONT;France;;info de Loire; VILLES DES MUSIQUES DU MONDE;Association Villes des Musiques du Monde;"RĂ©unir les moyens nĂ©cessaires Ă  l’organisation et Ă  la promotion des projets artistiques, culturels, socioculturels, d’évĂšnements et d’un festival ayant pour thĂšme “les musiques du monde”. Actions/activitĂ©s – Festival des Villes et musiques du monde – Ateliers et rencontres cuisine, jeune public, musique, danse,
 – CrĂ©ations musicales – Fabriques orchestrales – Coup de pousse aux artistes en dĂ©veloppement – OpĂ©ra Marmots et Griots – MĂ©diatissage";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants PrĂ©servation et conservation de biens matĂ©riels et immatĂ©riels Éducation artistique et action culturelle Accueil en rĂ©sidence, rĂ©pĂ©titions Accompagnement des artistes et des structures";Milieu urbain;4 avenue de la division Leclerc ;93300;Aubervilliers;France;01 48 36 34 02;info VROD&CO;Association Vrod&co;"L'association Vrod&Co a pour objet de favoriser, dĂ©velopper et promouvoir la crĂ©ation artistique dans le domaine des musiques traditionnelles grĂące Ă  - la production de spectacles vivants pluridisciplinaires ou d'Ă©vĂ©nements culturels en lien avec cette esthĂ©tique artistique - la diffusion et la promotion de spectacles et d'Ă©vĂ©nements culturels - l'organisation et la crĂ©ation de manifestations culturelles et d'actions pĂ©dagogiques en faveur de ces pratiques musicales - toute autre activitĂ© contribuant Ă  l'objet de l'association ";"CrĂ©ation et production de spectacles vivants Diffusion de spectacles vivants Production phonographique Éducation artistique et action culturelle";Milieu urbain;68 rue de normandie ;94700;Maisons Alfort;France;01 49 84 26 98; ZAZPLINN PRODUCTIONS;ZAZPLINN PRODUCTIONS;"CrĂ©ee en 2016 sous l'impulsion de Roxane Martin, cette association dĂ©veloppe et promeut la crĂ©ation artistique dans le domaine des 'Nouvelles Musiques Traditionnelles' et des 'Musiques improvisĂ©es' une esthĂ©tique qui met en lien la tradition populaire, l'hĂ©ritage culturel de chacun, la curiositĂ© qui nous invite Ă  dĂ©couvrir celle de l' 'Autre' et l'envie de tout rĂ©inventer par le biais de l'improvisation et de la composition. ZAZPLINN produit et diffuse ses spectacles, met en place des actions culturelles variĂ©es, dĂ©veloppe l'Ă©dition musicale pour harpe, produit Ă©galement une Ă©mission radiophonique consacrĂ©e aux Nouvelles Musiques Traditionnelles, en direction de tous les publics sans distinction aucune.";"";; ;30100;ALÈS;France;06 89 16 75 94;contact Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 11h00 - 19h3011h00 - 19h3011h00 - 19h3011h00 - 19h3011h00 - 19h3010h00 - 19h3013h00 - 18h30 Ouverture les dimanches 29 novembre, 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 12h Ă  18h et le dimanche 27 dĂ©cembre de 13h Ă  18h30 Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 11h Ă  16h TĂ©lĂ©phone Prendre un RDV vidĂ©o avec un conseiller Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 13h Ă  18h Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 11h Ă  16h30 TĂ©lĂ©phone Prendre un RDV vidĂ©o avec un conseiller Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h-13h / 14h-19h11h-13h / 14h-19h11h-13h / 14h-19h11h-13h / 14h-19h11h-13h / 14h-19h10h00 - 19h00 Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 11h Ă  16h30 TĂ©lĂ©phone Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 10h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h00 11h00 - 19h00 Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 10h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13, 20 et 27 dĂ©cembre de 10h Ă  19h30 Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 10h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0010h00 - 20h0012h00 - 18h00 Ouverture les dimanches 29 novembre et les dimanches 6, 13 et 20 et 27 dĂ©cembre de 11h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 11h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 11h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h00 Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 10h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 20h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 6, 13 et 27 dĂ©cembre de 11h Ă  19h et le dimanche 20 dĂ©cembre de 10h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 10h00 - 19h30 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 11h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 10h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 11h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 10h00 - 20h00 11h00 - 19h00 Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 10h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 13 et 20 dĂ©cembre de 11h Ă  18h Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 10h30 Ă  16h30 TĂ©lĂ©phone Prendre un RDV vidĂ©o avec un conseiller Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 10h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h0010h30 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 11h Ă  18h Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 11h Ă  16h30 TĂ©lĂ©phone Prendre un RDV vidĂ©o avec un conseiller Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 10h30 - 18h3010h30 - 18h3010h30 - 18h3010h30 - 18h3010h30 - 18h3010h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 10h30 Ă  18h30 Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 10h Ă  16h TĂ©lĂ©phone Prendre un RDV vidĂ©o avec un conseiller Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 10h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 19h3010h00 - 20h0012h00 - 18h00 Ouverture les dimanches 29 novembre et les dimanches 6, 13 et 20 et 27 dĂ©cembre de 11h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle le dimanche 29 novembre de 11h Ă  19h et les dimanches 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 10h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 11h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13, 20 et 27 dĂ©cembre de 11h Ă  19h Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi 10h30 - 18h3010h30 - 18h3010h30 - 18h3010h30 - 18h3010h30 - 18h3010h00 - 19h00 Ouverture exceptionnelle les dimanches 29 novembre, 6, 13 et 20 dĂ©cembre de 10h Ă  18h Les jeudis 24 et 31 dĂ©cembre, ouverture de 10h Ă  16h TĂ©lĂ©phone Prendre un RDV vidĂ©o avec un conseiller Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche 11h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h0011h00 - 19h00 Dimanche 29 novembre ouverture Ă  partir de 10h Inscrivez-vous Ă  notre newsletter... 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